Elwing entendit un son sourd dans son crâne alors qu’elle sentait partir sa tête en arrière. La douleur n’était pas encore arrivée, aussi avait-elle tout le temps de repenser à son erreur. Un stupide contre-pied suite à une parade grossière. C’est incroyable comme le temps passe lentement dans ces moments-là. Elle tentait vainement de retrouver son équilibre mais compris rapidement qu’elle ne pouvait que mordre la poussière. Le choc fut rude et elle expulsa l’air de ses poumons dans un gémissement douloureux. D’ailleurs en parlait de douleur, celle-ci décidait finalement de se montrer, embrasant la mâchoire de l’elfe telle un nuée ardente déferlant sur sa peau et dans ses os.

-Contre-pied, majesté, fit un elfe torse nu à la carrure plutôt impressionnante.

-Je sais, gronda-t-elle en se relevant péniblement.

Elwing cracha du sang et essuya le coin de sa lèvre meurtrie. Sur une petite esplanade aménagée dans les jardins de la cité elfique, la reine affrontait son adversaire avec une tenue presque aussi légère que lui. Un large bandage de soie pressait fortement sa poitrine pour lui laisser toute liberté de mouvement tandis qu’une jupe servait à garder sa pudeur sans rien lui enlever de sa souplesse. Elle dardait un regard meurtrier sur l’elfe qui venait de l’envoyer au tapis, un regard qui n’augurait habituellement rien de bon pour le pauvre diable qui en était victime. Pourtant, son adversaire ne semblait pas du tout intimidé et s’obstinait même à lui lancer des sourires narquois tout en lui tendant l’épée de bois qu’elle venait de faire tomber. Elwing la lui arracha alors des mains et repartit dans une série d’assauts plus furieux les uns que les autres. Certains coups étaient vicieux et parfois même dangereux mais son adversaire était bien plus fort qu’elle, la mettant une nouvelle fois au tapis.

-Trop précipitée, majesté, minauda l’elfe pour l’agacer.

Elwing n’eut pas le temps de lui répondre une de ses répliques acerbes car un page interrompit le combat se plaçant judicieusement entre elle et son adversaire.

-Ma reine, votre rendez-vous, Chioné Féral, vous attend.

Elwing arqua un sourcil d’un air courroucé. La Féral était déjà arrivée ? Elle n’avait surement pas envie de se presser pour être présentable devant ce genre d’invité, mais elle ne voulait pas non plus l’insulter en la faisant attendre des heures durant. Pas parce qu’elle avait beaucoup d’estime pour cette famille de démon, mais parce que les règles de la bienséance l’imposaient. Au contraire, Elwing n’avait pas appréciée la dernière visite des Féral à sa cour. En particulier leur ingérence dans sa politique intérieur, qui, en tant que telle, ne les concernait en rien. C’est donc avec méfiance et déplaisir qu’elle accueillait de nouveau un Féral sur ses terres.

-Eh bien, amenez-là, fit la reine en rendant l’épée de bois à son entraineur. Ne la faisons pas attendre plus que nécessaire.

Le page jeta un bref coup d’œil à sa souveraine, haletante, les joues rouges et en tenue indécente pour une rencontre officielle, pourtant il n’osa piper mot. Ce fut donc un des conseillers de la reine qui dut prendre la parole pour la ramener à la raison.

-Majesté, vous qui prônez l’exemple, il serait sans doute plus approprié que je m’occupe de notre jeune amie pendant que vous vous préparez afin de paraitre devant votre invitée avec toute la prestance et la grâce représentative du peuple elfique.

Le conseiller avait raison et il tentait habilement d’orienter sa souveraine, mais malheureusement pour lui, la fureur du combat n’était toujours pas passée chez Elwing, et encore une fois, sa cour devrait subir ses humeurs. Quoique cette fois-ci, c’était plutôt le protocole qui en prenait un coup. La reine poussa donc une exclamation ironique accompagnée d’un haussement d’épaule exagéré.

-Si les Féral m’envoient leur gamine pour traiter avec moi, je la recevrai comme tel. Faites-là venir à présent. Je ne vais pas y passer la journée.

Tandis que le page se mit à trottiner pour sortir du petit jardin, Elwing s’approcha d’un bassin de pierre bleutée où elle put nettoyer le sable et le sang qu’elle avait sur la figure. Elle s’y pencha pendant quelques instants, essayant de chasser la colère qui la submergeait, jusqu’à ce que l’elfe qui fut son adversaire lui apporte une veste de soie gris perle où des branches stylisée serpentaient en s’entremêlant dans des arabesques complexes. Elwing se laissa habiller en ne manquant pas de remercier l’elfe d’un signe de tête. Ce dernier salua donc et emporta avec lui les épées d’entrainement en bois.

Lorsque le page revint, il était accompagné de son invitée. Elwing tenta alors d’arborer une expression affable tout en se forçant à sourire pour réciter ses habituelles salutations.

-Bienvenue à Drayame, Chioné Féral.

Retour à Drayame, songea Chioné en arrivant devant la Cité des Elfes. La première fois, elle n'avait guère apprécié le séjour, peut-être que cette fois-ci, ça irait mieux.

Elle était cette fois-ci envoyée par sa famille pour dialoguer avec la nouvelle Reine des Elfes, Elwing. Comme c'était officiel, elle espérait que le court séjour qu'elle effectuerait à Drayame se passe de bien meilleure manière...

Arrivée à destination, elle fut accueillie par un page qui l'aida à descendre de sa monture en déclarant :

Ma Reine vous attend, dame Chioné. Vous avez fait bon voyage ?

Bien, je vous remercie. Et j'apprécie l'accueil également, lui répondit-elle avec un sourire.

Le page rosit avant de la conduire jusqu'à un petit jardin, où se trouvait une magnifique femme aux cheveux dont la blondeur pourrait rappeler la neige, les yeux d'un bleu profond, à la peau très pâle. La Reine Elwing en personne. La Reine des Neiges s'inclina devant elle pendant qu'elle lui disait :

- Bienvenue à Drayame, Chioné Féral.

La demoiselle lui répondit avec douceur :

Merci de votre accueil, Majesté. Permettez-moi de vous offrir cette dague, en gage d'amitié de la part de ma famille.

Elle sortit de son sac en besace une dague de cette nature :

Cadeau:

Puis elle le tendit, genou à terre, à la Reine des Elfes, attendant son ordre pour se relever. Ça promettait...

Elwing roula des épaules pour ajuster sa veste et posa un regard impérieux sur la Féral. Elle fut étonnée de ne pas retrouver certains des attributs très communs chez cette famille de démons comme leur arrogance crasse. A vrai dire, et cela était douloureux de l’admettre, cette Chioné Féral avait l’air tout à fait charmante. Le regard sévère et suspicieux de la reine se mit à fondre lentement mais surement devant la jeune fille qui multipliait les hommages.

Pourtant, lorsque la jeune fille évoqua la dague qu’elle avait ramené, un mouvement caractéristique se fit entendre dans un concert de grincements métalliques. Les quelques garde-du-corps, caparaçonné des pieds à la tête, s’agitèrent et firent rempart de leur corps entre leur reine et la Féral armée de son poignard. Comme on ouvre une simple porte coulissante, Elwing repoussa le garde qui venait de se planter devant elle avant que ce dernier ne prenne racine. L’homme congédié se replaça donc sur le côté, tendu comme une arbalète, la main sur son sabre elfique. La tension se fit encore plus palpable lorsque la reine tendit un bras nu vers l’arme pour la prendre et ainsi l’examiner.

-C’est un très beau cadeau, lui assura Elwing en plongeant son regard dans celui azur de la jeune fille.

Celle-ci s’inclina de sa propre initiative sous le regard de la jeune reine qui devint circonspect. Avec une lenteur gracieuse, elle fit passer la dague à l’un de ses gardes, trop heureux de mettre l’arme en sureté. Sans le savoir, la Féral marquait un point. Elwing n’était pas insensible aux cadeaux. La souveraine en abusait même lorsqu’elle était elle-même invitée. Pourtant, elle ne laissait rien paraitre, se contentant de jeter un regard neutre à la jeune fille qu’elle ne fit pas relever immédiatement, attendant quelques mystérieuses secondes avant d’enfin effleurer son épaule.

-Relevez-vous, Chioné Féral, et marchons ensemble.

A ces mots les gardes se mirent silencieusement en formation derrière la souveraine et flanquèrent même ses côtés. Il n’y avait qu’un petit espace libre sur sa droite, là où devait absolument se placer la Féral si elle ne voulait pas se retrouver à l’écart du cortège. Elwing lui lança alors pour la première fois un sourire contrit, espérant que son invitée comprenait pourquoi la protection de sa personne était aussi sévère. Les elfes venaient à peine de perdre une souveraine et n’était pas prêt à en perdre une seconde l’année suivante.

-Je suis heureuse de pouvoir rencontrer une Féral dans des circonstances plus triviales que pour me presser de construire un temple ou bien pour parcourir mes terres en toute impunité, glissa la reine en jetant un coup d’œil à Chioné pour s’enquérir de sa réaction.

La petite troupe avançait dans le jardin elfique. Il ne ressemblait en aucun cas aux jardins des humains qui multipliaient les plantes et les couleurs pour faire croire à leurs visiteurs qui évoluent dans la nature. Ce but n’aurait pas de sens chez les elfes, leur jardin se trouvant déjà dans un espace naturel. Il s’agissait plutôt d’un lieu de performance végétal, comme si toutes les plantes et la magie de la forêt s’étaient rassemblées pour exprimer tout leur art et leur talent. Les arbres rivalisaient de courbures comme dans un ballet figé, tandis que les fleurs bien loin de se limiter aux banales couleurs, luisaient d’un panel de lumière bleutée, rose et verte au point de ressembler à l’univers féérique de Flore. Même l’immense branche - où se trouvait le jardin - de l’arbre principale de la ville qui soutenait également le palais, s’était sentie obligé de participer à ce concours de merveille. Le sol d’écorces était parcouru par une multitude de lianes vertes s’entremêlant aux racines brunes dans un tel mélimélo d’enchevêtrement qu’on aurait pu croire qu’il avait été sculpté.

-Je tiens cependant votre famille en haute estime, mademoiselle Féral, reprit la reine. Je compte envoyer très prochainement un bataillon de cavaliers pour soutenir votre père, en signe de bonne volonté que, j’espère, vous ne manquerez pas de transmettre. Cette lutte contre le maléfice me tient particulièrement à cœur.

La reine prononça la fin de sa phrase à mi-voix tandis que son regard se perdit dans le vague, comme emporté par ses pensées.

Chioné s'attendait à ce que les gardes réagissent rapidement lorsqu'elle sortirait son cadeau, aussi ne broncha-t-elle pas. Elle se serait même inquiétée s'ils avaient été longs à la détente... La Reine des Elfes déclara :

- C’est un très beau cadeau.

Chioné s'inclina avec toute l'éducation qu'avait pu lui donner sa mère, durant toutes ces années, et attendit sagement que la Reine lui donne l'autorisation de se relever. Celle-ci ne vint que quelques secondes plus tard, lorsque la Reine effleura l'épaule de la jeune femme :

- Relevez-vous, Chioné Féral, et marchons ensemble.

La Reine des Neiges se releva et se plaça à la droite de la dame Elfe, les soldats en formation derrière elles. Elles marchèrent en silence, Chioné n'osant le rompre. Elle vit que la Reine lui souriait, contrite, et Chioné lui répondit avec un sourire engageant. Elle comprenait tout à fait l'importance de la sécurité de la Reine, et ne la remettait nullement en question.

La Reine lui lança après quelques minutes de silence :

- Je suis heureuse de pouvoir rencontrer une Féral dans des circonstances plus triviales que pour me presser de construire un temple ou bien pour parcourir mes terres en toute impunité.

Chioné sourit, amusée : elle savait que la réputation de sa famille était quelque peu sulfureuse, mais n'était-elle pas là pour y remédier ? La Reine reprit :

- Je tiens cependant votre famille en haute estime, mademoiselle Féral. Je compte envoyer très prochainement un bataillon de cavaliers pour soutenir votre père, en signe de bonne volonté que, j’espère, vous ne manquerez pas de transmettre. Cette lutte contre le maléfice me tient particulièrement à cœur.

Chioné s'inclina et répondit avec douceur :

Soyez assurée, Majesté, de ma fidélité à votre égard et à celle de ma famille. Mon père saura être reconnaissant de votre intervention ô combien attendue, les autres barons et comtes censés servir l'Aile Ténébreuse n'osant guère sortir de leurs trous. Espérons que votre exemple servira à la suite, afin que tous les serviteurs de l'Aile Ténébreuse unissent leurs forces pour combattre cette... chose.

Elle parlait du Maléfice avec un peu de dégoût et d'horreur : comment de telles choses pouvaient se produire en ce monde ?!

Elwing avisa son invitée du coin de l’œil, guettant ses réactions, tout en se demande quel poids cette jeune femme pouvait avoir dans sa famille. La reine craignait qu’elle n’en ait pas beaucoup, à moins qu’elle ne le démente elle-même. Il est vrai qu’il ne fallait pas se fier aux apparences mais tout de même, cette jeune fille était à cent lieues de la violence des démons Féral. Mais quand on y pense, c’était sans doute pour cette raison qu’ils l’avaient envoyé. S’ils espéraient faire fondre le cœur d’Elwing avec la douceur de la petite Chioné et bien… ils avaient mille fois raison. La reine n’avait aucune patience pour l’arrogance et l’impertinence sur ses terres. Parmi tous les Féral, Chioné était la personne toute trouvée pour discuter avec elle.

Cette dernière mettait d’ailleurs le doigt sur un point intéressant. Il vrai que les nobles fidèles à l’Empire ne se pressait pas pour aider les Férals dans leur quête de destruction du maléfice. Bien que ce fût une manœuvre purement politique de leur part, il était stupide de laisser grandir une telle menace avant que celle-ci ne devienne incontrôlable. Les rebelles diminués, Feu négligeable et Glaces en déroute, il n’y avait plus que les morts pour faire de l’ombre à l’Aile Ténébreuse.

Elwing hocha simplement la tête alors que la jeune fille lui assurait la fidélité de sa famille. C’était probablement totalement faux, les Férals n’ayant aucune raison de lui être fidèle, mais ça pourrait peut-être devenir vrai si elle faisait le premier pas. Leur envoyer cette colonne de cavalier alors que personne ne répondait à leur appel à l’aide ne pouvait que lui apporter les grâces de cette puissante famille. Maintenant, la reine observait la petite Chioné, se demandant quel serait son rôle dans cette affaire.

-Comment se fait-il que les nobles fidèles à l’Ailes Ténébreuses n’accourent pas au secours de votre père comme je le fais ? Demanda la reine avec étonnement. J’aurais pensé qu’une famille aussi prestigieuse recueille l’approbation de tous ceux qui vénèrent l’Aile Ténébreuse ?!

La reine feignait l’étonnement alors qu’elle avait déjà son avis sur la question. Elle se doutait que les Féral n’étaient pas beaucoup d’amis mais elle voulait l’entendre de la bouche de l’un d’entre eux, même à demi-mot, comme pour confirmer ce dont elle se doutait déjà. Elwing espérait sincèrement que ces impressions seraient confirmées. Tant mieux que les Féral ne soient pas aussi soutenus qu’il le pense, cela ne rendrait l’amitié des elfes que plus précieuse, car rare.

-Mais dites-moi, Chioné, comment en êtes-vous venu à faire partie de cette famille ? J’aurais pensé que l’endroit où vous êtes nez et avez grandi, les Glaces, auraient accaparé votre allégeance.

Elwing lui glissa un petit sourire. Oui, elle s’était un petit peu renseignée sur son invitée. Ou plus exactement, on s’était renseigné pour elle. La reine ne voulait pas particulièrement mettre mal à l’aise son invitée, et tentait simplement d’être poli en s’intéressant à elle.

-Si, ce sujet est sensible je vous prie de m’excuser de l’avoir abordé, fit-elle. C’est simplement que nous autres elfes avons tendance à donner notre allégeance à la terre qui nous a vu naitre et non à notre sang.

Ce n’était pas forcement une vérité absolu mais les différences culturelles donnaient à Elwing une parfaite excuse au cas où elle aurait été trop loin. Il ne s’agissait pas de vexer sa jeune invitée.

La Reine commença à poser une question assez embarrassante pour Chioné :

- Comment se fait-il que les nobles fidèles à l’Ailes Ténébreuses n’accourent pas au secours de votre père comme je le fais ? J’aurais pensé qu’une famille aussi prestigieuse recueille l’approbation de tous ceux qui vénèrent l’Aile Ténébreuse ?!

Chioné haussa très discrètement les épaules :

Que voulez-vous, ma famille se fait plus facilement des ennemis que des amis, malgré le fait qu'elle soit prestigieuse. Nombreux sont les jaloux.

La question tant redoutée finit cependant par tomber des lèvres de la majestueuse Reine :

- Mais dites-moi, Chioné, comment en êtes-vous venu à faire partie de cette famille ? J’aurais pensé que l’endroit où vous êtes née et avez grandi, les Glaces, auraient accaparé votre allégeance.

La jeune femme resta muette quelques instants, ne sachant vraiment que répondre. C'est vrai que son pays de naissance, les Glaces, auraient été ravis d'avoir un atout précieux dans leur manche s'ils avaient eu vent de la nature semi-démoniaque de la Reine des Neiges. Ou au contraire, ils n'auraient pas apprécié et auraient cherché à se débarrasser d'elle.

La Reine des Elfes, voyant son trouble, ajouta :

- Si, ce sujet est sensible je vous prie de m’excuser de l’avoir abordé. C’est simplement que nous autres elfes avons tendance à donner notre allégeance à la terre qui nous a vu naître et non à notre sang.

Chioné s'inclina devant elle en répondant doucement :

Je suis votre obligée, Majesté, aussi vais-je tenter de répondre à votre interrogation. Malgré le fait que je sois née en Glaces et que j'y ai grandi, ma mère avait jugé bon de me protéger. Ma partie démoniaque fait que je ne maîtrise pas bien ma magie de Glace, et je doute fort que les autorités auraient permis de me laisser vivre s'ils savaient qui était mon père.

Elwing observa la jeune fille avec un étrange regard. Les liens du sang étaient-ils si forts au point que cette jeune fille rejoigne les Féral ? Certainement, les Glaces n’auraient pas tourné le dos à un tel pouvoir mais sait-on jamais avec ces sauvages. Ils ne sont pas réputés pour leur sagesse alors peut-être que Chioné avait bien fait finalement. Même si cet épisode de la vie de la jeune femme pouvait soulever une certaine interrogation quant à l’implication de celle-ci dans les intérêts de sa famille, le fait qu’elle soit là devait être une preuve suffisante.

Au-delà de parler chiffon avec Chioné, Elwing voulait surtout savoir si elle était capable de parler au nom de sa famille. Probablement pas, mais au moins faire passer un message à qui de droit et peut-être même avoir un avis sur ce qu’elle allait proposer aux Féral. La reine s’arrêta donc et se tourna vers Chioné. La troupe de garde s’arrêta elle aussi, arrêtant leur marche dans un bel ensemble de claquements métalliques.

-Nous avons besoin de savoir sur qui nous pouvons compter en ce monde divisé, commença-t-elle en fixant un regard déterminé sur son invitée. Je veux que les elfes et votre famille puissent compter l’un sur l’autre dans les épreuves qui nous attendent. Certes, une fraction de notre destin est liée car nous faisons partie de l’empire. Ce n’est pas suffisant pour moi. Je voudrais que vous sachiez que votre famille m’apparait comme un allié honorable et j’aimerais que nous soyons plus que cela. Si mes largesses me sont rendues, je vous assure de mon amitié indéfectible envers vous.

Elwing observa la jeune femme, se demandant si elle avait assez d’expérience en diplomatie pour percer ses non-dits et ses allusions. Il y a des choses qu’une reine ayant juré fidélité à l’Aile Ténébreuse ne peut pas dire de manière explicite. Les Féral sont puissants. Leur poids dans l’empire était considérable et Elwing voulait leur faire comprendre que son allégeance à l’Empire n’était pas entièrement dévolue à l’Aile Ténébreuse. Elwing était fidèle à une idée, un rêve que l’Empire incarnait parfaitement à ses yeux. Alors peu importe celui qui tient les rênes. Et les Féral étaient si puissants et si ambitieux… qu’on les croirait presque capables de renverser l’Aile Ténébreuse…

C’était une éventualité. Il y avait une petite chance pour que cela se produise et c’était le devoir d’une reine d’envisager tous les scénarios possibles. Dans ce cas-là, Elwing préférait être considérée comme une alliée plutôt que comme une ennemie. C’est pour cette raison qu’un rapprochement entre elfes et Féral lui semblait plus prudent. Comment ignorer de tels potentiels alliés ?

-Comme je vous l’ai dit, je vais faire le premier pas vers vous, reprit Elwing. J’espère que ce n’est que le début.

Maintenant, la reine s’était arrêtée. D’un regard sur son chambellan, elle fit comprendre qu’elle attendait l’ultime réponse de Chioné, avant de clore la conversation, car pour sa part, elle n’avait rien à rajouter.

Chioné pouvait sentir le regard que posait sur elle la Reine des Elfes, et masqua la rougeur qui lui montait doucement aux joues en baissant la tête. Son éducation lui permettait d'avoir une certaine humilité envers des personnes plus haut placées qu'elle-même, pour l'instant simple membre de l'illustre famille des Féral.

Elle s'arrêta lorsque la Reine se figea pour se tourner vers elle ; immobile, elle l'entendit lui lancer :

- Nous avons besoin de savoir sur qui nous pouvons compter en ce monde divisé. Je veux que les elfes et votre famille puissent compter l’un sur l’autre dans les épreuves qui nous attendent. Certes, une fraction de notre destin est liée car nous faisons partie de l’empire. Ce n’est pas suffisant pour moi. Je voudrais que vous sachiez que votre famille m’apparait comme un allié honorable et j’aimerais que nous soyons plus que cela. Si mes largesses me sont rendues, je vous assure de mon amitié indéfectible envers vous.

Chioné s'inclina et attendit la suite du discours de la Reine :

- Comme je vous l’ai dit, je vais faire le premier pas vers vous. J’espère que ce n’est que le début.

La Reine des Neiges se redressa avant de répondre :

Soyez assurée, Majesté, que je veillerai personnellement à ce que ma famille vous rende ce qu'elle vous doit, si possible au centuple.

L'entretien touchait à sa fin, et Chioné ne put s'empêcher d'être assez contente d'elle. Pour une première fois, elle s'était bien débrouillée avec une vraie Reine, et serait ravie de recommencer.

Elwing jeta un coup d’œil sceptique à la jeune Chioné, se demandait si elle avait réellement compris ce qu’elle avait voulu lui dire. Ce n’est pas comme si elle donnait l’impression de comprendre un traitre de mot de ce qu’elle lui racontait depuis tout à l’heure. Ses formules étaient d’une politesse opaque, et pour la première fois, Elwing était bien en mal de deviner ce que son interlocutrice pensait vraiment. « on le vous rendra au centuple », « soyez assurée de ma fidélité », autant de formule qui ne prenait aucune substance dans l’esprit de la reine. La reine ne reconnaissait de valeur qu’aux actes. Elle verrait donc si le futur apporte aux mots de Chioné une quelconque véracité, car pour l’instant ils traversaient l’elfe sans la toucher.

-Je l’espère, répondit Elwing.

La reine profita du silence qui suivi pour accrocher le regard du valet qui avait accompagné Chioné jusqu’ici, lui faisant comprendre que l’entrevue se terminait. Celui-ci s’approcha donc et salua.

-Je vous remercie pour votre visite, dame Féral, dit la reine en inclinant légèrement la tête. Vous êtes la bienvenue en Drayame autant de temps que vous voudrez.

Elwing continua son chemin, mettant en branle la colonne de garde sur ses talons tandis que le valet multipliait les courbettes pour attirer l’attention de Chioné et l’inviter à le suivre pour qu’il puisse lui montrer la chambre qui lui était attribuée dans l’enceinte du palais elfique. La reine, seule, continua à progresser dans le jardin, coupant soudain dans l’épaisseur de la végétation pour rejoindre un autre sentier. Elle arriva en vue d’un terrain d’entrainement qui n’était rien d’autre qu’un gigantesque tronc d’arbre brisé en son milieu, offrant une plateforme parfaite pour s’entrainer aux manœuvres militaire. Le terrain était d’ailleurs occupé par une formation de cavaliers qui opérait un ballet équestre des plus spectaculaires. Elwing croisa ses bras sur une rambarde de bois, y faisant reposer sa petite tête blonde pour contempler les exercices militaires. Elle fit alors dériver ses pensées, vers le futur comme de coutume.

Chioné ne montra pas sa satisfaction du travail accompli. Peut-être était-elle encore novice en diplomatie, peut-être que la Reine des Elfes attendrait de voir des actions de la part des Féral, mais la Reine des Neiges s'en tirait à bon compte. Enfin, le pensait-elle.

La Reine des Elfes lui donna congé :

- Je vous remercie pour votre visite, dame Féral, dit la reine en inclinant légèrement la tête. Vous êtes la bienvenue en Drayame autant de temps que vous voudrez.

La jeune femme s'inclina avec grâce devant la Reine avant de suivre le valet qui lui faisait signe de le suivre jusqu'à l'appartement qui lui avait été préparé. D'accord, tous les Elfes n'étaient pas des rustres, seuls ceux qui refusaient de se soumettre, comme leur sage Reine, à l'Aile Ténébreuse...

La chambre où elle fut conduite était dans les tons blanc et argenté, très simple, confortable et magnifique. Le valet déclara à Chioné que sa chambre serait disponible à chacune de ses apparitions dans le royaume des Elfes, et la laissa se reposer en lui annonçant qu'on lui monterait son repas si elle le désirait. La jeune femme lui sourit et lui assura que ça allait pour l'instant, et ferma les yeux, allongée sur son lit, repensant à cette journée. Elle était loin de se douter que dans quelques temps, elle tomberait sur un des ennemis de l'Empereur...