Alors que la saison froide pointait son nez sur les régions de Terre, une ombre ailée regagnait la côte près de Sen’tsura, empruntant un nouveau trajet. Elle n’avait au final pas vendu tout ce qu’elle avait, et ses récentes aventures la poussaient désormais à s’enhardir. Après tout, n’était-il pas temps pour elle de voir Terre de plus près ? Ces étendues d’une surface extraordinaire qui ne demandaient qu’à être explorées.

La présence des démons n’était pas forcément pour lui plaire, mais la blanche écailleuse savait faire la part des choses entre aventure grisante et risque inconscient.

Hëryn restait prudente et avait contourné la capitale par le Sud, pour remonter légèrement vers des vallons moins habités, où elle put se permettre de perdre en altitude sans crainte d’être pourchassée. Son voyage vers les Montagnes risquait fort de durer encore quelques semaines. Sa traversée de l’océan l’avait fatigué, ses ailes devaient se reposer, et sa gorge, voir quelque chose de frais. Son regard balayait nonchalamment la terre loin en bas, à la recherche d’une rivière ou d’un fleuve où elle pourrait s’abreuver.

La dragonne avisa un large cours d’eau aux berges luxuriantes. L’endroit semblait sauvage, et les arbres suffisamment hauts pour la cacher efficacement. Plusieurs falaises découpaient un endroit assez inaccessible, et un peu plus loin, on devinait la forme massive d’une vieille demeure abandonnée rongée par la nature environnante. Après avoir calculé le comment et le quand, la dragonne se décida à quitter son refuge céleste. Elle piqua droit vers le bras du fleuve. Une puissance dépression la suivit, et elle dut arrondir sa trajectoire pour ne pas générer d’onde de choc. Les coudes de ses ailes s’inclinèrent, la membrane se tendit et elle descendit en cercle sur la berge la plus proche. Ses pattes s’enfoncèrent dans la vase, et Hëryn pataugea jusqu’à la zone sous influence du courant, où l’eau était pure et chantonnait sur les roches. L’énorme museau blanc entra dans l’eau avec un son net, et Hëryn se délecta du liquide glacé. Sur ce paysage hivernal, les teintes brunes, oranges et grises laissaient son corps blanc étincelant bien visible. Le peu de neige qui était tombé les jours précédents ne suffisait pas à lui offrit un bon camouflage. En cela, la fille de l’Hiver conclut qu’elle ne devrait pas s’attarder.

Quelques gorgées supplémentaires plus tard, la dragonne jugea qu’il était temps de repartir. Pourtant, elle s’immobilisa, ailes à demi déployées, lorsqu’une odeur de vivant vint lui chatouiller les narines. Elle tourna la tête en direction des bosquets qui longeaient la rive.

L'hiver s'était tranquillement installé dans les plaines de Terre. Les mercenaires de la Néo-Voëlkara, en l'absence de la cheffe Ashae Alokin, étaient sous la surveillance patiente d'Alys, quand ils n'étaient pas par monts et par vaux, comme Stribog qui avait réussi à implanter un QG en Glaces.

La neige et le froid avaient refroidi les gens en matière de contrats pour la guilde, aussi était-elle en "vacances" en attendant que les beaux jours reviennent. L'Elfe veillait tout de même à ce que l'oisiveté ne prenne pas les membres de la guilde qui étaient présents au QG de Terre, les envoyant régulièrement s'entraîner au combat ou faire du sport en général.

Un beau jour, elle décida d'aller prendre l'air ; trop de temps passé enfermée dans le QG principal, il fallait qu'elle sorte. Laissant Heylë dormir près du feu, elle s'emmitoufla dans un gros manteau en laine et sortit du bâtiment, marchant tranquillement vers la rivière.

Quelle ne fut sa surprise de voir, alors qu'elle s'était approchée sans trop prêter attention à ce qui l'entourai, de voir un dragon totalement blanc, dérangé pendant qu'il se désaltérait dans la rivière qui coulait encore malgré le froid. Heureusement, Alys n'avait pas peur des dragons ; son compagnon, Voyl, en était un... Elle s'inclina et s'excusa :

Veuillez m'excuser, je vous ai dérangé... Je m'en vais.

Et elle commença à faire demi-tour, veillant cependant à ne pas lui tourner le dos. Un dragon, mine de rien, ça peut être dangereux...

Les feuilles mortes gelées craquaient doucement sous le poids d’un pas pourtant léger. Ce bruit, mêlé au doux froufrou du vent hivernal entre les branches, permit à Hëryn de localiser l’endroit où se trouvait l’individu. Visiblement seul… Mais la dragonne ne pouvait en être totalement certaine. Sa tête dressée dominant les arbres, elle attendit d’en voir émerger une petite silhouette gracieuse, entourée d’un vêtement qui la faisait paraître bien plus large qu’elle ne l’était. Les yeux reptiliens suivirent silencieusement le terrestre, jusqu’à ce que ce dernier lève les yeux de son chemin.

Sa crête se déploya dangereusement sous le coup de l’émotion : découverte ! Elle qui pensait passer inaperçue dans ce coin isolé, c’était raté… L’autre semblait féminine aux vues de son faciès, ce qui ne la rassura nullement : mâle ou femelle, un deux-patte restait un deux-patte… Les idées se bousculèrent dans son esprit, le temps qu’elle aperçoive la forme si particulière des oreilles de la femme au travers de sa longue chevelure. La blanche plissa les yeux, se détournant de l’eau pour regagner très lentement la terre ferme.

Elfe.

Le constat avait fusé en même temps que la phrase, qui tomba dans le silence de la campagne. Voilà des années et des années qu’elle n’avait croisé l’une de ces créatures mystérieuses aux airs d’humains fragiles, empreintes d’une profonde magie et d’un religieux respect envers les siens. L’odeur de la femelle était curieuse, mais agréable. Le nez d’Hëryn, au bout de sa longue tête et d’un cou tout aussi interminable, s’avança ver l’elfe, comme attiré par un aimant. Elle détectait, très loin derrière le parfum de plantes, de fumée, de tapis et de laine, la fragrance subtile mais non moins infalsifiable de… dragon ? D’où… ?
L’elfe commençait à refluer vers les bois d’où elle était sortie.

« Attends… cette odeur… »

Les narines de la dragonne s’ouvrirent et laissèrent s’échapper une légère brume de givre. Sa patte avant s’avança d’un pas, les griffes crissant contre les feuilles mortes.

« Tu es une elfe. Oui, je reconnais ces oreilles, ces yeux… Mais tu as sur toi la trace du passage d’un être qui me ressemble. Qui es-tu ? Et que fais-tu seule dans un tel endroit, si loin des tiens et des villages ? »

Hëryn garda une distance respectable entre la sylvaine et elle, prête à toute éventualité malgré le ton courtois de l’inconnue. Si elle n’était pas seule, il y avait de forte chance qu’il s’agisse d’un piège.

Au moment où elle faisait demi-tour, le dragon - ou plutôt la dragonne, à en juger la voix dont la créature était propriétaire - lui lança :

Attends… cette odeur…

Alys se figea et fit face à la dragonne, la voyant s'approcher sans broncher, faisant crisser les feuilles mortes et soufflant un petit nuage de givre par ses naseaux. Un dragon de givre... Une bien majestueuse créature. De sa courte vie d'Elfe, Alys n'en avait jamais vu, et ne montrait pas qu'elle était impressionnée par la taille de la dragonne.

Celle-ci reprit, après un court silence :

Tu es une elfe. Oui, je reconnais ces oreilles, ces yeux… Mais tu as sur toi la trace du passage d’un être qui me ressemble. Qui es-tu ? Et que fais-tu seule dans un tel endroit, si loin des tiens et des villages ?

On pouvait sentir que la dragonne n'était pas très à l'aise ; Alys leva les mains, pour lui signifier qu'elle n'était pas armée, et répondit avec douceur :

Je suis Alys Calywiel, seconde de dame Alokin à la tête de la guilde de mercenaires de la Néo-Voëlkara. Notre QG n'est pas très loin d'ici, et je me suis permise d'en sortir pour me promener. Et vous ? Que nous vaut l'honneur de votre présence ici, dame... dame ?

Toujours en restant polie et courtoise. C'était ainsi qu'elle avait "dompté" Voyl, son compagnon dragon : en étant elle-même, sans chercher l'agressivité. Elle était vraiment intriguée de voir une dragonne de givre en ces lieux...

Hëryn posa son regard sur les traits aériens de l’elfe. D’où lui venait donc cette étrange familiarité avec cette race, qui pourtant ne demeurait jamais en Glaces ? C’était un mystère semblait-il bien plus vieux qu’elle.
Après les premières secondes de leur échange, il sembla à Hëryn qu'effectivement, l'elfe était seule, et pas hostile pour deux ailes de bronze. Puis, cette odeur de dragon... c'était léger, comme un vieux parfum recouvert par d'autres plus récents, mais tout de même. Du dragon mâle, ça ne s'efface pas si facilement, surtout pour un autre écailleux.

« Je suis Alys Calywiel, seconde de dame Alokin à la tête de la guilde de mercenaires de la Néo-Voëlkara. Notre QG n'est pas très loin d'ici, et je me suis permise d'en sortir pour me promener. Et vous ? Que nous vaut l'honneur de votre présence ici, dame... dame ? »

Voilà un titre qui ne lui avait jamais été octroyé ! Les narines obliques se contractèrent brièvement, relâchant un nouveau nuage irisé, accompagné d’un léger claquement des mâchoires et d’une phrase pensée :

« Je me nomme… Hëryn. »

Elle pouvait difficilement dissimuler le petit éclat de joie farouche qui avait accompagné le titre honorifique dont elle s’était vu gratifiée. Hëryn était un modèle de modestie pour sa race… Mais quoi… elle restait un dragon, et à ce titre une référence en matière d’orgueil pour bien d’autres races. La dragonne ne pensait pas que cette information puisse d’être d’une quelconque utilité, surtout à une inconnue se baladant dans les bois. Alors elle la cédait volontiers, prenant en échange les syllabes toutes elfiques du nom de sa partenaire de l’instant.
Hëryn fit un nouveau pas vers l’elfe, tout en retenue et en finesse. Du moins autant que sa taille le lui permettait, et avec une adresse surprenante. Puis, sur un ton quelque peu candide, de demander :

« Qu’est-ce qu’une « guilde » ? »

Et, même si elle ne se l’avouait qu’à moitié, goûter encore un peu à cette présence agréable, dont le parfum ravissait ses sens. Les elfes, mâles ou femelles, restaient parmi ses préférés, leur élégance et leur prestance les rapprochant de la perfection à chaque instant.

« Et qu’est-ce que Neo-Voëlkara… ? »

Le nom seul avait une sonorité légèrement draconnique.

Alys sourit en voyant que la dragonne semblait apprécier le terme de "dame" qu'elle lui avait donné. À croire qu'elle n'en avait pas l'habitude, ce qui pouvait très bien se comprendre, les dragons étant plus pourchassés qu'autre chose...

La dragonne fit gonfler ses narines, relâchant un autre souffle irisé, puis fit claquer ses mâchoires avant de répondre doucement :

Je me nomme… Hëryn.

Alys s'inclina derechef dès qu'elle eût le nom de sa vis-à-vis. Un bien joli nom que voilà... Dire que si Heylë, son Familier, l'avait accompagnée, il aurait détalé comme un lapin, avec un peu de chance.

Hëryn fit un nouveau pas vers Alys, gracieusement malgré sa taille imposante, et lui demanda innocemment :

Qu’est-ce qu’une « guilde » ? Et qu’est-ce que Neo-Voëlkara… ?

Alys ne montra que très brièvement sa surprise : mais d'où venait-elle pour ne pas savoir ce qu'était qu'une guilde ? À moins de venir du fin fond des Montagnes ou de la campagne, loin de toute forme de civilisation, c'était étrange de ne pas connaître ce terme.

L'Elfe s'assit doucement sur une souche qui dépassait du manteau blanc qui recouvrait le sol, prenant soin de continuer à regarder Hëryn dans les yeux - qui étaient d'un bleu magnifique - puis lui répondit :

Hé bien... Une guilde, c'est un groupe de personnes qui peut parfois s'apparenter à une famille d'adoption. C'est mon cas, en tout cas. Quant à "Neo-Voëlkara"... c'est le nom de ma famille d'adoption. Puis-je... me permettre une indiscrétion ?

Un juste retour des choses, à présent l'Elfe aimerait bien savoir d'où pouvait venir Hëryn, pour ignorer certaines choses qui faisaient partie du quotidien de la plupart des gens vivant en ce monde...

La forêt semblait d’un calme olympien, le froid l’engourdissant peu à peu. Hëryn laissa ses épaules massives s’affaisser quand l’elfe s’assit sur le tronc vermoulu. Elle se sentait bien. Il y a quelques temps encore, elle n’aurait pas eu cette sensation, alors que l’automne laissait encore la température clémente faire vivre les bois. Mais là, c’était différent.

« Hé bien... Une guilde, c'est un groupe de personnes qui peut parfois s'apparenter à une famille d'adoption.»

Hëryn intériorisa l’information, comme une bonne élève. Les dragons étaient de très bons élèves, du moment qu’ils étaient intéressés.

« Une famille… Je vois. »

Son museau se fronça et elle prit un air pénétré. La dragonne imagina la chaleur de Mère, d’autres comme elle. Que cela devait être doux et rassurant, de ne pas se savoir seul au monde. L’idée lui plaisait beaucoup. Peut-être un jour trouverait-elle d’autres dragons. Envisageraient-ils alors de faire une « guilde » ? Hëryn rit intérieurement à cette pensée.
Si elle se souvenait bien des apprentissages épisodiques avec Tur’Laan, « neo » signifiait nouveau dans un ancien dialecte. Nouvelle famille ?
Les elfes lui faisaient naturellement bonne impression, mais Alys Calywiel renforçait à elle seule ce préjugé positif. Derrière leur apparence fragile, ils semblaient tous dotés d'une douce intelligence, qui, si elle pouvait parfois porter sur les nerfs de créatures aussi impulsive et dynamique que les dragons, avait cet avantage de les faire porter en haute estime de façon naturelle.

"Puis-je... me permettre une indiscrétion ?"

Une indiscrétion ? Hëryn souffla, contractant ses babines en une moue indéchiffrable pour un non-écailleux. Elle n'y voyait pas d'inconvénient, pas après que l'autre eut accepté de lui indiquer la tanière de ses louveteaux avec tant de confiance. Et ce respect presque religieux des elfes l'attirait comme un aimant, poussait à la confidence. Peut-être cela était-il dangereux, au fond, mais l'instinct parlait parfois plus fort que la raison.

"S'il s'agit d'une question à laquelle je puis répondre, je t'écoute, elfe Calywiel."

La dragonne ramena ses pattes avant l'une contre l'autre et se redressa, solennelle, ses yeux toujours fixés avec curiosité sur la jeune elfe.

Hrp:

Alys sentit que la dragonne de givre était intéressée par ce qu'elle racontait, et sourit : cela lui faisait plaisir de voir quelqu'un qui semblait vraiment intéressé par ce qui l'entourait, ce qui était le cas de peu de monde en ce moment...

Lorsqu'elle lui demanda si elle pouvait se permettre une indiscrétion, elle vit que la dragonne la regardait avec curiosité, avant de répondre :

S'il s'agit d'une question à laquelle je puis répondre, je t'écoute, elfe Calywiel.

Hëryn croisa les pattes devant son museau et posa la tête dessus, continuant à fixer Alys de son regard de cristal avec curiosité. L'Elfe s'assit devant elle, en tailleur, et la regarda dans les yeux, toujours souriante, avant de répondre :

J'aimerais savoir... Ce qu'une dragonne de givre fait dans les plaines de Terre ? Nombreux seraient ceux qui, malheureusement, ne chercheraient même pas à comprendre pourquoi vous êtes là et préféreraient de loin vous chasser, au sens propre comme au sens figuré. A moins que vous ne soyez là que pour visiter, même si ça reste dangereux pour vous.

Elle avait en effet entendu des personnes avoir une telle peur des dragons qu'ils préféraient les voir morts, et d'autres qui les recherchaient pour leur rareté. Des gens sans vergogne, qui mériteraient de pourrir chez Nayris sans espoir de retour. Si elle pouvait protéger Hëryn, elle le ferait, sans problème.

La réponse de l'elfe vint très rapidement, signe que sa confiance était mutuelle. Malgré tout, Hëryn ne put se retenir de pincer les narines à l'évocation du sujet délicat qu'était ses raisons de parcourir une région délaissée par les siens. Sa vigilance refaisait vaguement surface, bien que le ton d'Alys ne laissa pas présager une quelconque utilisation malsaine de cette information. Et pour confirmer le tout, l'elfe se permit d'appuyer sur la dangerosité d'un tel périple. Dans le mille. Hëryn gronda légèrement en détournant le regard, fusillant une pauvre fleur gelée qui se mourrait dans l'herbe rase de la rive.

"En effet, oui, de par notre nature, nous préférons les contrées des Glaces à celles de Terre. Pour ma part, même en ayant vécu la majorité de ma vie en Glaces, je réside actuellement en Montagnes, où le froid des hauteurs m'est profitable. Je voyage ainsi, traversant ce pays, pour y accomplir mon travail. Je suis marchande - précisa-t-elle en dévoilant la sangle de cuir sous son aile, à laquelle pendait sa besace - je vends les œuvres de maître Fmogörd du Dragon d'Argent au quatre coin de ces terres. Seul Feu m'est inaccessible, la saison froide y est aussi étouffante qu'un été caniculaire de Terre."

Pour appuyer son propos - et pourquoi pas faire une affaire très opportune - la dragonne tordit son cou vers la besace et l'ouvrit du bout de sa lèvre écailleuse. L'énorme museau s'y engouffra, gonflant le cuir à l'extrême, pour en retirer un objet scintillant de mille feux.

"L'une des dernières création de la maison, argumenta Hëryn, en avançant la tête vers l'elfe, le collier pincé entre ses babines, bien sûr, le prix est conséquent... Il s'agit d'un alliage d'or blanc et de sélène, pour que le métal puisse éventuellement porter un enchantement."

Le bijou, aussi fin qu'une toile d'araignée, formait un arceau décoré de subtiles arabesques sibyllines, au travers desquelles quelques saphirs d'un bleu intense avaient été incrustés, donnant l'intrigante impression que des dizaines d'yeux se posaient sur l'observateur.
Hëryn fixa de nouveau Alys, attendant une quelconque réaction comme une vendeuse avisée tentant de convaincre sa cliente hésitante.

Alys sentit que sa question aurait pu être déplacée si elle l'avait formulée autrement, vu la tête que faisait la dragonne. Même si cette dernière sentait qu'Alys était vraiment sincère dans ses paroles, ce devait être une question à éviter au maximum... Message reçu pour la prochaine fois. Hëryn gronda légèrement puis répondit :

En effet, oui, de par notre nature, nous préférons les contrées des Glaces à celles de Terre. Pour ma part, même en ayant vécu la majorité de ma vie en Glaces, je réside actuellement en Montagnes, où le froid des hauteurs m'est profitable. Je voyage ainsi, traversant ce pays, pour y accomplir mon travail. Je suis marchande, je vends les œuvres de maître Fmogörd du Dragon d'Argent au quatre coin de ces terres. Seul Feu m'est inaccessible, la saison froide y est aussi étouffante qu'un été caniculaire de Terre.

Une marchande ? Tiens donc, voilà qui était intéressant. L'Elfe la vit fouiner dans la sacoche qu'elle avait sur son flanc avant d'attraper un objet scintillant qui ne manqua pas d'attirer l’œil curieux de la demoiselle, qui se rapprocha : l'objet scintillant était un collier de grande valeur, d'ailleurs, Hëryn commença à vendre son produit :

L'une des dernières création de la maison, bien sûr, le prix est conséquent... Il s'agit d'un alliage d'or blanc et de sélène, pour que le métal puisse éventuellement porter un enchantement.

Un arceau d'un blanc qui pourrait rappeler la neige, avec quelques pierres bleues, des saphirs ; Alys observa le bijou finement décoré et répondit, un peu hésitante :

Ma foi.... C'est un bien bel objet que voilà, mais, je ne sais pas... Combien en voudriez-vous ?

Elle fit tourner le collier entre ses doigts délicats, doucement, à hauteur de ses yeux pour en apprécier davantage la facture ; c'était vraiment impressionnant, même si, de fait, elle n'en voyait pas l'utilité, vu qu'elle ne portait pas de bijoux de manière générale, trouvant cette pratique futile. M'enfin, il était peut-être temps de changer d'avis sur la question...

Hëryn lâcha l'objet pour laisser l'elfe le découvrir sous toute ses coutures. Elle releva légèrement la nuque pour soustraire le visage féminin à l'air froid de sa respiration. Négocier était toujours un moment extrêmement délicat. Elle n'avait pas l'habitude de vendre les bijoux sur le bord d'un chemin à la sauvette. En général, il s'agissait de commande ou de ventes assez sélect... Mais Hëryn n'était pas familière des us et coutumes de la "haute" et ne se sentait nullement dérangée de vendre une pièce dans une rue sombre ou sur la route. Du moment que son vis à vis avait de quoi payer. Parfois, il lui arrivait de se demander comment elle en était arrivée à exercer ce drôle de métier. Les destins faisaient de ces caprices !

Hëryn affichait un taux de vente très honorable et le Dragon d'Argent, grâce à elle, avait un accès rapide et très économique au continent des Glaces. Ce qui, elle ne se le cachait pas, y était beaucoup sur son "prestige" au sein de l'officine du maître nain. Mais elle se gardait bien de préciser que certains de ces objets étaient nés de sa magie ou modifiés par elle. La magie des dragons pouvait parfois générer des effets aléatoires qu'eux-mêmes ne maîtrisaient pas. Plus qu'un simple bijoux, on pouvait dès lors se retrouver avec quelque chose de très curieux...

L'elfe demanda alors le prix. Ah ! Un éclat fugace alluma son regard. Peut-être allait-elle finalement faire une affaire totalement fortuite. Ou bien chou blanc. A ce stade, c'était quitte ou double, surtout avec le peu d'information dont elle disposait sur son interlocutrice. La Neo Voëlkara avait-elle un fond de roulement pour ses membres ? Voilà une question de nain plus que de dragon...

Elle repassa mentalement en revue les listes données par Malnur. Combien, hum, eh bien...

"Celui-ci est à 840 Ailes de Bronze, affirma la dragonne."

Le prix était toujours ce qui faisait tiquer les terrestres, mais le nain restait intransigeant. "Je suis un bijoutier, sinon le meilleur, au moins l'un des meilleurs que compte ce monde ! Pas un petit brocanteur qui négocie sa ferraille ! Donc, c'est à prendre ou à laisser."
Il tenait à la réputation de son commerce et surtout, même s'il ne l'avouait à personne, aux cordons de sa bourse. Hëryn se contentait de ces petits diamants bien taillés qui lui tenaient lieu de paie, et de quelques repas copieux généreusement offerts par la maisonnée. La blanche scrutait les traits de l'elfe, à la recherche d'un indice pouvant lui indiquer la teneur de sa réponse, mais...

840 Ailes de Bronze. Le prix était élevé, et Alys n'était absolument pas sûre de pouvoir s'offrir le collier sans taper dans la caisse de la guilde, mais il le valait certainement. L'Elfe hésita longtemps, continuant de regarder le collier sous toutes les coutures, réfléchissant : pouvait-elle se permettre de se l'offrir avec ses Ailes de Bronze à elle, ou devait-elle attendre d'avoir la somme nécessaire pour ce faire ?

Elle finit par se résoudre à l'idée qu'il faudrait être patiente pour acheter le bijou ; elle le tendit avec douceur à la dragonne et s'excusa platement :

Je suis désolée, mais j'ignore si j'ai la somme nécessaire sur moi, et il est hors de question que je puise dans la caisse de la guilde pour m'acheter un bijou d'une si grande valeur.

Elle esquissa un sourire contrit et le déposa lentement à ses pieds avant de reculer, laissant ainsi la place à Hëryn afin qu'elle puisse récupérer le collier sans risquer de blesser Alys. Un coup de museau de dragon, quand on ne s'y attend pas, ça peut être... déstabilisant.

Elle s'assit à nouveau face à la dragonne de givre et fixa à nouveau son regard dans le sien avant de reprendre :

Je serais vous, j'essaierai de le vendre sur le marché de Sen'tsura. Pas sous votre forme draconique, bien entendu, ce serait beaucoup trop risqué, mais comme je suppose que vous avez une forme humaine, vous pouvez toujours essayer. Il y aura bien quelqu'un qui aura la somme nécessaire pour vous l'acheter.

"Grpmf."

Hëryn avait tenté de dissimuler sa déception mais en vain. Ses narines relâchèrent un petit nuage scintillant. Eh bien soit. De toute façon, l'elfe n'en avait certainement pas besoin... Même si la dragonne avait fini par comprendre que ces babioles pouvaient s'avérer bien moins futiles une fois enchantées, elle ne saisissait toujours pas bien l'idée de s'en alourdir ainsi le cou et les poignets.

"Certes, je comprends."

La blanche ramassa le collier et le replaça dans la besace. Son cou se redéploya en direction de la sylvaine. Après tout, n'avait-elle pas gagné bien plus que quelques pièces dorées dans cet échange ? Ses rencontres avec les longues oreilles étaient si rares ! Et l'un d'eux en sachant autant sur les dragons, encore plus. Quel hasard déroutant, surtout ici, au beau milieu de nulle part dans une contrée qu'elle survolait pour la première fois. Un instant, elle imagina à quoi pourraient ressembler des elfes vivant en Glaces... Très étrange.
Sa réflexion fut interrompue par la proposition suivante d'Alys, qui ne manqua pas d'interpeler l'écailleuse.

"Sen'tsura. Un piège mortel oui, gronda la dragonne, plus pour elle-même que pour l'elfe, on dit que les démons y patrouillent de jour comme de nuit, confia-t-elle alors à Calywiel, et j'avoue que cette cité m'est totalement étrangère. Duper un humain est une chose, mais une créature magique comme un démon..."

Elle avait beau n'en avoir jamais croisé personnellement, hormis les rares visiteurs de Tilamus, cette race n'était pas connue pour son pacifisme ou sa tolérance. Se retrouver en petite humaine frêle face à l'un de ces monstres noirs ne la tentait pas au delà. Mais Alys marquait un point : le marché de Sen'tsura était certainement le plus grand de tout Terre, et Hëryn savait que Malnur y envoyait régulièrement ses colporteurs pour affaire. Quoi de plus normal ? Mais conscient du malaise de la dragonne quant à sa nature, il lui avait toujours donné des missions bien mieux adaptées, en Glaces, notamment.

"Maître Fmogörn y a déjà beaucoup vendu par le passé, pas par ma main. Mais, à l'avenir, j'y réfléchirais. "

Oui, connaître un si haut lieu que la capitale de Terre pouvait s'avérer utile, un jour. Pour le moment, la blanche tenait surtout à ses écailles, avec la guerre omniprésente depuis l'arrivée du Roi Démon. Décidant d'un coup d'effacer son échec et de changer de sujet, elle étendit légèrement ses ailes et demanda d'un ton badin :

"Dites-moi, dame elfe, où se situe donc votre nid de Neo-Voëlkara ? Y a-t-il d'autres elfes comme vous là-bas ?"

Cette idée l'excitait comme un jeune dragonnet. Discuter avec les elfes s'avérait être un très bon loisir pour un dragon en mal de compagnie !

Alys sentit la déception d'Hëryn quant au refus de lui acheter le collier, et elle en fut désolée pour elle ; peut-être qu'un jour, elle passerait par sa boutique, si la dragonne en avait une, et elle se ferait plaisir. Mais ce jour n'était pas encore arrivé.

L'Elfe put voir aussi que l'idée d'aller à Sen'tsura n'emballait guère la dragonne, et ça, elle pouvait le comprendre. Elle-même préférait de loin les forêts et les campagnes, évitant au maximum les villes, souvent synonymes de traquenards à tout moment pour peu qu'on se balade seul et au mauvais endroit.

Alys la vit étendre ses ailes avant qu'une question ne vienne troubler le bref silence qui s'était installé entre elles :

Dites-moi, dame elfe, où se situe donc votre nid de Neo-Voëlkara ? Y a-t-il d'autres elfes comme vous là-bas ?

L'Elfe sourit et pencha la tête avant de répondre :

Nous ne sommes que deux Elfes, dans la guilde. Mon amie Ilélyne et moi-même. Mais Ilélyne est en déplacement, en ce moment, donc pour l'instant je dois être la seule Elfe hors de Drayame que vous rencontrez.

Elle frissonna et se frotta les bras avant de se relever ; loin d'elle l'idée de vouloir mourir de froid, à croire que la température avait chuté de manière drastique sans prévenir. Levant les yeux au ciel, elle put voir les gros nuages noirs qui s'amoncelaient au-dessus de leur tête, et elle soupira :

Je crois qu'une tempête se prépare... Vous feriez mieux de ne pas rester, vous avez beau être une dragonne de givre, je ne sais pas si vous arriverez à résister à ce qui arrivera d'ici quelques minutes. Que décidez-vous ?

Elle regarda le temps menaçant se rapprocher doucement de l'endroit où elles se trouvaient ; il fallait faire vite.

Deux elfes. Même en pensant que leur famille n'était pas fort nombreuse, ce n'était pas beaucoup. Les elfes étaient-ils donc si réservés ? Ou cela cachait-il autre chose ? La blanche savait que les oreilles longues restaient pour la plupart dans leur forêt natale, la grande Drayame. Elle ne l'avait encore jamais survolée, et c'était peut-être un tort. Hëryn, à la réponse d'Alys, songea donc qu'il serait temps d'observer ce sanctuaire de plus près lors de son voyage du retour. Ce serait d'ailleurs un bon itinéraire, relativement sûr. Fixant de nouveau Alys, Hëryn laissa ses pensées glisser doucement de fil en aiguille. Si peu d'elfes. Si peu de dragons. Au final leur rencontre était un véritable tour de force du destin, et Hëryn s'en voulait de n'avoir pu léguer le collier à la sylvaine, qui le méritait certainement bien plus que tous les riches pontes impériaux ou glacéens.

"Attends... tends tes mains... j'ai quelque chose pour toi, malgré tout."

Plaçant ses narines légèrement en surplomb des mains de l'elfe, Hëryn ferma les yeux quelques secondes, se concentrant sur l'image qu'elle avait en tête, avant de laisser un léger souffle transparent effleurer les paumes fragiles. Mais en lieu et place d'une couche de glace, deux petites formes scintillantes se déroulèrent lentement, des arabesques délicates se dessinant au fur et à mesure que la magie opérait. Enfin, lorsque le museau de la dragonne s'éloigna, une minuscule paire de boucles d'oreilles bleutés étaient nés entre les mains d'Alys.

"Cadeau, dit-elle simplement dans la tête de l'elfe, à condition que leur origine ne soit jamais révélée. Ne les expose jamais au feu, en revanche."

La dragonne n'avait pas prêté attention au ciel, ni au vent qui se levait peu à peu. Elle aurait volontiers signifié à la sylvaine que l'intempérie ne l'effrayait guère, sinon qu'elle constituait un délicieux divertissement. Rien de tel que les vents déchaînés pour se faire porter haut dans le ciel, rien de tel que des ailes effilées et fines pour se rire de la tempête. Seule la foudre pouvait constituer un danger. Or ses écailles n'étant pas conductrices, l'écailleuse se contentait d'éviter le cœur des cumulonimbus. Mais l'elfe semblait souffrir du climat changeant, son geste explicite dissuadant Hëryn de vouloir l'interroger d'avantage en l'exposant au froid. Tant pis, les meilleures choses ont une fin. L'elfe ne pouvait continuer à trembler ainsi sous son manteau, et elle, de son côté, avait déjà perdu plus d'une grosse heure sur son itinéraire.
Et l'idée de se retrouver de nouveau en l'air, dans les bras vigoureux des nuages d'orage, n'était pas pour lui déplaire. Les dragons avaient cet avantage sur les oiseaux que leur poids et leur taille considérable leur donnait une plus grande stabilité.

"Mes excuses, je ne m'étais pas aperçue du tracas que vous causait votre légère vesture. Je dois continuer ma route vers les Montagnes. Il est temps pour vous de regagner votre antre pour éviter la pluie -ou la grêle pensa-t-elle en regardant l'horizon noirci - et pour moi de profiter des courants ascendants pour gagner en rapidité. Peut-être une occasion plus propice se présentera à nous un autre jour. Je me souviendrai de Neo-Voëlkara et de son nid dans le bras du fleuve."

La dragonne enregistra le regard inquiet de sa nouvelle amie bipède : elle était nerveuse... pour elle ? Il semblait bien. Cette découverte étonna Hëryn.

"N'ayez crainte, affirma-t-elle en s'éloignant vers le fleuve, étendant cette fois ses ailes de toute leur longueur, j'ai passé mon enfance et une grande partie de ma vie à braver les vents terribles des Glaces. Un simple orage ne m'arrêtera pas. Ce sera même une bonne source d'énergie gratuite !"

Un peu bravache, sa remarque était faite avec toute la rugueuse naïveté qui était sienne. Loin de se douter que pour les bipèdes, les orages étaient parfois de vrais fléaux, et non simplement un exercice physique...
Faisant jouer ses articulations avec aisance, la blanche s'éloigna encore, mettant une distance respectable entre elle et l'elfe. Se tournant vers celle qui partagea ce court moment de détente avec elle, en toute simplicité, Hëryn caressa une dernière fois l'esprit si particulier de l'être intemporel.

"Merci, Alys Calywiel, et que les vents te soient favorables. Je ne t'oublierai pas."

Tout son corps s'arqua puissamment, et d'un bond fulgurant, l'énorme masse écailleuse s'ébroua à une dizaine de mètres au-dessus du sol. Les deux membranes blanches brassèrent l'air pour propulser la dragonne à la verticale, et en quelques secondes, Hëryn se dirigeait droit sur le front nuageux. Elle jeta un bref regard en arrière, cherchant du regard le petit point sombre de la bipède, puis vira sur l'aile et fonça.
Un rugissement fendit les cieux, alors que la fille de l'Hiver saluait le firmament.

Au moment où Alys allait tourner les talons, la dragonne la rappela et lui demanda de tendre les mains. Intriguée, l'Elfe s'exécuta, curieuse de savoir ce que Hëryn allait lui offrir.

Elle ne broncha pas lorsque la dragonne souffla doucement sur ses mains, comme si elle se doutait qu'elle n'allait pas la congeler ; quelle ne fut cependant sa surprise lorsque, quelques instants plus tard, l'Elfe vit dans ses paumes deux boucles d'oreilles nées du givre d'Hëryn. Pendant qu'Alys les regardait, admirative, la dragonne lui lança :

Cadeau, à condition que leur origine ne soit jamais révélée. Ne les expose jamais au feu, en revanche.

Alys hocha la tête et mit les boucles sur ses oreilles, avant d'aviser le ciel qui se faisait de plus en plus menaçant au fur et à mesure que le temps passait. Elle regarda Hëryn lorsque celle-ci reprit :

"Mes excuses, je ne m'étais pas aperçue du tracas que vous causait votre légère vesture. Je dois continuer ma route vers les Montagnes. Il est temps pour vous de regagner votre antre pour éviter la pluie et pour moi de profiter des courants ascendants pour gagner en rapidité. Peut-être une occasion plus propice se présentera à nous un autre jour. Je me souviendrai de Neo-Voëlkara et de son nid dans le bras du fleuve.

L'Elfe sourit et la regarda avec inquiétude, ce que la dragonne remarqua puisqu'elle ajouta :

N'ayez crainte, j'ai passé mon enfance et une grande partie de ma vie à braver les vents terribles des Glaces. Un simple orage ne m'arrêtera pas. Ce sera même une bonne source d'énergie gratuite !

Hëryn s'éloigna de façon à mettre une bonne distance entre elle et Alys puis conclut par :

Merci, Alys Calywiel, et que les vents te soient favorables. Je ne t'oublierai pas.

Puis la dragonne décolla pour disparaître dans le ciel noir et menaçant. Alys attendit que la dragonne ait complètement disparu pour retourner au QG ; elle se souviendrait de cette rencontre, toute sa vie.

HRP: