Erwan d'Ablaÿ.
Ambitieux - Lucide - Pragmatique - Séduisant - Manipulateur - Volontaire - Sympathique - Sérieux - Grande gueule - Versatile.
L’aube teintait l’horizon d’un mauve opale par-dessus les toits des chaumières que faîtaient de longs nuages blanchâtres, marquant aussi bien la naissance d’un soleil encore timide que celle, pleureuse, d’un nouveau-née. L’accouchement avait duré toute la nuit, retardé à son comble par un enfant déjà réticent à se gorger les poumons d’un air qui ne tarderait pas à devenir vicié. Comme s’il avait pressenti l’arrivé, une dizaine d’années plus tard, de ce démon qui mettrait à feu et à sang les populations locales et célestes de Terra Mystica. Comme s’il savait que cette naissance et cette vie ne valait pas la peine d’être vécues, et que le rejet de toute vitalité restait encore préférable.
Pourtant, il était né, bien que difficilement, après qu’eussent retenti les râles et les sanglots douloureux d’une mère, sanglots saumâtres bientôt mués en larmes de joie à la vue de son bel enfant en bonne santé. Dans le souffle d’une respiration saccadée fut rendu audible un nom alors que se posaient déjà, au-travers d’une vitre, les premiers rayons tièdes de l’astre solaire sur le crâne de ce charmant bambin. Arrivée éblouissante et auréolée d’une lumière divine, naissance imagée digne d’un héros, telles celles que pouvaient conter les rapsodes, pour un petit être humain tout à fait banal que l’on nommerait Erwan d’Ablaÿ.
Humain banal, ordinaire, classique, mais peut-être pas tant que cela pour les gueux et autres traînes-misères qui peuplaient ses terres ; le nouveau-né avait bien choisi et sa mère, et son père, devenant ainsi le futur héritier de ce domaine et des quelques hameaux aux alentours. Car Laëssya et Seylan d’Ablaÿ, époux fidèle de longue date, possédaient ces terres paisibles et prospères qui, bien que guère étendues en comparaison de celles de leurs voisins, ne leur en déméritaient pas moins le titre de seigneur. Et ce fut dans ce paysage si contrasté que le futur héritier grandit.
Erwan reçut tout l’éducation que purent lui offrir ses parents, prodiguée par des mestres et des maîtres d’arme somme toute assez renommés dans leur domaine. Le jeune homme se devait de pouvoir reprendre la relève une fois que son père passerait l’arme à gauche, et ce fut dans cette optique-là, parfaitement conscient de ce fardeau qui pouvait s’avérer être une bénédiction, qu’il s’empara avidement de toutes ces connaissances accordées.
Les lettres, les mathématiques, les sciences, la gestion de son futur domaine, l’équitation, la maîtrise de l’épée, de la joute et du bouclier ; peu de choses lui furent épargnées, et il les intégra toutes. Car si sa naissance avait beau avoir été difficile, il semblait qu’il avait s’agit-là d’une épreuve à passer, épreuve qui, si elle s’avérait réussi, permettrait au jeune homme de briller. Et il était né, il était venu à la vie, et avec elle, son lot d’avantages promis. Erwan se révéla être un élève appliqué et assez doué dans la plupart des tâches qu’il entreprenait, quand bien même, de temps à autre, il consterna ses professeurs en faisant montre de bon nombre de caprices ou d’une mauvaise foi certaine. Le caractère pour le moins bien trempé, Erwan n’aimait pas perdre et ne pas avoir le dernier mot, et pouvait, parfois, rapidement perdre patience. Car le premier et dernier né des d’Ablaÿ, héritier de son état, avait comme un besoin de reconnaissance qui le forçait à se mettre en avant, à s’imposer, lui ou ses idées, et à faire preuve d’une certaine ambition tributaire de son contexte délicat.
Tout autour de lui, où qu’il allât aux abords des frontières de son domaine se trouvaient des ducs et des duchesses, des barons et des baronnes lorsqu’il ne s’agissait tout simplement pas, au nord, de la capitale et de ceux qui la gouvernaient ; des gens d’une classe tout autre que la sienne, et qui lui étaient de loin supérieurs. Des nobles et autres hobereaux qui se distinguaient grandement de lui et de sa propre famille de par leur richesse et leur positionnement au sein de la cour, de par les fêtes qu’ils pouvaient donner ou par leur enseignement reçu, probablement de meilleur qualité, eu égard à leur opulence. Mais l’abondance ne faisait pas tout, et il y avait des personnes bien plus réceptives et douées que d’autres, le jeune homme en était la preuve vivante.
Nonobstant cela, au sein de la noblesse, la vanité, la condescendance et la suffisance demeuraient monnaie courante dans ce monde mondain, et, à plusieurs reprises, Erwan se voyait regardé de haut par la gent masculine alors qu’il annonçait sa filiation. Il n’était qu’un simple fils de petit seigneur dont la probité restait à se faire valoir, tout juste bon à s’incliner quelque peu sur le passage de ses suzerains qui ne lui concédaient qu’un rapide coup d’œil. Et lui se jurait de leur montrer, à tous ces pédants, qu’il valait bien mieux que cela.
Et de son ambition et de son caractère peu facile s’en suivit une autre caractéristique qui allait de pair avec celles-ci. Les années passèrent, et l’entraînement strict et sévère d’Erwan, tant au maniement des armes, de l’équitation qu’au port de l’armure, lui permit d’acquérir une prestance et une assurance qui n’étaient plus à prouver. Et Erwan en tirait même une certaine fierté que l’on pouvait assimiler à cette arrogance que les nobles usaient à foison. Plus que cela, il commençait à aimer cette attitude, dût-elle lui causer bon nombre d’ennuis par la suite. Il prenait comme un malin plaisir à retourner ces regards moqueurs qui ne lui avaient été que trop lancés dans le passé, il s’amusait à regarder les autres de haut lorsque l’envie lui prenait. Non pas qu’il eût accompli quelque brillante action que ce fût, ce qui lui aurait permis d’accroître potentiellement une quelconque renommée, non. Simplement, les années avaient fait de lui ce qu’il était devenu, un avenant jeune homme dans la fleur de l’âge, qui se savait capable d’accomplir de grandes choses s’il s’en donnait la peine. Un fils de seigneur, somme toute banal dans son ensemble, et non pas un héros ou un maître d’arme hors du commun, mais un fils de simple seigneur qui saurait, il en était persuadé, tirer son épingle du jeu.
Ce fut à ce moment-là que les premières nouvelles abondèrent, se répandant sur le monde comme une traînée de poudre. Des paroles incohérentes, des rumeurs folles et incompréhensibles parlant d’un démon capable de tout raser sur son passage. Un démon qui aurait pris forme sur Terra Mystica. Une forme indomptable, inéluctable, qui n’avait pas pour autre but que de mettre chacune des races existantes à genoux devant lui. L’on ne sut comment réagir, si ce ne fut, dans un premier temps, en châtiant tous ces crétins qui s’amusaient à propager ces mensongeries plus grosses les unes que les autres. Et dans un second temps, l’on rit beaucoup moins lorsque l’on s’aperçut que des massacres avaient bel et bien eu lieu, que des populations avaient été exterminées, et qu’une armée, dans le Ciel, avait été enrôlée à la va-vite dans l’espoir de contrer cette menace venue de l’on ne savait où. Et que ce territoire, en dépit d’une pauvre et maigre victoire à ses tout débuts, n’avait finalement fait qu’accumuler les défaites jusqu’à se retrouver contraint d’abdiquer face à cette engeance.
Si massacres il y avait eu, s’en étaient retrouvées victimes que les directs opposants à celui qui se faisait appeler Aile Ténébreuse. Tout démon ou tout autre chose qu’il pouvait être, la bestiole comptait recruter sa propre armée sur Terra Mystica, une armée que toute personne se trouvait libre de rejoindre. Et l’on avait tant et si bien raconté la force de cette menace qu’un culte de fanatiques, voué à sa personne, avait vu le jour. Des zélés qui déambulaient dans les rues en prônant la toute-puissance de celui qu’ils appelaient Zélphos et en prédisant ce jour funeste où toute cette futile résistance serait finalement écrasée, où les rebelles se feraient annihiler par leurs propres frères qui, eux, avaient fait le bon choix en choisissant le démon. Et il se trouvait que l’on pouvait, à l’heure qu’il était, que difficilement démentir toutes ces affirmations lorsque chacun des territoires, où qu’ils fussent, tombaient l’un après l’autre sous la coupe démonique.
Lorsque ces nouvelles arrivèrent sur les terres des Ablaÿ, Erwan fut prompt à réagir. Il n’accueillait pas cela avec une grande gaîté de cœur, mais ne pouvait se résoudre à agir autrement. S’ils souhaitaient survivre, il fallait rejoindre la cause d’Aile Ténébreuse. Le jeune homme demeurait plus pragmatique et lucide que lâche de son état ; les terres de son père étaient bien trop petites pour pouvoir rivaliser avec celles que le démon occupait déjà, et chacun avait bien pu s’apercevoir que toute forme de résistance s’était finalement retrouvée écrasée par la sombre force. Pourquoi en irait-il autrement avec eux ? En quoi différaient-ils des autres ? Et, plus que tout, cela lui permettrait assurément de pouvoir s’élever plus rapidement au sein d’une nouvelle hiérarchie imposée par le démon.
Et pour cause, si certains de ses voisins ducs ou barons abdiquèrent face à l’ennemi, rejoignant son camp, d’autres de ses anciens suzerains refusèrent purement et simplement, préférant résister face à l’envahisseur. Mais aucun ne fut en mesure de revenir conter à sa famille ses prouesses contre la menace démoniaque ; tous ceux qui s’étaient ligués contre cette dernière furent à leur tour écrasés. Au milieu de cette pyramide composée par la noblesse, bon nombre de places étaient à présent vacantes, et il ne tenait qu’à un esprit habile de s’en emparer.
- Citation :
- Raconte tes réactions et les décisions que tu choisis de prendre lorsque tu apprends qu'Aile Ténébreuse et ses troupes marchent sur Sent'sura.