L'aurore pointait tout juste, dévoilant d'une rose clarté les lieux, qui s'éveillaient sous cette douce lueur. Les oiseaux, depuis longtemps remis de l'invasion qui avait eu lieu des années plus tôt, chantaient, accompagnant leur réveil et participant par là au cadre idyllique de cet endroit.
Flore était, comme d'habitude magnifique. Tout du moins le domaine de la dryade, qui était à vrai dire la part qu'elle en connaissait le mieux, et sur laquelle elle pouvait fonder son avis, ce qui était plus difficile plus loin.

Faute de déplacements. Les papillons étaient fort jolis à regarder, l'herbe également, et la croissance de l'arbre préoccupait Sylvia plus qu'autre chose, et surtout que les voyages. D'un côté, comme une mère, qui apprécie de voir grandir ses enfants, elle appréciait de voir son lié pousser. Mais de l'autre, elle était consciente qu'un petit arbuste était moins susceptible d'être coupé qu'un grand épanoui. Elle penchait cependant davantage en faveur du premier côté, sa nature la poussant à ne pas se soucier des imprévus futurs, et les bûcherons étant fort rares dans le coin.
Âgé d'un peu moins d'une vingtaine d'années, il était encore bien petit, et ne serait jamais bien grand par rapport aux géants qui peuplaient Drayame, d'après les récits qu'elle connaissait, ou comparé à certains de ces champignons gigantesques. Comme elle, qui ne dépasserait sans doute la taille d'une petite humaine. C'était dans leur nature à tous deux.

Sa floraison approcherait bientôt, en ce début mois de Kelrenn. Alors, de superbes fleurs blanches écloraient par centaines, et répandraient un doux parfum sur les terres. Le lieu ne pourrait alors être plus merveilleux.
A moins qu'une présence plus régulière n'y soit. Les fées se faisaient rares, de plus en plus rares. Et il était hors de question d'aller les chercher pour leur parler, pas avant d'avoir assisté à la floraison. Elle se devait d'accompagner son aubépine jusque là.

Les pensées de la dryade furent soudain interrompues, lorsqu'une brindille craqua non loin d'ici, preuve qu'une personne bien lourde et peu attentive approchait. Non pas un elfe, ni une de ses sœurs, assurément. Elle ne connaissait pas d'animal qui habite dans cette forêt capable de faire tant de bruit. A défaut d'une conversation avec l'une des siennes, elle pourrait tromper son attente avec la venue d'un étranger, qui pourrait au moins lui apporter des nouvelles du dehors.

Rapidement, Sylvia s'envola vers un arbre plus haut, et au feuillage plus imposant. Elle souhaitait observer tout d'abord, avant d'aborder le visiteur, par jeu et par envie de découvrir par elle même des choses, les voir infirmées ou confirmées, et découvrir dans quelle mesure il pouvait lui cacher des choses. Une manœuvre assez courante, somme toute. Combien de fois l'avait-elle effectuée ? Plus qu'il ne lui était possible de s'en souvenir. Parfois, cela se résumait à voir une biche blanche gambader, ce qui l'agaçait ou lui plaisait, selon son humeur. Tantôt, c'était un humain qui venait des plaines et s'était perdu, ou cherchait l'inspiration parmi les champignons... et s'était perdu également.
Il faut dire qu'en pleine forêt, ils ne se débrouillaient pas tellement. Même dans une forêt féérique, avec beaucoup de repères.

L'étranger approchait. Il était assez vieux, et semblait fort fatigué, au-delà du poids des ans qui pesait sur ses épaules. Il conservait malgré tout un air de dignité.
Quelque chose était assez étrange en lui. Une flamme brillait dans ses yeux, une ferveur qui allait au-delà de bien des projets que certains des peintres manifestaient lorsqu'ils produisaient l’œuvre de leur vie. Il semblait cependant d'une grandeur sombre. La noirceur remplissait son âme, et faisait de l'obscur sa clarté, lui refusant la sérénité. Il s'agissait d'un sentiment inexplicable, dérangeant mais présent, qui emplissait la dryade.

Il errait mais cherchait visiblement quelque chose, ou quelqu'un par cette errance. Il n'y avait aucun lien entre cet homme et les autres, ce qui était très excitant. Il cherchait du regard une présence dans les arbres, ou entre les troncs, son regard s'aventurant au loin, dans le ciel rosé. Il semblait presque tranquille, bien qu'une légère tension soit en lui palpable.
Il errait trop loin, à présent, cependant. Les arbres se raréfiaient légèrement, et le couvert de la dryade était moindre. De plus, l'aubépine s'éloignait de plus de plus d'eux, et cela ne lui plaisait pas. Aussi, elle n'y tint plus.

- Bonjour ! Dit-elle, jovialement, en surgissant devant lui. Que cherchez vous ?

Un sourire se dévoila sur le visage du vieil homme, aux longs cheveux de neige, à la vue d'une autre personne. Il ne semblait pas surpris, étrangement, contrairement à bien d'autres voyageurs.

- Je suis en quête des tiennes, fée, et de ce que vous pourrez m'apprendre.

- Considérez que votre quête s'achève, en ce cas, vieil homme.répondit-elle, sans intention de nuire, ne trouvant pas de qualificatif plus approprié.
Loin de s'en formaliser, il se contenta de sourire.

- J'en ai une grande espérance.
Cependant, il ne formulait nulle requête, patientant pour une obscure raison, se contentant de l'observer, l'air pensif, estimant les chances qu'il avait de trouver en elle l'informatrice qu'il cherchait.

- Qui êtes vous ? Que se passe-t-il à Flore et au-delà ? Et que venez vous chercher ici ? Comment se fait il que vous n'ayez rencontré aucune de mes sœurs ?Ne tenant plus face à un humain si différent des autres, qui, loin de chercher à se renseigner tout d'abord, loin de manifester une quelconque surprise, la jaugeait et attendait.
Il semblait savoir qu'elle allait l'interroger. Comme s'il avait déjà fréquenté des dryades, ou s'était bien renseigné sur elles.

- Le nom d'un voyageur parmi tant d'autre est surement bien peu de chose, pour une des gardiennes de ce lieu. N'est-ce pas le cas ?

- Il m’intéresse cependant. Voulez vous en échange le mien ?

- Tu pourras m'appeler Samh, si tu le souhaites. Si tu ne tiens pas à me donner ton nom, je respecterais ce choix.

- Sylvia, en ce cas. Vous êtes assez étrange.

- C'est inhérent aux différences entre nos peuples. Vous, fées, nous êtes étranges, comme vous ne pouvez nous comprendre.
Il prit une inspiration, fit une pause, continuant son examen.
[color=grey]- Flore se remet de l'invasion d'Aile Ténébreuse, bien que je trouve étrange qu'une de ses habitantes s'en remette à un vagabond pour en savoir plus. Connais-tu seulement les terres extérieures, où dois-je t'en parler pour que mes dires aient pour toi un sens ?[/grey]
- Je doute que cela soit nécessaire, mais je vous remercie de vous informer.
- Des combats, partout se mènent. La religion de Zelphos se répand sur le continent. Des villes sont conquises pour être perdues. Père et mère s'entredéchirent, lorsque des décisions sont prises au sujet d'une possible entrée dans la rébellion. Des frères s'entretuent, selon les décisions qu'ils prennent.

Sylvia, à ce portrait du monde extérieur grimaça, et se tourna vers son aubépine dans un frisson. Cela était pire que ce qu'elle ne pensait.
Les horreurs de la guerre lui étaient inconnues, mais elle comprenait à présent la signification de "combats" et de "conquête". Elle imaginait les maisons qui brûlaient, bien que se les représentant comme d'immenses champignons et les coups d'acier

- Tes sœurs qui habitent dans Abyssaï... connais-tu ce lieu ? risquent de périr sous peu, lors d'une conquête par Aile Ténébreuse. Elles risquent d'être comme des dommages collatéraux, cette région n'étant pas composée uniquement d'êtres pacifiques. C'est un lieu magnifique, pourtant. De nombreux animaux ne vivent qu'ici. J'y suis déjà allé... sache que sous l'eau, les couleurs paraissent bien différentes, et que ce lieu en est gorgé. Les espèces forment un tableau, dont la toile de fond seraient les algues et le corail. S'il existait une magie capable de capturer une image, tu pourrais surement voir ce dont je te parle...

Tout ceci était magnifique, et la dryade regrettait de ne le pouvoir voir. Cependant, la perspective de voir un tel paradis anéanti, même s'il lui demeurerait à jamais inaccessible lui tordait le cœur.
L'homme vit cela, et prit un ton de voix plus grave.

- Je cherche enfin un moyen de mettre un terme à tout cela. Mais j'ai besoin de ton aide, pour cela. Puis-je l'avoir ?

Une question. Assez bien amenée, et la première, après sa patience. Le ciel commençait à devenir bien plus bleu, et dans peu de temps, la forêt entière serait debout.

- Je ne vois pas en quoi mon concours pourrait vous être utile.
- Il le serait pourtant. Tu connais sûrement une grande partie de ces lieux mieux que moi.
Il attendit, l'incitant à acquiescer par son regard, et par la flamme qui était à l'intérieur.
- Que cherchez vous ?
- Un lieu de pouvoir, comme il en existe de nombreux dans cette contrée. Je devrais pouvoir, grâce à lui et grâce aux autres que j'ai trouvé dans mon pèlerinage, accumuler assez d'énergie pour faire cesser la guerre qui tue les mysticiens.

"Samh" s'approcha, et parla plus doucement.
- M'aideras-tu ?

Sylvia n'était pas très expérimentée et ne savait que répondre. La cause semblait juste, mais il n'était pas de son ressort d'aider un homme aussi étrange. Surtout qu'elle risquait de transgresser un interdit grave.
Cependant... la guerre avait dévasté une partie de Flore. Elle se devait d'éviter que cela se reproduise dans un lieu encore paisible.

- Peut-être... le cercle des sorcières...
- Où est-il ?
- Vous vous perdrez, seul. Je peux vous accompagner... sans doute.

Il acquiesça, remerciant son guide, l'air satisfait.
Le chemin fut assez long. Et Sylvia était désorientée. En un sens, elle ne pouvait pas faire ce qu'elle faisait. Révéler que cet endroit existait était déjà interdit, et elle allait pousser encore plus loin la transgression.
De plus, elle s'éloignait de son arbre.

Durant le trajet, le voyageur parla, révélant les évènements qui se déroulaient dans les plaines mystiques notamment, en glissant par moment une remarque sur les lieux où la dryade n'irait surement jamais, afin de l'inciter à poursuivre le voyage. Ils allaient arriver dans peu de temps.

- Encore un peu de temps... Mais, qu'allez vous faire avec ce pouvoir ?Demanda l'esprit sylvestre, en se retournant.
- Mes recherches convergent presque toutes vers le moyen de l'utiliser. Il me faut cependant le récupérer assez vite.

Il s'agissait de la seule question qu'il éludait. Tout ceci était assez dérangeant.
Il n'avait pas manifesté de surprise à la mention du cercle des sorcières, également... n'avait même pas demandé ce que c'était.
La dryade se retourna, et découvrit quelque chose derrière la flamme du vieillard.
Un éclat noir, allant plus loin que la souffrance intérieure. Un éclat terrible.
Un éclat auquel elle avait failli donner matière à se nourrir.

- Que se passe-t-il ?

Sa voix, bien que douce, contenait un accent déplaisant bien qu’indéterminable.
Sylvia prit la fuite en volant, et perdit peu à peu sa consistance, prenant conscience de son erreur. Sa maigre consolation était de n'avoir pas mené à bout son action.
Pourquoi avait elle accepté ?
Sa gentillesse apparente, la grandeur du but. Ses manières, qui l'avaient rendue confiante, surement.

Elle se retourna, enfin. Il n'y avait personne.
Il ne trouverait jamais l'accès seul... heureusement.
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L'aubépine se dressait devant elle, des bourgeons prêts à éclore. Il était midi, et l'humain ne l'avait pas retrouvée. Sans doute l'avait il oubliée.
Elle se mit dos à son lié, s'assit dans l'herbe, et se mit à rêver.