Depuis la cîme de la plus haute tour de Faestelia, un aigle albinos prit son envol en direction des terres glacées, avec à sa patte, la précieuse missive.

Quelle ne fut pas la surprise du récemment nommé maréchal quand un aigle blanc comme un cadavre gelé apporta une lettre lui étant destinée. Il n'était pas un expert en cachets de lettres, mais il était à peu près sûr qu'elle ne venait ni des glaces ni de la Terre. Peut-être les Montagnes, ou le Feu. Mais qu'importent ces conjectures, me direz vous? Nenni : il aimait bien tenter de deviner de quoi il s'agissait avant de le voir. Allez comprendre, c'est une espèce de jeu comme un autre. Et en l’occurrence, il n'avait pas le moindre commencement du début d'une idée, alors il l'ouvrit vite. Ce qu'il y lu le stupéfia tout bonnement : il ne s'était absolument pas attendu, pas un seul instant, à ce qu'un jour on lui fasse ce genre de demande, et même si cela lui était flatteur, il se fit violence pour rester le plus impartial possible : après tout, demander au maréchal des glaces, c'est à dire à celui qui commandera l'armée d'un empire à la puissance égalable à celui de l'empire du démon lorsque la guerre sera déclarée, eh bien lui demander, disais-je, d'être général d'une armée était un choix plus logique que flatteur. En même temps, comme il ne connaissait pas cette Elly Thunderblades, ce ne pouvait être en d'autres circonstances. Ah, bah en fait si, se dit-il au cours de sa lecture, il la connaissait : elle avait intégré l'ordre des gardiens il y a peu. Enfin, "connaissait" est un bien grand mot. il savait globalement qui elle était, c'est tout. Elly Thunderblades, une elfe, la gardienne de l'équilibre si ses souvenirs étaient bons. Douée et intelligente, ça il en était sûr : sa mémoire des noms était affreuse, mais le reste s'imprimait bien dans son esprit. Toujours est il que, lorsqu'il eut fini de lire la lettre, il eut le plaisir, mais non la surprise, de voir Grawhir, son faucon, qui était venu le rejoindre (allez savoir par où il était passé). C'est donc tout naturellement qu'Albar lui parla pour faire le point.

"On vient de me demander d'être général d'une armée fantôme, rien que cela. Est-ce que tu accepterais toi?"

Pour toute réponse il eut un regard sceptique, le faucon refusant de lui communiquer ses pensées (il avait un caractère exécrable).

"Je t'avoue être plutôt tenté. Après tout, leur but est la lutte contre Aile Ténébreuse, et c'est aussi le mien. De même, en tant que maréchal des glaces, cela me permettrait de coordonner nos efforts entre l'alliance d'or et les armées de notre pays, ce qui serait ma foi un bel avantage. Pourtant je ne cerne pas vraiment le but d'Elly. Pourquoi ne se rattache-t-elle pas à la rébellion? Oh, d'ailleurs, il faudra que je te demande de transmettre une lettre à Lara pour qu'elle la fasse parvenir à Galaad. J'ai dans l'idée que ce jeune idéaliste me sera insupportable, mais là encore, nos efforts doivent être coordonnés."

Grawhir émit alors un piaillement aigu et Albar entendit clairement dans son esprit : "tu n'oublierais pas quelque chose par hasard??". Il eut alors comme une illumination : il lui avait promis des olives la prochaine fois qu'ils se verraient (ne cherchez pas de rapport avec l'histoire). S'excusant humblement devant cette boule de plume acariâtre, il pris les fameuses olives et lui en lança dès lors une de temps en temps, faisant pareil pour lui évidemment.

"Qu'est ce que je disais? Ah oui, le but de mademoiselle Thunderblades. Il m'est assez obscur, j'en convient, mais je pense que quel qu'il soit, il ne peut nuire à personne d'autre qu'à nos ennemis. Et son alliance a une chance de réunir des gens encore hésitants vis à vis de la rébellion je pense : elle cherche à réunir des peuples pour lutter, Galaad, lui, cherche des rebelles.
- *Quelle différence?*
- Sur le plan concret aucune, mais tout est question de présentation. L'alliance d'Elly est bien plus attirante de ce point de vue là. j'ajouterai même qu'Elly est plus attirante que Galaad, mais ça, tout individu hétérosexuel ou lesbienne normalement constitué en conviendrait. De plus, si d'importants représentants des races rejoignent l'alliance, il se peut que, par une espèce de patriotisme, d'autres membres de la race le suivent. Je pense notamment à des êtres chez lesquels la hiérarchie est bien organisée, les lycans par exemples, ou alors des êtres ayant une grande fidélité vis à vis de leurs meneurs, comme les elfes, ou les nains, ou de leurs membres en général, comme les vampires, et peut-être les anges, même si je n'ai jamais assez côtoyé ces gens là pour les connaître vraiment.
- *Ça peut apporter quoi de neuf, cette alliance?*
- Eh bien, moi, pour commencer.
- *Je veux dire, quoi de "bon"*
- Oh, je l'avais pas vue venir celle là, dit-il avec ironie. Eh bien je pense que nous pourrions couvrir des domaines auxquels la rébellion de Galaad n'a pas pensé, comme par exemple, le ciel. Je suis convaincu que le ciel est un réservoir de rebelles en puissance depuis l'Aube Rouge, mais personne n'exploite le filon, personne n'est là pour organiser tout ça. C'est déjà un bon début.
- *Donc tu vas dire oui?*
- Donc je vais dire oui, je le crois bien. Je n'ai qu'à attendre qu'elle vienne, inutile de lui répondre : si elle vient du feu, elle s'est mise en route en même temps que sa missive. Elle sera bientôt là, mais est introuvable pour l'instant. Attendons donc.
- *Donne moi encore une olive* "

[hrp : enfin une explication au changement d'avatar ! Je suis toute émoustillée ]



Il fallait se rendre à l'évidence, ses vêtements légers ne conviendraient jamais à la rudesse d'un voyage dans les territoires glacés. Debout en tenue d'eve sur un petit piédestal en bois flotté, un couturier efféminé s'agitant autour d'elle tel un satellite, ou peut-être était-ce plutôt le mouvement perpétuellement dérangeant de va et vient d'une mouche, la gardienne faisait tout son possible pour contenir son agacement et s'empêcher d'asséner un coup de poing bien senti sur le crâne rutilant, qui passait et repassait sans arrêt sous son nez.

- Au risque de vous paraître impolie, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ? Je suis nue comme un ver, j'en ai assez, et on m'attend … de plus vous commencez à émietter sérieusement ma patience, déjà fortement réduite à l'égard des humains .
C'est que je n'ai jamais habillé une elfe …
- Parfait, dans ce cas je me passerai de vos conseils. Où est la réserve ?!
A... attendez ! Vous êtes …

Elly descendit de son promontoire et traversa insensiblement l'échoppe, accusant les regards surpris, envieux, jaloux, des clients et clientes.

Mademoiselle attendez !
- J'ai assez attendu pauvre vouivre, cela fait plus d'une heure que vous auscultez mon corps sans mot dire ! J'ai à faire je vous l'ai déjà signifié. Quelle est-donc cette étrange tenue molle là …
C'est … une combinaison d'excellente manufacture mais attendez, je dois …
- Résiste t-elle  au froid ?
Oui très bien même mais …
Est-elle isolante ? Sont-ce là des pièces d'armure intégrées ?
Oui mais …
- Beau travail, vous n'êtes pas aussi inutile que vous en avez l'air. Est-elle à vendre ?
Non ! Attendez !

L'artisan suait à grosses gouttes, cette tornade ambulante ignorait qu'elle s'attaquait à la plus belle pièce de sa collection, un travail de longue haleine …  cependant l'elfe avait déjà passé ses sous vêtements de soie, et la fermeture glissait désormais allègrement dans son dos. Elle lui allait comme un gant. L'œil brillant d'un doux mélange de colère et de satisfaction, elle replaça ses dagues entre ses omoplates et se dirigea vers la sortie ...

- Considérez que vous m'en avez fait cadeau ! Le ciel vous le rendra ...

L'homme s'effondra sur son comptoir, atterré.

~ ~ ~ ~ ~ ~ ~

La chevauchée avait été longue et éreintante. Fort heureusement, le fier destrier à la robe aussi noire que le jais loué pour l'occasion était vif, obéissant et robuste. La plus acariâtre des personnes  n'aurait pu nier que ces belles qualités avaient rendu le voyage bien moins insupportable qu'il aurait pu l'être. Comme elle s'y attendait, le royaume des terres de Glace revêtait déjà son blanc manteau, de givre en tout cas, car la neige bien que menaçant de poindre, n'avait pas encore fait son apparition tant espérée par les marmots du coin. Plusieurs fois, la monture manqua à son trot, ses sabots faits de corne lisse dérapant sur d'épaisses plaques verglacées. Heureusement, la demeure du Maréchal n'avait pas été bâtie sur un terrain extrêmement escarpé …
L'elfe capta un point entrain de se mouvoir à vive allure sur les hauteurs. Un éclaireur probablement, ou un garde entraîné à la célérité. Son arrivée imminente n'était désormais plus un secret pour personne, la sylvaine espérait simplement qu'elle n'avait pas eu à cheminer pour rien. Tant pis pour l'effet de surprise, et puis elle avait vivement hâte de mettre pied à terre, or justement cela ne tarda pas. Les membres engourdis, les doigts frigorifiés, Elly choisit humblement de descendre de scelle, afin de mener sa monture à la longe jusqu'à l'entrée de la ville …

[HRP : ça va donner des vocations de couturier tout ça]

"Monsieur, une cavalière est en vue, et elle semble venir directement ici"

Les yeux posés sur les cartes tactiques des glaces, il eut enfin une bonne raison de les en lever. Il n'avait pas encore de réels pouvoirs, car les glaces n'étaient pas encore officiellement en guerre, mais de même qu'officieusement le soutien à la rébellion s'intensifiait, les armées commençaient à se réunir sous son étendard et les 3 grands généraux des glaces suivaient ses directives, notamment celle de ne laisser que le minimum vital de troupes à l'intérieur des terres et d'envoyer tout le reste protéger les côtes. La trahison de Kerns leur avait coûté cher, et en attendant je recouvrer une armée aussi puissante qu'elle l'avait été, ils devaient à tout prix éviter une attaque contre Aile Ténébreuse. Heureusement les côtes des pays des glaces n'étaient pas trop étendues, et ils avaient un immense avantage : la marine Salinéenne, la meilleure du monde. Avec certains navires pirates, ils sont les seuls à monter leur canons sur presque tous les navires, ce qui leur coûte une somme faramineuse et fait de leur armée la plus faible et la plus indigente des glaces. Mais la force de leur marine était le meilleur rempart à une invasion.

Bien, ne mélangeons pas travail et plaisir et revenons en aux faits : cette femme qui se dirigeait vers sa demeure (dans laquelle, paradoxalement, il ne résidait que très peu, car il passait en vérité la majeure partie de son temps au palais à discuter avec Issendra et ses conseillers). Était-elle là par hasard ou était-elle au courant? Qu'importe, même si il aurait parié sur le hasard. Il chercha dans ses mémoires si une quelconque dame avait pris rendez vous avec lui aujourd'hui, mais écarta vite cette hypothèse : il ne prenait jamais de rendez vous les jours où il était chez lui, afin d'avoir la paix. Donc elle n'était pas annoncée pour aujourd'hui. Il chercha encore quelques instants pour se souvenir de la lettre reçue quelques jours avant, envoyée par la demoiselle Elly Thunderblades. Le décompte des jours coïncidait, et la très vague description également. Sans doute était-ce elle. Il fit donner des ordres pour qu'on la laisse entrer, et alla se préparer. Chez lui, en effet, il était souvent en costume, comme partout ailleurs, mais il arrivait parfois qu'il se contente de sa tenue d'entrainement, n'ayant pas le courage le se changer avant d'aller à son entrainement. Au passage, et au risque de paraître prétentieux, il n'avait pas de maître d'arme, car personne, du moins dans les glaces, ne l'avait battu depuis des décennies, et le tournoi pour devenir garde du corps de l'Impératrice, des mois plus tôt, semblait l'avoir désigné comme le meilleur combattant des glaces. En réalité, ses séances d'entraînement étaient également celles de ses hommes, et c'était lui le maître d'arme.

Il passa devant son armure d'or, la seule chose de sa famille qu'il ai gardé, pas spécialement par choix, mais parce que c'est l'une des rares choses qui n'avaient pas été saisis lorsque ses neveux avaient ruiné une bonne fois pour toute le trésor des Tlassin, suivant ainsi l'exemple de ses parents, qu'Albar avait d'ailleurs fait enfermer pour escroquerie. Je suis navré mais pourquoi devrions nous être obligé d'éprouver de la sympathie sous le simple prétexte que, neuf mois avant votre naissance, ils se sont envoyé en l'air? La famille a ce don de nous imposer des personnes qu'en temps normal nous détesterions mais que nous sommes censés aimer, par convention, parce que vous partagez le même sang. Bref, cessons la digression. Il entra dans sa chambre, une pièce volontairement assez petite, pour lui rappeler la chambre dérobée, contiguë à celle d'Issendra, dans laquelle il avait dormi pendant longtemps et où il se sentait tellement bien. Il choisis assez rapidement un de ses éternels costumes blancs, ne remarqua pas sa barbe de plusieurs jours, se peigna rapidement et peu consciencieusement, et ceint sa rapière autour de sa taille, avant de descendre dans la cour pour l'y attendre.

Elle arriva assez rapidement, à pied à côté de son cheval, et Albar fut intrigué par l'étrange armure qu'elle portait. Et c'était bien elle, d'ailleurs, il la reconnaissait. Quand bien même il ne l'aurait pas identifiée, c'eut été un formidable hasard que, durant les jours où une elfe devait lui rendre visite, une autre elfe arrive à l'improviste. Contrairement à ce que les littéraires et les imbéciles disent : les probabilités sont nos amies (attention, ils ne se trompent pas pour les même raisons : les littéraires se trompent parce qu'ils ont un esprit, ou des prétentions, ou des visées, philosophiques, et qu'un philosophe est toujours à côté de la plaque, systématiquement. Les imbéciles se trompent, parce que, justement, ce sont des imbéciles). Il s'avança alors vers elle, et s'inclina en lui baisant la main, comme il le faisait toujours.

"Mademoiselle Thunderblades, si je puis me permettre cette supposition. Bienvenue chez moi. Je ne dirai pas " dans mon humble demeure", pour la bonne et simple raison que je connais l'humilité, et que ce n'est nullement l'impression que se dégage de mon logis. La politesse me pousse à faire une chose totalement inutile qui est de me présenter à vous : Albar Tlassin, comte de Monulia, Maréchal de l'Empire des Glaces. J'ajouterai que je suis tout simplement ravi de vous recevoir. Je vous invite à à me suivre à l'intérieur et à laisser votre cheval ici, mes hommes vont s'occuper de lui"

[HRP : je me permets de présumer ta réponse comme positive, si problème il y a, fait le moi savoir ^^] Lui ouvrant la porte, il l'invita à sa suite jusque dans le grand salon, dont le seul luxe était celui des sens, et non des yeux : en effet, il n'y avait que très peu de choses qui brillaient, mais en revanche, tout avait été fait pour rendre la pièce confortable et chaleureuse. Albar avança alors à Elly un grand fauteuil moelleux, le plus proche de la cheminée, et lui même s'assit dans un autre fauteuil, face à elle.

"Désirez vous boire quelque chose? Certes nous sommes ici pour parler affaire, mais sachez que vous êtes ici chez vous et que vous êtes une invitée de marque."

Elly s'immobilisa au milieu d'une vaste cour. Tout ici, même le vide, respirait le bon goût. Et pire encore, il émanait du faste une impression d'humilité renversante. D'aucun sait que le jugement de valeur propre par rapport à l'art architectural est désintéressé. La beauté est sans intérêt, elle n'est qu'un concept sans norme ou idéal unique, car il est mouvant. Le bon goût ne se conforme pas aux exigences indolentes de notre raison, mais la richesse de l'âme peut parfois se dépeindre à travers les mains calleuses de maîtres maçons. L'esprit anesthésié par le rude climat, l'invitée laissa la longe de sa monture aux soins d'écuyers assurément compétents, et se contenta d'accepter la proposition de son hôte d'un hochement de tête, sans même le regarder en face. Oui en face, car pour une fois, son interlocuteur faisait à quelques centimètres près, la même taille qu'elle.

A peine fut-elle introduite dans la demeure du Maréchal que déjà en elle la vie reprenait, à l'instar de braises incandescentes sur lesquelles l'on souffle. Ses prunelles d'abord fixes scintillèrent enfin de leur habituel éclat argenté, et son corps raidi par la basse température retrouva sa souplesse et sa grâce, tandis qu'elle le suivait. Parvenus dans un grand salon, la jeune femme ne put que constater l'absence de fioritures. Estomaquée, comme découvrant le titre de « Comte » sous un jour nouveau, elle s'installa confortablement dans le fauteuil moelleux qu'on lui désignait, et daigna enfin décrocher un sourire dans la direction de l'homme en question.

- Simplicité, humilité, élégance …

Elle balaya la pièce du regard avec légèreté, avant de laisser retomber poliment ce dernier sur son hôte.

- Je crois qu'il serait de bon ton de ne vouloir qu'une simple infusion fruitée, la boisson la plus simple, et probablement la plus à même de dégeler rapidement mes organes vitaux, je le crains …

Chose inhabituelle chez elle, son abdomen demeurait quelque peu douloureux. Mais elle n'en dit rien, d'autant plus que la gène ne fut que de courte durée. La gardienne déposa sur le sol les deux étuis de ses lames, et insinua son dos un peu plus profondément dans le rembourrage du siège de salon, ses bras fins dormant sur les accoudoirs. Cependant, le haut de son buste, ses épaules, son cou et son visage restèrent fermement droits, attentifs aux mouvements et paroles du Maréchal. D'une façon presque innocente, Elly inclina doucement, et surtout, sans s'en rendre compte la tête sur le côté …

- Vous semblez savoir qu'un même objet peut être l'occasion de sensations contraires … et que cela est toujours relatif au sujet qui en fait l'expérience.

Ses paroles se rapportaient naturellement à son armée. On apporta la boisson, mais elle n'y goûta pas immédiatement, déposant simplement la soucoupe sur les cuisses détendues de ses jambes désormais croisées. Rien qu'ainsi, elle pouvait apprécier peu à peu la chaleur diffuse de l'infusion à travers la tasse.

- Avant même de percevoir brutalement votre accord ou votre refus, j'aimerais simplement entendre votre avis Maréchal … je ne suis pas ici dans le but de vous lier à moi coûte que coûte. Car je le sais pertinemment, j'ai d'avantage besoin de vous, que vous n'avez besoin de moi.

Elle ponctua sa phrase d'un doux sourire, évitant de fixer plus que de raison le regard perturbant d'Albar, car brillant d'intelligence et de finesse.

Le premier mot qui lui vint à l'esprit pour la décrire dut celui ci : charmante. Le second fut : assurée. Le troisième : on dirait qu'elle apprécie pas le froid (certes, ce n'est pas un mot, j'en ai pleinement conscience, mais si vous trouvez moyen de me résumer ça en un mot, autre que "frileuse" qui n'est pas assez bien à mes yeux, je vous en prie, prévenez moi). Pour le charme qu'elle dégageait, il en mettait une partie (mais seulement une partie) sur le compte de son appartenance au beau peuple, qui, ici, avait l'un de ses meilleurs représentants, à n'en pas douter. Certes, il ne connaissait pas beaucoup les elfes, et parmi ceux dont il avait connaissance, le premier nom qui lui vit à l'esprit était Sourv, un elfe salinéen (ce qui, contrairement à ce que l'on pourrait croire, est bien la vérité et non une oxymore), qui tenait plus du sociopathe que de l'elfe tel qu'on le décrit. Mais chaque troupeau à ses brebis galeuse, comme le veux ce dicton populaire, qui, du moins c'est ce qu'Albar pensait, avait une tournure très ordurière. En ce qui concerne l'assurance de la (jeune?) femme, cela ne le surpris guère et lui plut beaucoup : quelqu'un qui avait décidé de monter une armée est le genre de personne chez qui l'on s'attends à trouver de l'assurance.

De même, si certes ce n'était qu'une impression, elle semblait ne pas le considérer de prime abord avec cette espèce de condescendance habituelle chez les elfes à l'encontre d'à peu près toutes les autres races, ou de lui même vis à vis de tous les imbéciles heureux. Étais-ce parce qu'elle tentait de le rallier à ses côtés? Ma foi ce n'est pas à exclure, mais ce n'est pas l'impression qui s'en dégageait. Elle semblait le considérer comme ce qui se rapproche le plus de son égal, voire qui l'est.

Il s'enfonça assez franchement dans le fauteuil, en croisant lui aussi les jambes, mais pas de la même façon : les femmes croisent leurs jambes en les gardant serrées, habituées au port d'une jupe ou d'une robe, le résultat dégageant toujours une impression de finesse et d'élégance, qui était, bien évidemment, si évidemment que je me demande presque pourquoi j'en parle, présente et amplifiée chez la belle elfe. Les hommes, eux, peuvent se permettre de poser leur cheville sur l'un de leurs genoux, dans une posture ma foi très pratique quand vous avez un plateau sur les jambes, ou un gros livre. Caressant sa barbe naissante, Albar ne put s'empêcher de remarquer le superbe langage de son interlocutrice, et ce détail ne put que lui plaire. Elle avait donc de nombreux points d'avance pour le moment. Avant de répondre à ses questions, il lui demanda :

"Excusez moi, mais vous semblez ne pas être habituée à la température qui règne sous ces glaciales latitude. Puis-je vous faire parvenir une couverture, une bouillotte, ou quoi que ce soit d'autre?"

Selon sa réponse, il agit en conséquence, puis repris la parole, pour cette fois lui répondre.

"Vous voulez avoir mon avis, disiez vous? Soit, je ne peux rien refuser à une invitée. Votre idée, l'alliance d'or, ma d'abord et en premier lieu parue surprenante. Après tout, me disais-je, il y a déjà une armée rebelle, pourquoi en créer une autre? Mais en y réfléchissant, j'ai compris - ou plutôt, c'est l'impression que j'ai eue, je ne prétendrais pas avoir tout compris - j'ai compris disais-je avant de m'interrompre moi même avec outrecuidance, que votre idée était différente de celle de Galaad. Vous ne voulez pas rassembler des combattants pour lutter contre le Roi Démon, vous voulez rassembler des peuples et des idéologies contre ce que d'aucun appelleraient le possible destructeur du monde. C'est en cela, je pense, que votre organisation diffère de la Rébellion, et qu'elle a un plus grand pouvoir rassembleur. De plus, l'alliance d'or se fonde sur le thème, comme son nom l'indique, d'une alliance entre les peuples, alors que la rébellion s’assoit sur le combat. Ce n'est qu'un simple effet psychologique, mais ainsi, je crois que vous pourrez rallier des gens hésitants pour la rébellion. Enfin, ce projet, vous permettra d'envisager des choses que les rebelles n'exploitent pas assez. Pour ma part, je me suis dit que le ciel serait un allié de poids : il doit sans doute regorger de rebelles potentiels, haïssant le Démon depuis l'Aube rouge, et qui ne demande qu'à ce que l'on les pousse un tantinet dans le bon sens pour se joindre à la lutte.

Je pense néanmoins que vous aurez besoin d'une grande coordination avec les deux autres belligérants dans cette guerre : l'Empire des Glaces, quand celui ci la déclarera, ce qui ne saurais tarder, je vous le dit de vous à moi, et les Rebelles. Des assauts et des réflexions coordonnées seront le meilleur des moyens de nous assurer la victoire : d'un côté, l'immense force brute de l'armée de l'empire des glaces, épaulée par les insidieuses forces secrètes et dévastatrice de l'alliance d'or et de la rébellion. Cela fait assez longtemps que j'escompte de rencontrer Galaad pour m'entretenir de tout cela avec lui. Je ne sais pas si vous avez déjà discouru avec lui, si l'or à rencontrer le métal, mais je conclurai ce monologue, ce velouté de verbiage qui vire vraiment au verbeux si j'ose dire, en vous disant que l'alliance d'or sera sertie du plus beau des diamants, celui des Glaces. Je me joins officiellement à vous, mademoiselle Thunderblades, et j'ajouterai que vous servir sera un incommensurable plaisir."

Elly osa enfin porter les lèvres à sa boisson encore fumante. Le liquide rouge-oranger vint d'abord réchauffer sa langue, sa gorge puis son corps tout entier réagit dans un frissonnement de satisfaction qui la fit sourire. Les plaisirs simples sont souvent les plus appréciables et les plus faciles d'accès, ils sont de ceux que l'on peut se permettre d'éprouver, sans craindre de tomber dans l'addiction. Lorsque le Maréchal constata son intolérance au froid, lui proposant de quoi se réchauffer d'avantage, elle fixa un instant du regard une vitre verglacée, s'interrogeant silencieusement sur cette étrange faiblesse, demeurée inconnue d'elle même jusqu'à ce jour. Car après tout, la dernière fois qu'elle avait arpenté ce territoire pour rejoindre le palais de Kerns dit « le roi déchu », c'était en plein été …  

- Je ne demanderai qu'une chose Maréchal, une chose qui me manque depuis un certain temps je dois l'admettre. Je pense que cela pourrait être l'occasion pour moi de prendre un bain chaud, hors de portée d'ennemis éventuels, avant de repartir.

Après avoir aimablement acquiescé, son hôte répondit tout bonnement à sa requête principale. La gardienne l'écouta sereinement … jusqu'à ce qu'il exprime son accord pur et simple. Une puissante décharge remonta le long de sa moelle épinière, faisant blêmir son teint avant de laisser apparaître un rose vif sur ses joues, n'ayant par ailleurs strictement rien à voir avec le fait qu'elle soit une élémentaire de l'électricité. La tasse à moitié vide trembla entre ses doigts élancés, tandis qu'un sourire éclatant illuminait brièvement son visage.


- Vous n'ignorez rien de ce dont vous parlez, Albar. La guerre fait des victimes et des dégâts, que jamais on n'oublie, mais que l'on réitère sans cesse à tort. Le combat de résistance à l'oppression - qui est le plus fondamental des droits, et le plus sacré des devoirs rappelons le  - quant à lui, laisse des traces et fait de ses plus fervents partisans, des héros. Or, je préfère me sentir forte d'avoir jeté la première pierre pour défendre des peuples entiers, que d'avoir battu une armée pour en anéantir tout autant.

La sylvaine termina son infusion d'une rasade gracieuse mais déterminée, avant de se lever sans plus attendre et de s'incliner profondément avec une main sur le cœur, devant le Maréchal. Deux mèches cendrées, issues d'un chignon fou n'ayant plus de raison d'être, s'échappèrent de la coiffure indisciplinée, venant tomber impunément devant le minois de la gardienne. Elle était sincèrement touchée par l'acceptation d'Albar, et plus encore, Elly se contenait de ne pas le remercier d'être l'homme qu'il était. Si droit, si dévoué à son pays et ses idéaux… si souple et ferme à la fois. Sans bouger de son emplacement, elle souffla simplement quelques mots supplémentaires à son attention, tout en se redressant.

- Vous ne serez jamais mon subordonné Maréchal, mais mon allié. Je vous serai gré de ne jamais me servir, car ce que je vois en vous est bien plus prometteur. Je sais que vous serez là pour m'épauler, et à mon sens, contrairement à la servitude même consentie, ça n'a pas de prix.

Derrière une vitre, une congère translucide se détacha dans un craquement sourd. Ce petit aléa naturel eut au moins pour effet de faire se détourner le regard argenté et troublé de l'invitée.

Elle était véritablement plaisante. Rares étaient celles qui lui faisaient ce genre d'effet extrêmement positif d'emblée, voire peut-être plus encore. Il avait toujours apprécié les femmes fortes mais qui savaient gagner une indéniable part de féminité en elles. C'est ainsi qu'Ayael et Issendra lui avait fait de l'effet. Et Elly également ne le laissait pas indifférent. Elle débordait d'une assurance juste et bien dosée, et, si il ne l'avait tout simplement jamais véritablement connue avant, il avait tout de même confiance en elle, malgré sa méfiance habituelle. Quand elle se leva pour le s'incliner devant lui, et lui parla en ces derniers termes, il ne put qu'être touché, et il se senti un tantinet trop honoré : il ne le méritait pas.

"Ce n'est pas à vous de vous incliner, belle demoiselle. Je n'ai encore rien fait qui puisse mériter tel honneur, mais je compte bien faire en sorte de les mériter plus tard, soyez en assurée."

Ce fut alors lui qui s'inclina en lui baisant à nouveau la main. Ce petit point particulier n'était pas nécessaire, même au point de vue de la stricte courtoisie et galanterie d'une autre époque dans laquelle il avait été élevé, mais il ne se cachait pas (cette formulation peut sembler stupide au premier abord, certes, mais comme vous le savez si vous avez un peu de jugeote, on a parois tendance à se mentir à soi même) il ne se cachait pas disais-je qu'il apprécier beaucoup le contact de sa main.

"Je me dois aussi de vous dire, poursuivi-il après s'être redressé, que je suis très flatté par vos derniers mots, mais qu'à la réflexion, je n'en suis point étonné : vous semblez être une femme forte mais humble. De plus, et pardonnez moi si je vais vous sembler mettre tout votre peuple dans un même panier, mais la plupart des elfes ont un certain complexe de supériorité par rapport aux autres races, que vous n'avez absolument pas. Je serai donc plus qu'honoré de vous épauler, vous soutenir en cas de besoin, et également d'avoir l'immense plaisir de bénéficier d'une aide aussi précieuse que la votre. Je ne sais pas quels autres bijoux viendrons se greffer sur cette alliance, mais il est clair que, si nous généraux, sommes une parure avenante, pouvant faire flancher nos adversaires, vous, mademoiselle Thunderblades, vous en êtes l'alliance en elle même, le bijou des mariés, et sans vous tout s'effondre. L'alliance peut exister avec quiconque d'autre que moi ou que les autres généraux, mais il est plus qu'évident que le véritable joyau de cette organisation se trouve sous mes yeux.

Veuillez pardonner mon emportement mademoiselle, et permettez que je mette un terme, pour le moment, à cette conversation en vous montrant où se trouve la salle des bains, où une eau bien chaude vous attends. J'ajouterai qu'après un si long voyage, la galanterie - que dis-je? Le savoir vivre - le plus élémentaire me pousse à vous inviter à passer au moins la nuit en ces murs avant de reprendre la route demain. Vous avez traversé à peu près tout Terra Mystica pour venir jusqu'à moi, et je serai le dernier des rustres de vous laisser repartir dans le froid, alors que la nuit tombe vite en cette saison. A ce propos, je vous en prie, appelez moi simplement Albar."

- Soit …

Elly retira sa main avec douceur, effleurant son dos du bout des doigts. De façon inhabituelle, le Maréchal des glaces la touchait  très justement de ses mots et de ses gestes. Quelle chaleur émanait d'un homme vivant dans ces contrées neigeuses et gelées … Elle se regarda elle même, somnolente presque rêveuse, menée docilement jusqu'à la salle des bains, et se laissa même dévêtir par une jeune femme aux gestes polis et caressants. L'hôtesse disparut silencieusement avec sa combinaison souillée de sueur, tandis que la gardienne s'immergeait lentement dans un bassin d'eau très chaude, large d'environ trois mètres sur quatre. Lorsqu'elle parvint au niveau le plus profond, c'est à dire lorsque le liquide fumant atteignit son nombril, la sylvaine se laissa simplement choir toute entière. Ainsi immergée dans un environnement digne du ventre maternel, doux, chaud, sombre et rassurant, elle se mit à ressasser les dernières heures, ses longs cheveux cendrés flottant autour d'elle, son chignon ayant enfin cédé.

Elle avait accepté l'invitation d'Albar à passer la nuit dans sa demeure. Avait-elle bien fait ? N'y avait-il aucun piège là dessous ? Car après tout, elle n'avait jamais rencontré le seigneur Tlassin en personne auparavant. Pouvait-elle encore partir si elle le souhaitait ? N'était-elle pas finalement d'avantage prisonnière qu'invitée ?
Ce fut en « songe » que le vieil Olaf lui apparut alors, la barbe grisonnante pendant sur sa soutane, ses yeux cernés et ridés, rutilants de sagesse. « Mon enfant, ne sois donc pas paranoïaque. Ouvre plutôt ton âme à ce qu'aujourd'hui t'offre, le présent est comme son nom l'indique, un cadeau. Ta chasse aux alliés ne sera pas contrariée par une douce nuit de repos. Allons … ». Éveillée par le manque d'air, une énorme bulle de gaz carbonique troubla la surface de l'eau, suivie d'une Elly détrempée regardant vivement autour d'elle, à bout de souffle. Dès que son regard se posa sur la pièce l'entourant, baignant dans la faible luminosité de candélabres ingénieusement disposés, la jeune femme s'apaisa.

Voyant qu'on avait déposé là une épaisse savonnette au frais parfum floral, la gardienne en profita pour se décrasser dans les moindres détails, des pieds à la tête. Après une bonne heure de détente et d'ablutions tant attendues, Elly se décida enfin à sortir de l'eau. Elle chercha vainement de quoi masquer sa nudité dans la pièce, mais elle ne trouva que des nappes de vapeur brumeuse et rien de palpable. Entrouvrant la porte par laquelle était sortie la suivante, elle se retrouva au milieu de deux domestiques de sexe féminin qui la prirent en charge immédiatement. Il faisait une température étouffante dans la pièce attenante, une chaleur si sèche que ses cheveux ne demeurèrent pas mouillés bien longtemps. On devait avoir l'habitude de ne pas rester humide sur ces terres, où le moindre vent glacial pouvait vous congestionner les bronches pendant deux mois. Bref, au bout de longues minutes passées entre des mains expertes, une jeune elfe épilée ( pour peu qu'elles aient trouvé un poil sur ce corps sylvestre imberbe ), délicatement parfumée, coiffée d'une simple queue de cheval haute, apparut dans le couloir principal du « palais » du Maréchal. On ne lui avait pas encore rendu sa tenue de voyage, aussi était-elle simplement vêtue d'une robe bustier sans bretelles, infiniment douce et souple, car cousue de longs voilages couleur blanc cassé. On ne l'avait pas chaussée, elle allait pieds nus et cela lui convenait parfaitement. Aussi se sentait-elle à l'aise, bien qu'inhabituellement féminine dans cette tenue si confortable et travaillée, mélange curieux entre l'apparat et l'habillement de nuit.

Quelqu'un qui passait par là lui indiqua amicalement, presque jovialement que le souper n'allait pas tarder à être servi. Elly se dirigea vers les plus grandes salles, espérant toutefois que le diner se passerait en petit comité, d'autant plus qu'elle se fit une légère frayeur en trébuchant sur un pan de voilage, l'obligeant à relever le jupon d'une main sans le relâcher. Inutile de dire qu'elle se sentait bien gourde ainsi positionnée. Abandonnant l'idée en passant devant un miroir, elle laissa retomber le pan de sa jupe et se concentra simplement sur ses pas, plus accoutumée à évoluer dans ce qui s'approchait d'avantage du pantalon masculin.

Au détour de ce qui semblait être un petit salon, elle s'immobilisa devant une cheminée où un bon feu était allumé. Perdant d'abord son regard dans la mouvance mordorée des flammes, elle savoura ensuite l'instant de quiétude qui s'offrait à elle les yeux clos, attendant patiemment le son ou l'appel signifiant qu'on l'attendait quelque part pour diner.

[HRP : sauras tu trouver d'où vient une partie de la réplique d'Albar où il parle de "moussaka"? ^^]

Son invitée avait été accompagnée à la salle de bain, il lui fallait faire autre chose que rester ici à ne rien faire. La façon dont elle lui avait caressé la main était tout de même troublante, il faut l'avouer. Mais bon, qu'importe donc, se poser des questions ne lui fournirait pas la moindre réponse en ce cas précis, tout simplement parce que ce n'est pas lui qui pouvait l'apporter. Il se contenta donc de retourner vaquer à ses occupations et de se forcer à ne pas entrer dans la salle de... Qu'est ce que je raconte? Juste s'occuper de ses tâches habituelles, il n'y a aucune raison qu'il ai ressenti le besoin de s'empêcher de faire quoique ce soit. Après tout, les quelques domestiques féminines qui l'entouraient étaient aussi très agréables mais pourtant jamais il n'aurait... Bref, cessons ces digression intempestives.

Si il ne s'entraînait pas avec ses hommes aujourd'hui, il décida tout au moins de se détendre un peu. Il faut avant tout savoir qu'il aimait beaucoup jouer avec ses poignards, notamment lorsqu'il réfléchissait ou que son esprit vagabondait. Il le faisait par réflexe, sans s'en rendre compte, et il le faisait très bien et très rapidement si il se concentrait dessus, tant et si bien que la lame semble ne jamais cesser de tourner. Il s'était toujours demandé si il pouvait réussir à lancer ainsi ses lames sur une cible en les faisant tournoyer à l'avance. Il y repensa par hasard à cet instant là, et décida de tenter un peu, pour se détendre. Il se mit donc face à une cible dans la salle d'entrainement, et se mit à faire activement tournoyer une lame dans ses mains, avant de la lancer. Ce fut un désastre. Certes elle était bien dans la cible, mais le poignard ne s'était tout simplement pas planté. Il retenta l'expérience de nombreuses fois, tâchant de trouver le truc, la bonne vitesse à laquelle la faire tourner, la bonne façon de lancer, mais il n'y parvint jamais plus qu'une fois sur trois, le hasard total.

Alors qu'il rentrait dans son salon, il donna des ordres pour la préparation du repas, et alla chercher son jeu de cartes. Tricheur doué, on lui avait appris à manipuler les cartes de façon à duper son adversaire, et il aimait bien faire de faux tours de magie (chose dont même les vrais mages étaient rarement capables, tout simplement parce qu'ils ne s'encombrent que rarement de savoirs inutiles en ce genre. Albar, lui, avait eu une longue vie et avait toujours mis un point d'orgue à toujours vouloir tout savoir, à se cultiver, et à tenter le plus de choses possibles afin d'avoir des connaissances et de la conversation sur à peu près tout, même si jamais ce n'était véritablement poussé, sauf sur les sujets qu'il appréciait véritablement). Prenant le paquet truqué comme le paquet non truqué, il les mis tous deux dans ses poches, souhaitant faire un de ces tours à son invitée. D'ailleurs elle ne devrait plus tarder maintenant. Son intendant, Herberth, arriva justement quelques minutes après pour lui dire que le repas serait bientôt près. Albar demanda alors à voir son invitée, et en chemin, il croisa les quelques demoiselles s'étant occupée de lui, qui faisaient aussi le service :

"Ah, monsieur Tlassin, nous vous cherchions justement. Vous n'avez pas donné d'indications pour le repas, alors nous étions sur le point de préparer la table de la salle à manger.
- Justement, c'est une bonne chose que je vous croise, j'allais justement demander quelque chose de plus sobre, tout simplement dans le grand salon, où j'ai reçu mademoiselle Thunderblades.
- Dans le grand salon, en êtes vous sûr? Cela ne sied guère à un homme qui reçoit des invités, surtout une elfe.
- En effet monsieur, elle pourrait considérer cela comme malvenu, ajouta Herbeth.
- Malvenu? Je n'ai jamais été aussi estomaqué depuis le jour où j'ai eu cette espèce de moussaka coincée dans ma gorge.
- ...
- Qu'est ce donc que cela? Un public ou une mosaïque?
- Des domestiques.
- Belle réplique. Mais, s'il vous plait, faites ce que je dis, si j'ai tort vous pourrez vous faire une joie de me dire ce que vous m'aviez dit.
- Soit, comme vous voulez.
- Ah au fait, très chères, savez vous où se trouve notre invitée?
- Dans le petit salon.
- Merci. Herberth, vous pourrez donner des ordres à ma place pour qu'on lui fasse préparer une chambre? Ma mieux chauffée, la plus proche du conduit de la cheminée si possible.
- Bien évidemment.
- Merci mon brave."

Albar se dirigea donc vers le petit salon, où il eu le plaisir d'y revoir sa délicieuse invitée, vêtue d'une très belle robe qu'il ne se souvenait pas avoir quelque part, mais allons bon, pourquoi pas. Lui même ne connaissait tous les recoins de sa maison vous savez.

"Mademoiselle Thunderblades, navré de vous avoir fait attendre. Le repas sera bientôt servi et, si vous n'y voyez aucun inconvénient, nous dînerons ensemble dans le grand salon. Ce n'est certes pas très protocolaire, mais à mon humble avis, il sera bien plus confortable et convivial de dîner autrement que chacun au bout d'une interminable table, de devoir se parler en criant pour couvrir la distance, et d'être qui plus dans une pièce trop grande pour être bien éclairée et bien chauffée. Je pense donc que le grand salon sera bien meilleur, de tous les points de vue. J'ajouterai qu'il est rare que le soleil ne nous éblouisse pas quand on s'en approche, c'est donc ainsi que j'aimerai ne pas avoir à vous contempler située à l'autre bout de cette immense table dont j'ai déjà parlé - si il n'est pas trop déplacé de vous parler ainsi. Permettez moi d'ajouter, afin soit de paraître encore plus déplacé soit simplement poli, qu'importe pourvu que vous sachiez que je suis sincère, que vous êtes tout simplement ravissante."

Après sa réponse, il la conduisit dans le grand salon [HRP : je me permet là encore de supposer que ta réponse est positive, si elle ne l'est pas, je changerai la suite]. Une fois arrivé il l'installa dans la chaise, le fauteuil ou le canapé de son choix, tandis que les domestiques étaient entrain de mettre la table. Alors qu'ils s'affairaient ainsi, Albar s'approcha de son invitée et sorti un des deux jeux de carte qu'il avait sur lui. Est-ce le truqué ou le normal? Allez savoir. Toujours est-il qu'il se proposa de lui montrer un petit tour de cartes [le lien est vers une vidéo de ce tour], qu'il réussit à faire sans se tromper ni révéler le pot-aux-roses.

"Pensez vous avoir trouvé de quelle façon j'ai réalisé ce tour de passe passe mademoiselle?"

Lorsque la suave voix d'Albar résonna soudainement dans son dos, Elly réprima un sursaut fugace, rouvrant enfin les yeux. Elle se détourna rapidement de l'âtre et accusa non sans mal les compliments de son hôte, abaissant timidement son visage vers le sol. Eliaz lui même n'avait jamais osé l'enjoliver de la sorte, aussi n'y était-elle nullement habituée. Le maréchal lui donnait une impression nouvelle et rare, celle d'être « particulière » - dans le bon sens du terme précisons le - ou « agréable » aux regard d'une tierce personne. Et lorsqu'il invita la gardienne à diner dans le grand salon qu'elle avait précédemment visité, la chaleur émanant de son ton, et le bon goût de sa proposition ne purent que l'enjoindre à accepter. La jeune femme se laissa donc docilement guider vers le lieudit, où ils souperaient ensemble ce soir là.  

Sur place, et comme toujours, pas de fioriture. Simplicité et finesse semblaient définitivement être les maîtres-mots en cette maison des glaces. L'hôte installa son invitée sur une chaise droite en bois verni, dont le dossier et le siège étaient légèrement rembourrés pour le confort de l'individu et le maintien d'une posture correcte – si toutefois cela avait été expressément travaillé dans ce but, on l'ignorait -. Vif d'esprit comme de corps, Albar sortit un jeu de carte sous le nez de la sylvaine. Impassible, presque concentrée, Elly observa le tour de passe-passe auquel se livrait son compagnon dinatoire. Dans le Drayame, contrée natale de la gardienne, les paquets de cartes en circulation relevaient d'avantage du tarot divinatoire, que d'autres pratiques plus joueuses. Mais il lui avait déjà été donné de voir des tours de magie, enfin, « magie », car les réels enchantements n'avaient rien à voir avec ces sottises humaines, faites pour se rendre intéressant. Par ailleurs, la « véritable »magie, dont la source manatique résidait en certains êtres, était elle une forme extrêmement rare et imprécise d'enchantement – naturel - dont peu de créatures se vantaient de bénéficier. Afin d'éviter de susciter des jalousies d'une part, et parce que l'apprentissage de la maîtrise magique était souvent long, semé d'embûches et diffusait fastidieusement sur Terra plein de pseudo-magiciens ratés et incompétents. Elly quant à elle était différente, c'était une élémentaire et non pas une simple apprentie. Pour résumer, elle « savait par destin » et non par envie.

Bref, elle reporta toute son attention sur les gestes de son hôte, cherchant les brisures, tentant de regarder la main principale en faisant abstraction des gestes trompeurs et distrayants de l'autre. Lorsqu'il eut terminé, elle leva vers lui un regard d'acier … brillant d'audace et d'admiration.

- Alors alors. – Elle apposa un doigt sur ses propres lèvres, plissant imperceptiblement les yeux sur les mains de l'homme qui se tenait près d'elle.
- Vous ne semblez pas avoir changé de jeu de carte durant ce tour … Les manipulations sont … j'irai presque jusqu'à dire inexistantes … Il y a le même nombre de cartes du début à la fin. Bien entendu, ce n'est pas un vrai jeu. Mais je dois avouer que je n'ai absolument pas saisi le « truc » de votre tour. Bravo Albar, vous m'épatez !

Elle le gratifia d'un frais sourire, sans le lâcher des yeux.

- A mon tour maintenant.

La jeune femme se leva, disparut en un bref instant dans le couloir, et récupéra sa dague accrochée par là. On entendit un vague « Scraaaaatch » depuis le salon, puis elle refit apparition avec dix centimètres de jupe en moins. Enfin, elle pourrait marcher sans trébucher. Les joues roses, elle se réinstalla sur sa chaise, tenant devant elle sa lame d'argent à l'horizontale, les deux bras tendus.

- Observez bien le fil de la lame ...

La petite tricheuse fit courir le long du fil des éclairs bleutés,  dans un mouvement presque dansant. Elly prit une expression absorbée, bien que ce tour là ne lui coutât quasiment rien. Puis elle déposa son arme contre le siège, redressa souverainement son torse et regarda son hôte - Cet homme était beau, terriblement attirant, et elle devait combattre son fort intérieur pour ne pas laisser paraître son trouble- , une pointe de défi au fond de ses iris argentés. Il savait peut-être la berner, mais jamais il ne devinerait le pourquoi de cette fausse illusion.

D'accord … elle était simplement vexée de ne pas avoir su résoudre l'énigme des cartes …

Il eut pendant quelques instants un sentiment de fierté qu'il ne dissimula qu'à moitié : elle n'avait pas vu son truc, voilà qui était très plaisant, on ne se le cachait pas. Mais ce sentiment ne dura pas longtemps, remplacé par de la curiosité quand elle s'éloigna pour faire je ne sais quoi. Il entendit un simple bruit de déchirure et elle revint avec un couteau et... Oui oui, il ne se trompait pas, c'était bien dix centimètres de jupe qui avaient disparus - et quelques couleur sur leurs deux visages qui étaient apparues, le rouge rosé en étant la teinte dominante. Il tenta de se donner contenance (ce qui, contrairement à ce que beaucoup croient, ne signifie pas s'éclaircir bruyamment la gorge en détournant le regard) et de ne pas garder ses yeux fixés sur ses magnifiques jambes d'ailleurs, alors qu'il aurait beaucoup donner pour les voir se croiser à nouveau.

Il fixa plutôt ses yeux vers la lame qui fut bientôt traversée par d'étranges éclats lumineux, des sortes d'arcs électriques miniatures qui dansaient sur le froid métal. Bon... C'était d'un autre niveau que ce qu'il faisait, évidemment. Non, il ne se sentait pas soudain un tantinet inférieur. De toute façon il était sûr qu'elle ne savait pas faire tourner les lames aussi bien que lui. bref ! Mettons là un terme à cette espèce de jalousie, et, ainsi débarrassé du poids de l'envie, le Daeva put tout simplement admirer la performance de la belle elfe.

"Je dois vous dire qu'à mon tour je suis incapable de savoir comment vous savez fait. Je n'ai pas d'hallucinations, ça j'en suis globalement certain - admettez que ce serait un sacré hasard que j'ai des visions exactement au moment où vous me faisiez ce tour. Peut-être êtes vous une vraie mage alors - je vous avoue ne pas pouvoir en juger, je n'entends absolument rien à la magie, malgré tous mes efforts.

Pardonnez cet apparent égocentrisme mais je vais en revenir à mon petit tour que je vais vous expliquer, dit-il en déployant le jeu devant elle. Comme vous le voyez, il y a en vérité autant de cartes bleues que de rouges, sachant que les bleues ont une face blanches, et les rouges une face avec une figure ou un nombre quelconque. Le point intéressant, en vérité, c'est que les cartes rouges sont un millimètre plus petites que les bleues. Ainsi, quand je les fait défiler de la façon dont je vous l'ai montré, la carte que vous prenez est rouge dès le départ. Quand je la remet dans le paquet, je n'ai qu'à faire défiler les cartes dans l'autre sens pour faire apparaître les rouges, et idem pour les faces blanches.

Ainsi donc, moi, simple daeva, j'ai réussi à tromper une elfe, qui plus est une femme comme vous. Si vous ne m'apparaissiez pas si honnête, j'aurais juré que vous me mentiez pour me flatter, si j'ose m'exprimer ainsi.

Pardonnez moi, je ne devrai pas me moquer ainsi de vous, ce n'est pas charitable de ma part, et très égoïste, car en vérité je suis motivé par un sentiment tout à fait singulier. En effet, et encore une fois veuillez pardonner les mots emportés de votre hôte, votre visage m'est si éblouissant que j'aimerai les voir aborder toutes les expressions du monde, et celle d'une petite et légère vexation en fait partie. Mais il est bien évident que cela est très déplacé de ma part et, ajouta-t-il en mettant un genou à terre pour lui baiser la main, je m'en excuse humblement. Je me demande donc aussi quelle est cette outrecuidance qui m'habite : oser m'imaginer qu'une femme telle que vous puisse être touchée par mes mots. Pardonnez moi chère Elly - vous permettez que je vous appelle Elly?

Je terminerai par un dernier manque cuisant de politesse et de savoir vivre, j'en ai bien peur, mais, tenant à être totalement honnête envers vous, je ne vous cache pas que ce léger changement de tenue vous va à ravir et vous met encore plus en valeur. Maintenant permettez que je fasse servir le repas, je me suis assez couvert de ridicule pour la soirée."

Elly suivit l'explication avec un réel intérêt, tentant d'enregistrer la farce afin de la réitérer, ou au besoin de la reconnaître. Croisant les bras sur ses genoux, elle s'autorisa une petite exclamation – sincère toutefois- de contentement.

- Épatant ! Les humains ont un véritable don pour le mimétisme, la manipulation, et la mascarade. C'est très ingénieux, très bien pensé, et ma foi fort distrayant !

En somme, la jeune femme était pleinement satisfaite de cette découverte, et bien plus encore, du comportement galant et franc de son hôte. Elle écouta ses mots avec attention, politesse et envie, les but presque comme une eau claire dont elle se désaltérait abondamment. Il savait … et pas qu'un peu. Au point qu'elle ne releva ni moquerie ni blague déplacée, simplement des remarques si bien ficelées qu'elles auraient fait sourire un croque-mort. Lorsqu'il lui prit la main pour y poser ses lèvres une troisième fois, elle ne se déroba pas, avalant à grandes goulées chaque vibration de ses cordes vocales, car au delà des phrases formées en langage Terran, c'était autre chose qui parlait. Son esprit pensant déraillait logiquement et de façon implacable … cet humanoïde avait sur elle l'effet d'une déferlante hypnotique. Quand il demanda à l'appeler Elly, elle acquiesça simplement, lorsqu'ils l'enjoignit à diner et termina sa tirade, son regard d'argent vacilla et elle dut se ressaisir vite pour s'élever à sa suite.

- Albar !

Elle avait déposé une main ferme mais pleine de « ne t'éloigne pas » sur son avant-bras, l'interrompant impunément dans son mouvement. Se rendant compte de son geste, elle eut évidemment honte et retira sa main sans plus attendre, ne perdant pas contenance pour autant.

- Sachez que les êtres sylvestres ne sont en rien plus malins ou plus intelligents que les autres races, les Daeva y compris. Nous ne sommes que vos égaux, avec une perception des choses certes différente, mais à mon sens, cela ne signifie définitivement pas qu'elle soit meilleure ou pire ... – Elle se dirigea vers ce qui semblait être « sa place » à table, mais ne s'installa pas tout de suite, se contentant de saisir un couteau et de le faire tournoyer habilement entre ses doigts, tel une simple distraction inconsciente -Les préjugés que nous avons entre peuples éclectiques valent autant que la distinction basique entre opinion, science et foi. Je veux dire, entre nous tous, qui pense ? Qui sait ? Qui croit ? Et qui pense savoir mais ne fait que croire ? Très simplement au final … - Elly détendit son bras d'un coup sec, la lame siffla une fraction de seconde et se planta dans une miche de pain, non loin de là. - ... Au final qui peut prétendre viser indéfiniment juste ?

Elle haussa les épaules un court instant, avant de prendre place devant son siège et de s'asseoir avec une grâce dénuée de chichis. La jeune femme joignit ses mains sur la table, entrelaçant ses doigts fins aux ongles entretenus – contrairement à ce que l'on pourrait penser, les elfes guerriers aiment à se polir les ongles, leur évitant ainsi de jaunir prématurément -. Le regard gris clair d'Elly passa de la miche à Albar, puis d'Albar au verre à vin translucide qui lui faisait face.

-Quant à mon tour … je n'ai aucun mérite. Sachez que je ne suis pas un mage, ni un charlatan entraîné, ni même un apprenti magicien. Je n'ai rien appris, car je suis ce que l'on appelle parfois une « élémentaire » de la foudre et du magnétisme électrique en règle générale. Je suis Thunderblades … que je le veuille ou non.

Il y avait bien eu une pointe d'amertume dans ces dernières paroles, mais c'était uniquement parce que son destin pré-écrit dès le berceau ne lui apportait pas qu'une quiétude sans pareille. Elle sourit, observant son propre reflet dans le cristal.

- Je crois que la façon dont nous interprétons la valeur de nos expériences est en notre pouvoir, et laissez moi vous dire Albar, si une quelconque divinité existe par delà nos cieux, je suis prête à parier qu'elle n'est ni bouchère, ni charpentière, mais joaillière. Et si je suis un bijou, cette soirée à vos côtés restera mon plus bel écrin ...

Troublé, il n'y avait pas beaucoup d'autre mots pour décrire son sentiment après qu'elle lui ai ainsi tenu le bras et prononcé son nom de cette façon. L'espèce de pulsion qu'il avait lui même ressenti à ce moment là était également des plus troublantes, car ce contact ne l'avait guère laissé insensible, et l'envie de lui rendre la pareille s'était très rapidement faite jour avec violence. il sut néanmoins se contenir suffisamment longtemps pour qu'elle enlève sa main, semblant elle même - devinez quoi - troublée par son propre geste. Elle garda tout de même contenance et après avoir retiré sa main partit dans un très beau petit discours sur les elfes, et la connaissance en général. Et ce plonger dans ce genre de réflexion l'aiderai bien à oublier le trouble dans lequel elle le plongeait définitivement.

Installé à table, alors que les premiers plats étaient arrivés et qu'il l'enjoignait à manger, elle continua de l'abreuver de ses délicieuses paroles, qui pénétraient en lui avec autant de plaisir que l'eau fraîche traverse sensiblement le corps tout entier d'un homme mourant de soif. Et comme ce genre d'homme, il avait le sentiment qu'il pourrait boire ainsi sans jamais s'arrêter, et d'ailleurs il ne voulait pas que cela s'arrête.

Une élémentaire était-elle? Il n'en avait que rarement entendu parler (ses lacunes en magie se faisaient sentir cruellement, pour son grand déplaisir), et n'était pas sûr de comprendre l'espèce de fatalité qui semblait peser sur elle. Toujours était-il qu'il se sentait sincèrement compatissant sur son sort, Mais que pouvait-il dire sur une chose dont il ne connaissait rien? Pas grand chose de sincère, en effet.

Pour finir, ses derniers mots lui plurent tout particulièrement, et le touchèrent profondément. Assis à l'autre bout de la table (mais dans le cas présente, celle ci étant petite, il n'était pas loin : il n'avait qu'à tendre une jambe pour toucher la sienne si il le voulait, et cette envie n'était pas totalement absente de son esprit, il devait bien se l'avouer), il ne put qu'incliner la tête vers elle avec un grand sourire.

"Ah, Elly, vous savez comment rendre heureux votre hôte. Savoir que grâce à moi vous avez passé une belle soirée me comble tout simplement d'allégresse, et je ne peux que vous remercier d'avoir si merveilleusement marqué une - trop - petite partie de mon existence. Mais je me réjouis à l'idée de savoir que nous nous reverrons souvent, et je ne vous cache pas que j'espère bien vous revoir entre ces murs un jour ou l'autre. Votre présence - pardonnez cette métaphore stéréotypée - me réchauffe le coeur et ensoleille ma journée.

Je me dois cependant de répondre à ce que vous avez tantôt dit, et je me dois de le faire maintenant avant de me laisser emporter par un fleuve de flatterie, fleuve qui ne manquera pas de sortir de mes lèvres si je continue à vous regarder ainsi. Je ne vous cache pas que je n'ai pas la moindre croyance en un quelconque être suprême qui nous gouverne, mais je comprends où vos voulez en venir, et il est pour moi certain que personne ne peut toujours viser juste, même avec tout le talent du monde. Ce qui compte, ce n'est pas vraiment ce que les gens sont, mais c'est ce qu'ils pensent être. Discuter avec un imbécile qui se pense philosophe est impossible, mais enseigner l'art de l'écriture à un analphabète conscient de son handicap est possible. Tout en ce bas monde, pour peu que l'on doive interagir avec une créature pensante, dépend de sa personnalité. Nul en effet n'est supérieur à un inconnu, et seule la connaissance de l'autre peut nous permettre d'en obtenir la réponse - car en effet je crois, très chère Elly, que les êtres de ce monde ne sont pas égaux, n'ont pas tous les même chances dans la vie, mais je prends bien garde à ne pas utiliser de terme généralisateur comme "peuple", ou "race", mais bien d'êtres, d'individus. Je suis bien entendu d'accord pour vous dire que tous les peuples sont égaux, et que seule l'éducation peut donner les outils pour bâtir la maison de la connaissance, mais ensuite, encore faut-il que le sujet ai l'envie de la bâtir. Et à mon humble avis, c'est la connaissance qui est la clef de tout, l'intelligence, la logique, le raisonnement. Et la bonté, évidemment. Par exemple, tenez : c'est par bonté et galanterie que je vous ai invité à rester ce soir, et par tous les dieux comme j'ai été avisé de le faire, tant votre compagnie m'est agréable et délicieuse. Toute cette nourriture m'est inutile tant que je vois vos yeux. Alors qu'aurais-je fait si je vous avait laissé partir avec un simple au revoir? A l'évidence, c'eut été une formidable erreur.

Pardonnez moi, là encore je n'ai pu m'empêcher de vous parler en ces termes. Mais pour ma défense, comment donc un homme pourrait il ne pas être émerveillé par cette superbe fleur qui semble s'épanouir de plus en plus à chaque instant? Ah parbleu voilà que je m'emporte à nouveau, veuillez me pardonner, je tiens à vous faire passer une bonne soirée, et non à vous mettre dans l'embarras."

Le repas touchait déjà à sa fin, et avait largement touché à la faim d'Albar. Se levant de table, il alla vers son invité, et lui tendis son bras :

"Puis-je vous conduire jusqu'à votre chambre très chère?"

Le diner fut des plus agréables et des plus fournis, autant en échanges instructifs qu'en sustentation pure et simple. Elly avait désormais un général loyal et intelligent pour sa future armée, son projet prenait forme peu à peu, et elle avait passé une sublime fin d'après-midi et soirée en la compagnie du Maréchal des glaces. Quittant la table sans se presser, elle épousseta sa robe parsemée de quelques miettes de pain frais et s'avança vers son hôte qui l'enjoignait chaleureusement à songer aux bras de Morphée.

- Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi ce soir, et plus tôt aussi d'ailleurs.

Il tendit son bras. Elle s'en saisit sans rechigner, et même avec une certaine classe dont elle s'amusait ostensiblement.

- Curieux tableau n'est-ce pas ? Un Maréchal Daeva, au bras d'une elfe aux pieds nus ...

Ses petons à la peau blanche effleuraient à peine le sol frais de la demeure, tantôt carrelé, tantôt dallé. Elle n'avait ni froid, ni chaud, n'était pas saoule, ni sobre. C'est que le vin avait coulé à flot ce soir là, bien que les membres du beau peuple résistent particulièrement bien aux hydromels et autre boissons alcoolisées, les plus doux et délicieux breuvages Terrans s'avéraient parfois être bien plus sournois. Pas assez cependant pour rendre un elfe ivre, mais suffisamment pour le désinhiber en partie. La jeune femme se laissa guider une fois de plus, le regard détaillant l'architecture et l'oreille aux aguets, car de toute façon, elle ignorait où se trouvaient les chambres en la maison d'Albar, quelque peu sinueuse lorsque l'on a plus toute sa raison - Qu'il était fort ce vin tout de même, elle aurait juré voir le mur le plus lointain onduler un bref instant – enfin bref …

Ils empruntèrent un escalier dont les marches étaient relativement larges, mais la boisson finissant de faire son effet, Elly qui regardait droit devant elle calcula mal la distance, lâcha le bras de son hôte et chancela sur la première marche, se rattrapant de justesse à la rambarde. Immédiatement, elle se redressa et s'immobilisa en laissant aller son dos contre le muret. Après avoir repris son souffle – car les elfes n'apprécient guerre la sensation de chute, lorsqu'elle est involontaire- elle renversa doucement sa tête en arrière, offrant sa gorge dont la peau opaline avait un aspect de velours, à l'air nocturne.

- Vous m'en mettrez deux bouteilles, je crois que les soirs d'idées noires elles me seraient d'une grande aide ….- La belle rit aux éclats, tant de sa propre stupidité que de sa petite boutade.- excellent cru vraiment, une merveille … un peu fort, mille écueils, mais …- Elle ramena sa nuque à une position plus droite et normale, son regard argenté détaillant le visage d'Albar- ... cruellement envoutant.

Bien qu'elle ne bougeât pas, elle sentit au plus profond d'elle même que chaque parcelle de sa peau réclamait  le Daeva qui lui faisait face. Ses mains étaient froides ainsi posées contre la pierre, et son visage aux traits sibyllins affichait une expression paisible, ses lèvres quant à elles murmuraient l'envie. C'était une petite bêtise , une tentation fruitée d'adolescence, une période de grâces qu'elle n'avait par ailleurs jamais eu l'occasion de vivre pleinement. Certes, elle était une elfe, mais aussi une jeune femme, des mains externes ayant déjà parcouru son corps une fois par le passé … mais cela faisait longtemps, trop longtemps.
Elly n'osait plus rien dire, son souffle lent et à peine audible s'échappait en infimes volutes de vapeur. Ils étaient dans une partie fraiche de la demeure – ou alors une fenêtre était ouverte -, mais intérieurement, elle bouillait littéralement.

Lorsqu'elle se saisit de son bras, il eu déjà l'impression qu'elle n'était pas véritablement dans son état normal. Était-elle ivre? Non, se disait-il, je ne pense pas, mais il était évident qu'elle n'était pas un modèle de sobriété à cet instant là. En effet, non seulement il la guidait, mais il la soutenait aussi quelque peu, il le sentait bien. Elle ne semblait pas être à côté de la plaque cependant, juste un peu joyeuse, comme libérée de je ne sais quelles chaînes par le truchement du spiritueux. Elle avait vraiment l'air de s'amuser, de trouver la situation, et eux même d'ailleurs, cocasse. Et à la réflexion il est vrai que ça l'était. Lui, me direz vous, n'était-il pas affecté par l'alcool? Nullement, car n'oubliez pas qu'il se régénère, et ça vaut pour toutes ses cellules abîmées par l'alcool, et son foie est ainsi un excellent travailleur. Cependant, je rappelle que ce processus est volontaire, et qu'il peut choisir d'être ivre si il le veut, mais après il ne garanti pas le retour à la normale aussi rapidement. Mais la question ne se pose pas : il n'a jamais aimé l'ivresse, tout du moins celle causée par l'alcool. Se savoir dépourvu de quelques une de ses capacités physiques et psychiques, ça lui donnait un immense sentiment de faiblesse et d'infériorité. C'est sans doute là son arrogance naturelle qui parlait, mais au moins elle le protégeait, pour une fois.

Il commença à se demander si les escaliers, qu'ils devaient impérativement monter pour rejoindre les chambres, n'allaient pas poser un problème à sa belle invitée. Les marches étaient plutôt larges et même encore maintenant, il lui arrivait assez souvent de se laisser prendre au piège d'une traître marche. Quand elle lui lâcha le bras, il n'eut pas le temps réagir qu'elle tombait déjà. Heureusement elle se rattrapa elle même très vite, et sembla avoir trouvé cet instant aussi haletant que lui, et même plus. Il ne pu cependant s'empêcher de sourire quand elle lui parla des bouteilles, mais en revanche, au mot "envoûtant", elle lui jeta un regard, lui dit cela sur un ton qui lui donna des frissons dans tout le corps. Il commença a considérer le fait qu'elle soit un peu pompette d'une autre façon... Il tenta bien de s'extraire cette idée de la tête, de ne pas penser à des choses si peu dignes d'un gentleman, mais à chaque fois qu'il tentait de retrouver ses esprits, il apercevait ses jambes si belles, ses yeux dans lesquels il se sentait aspiré, son cou semblant si délicieux... Il est difficile de garder contenance devant une telle femme.

"Vous allez bien j'espère? Allons, je ne pense pas que vous soyez en état de continuer à marcher jusqu'à votre chambre alors, permettez que je vous aide un peu."

Disant cela, il s'approcha près d'elle, passa un bras dans son dos, et se servit de l'autre pour la soulever, telle une jeune mariée, et ainsi la porter dans les marches. Elle était légère comme tout, et la tenir ainsi dans ses bras lui donnait un peu l'impression de tenir un petit animal fragile et désorienté. je dis "un peu l'impression", car une autre partie de lui la voyait d'un tout autre oeil, ainsi dans ses bras, si près de lui... Il avait du mal à ne pas baisser les yeux pour jeter un regard à ce si beau corps, et pourtant il aurait ainsi pu contempler mieux que jamais ses jambes ou sa poitrine... Il faisait d'immenses efforts pour ne pas se laisser aller à ce genre de pratique.

Fort heureusement, la chambre n'était pas loin : la maison n'était pas si grande que ça et ils y arrivent en quelques dizaines de secondes. Les domestiques étaient couchés à cette heure, et même si il avait les mains prises, il n'allait tout de même pas les réveiller juste pour lui ouvrir une porte que diable. Jouant quelques instants un petit numéro d'équilibriste, il réussi à ouvre la porte avec un de ses pieds sans trop désarçonner la belle qui tenait dans ses bras.

"Et voilà, belle Elly, voici votre chambre. Permettez que je vous porte ainsi jusqu'à votre lit"

Il n'eut pas cependant l'occasion de le faire : un tapis était visiblement mal mis, il présentait un fourbe petit pli, et Albar se pris le pied dedans. Il tomba en avant mais il eu le temps de donner une petite impulsion du pied pour tomber sur le dos, et ainsi épargner Elly d'une chute. par réflexe, il la serra contre lui et lorsqu'il tomba, elle était au dessus de lui, indemne, son visage très proche du sien, désespérément près, et son corps tout contre le sien. Albar en la lâcha pas, sans même s'en rendre compte. Au contraire : toujours aussi inconsciemment, il se mit à doucement caresser son dos:

"Tout va bien Elly?"

Titubante, Elly sentit deux bras puissants la soulever sans violence. Un bras autour du cou de son hôte, l'autre replié contre son propre ventre, elle laissa sa tête balloter contre l'épaule musculeuse d'Albar.

- Vous allez vous briser les reins ... Avait-elle soufflé dans un demi sommeil.

Bien sur il n'en serait rien, puisque son corps n'était qu'un amalgame de peau, d'os légers mais robustes et de muscles bien proportionnés. Inutile d'y chercher de la graisse superflue, il n'y en avait pas, ou très peu, ce qui expliquait peut-être en partie sa faible résistance au froid. Monter, descendre, monter descendre … les yeux mi-clos, la jeune femme comptait inconsciemment les légères secousses provoquées par les pas du Maréchal, et ce mouvement linéaire n'eut pour effet que de la faire s'endormir totalement. Elle se sentait protégée, comme hors d'atteinte … enfin, jusqu'à ce que son porteur ne se prenne les pieds dans le tapis …

- Hélaaaa !

La sensation de chute – encore elle – avait violemment réveillé la belle endormie. Or cet éveil forcé avait remplacé une bonne partie de son taux d'alcoolémie, par une revigorante poussée d'adrénaline. Les deux protagonistes s'effondrèrent lamentablement sur le sol de la chambre, et Elly eut une réflexe de se recroqueviller sur elle-même, sentant les bras de son hôte se refermer précautionneusement autour de son corps ensommeillé. Lorsqu'ils s'immobilisèrent totalement, l'elfe se redressa sans plus attendre sur les coudes … la proximité nouvelle avec cette créature masculine électrisait certains de ses sens – et les conditions en faisaient tout autant - , elle chercha le regard rassurant d'Albar – dont elle sentait les doigts effleurer son dos -, encore dans la brume du réveil. Dès qu'elle le rencontra, elle lui sourit sans afficher sur son minois une quelconque expression de colère ou de rancœur.


- Je crois que c'est à vous que je devrais le demander Albar. La gardienne, enfin ce qu'il en restait ce soir là, laissa glisser ses doigts avec tendresse sur la joue du Maréchal.Permettez que j'aille m'asseoir ailleurs qu'à même le sol, bien qu'il soit propre en votre demeure je n'en doute pas.Elle s'exécuta donc.Je ne peux que constater l'élégance et là encore, la simplicité de votre ameublement dans cette pièce. Naturellement reposant, pas de couleur prompte à vous déclencher une conjonctivite, pas de tentures ridicules ni d'espace surchargé … on croirait presque qu'il s'agit d'une chambre de jeune vierge.

Installée sur le rebord du lit, ses longues jambes pendant dans le vide, elle détacha le ruban blanc qui retenait sa chevelure cendrée. Elly les avait portés bien plus longs, et bien plus blonds mais son éloignement – son exil spirituel – de plusieurs mois l'avait transformée très rapidement. Ses cheveux avaient perdu la couleur des blés, teinte de l'innocence et du renouveau, son regard gris acier était devenu plus brillant, plus profond. Elle avait perdu un peu de poids, par la force de longues marches et de repas peu consistants – non pas qu'elle en ait eu besoin, mais c'était un fait – et sa peau très pâle, voir blanche autre fois, bien que restée opaline, s'ornait à certains endroits d'une couleur agréable dénommée bronzage. Son visage et ses bras notamment, affichaient encore un léger hâle en ce début d'hiver. Sa chevelure donc, comme nous le disions, avait été coupée au niveau des épaules, au cours d'un combat singulier contre d'étranges bestioles au pays du feu. Doux et souples, ils n'étaient pas totalement raides, ni clairement ondulés, mais on aurait pu croire qu'un léger mouvement délicat leur avait été donné par un habile coup de brosse.

La jeune femme regarda à sa gauche, passant sa main sur les draps. Il s'agissait d'un tissus qu'elle n'avait jamais eu l'occasion de toucher … une texture à part, extrêmement soyeuse.

- En quoi sont-ils faits ? Albar ? Je n'ai jamais vu un tel tissus … je connais le satin, le cuir, le coton, le lin, et même quelques matières hybrides, mais ce n'est pas ça ...

Cette soirée se fondait définitivement sur la découverte de toutes sortes de choses, ce qui n'était pas pour déplaire à l'invitée.

A la réflexion, c'était une bonne chose qu'elle se soit redressée : l'avoir couchée ainsi sur lui ne l'aidait pas à se calmer. Elle s'était relevée - et j'irais même jusqu'à dire qu'elle allait bien, au vu des quelques phrases qu'elle prononça. Ses commentaires sur la chambre lui plurent, enfin, plus que des commentaires, c'étaient plutôt des compliments. Le bon goût n'était peut être pas de mise dans sa personnalité (si ce n'est dans ses costumes qu'il choisissaient avec soin et faisaient tailler sur mesure, notamment à cause de leur coupe très particulière : du côté droit, le tissus de la veste descendait assez bas, jusqu'à mi-cuisse, tandis qu'à sa gauche, là où était ceinte sa rapière, le pan ne descendait justement pas plus bas que son bassin, afin qu'il puisse aisément s'en saisir. Cela avait également pour effet de la rendre parfaitement visible, ce qui était à la fois utile lors de la vie de tous les jours - la rapière étant l'arme distinguée par excellence - et aussi en présence d'individus agressifs, qui, c'est évident, fixaient toujours leurs regards sur ce bout de métal à la garde ondulée et à la lame fine), le bon goût disais-je avant de digresser de la sorte, n'était peut-être pas de mise dans sa personnalité, mais il était évident qu'il avait quelques notions d'élégance et surtout, surtout, de confort. C'était là la chose qu'il prisait par dessus tout. Ainsi, les chambres en particulier étaient le plus confortable et chaleureuses possibles, avec notamment un plancher en bois et des poutres apparentes au plafond, des murs de grès peint dans un mélange de marron et de rouge pour l'aspect chaleureux, et le grès parce que le granite est une pierre bien trop glaciale. Quant aux draps...

"C'est là la seule chose qui puisse être considérée comme fastueuse en ces murs : c'est de la soie. Comme vous l'aurez compris, je privilégie le confort avant tout, et je ne connais que peu de choses de plus confortable que de se laisser tomber de sommeil dans un chambre chaleureuse dans des draps de soie fine. Vous dormirez mieux qu'une reine cette nuit : votre lit n'est certes pas d'or, mais au moins le bois est moins froid au toucher. Puisse cette chambre vous procurer toute la chaleur dont vous nécessitez."

Lorsqu'il prononça cette phrase il eut alors une autre interprétation qui lui vint en tête, et force est de constater qu'il la trouvait très plaisante. Plus les instants passaient plus tous deux étaient proches, et plus il avait envie de continuer à s'approcher d'elle. Il avait toujours été sensible à la beauté des cheveux d'une femme, et ses cheveux mi-longs lui plaisaient beaucoup, même si il les aurait aimé plus longs encore. Sa peau claire, mais pas pâle, belle et satinée lui donnait envie de passer ses mains sur elle. Ses longues - que dis-je? Interminables - jambes ne faisait que faire monter en lui cette envie, et cette main effleurant les draps avec délicatesse, chose pourtant assez banale, ne put que le pousser à s'enhardir un peu plus encore. C'est ainsi que, doucement, il posa sa main sur la sienne.

"Depuis que vous êtes ici je m'efforce de vous traiter avec toute l'honnêteté du monde. Dans ce même soucis de sincérité je me dois de vous dire que vous ne me laissez pas indifférent, bien loin de là. Votre corps semble rayonner de beauté, criant à la splendeur, mais j'ai bien peur d'être tant enivré par vous que je n'ai plus conscience de grand chose, à part de vous, de cette pièce, de ce lit. Pardonnez mon hardiesse mais malgré tout ce que votre corps peut dire, je ne peux me sortir de l'idée qu'il m'appelle ou du moins, peut-être, que c'est moi qui meurs d'envie de lui répondre. Et j'ai bien peur que si vous ne m'arrêtez pas, je risque de céder à ce besoin impérieux."

Sur ses derniers mots, il s'approcha doucement d'elle, de plus en plus près, attendant qu'elle le repousse ou le laisse faire.

De la « soie » ? Elly en avait effectivement entendu parler, mais jamais elle n'avait eu l'occasion d'en toucher de ses propres mains, peut-être était-ce parce qu'elle ne vivait / passait que rarement dans des lieux luxueux, pour une raison évidente, sa vie itinérante. Pour être ce que le Maréchal semblait appeler « faste », l'elfe trouvait qu'il s'agissait pourtant d'une chose fort noble, bien qu'elle en ignorât totalement le procédé de fabrication. D'ailleurs, elle n'avait nullement entendu parler d'une plante à soierie … peut-être était-ce d'origine animale ? Mais là également, la sylvaine n'avait jamais croisé ou combattu de bête au poil assez doux, pour en être ainsi volontairement dépouillée. Elle hocha simplement la tête, en signe d'enregistrement des informations. Alors qu'Elly reportait enfin son attention sur son hôte, celui-ci s'était sensiblement rapproché d'elle, et avait déposé sa main sur la sienne …

-Maréchal vous ... Mais Albar, de sa voix suave et personnelle avait déversé un flot d'habiles paroles qui la firent trembler clairement dès les premiers mots, et elle en avait la chair de poule, le poil – inexistant – hérissé.  

L'hôte se rapprochait, lentement, subrepticement, mais implacablement. Elly le suivit silencieusement du regard, un rayon de lune éclairait faiblement le profil du Maréchal, bel homme, gracieux et agréable, intelligent mais humble … il était en un mot, irrésistible. De plus, l'alcool qu'elle avait ingéré l'empêchait de raisonner avec impartialité, elle était infiniment plus à l'écoute de son corps que de son esprit sagace. Les doigts de sa main droite allèrent insidieusement s'enrouler autour de la garde de la rapière ceinte au côté gauche de son antagoniste, puis elle dégagea la lame avec le plus de douceur et de souplesse possible avant d'incliner son poignet, apposant le « dard » de la fine épée de duel, contre la pommette de son propriétaire au moment où son front s'accolait au sien. Son regard argenté planté dans les sombres prunelles d'Albar, elle murmura à son attention …

-Déposez-donc les armes … mon général

La lame fraiche et solide glissa langoureusement contre sa joue, sans y laisser de trace bien entendu, et la jeune femme l'abandonna sur l'épais tapis, tandis qu'elle enroulait ses jambes autour du bassin du Maréchal en l'attirant délibérément à elle, autorisant tacitement ses lèvres à rejoindre les siennes. Son corps entier se cambra à ce contact, tant désiré depuis de longues minutes – le début du diner ? -, puis elle laissa ses mains dévêtir et caresser avec tendresse la peau, douce de façon inattendue, de celui qui serait « le seul » pour la nuit – et pour la nuit uniquement, mais on y reviendra – le Comte Tlassin. Ni lui, ni elle n'avaient choisi ce qu'il se déroulait en cet instant, c'était instinctif, primaire, presque obligatoire, et plus probablement encore pré-écrit …

Le temps s'écoulait de manière étrange, tantôt rapidement, tantôt en suspens, dans la chaleur moite de la chambre à coucher. De la buée commençait à se former sur l'unique vitre de la pièce, et la bougie placée sur la table de chevet se noyait désormais dans son propre aliment. Le dos d'Albar, en sueur, était strié presque graphiquement de trainées roses – pas rouges, ce n'est pas une furie - laissées par les ongles d'Elly sur sa chair. Son cou quant à lui était orné de quelques traces de lèvres ayant mordillé ou suçoté trop longtemps. Les pupilles de la sylvaine étaient intensément dilatées, presque noires, ses mouvements en général semblaient ralentis, sa chevelure avait perdu sa forme originelle, mais elle restait belle. Pour faire simple, l'acte d'amour la rendait « belle », et Albar s'y prenait merveilleusement bien.

Se sentait-il un peu coupable de s'être ainsi laissé emporter, et d'avoir profité de la sorte de ce que l'on pourrait appeler un moment de faiblesse de son invitée? Après tout elle avait eu une longue journée, était exténuée et en partie sous l'emprise su spiritueux, alors on pouvait dire sans trop s'avancer qu'elle n'était pas au meilleur de sa forme ce soir là. De même, son propre emportement à vouloir consommer l'amour avec une elfe rencontrée le matin même avait de quoi paraître surprenant et extraordinairement déplacé. Mais aucun de ses deux points ne le gênaient, notamment parce qu'à cet instant là il était bien trop enivré pour y penser, mais même par la suite, après cet acte qui fut, dans tous les sens du terme, unique, il ne se sentit nullement coupable de quelque façon que ce soit. En effet, étant athée, il va de soi que les traditions qui obligeaient à rester chaste avant le mariage ne l'atteignaient nullement. De même, il avait appris que ce genre de chose était tout bonnement la meilleure source de plaisir physique, et souvent psychologique, de ce monde, alors se priver de ces longues minutes de bonheur était véritablement criminel. En ce qui concerne sa faible connaissance de sa partenaire, il ne se l'expliquait pas, mais il ne chercha pas non plus d'explication. Pour la différence des races il est tout simplement évident que cela ne posait aucun problème, et enfin, en ce qui concerne le fait qu'elle ne soit pas en pleine possession de ses moyens... A sa décharge, lui aussi était enivré, après tout.

Mais quoi qu'il en soit il était à peu près sûr que jamais il n'oublierai cette incroyable nuit, se souvenant de tous les détails, des cheveux rapidement ébouriffés de la belle Elly, de sa peau douce et moite, de toutes les courbes de son corps qu'il n'avait cesser de caresser. Il n'oublierai jamais la fougue de ce moment, ses ongles le griffant dans le dos, le piquant délicieusement, la sensation de leurs deux corps nus enserrés dans une frénétique étreinte... Il n'oublierai pas un seul instant de cette folle nuit d'ébats, de leurs mots presque inexistants et pourtant de tout les sons proférés par leurs lèvres lorsqu'elles n'étaient pas accolées. Et jamais il n'oubliera quand elle s'est endormie dans ses bras après, et qu'il n'avait pas tardé à la rejoindre dans les bras de Morphée, cette fois, revivant ces instants dans ses rêves, et pourtant les trouvant moins réels à ses yeux que la réalité.

Il se réveilla le lendemain matin, tout engourdi, et constata avec un sourire qu'elle était restée dans ses bras. Mais là, tandis qu'il attendait son réveil, il se posa de nombreuses questions, et la plus importante était : et maintenant? Est-ce qu'ils pourraient se permettre de se mettre ensemble alors qu'ils allaient être des membres dirigeants d'une immense armée. Si jamais un violent désaccord de leur vie privée survenait, seraient-ils capables d'agir pour le mieux comme ci de rien n'était? Avec ironie il se dit que la situation aurait sans doute été moins problématique si ils avaient été dans deux camps opposés. La solution la plus logique et rationnelle voulait que cette nuit soit la première et la dernière. Après tout, se força-t-il à penser, c'était un simple moment de passion effréné, et voilà tout... Evidemment lui même n'y croyait pas un mot, mais il tentait de s'en convaincre.

Il fallait qu'il parle de ça avec elle avant tout de toute façon. Il passa sa main dans ses cheveux, afin de la réveiller doucement.

La nuit de sommeil à proprement parler n'avait pas été bien longue, mais son contenu avait largement rechargé l'énergie vitale essentielle au corps et à l'esprit de la marcheuse. Un repos sans songes ni cauchemars, parce que le rêve, elle l'avait pleinement vécu avant de sombrer délicieusement dans les draps de soie fine. Elly avait relevé ses jambes contre son ventre, sans le toucher toute fois, en position fœtale. La couverture tirée sur la poitrine un bras posé par dessus, l'autre replié sous son oreiller, elle dormait paisiblement … sa chaleur gardée vivante par le corps masculin qui s'éveillait dans son dos. Albar s'était redressé, et lui caressait doucement les cheveux. Apaisant et idéal réveil. Le premier mouvement d'Elly n'en fut pas un, elle entrouvrit simplement les yeux, son regard ravivé par la lumière du jour qui pénétrait dans la chambre avec douceur.

Elle se souvenait très nettement de tout bien entendu, de la divine soirée, de la nuit parfaite, de ce qu'ils avaient fait ensuite avec envie et élancements successifs de fougue et de passion. La jeune femme savait aussi qui ils étaient respectivement, ce qu'ils seraient l'un pour l'autre dans l'avenir, car contrairement à ce qu'il aurait pu se produire, comme confusion insidieuse en son esprit – heureusement tel n'était pas le cas –, tout était intimement clair en son âme. Le silencieux bilan établi, la jeune femme se passa une main sur le front et détendit ses longues jambes, avant de basculer lentement sur le dos puis sur sa droite, venant poser son petit nez froid contre le torse de son hôte, enlaçant son buste de son bras gauche. Il sentait bon, même après un certain nombre d'efforts physiques. Sa peau inhumaine n'avait pas le parfum « musqué » de l'homme lambda, c'était une senteur plus fraiche, plus naturelle, plus froide. Elle s'en imprégna un bref instant, effleurant la peau de son dos du bout des doigts, puis leva son regard vers le sien, et ce qu'elle y lut, elle s'y attendait.

- Je sais, Albar. Dit-elle doucement avec un léger sourire.- Je dirais même, nous le savons tous les deux. Elle serra son corps un peu plus fort, ils devaient tout mettre au clair maintenant, même si la base était déjà établie. Ils partaient sur une très bonne base, et aucun conflit ne semblait être possible.Sache que je ne regrette pas, que j'ai passé une nuit merveilleuse. Elly déposa un petit baiser sur le bras du Daeva.Je crois, peut-être à tort, mais il me semble que, pour un esprit logique et je ne doute pas que le tiens le soit, pour conserver éternellement ce souvenir intact, lisse et parfait, il ne doit plus se matérialiser de nouveau. Elle tressaillit et s'empressa d'ajouterBien entendu ce n'est pas une histoire de volonté, et là c'est moi qui serais très directe, mais si c'était à réitérer, je m'offrirais de nouveau. Non, nous le savons c'est au delà de ça.L'elfe releva son regard vers le sien, elle ne le laissait pas parler, mais Albar avait le verbe facile et pour une fois, elle prenait les devants. Intimement convaincue que s'il ne pensait pas la même chose, du moins n'était-elle pas loin du centre de la cible.Oui, ce que je ressens pour toi est définitivement au delà de l'amitié, mais en si peu de temps ce n'est pas un sentiment amoureux. Alors ce que j'aimerais, immédiatement, et plus que tout, c'est conserver cette force de lien, pour toujours.

Quelques furent les circonstances, la gardienne savait mentir, ou comme dans le cas présent, être d'une sincérité sans borne. Le plus étrange dans tout cela, c'était qu'aucune blessure ne pouvait s'ouvrir de telles circonstances, tout était dit, limpide, puissant, intelligent. Ils allaient probablement opter pour la meilleure chose à faire, la solution qui apporterait le bonheur à chacun, et la sûreté également. Non, décidément, il n'y avait pas de quoi regretter leurs actes …

Elle avait raison sur toute la ligne. Il avait commencé à penser à tout ça avant qu'elle n'en parle, et il avait réussi à évoquer grosso modo tout ce qu'il avait pensé à dire. Elle avait voulu prendre les devants, contrairement à hier soir, et il ne put s'empêcher de penser que si elle l'avait fait, c'était justement pour marquer la rupture avec cette délicieuse soirée et nuit de la veille. Tous deux éprouvaient visiblement la même chose : un grand sentiment de félicité, ne regrettant aucune des choses qui se sont passées la veille, bien au contraire, il les avait pleinement savourées, et avait l'impression de ressentir tout cela encore. Ils se souvenait de l'avoir tenue dans ses bras, leurs deux corps nus emmêlés étroitement, ainsi que beaucoup d'autre choses que la décence m'empêche d'évoquer en détail ici. Mais tout cela restait bien clair dans son esprit, les images et les sensations bien nettes, nullement oubliées ou obscurcies par la nuit de sommeil.

Il la tenait dans ses bras, laissant un doux silence s'appesantir entre eux, tandis que sa main parcourait doucement son dos, pour la caresser avec tendresse. Étais-ce de l'amour? Avec toute l'objectivité, la réponse était "absolument pas". Un sentiment amoureux ne pouvait naître ainsi, mais en revanche, il est plus que clair qu'elle ne le laissait pas indifférent, et que ce n'était pas purement physique. Elle était charmante, agréable, intelligente, audacieuse, sûre d'elle, forte, etc... Autant d'adjectifs qui pourraient être énumérés par dizaines sans s'arrêter.

Après quelques tendres minutes, il lui répondit enfin.

"Que puis-je ajouter? Si ce n'est que tu as complètement raison, sur à peu près toute la ligne. Je suis entièrement d'accord avec toi, et je n'aurais pas mieux dit. Et la première chose qu'il convient d'ajouter, c'est que je ressent pour toi à peu près la même chose que toi à mon égard : cet espèce de coup de foudre étrange, qui n'est pas amoureux, mais bien au delà de l'amitié. Il y a une indiscutable attirance physique - qui ne serait pas attiré par une femme au corps aussi parfait, aussi enivrant, plus qu'elfique - et je ne te cache pas, même si j'en ai honte, que je ressent une espèce d'honneur à t'avoir ainsi dans mes bras. Mais il n'y a pas que cela, loin de là. Tu es une femme exceptionnelle, une elfe exceptionnelle si tu préfères. Je ne sais pas ce qui te touches le plus, mais ça reste vrai dans les deux cas.

Je comprends que nous devions nous contenter de ce moment de passion d'une nuit, le jour où cet instinct charnel nous a saisi, après que j'ai pu apprécier tout le reste de ta personne, même si je n'ai nullement la prétention d'avoir appréhendé ne serais-ce qu'une infirme partie de ta personnalité. Je n'ai qu'une seule chose à rajouter, sans doute affreusement maladroite, mais voici : je ne puis m'empêcher de regretter la brièveté des moments de bonheur - oserais-je dire d'extase? - que nous avons ressentis cette nuit, et à cet instant précis, sentir ton corps nu contre le mien, même lors d'un contact si tendre, ne me laisse, j'en ai peur, pas indifférent.

Cependant, nous venons de prendre une décision, et voici ce que je me contenterai de dire cette chose ci, moins réelle physiquement, mais signifiant à mes yeux tellement plus : nous ne pouvons nous aimer, ni faire quoi que ce soit de lié à l'amour entre nous, mais saches que je te serai toujours un allié fidèle, plus que n'importe qui d'autre si j'ose dire. Si tu éprouves le moindre soucis, le moindre tourment, même si cela n'a rien à voir avec ton alliance d'or - que dis-je? Notre alliance désormais - tu trouveras toujours en moi une oreille amicale et dévouée."

Disant cela, il l'embrassa doucement sur le front en lui caressant le visage. il n'était pas triste, ni spécialement heureux. Il se sentait bien, c'est tout.

Elle l'avait écouté comme lui même l'avait précédemment fait, avec respect, envie et intelligence. Rien de ce qui avait été dit n'avait pas été pensé, le plus infime mot demeurait sincère et clairvoyant, rendant l'ensemble de l'accord extrêmement pur et solide. Tel un diamant brut. Lorsque le général l'embrassa sur le front, elle se rendit tout de même compte que celui qui avait toujours été une évidence pour elle – Eliaz, l'humain – n'était en fait plus rien à ses yeux. Ses absences répétées avaient effacé à elles seules, toute trace de sentiments en son cœur, il était pour ainsi dire passé, avait donné un premier sens à sa vie, puis venait de disparaître totalement d'icelle. La sylvaine resserra un instant ses doigts fins autour du poignet du daeva, peut être au fond ressentait-elle d'avantage qu'elle le lui certifiait alors, mais il existe des non dits qui se doivent de le rester, envers et contre tout.

Un rai de lumière matinale vint illuminer son visage au teint opalin, mais ses beaux yeux gris acier irradiaient, eux, d'une chaleur toute particulière. Elly était un membre du peuple sylvestre à n'en pas douter, incroyablement froide, en plus de paraître inflexible en toute circonstance, dès lors chaque instant intime partagé avec elle s'entourait d'une aura intensément palpable, comme un goût de « reviens y ». Mais il était temps de rompre la magie … il y avait encore du pain sur la planche pour constituer le corps armé de l'alliance d'or, et bien que la mission s'achevât dans sa partie primaire, elle se devait de la mener à bien jusqu'au bout, elle, l'instigatrice de ce nouveau mouvement populaire. Après une telle nuit, la pudeur n'avait plus sa place entre l'elfe et le noble humanoïde, aussi ce fut sans emporter les draps qu'elle s'arracha souplement à son étreinte masculine. Ses longs cheveux cendrés tombaient en cascade sur ses épaules musculeuses, ses longues jambes sculpturales la menèrent sur le chemin parsemé de leurs vêtements ôtés la veille. Elly s'approcha d'une vasque, y versa de l'eau et s'aspergea le visage avant de s'enrouler dans une petite serviette qui dormait là. Juste de quoi masquer sa nudité le temps de retrouver sa combinaison qui, depuis le temps avait dû être lavée, séchée, parfumée avec soin. Assise sur une chaise au bas dossier, elle démêla ses cheveux avec le seul peigne se trouvant sur la coiffeuse, avant de les nouer en une queue de cheval haute.

Lorsqu'elle ouvrit la porte, son regard tomba immédiatement sur ses vêtements et ses armes qui avaient été soigneusement déposés sur un guéridon dans le couloir. S'emparant du paquetage, elle daigna passer derrière le paravent de la chambre afin de se rhabiller. Lorsque se fit entendre le fin sifflement des lames regagnant leurs fourreaux entrecroisés, la gardienne s'estima fin prête. Albar avait quitté la pièce depuis déjà quelques minutes alors qu'elle s'approchait du lit défait par leurs ébats. Elle remarqua qu'un morceau du drap de soie avait été déchiré et qu'un trou amochait l'étoffe. Sans vergogne, elle en arracha une bande encore imprégnée du parfum si inédit du daeva, morceau de tissus vulgarisé qu'elle glissa sur son cœur à l'intérieur de sa combinaison, se promettant de lui trouver une utilité prochaine, et pour se faire de lui donner meilleure forme, un souvenir peu commun, dont elle comptait s'orner dès que son souhait serait exaucé.

Remontant la glissière sur sa poitrine, Elly regagna le salon où ils avaient diné en tête à tête. Il y flottait un doux parfum de cire fondue, de chaleur humaine, et une légère touche d'agrume témoignait d'un dessert qui n'avait pas été terminé, et dont les zestes étaient restés un certain laps de temps éparpillés sur la table désormais immaculée. Elle attendit, dans le silence, quelque peu perdue dans ses pensées, les prunelles posées sur une porte-fenêtre entrouverte … la sylvaine sentait des élans de liberté pulser dans ses veines, emportée par son instinct, elle se glissa sur le balconnet qui donnait sur la cour en contrebas … il ne suffisait désormais plus que d'une petite course élancée, et elle sortirait de la demeure du maréchal sans l'avoir revu. Lui et sa prestance, son visage dores et déjà gravé en elle, sa voix résonnant dans sa tête, et tout le reste … mais alors qu'elle se trouvait debout sur la rambarde, entrouvrant les bras pour amorcer son saut de l'ange, calculant infailliblement la trajectoire de sa chute prochaine, la gardienne entendit le froissement sur le carrelage d'une porte habilement isolée du froid par de petites franges, que l'on pousse pour entrer … tout autant que pour sortir.

Il s'en était fallu de peu … pour qu'elle parte sans dire "au revoir".

[HRP : dimanche 12 février pour le dernier post d'Elly? Bigre, ce RP date d'il y a déjà un an... Cependant, si je poste aujourd'hui, c'est pour le finaliser officiellement, lui apporter une conclusion afin qu'il puisse être classé]

S'il avait été à sa place, Albar aussi aurait sans doute préféré partir sans avoir à subir un nouveau dialogue lourd de sens et de restrictions à venir. Lui même, l'ayant vue sur le point de s'envoler, hésita à l'interrompre. Tout aurait été tellement plus simple s'il était juste resté au loin, silencieux, contemplatif et certain que tout avait déjà été dit et répété, que plus aucune question n'était à poser. Peut-être état-ce d'ailleurs le cas. Mais il ne pouvait juste la regarder partir en restant ainsi oisif.

"Tout s'est passé si vite depuis hier, il serait dommage de continuer à hâter les choses alors que nos routes se séparent"

Il avança jusqu'à elle, et s'accouda à la rambarde sur laquelle la belle et fière elfe était perchée, laissant se regard se perdre dans le paysage. Le vent lui caressait le visage avec douceur et tendresse, comme la main d'une mère passant sur les yeux de l'enfant en proie au doute qu'il était. Car il l'était. Et le moindre petit réconfort était bon à prendre, même s'il le trouvait dans une simple brise.

"Cette maison appartenait au précédent maréchal, raconta Albar à l'horizon. Abraham, un très bon ami à moi, mort lors de la Guerre Froide. Il avait l'esprit vif, et il respirait un doux parfum de bonté qui vous réconfortait toujours. Quand on m'a donné cette maison après ma nomination à ce poste, j'ai fait quelques aménagements : l'isolation, la vente des oeuvres d'art les plus coûteuses et les plus inutiles, etc... Mais à dire vrai, si j'ai changé beaucoup de choses dans l'apparence, dans la douceur, dans le confort dans la maison, l'esprit qui y vit est celui qu'Abraham avait instauré. Accueillant. Chaleureux. Humain en somme. C'est un endroit que tout le monde aimait visiter. Tout ce que j'ai fait, c'est corriger les quelques défauts qu'elle avait pour en faire le plus doux et le plus agréable des foyer.

Chacune de ces pièces est chargé de souvenirs. Une tache de jus de viande ici, une petite brûlure là, un fauteuil aillant subi les assauts des griffes d'un chat, etc... Je commence seulement à me l'approprier. Et je suis heureux que certains souvenirs soient de toi à présent", ajouta-t-il en la regardant dans les yeux.

Il était inutile de parler à nouveau de ce qu'ils devaient faire, de ce qui avait été fait. Tous deux le savaient à présent. Maintenant, il fallait juste que chacun se sépare et mène sa vie. Ils seraient amenés à se revoir dans le cadre de l'alliance d'or. Si quelque chose entre eux devait naître, alors ils aviseraient. Mais pour le moment... Il fallait que chacun retourne dans son nid. Seul. Ils avaient besoin de recul...

Il posa la main sur son genou l'espace d'un instant. Il aurait aimé la poser sur la sienne, mais l'elfe était encore accroupie, prête à bondir. Il s'éloigna de la rambarde et dit dans un murmure, avant de se retourner et de rentrer chez lui :

"Envole toi bel oiseau."