Le jeune homme s’adossa au mur de l’auberge, l’oreille tendue en direction d’un petit groupe de personnes positionnées en cercle, toutes vêtues de riches habits en soie. Des bourgeois, des gens de la « haute » ! Il n’était pas rare d’en croiser dans ces quartiers très fréquentés par la populace ; ces gens sont de nature à aimer se faire voir, et même s’ils passaient presque inaperçus au milieu de la foule, on pouvait néanmoins les repérer avec facilité à l’aide d’un œil observateur.

« N’est-ce pas ? Je vous avais dis que c’était une idée parfaite pour faire la promotion de nos produits. Quoi de mieux qu’un bal costumé, pour exposer nos merveilles de couture ? On en reparlera encore dans des semaines, je vous l’assure ! »

L’information tant attendue venait enfin d’être filtrée de la conversation. Un bal costumé ? C’était donc là que Léandre trouverait la personne qu’il traquait depuis maintenant plusieurs jours ? Intéressant… Se déguiser était devenu pour lui une vrai coutume désormais, cette soirée ne lui poserait aucun problème !

« Ce soir, 20h. Nous partirons ensemble. Nous devrions arriver rapidement, les invités seront sans doute déjà là. N’oubliez pas vos convocations, mes amis ! »

Parfait ! Parfait ! Tout le nécessaire venait d’être dit. Oui, mes amis. 20h, chose promise !





« Ah, vous voila enfin ! On n’attendait plus que vous ! Original, votre costume… D’où vient-il ? »

Léandre resta muet. Sa voix n’était pas comparable à celle de l’homme qu’il venait d’assassiner froidement, dans une ruelle non loin de là. Il se contenta de fixer les quatre personnes en face de lui, qui sourirent de plus belle en croyant qu’il jouait un rôle jusqu’au bout. Sa tenue de guilde était parfaitement associée au thème de la soirée, ce qui l’arrangeait particulièrement… L’occasion rêvée de revendiquer des attentats et crimes tout en passant inaperçu !

« Je comprends, mon cher Claude. Tu es un comédien hors pair, j’en ai la chair de poule. » L’homme lui adressa un sourire amical, pensant toujours avoir affaire avec son ami. « Bien, allons y ! Ce serait tout de même loquasse que les organisateurs soient en retard à leur propre fête ! »

Les autres rirent, et Léandre les imita, pour ses propres raisons.

Il était le seul à savoir que deux assassins s’étaient invités à la fête ; il était le seul qui dirigeait réellement cette soirée.

Une fois arrivés sur les lieux, les amis se dispersèrent dans différentes directions afin de saluer les invités. Beaucoup de personnes étaient présentes, l’événement semblait avoir fait parler de lui ! Que demander de mieux ? Plus il y aurait de témoins, plus l’assassinat prévu cette nuit serait merveilleux et réussit. Son regard parcourut chaque individu présent ici, homme ou femme, jeune ou vieux. La plupart étaient masqués, mais rien de bien particulier. Lui était réellement le seul à cacher l’intégralité de son visage, ce qui lui permettait de se démarquer un peu des autres.

« Bien le bonsoir, mes amis ! Nous sommes ravis de vous accueillir à notre Bal costumé, amusez-vous et profitez de la nourriture et des boissons, ainsi que de nos splendides costumes ! »

Parfait. L’organisateur principal venait sottement de commettre une grave erreur, à savoir, de livrer son identité à son assassin. Léandre tourna alors la tête pour observer le comportement du public, et n’aperçut qu’une seule jeune femme qui se démarqua du lot, restant concentrée sur sa proie… Il la fixa quelques secondes, puis s’incrusta dans la foule avant de disparaître. De longues minutes passèrent, puis des cris se firent entendre, ainsi que le bruit du fer tombant au sol.

« Il y a un assassin parmi nous !! ECARTEZ-VOUS TOUS !! »

La voix de Léandre avait percé par delà les cris des femmes. Bousculant les invités sur son passage, il avança avec assurance et s’arrêta en face de Milvia.

« Personne ne partira d’ici sans nos ordres. Je vais faire appeler la garde. Surveillez vos voisins, le tueur est sans doute encore parmi nous… »

Intéressant… Son pouvoir était donc semblable à celui d’un hypnotiseur ! Cette femme, Milvia, serait un atout parfait dans leur camp si elle acceptait de les rejoindre. Et pour ce faire, Léandre avait déjà sa petite idée !

« Je me le demande aussi, Milvia. »

Improbable qu’elle l’ait reconnu sous son masque : il était le commanditaire de son contrat ! Un sourire apparut sur son visage mais personne ne put, bien entendu, s’en apercevoir. De toute manière, les gens étaient bien trop occupés à observer le tueur, qui reprenait peu à peu ses esprits…

« Mais… Mais, mais qu’est-ce… Non, non pitié, je n’ai rien fais ! »

Léandre se retourna, sans pour autant rejoindre le regroupement. Il désigna à la jeune femme un autre homme costumé du doigt, puis parla – volontairement – à voix haute, afin que tous puissent l’entendre malgré tout les bruits avoisinants …

« Hypnotises celui-ci … »

La plupart des invités l’avaient entendu, et se retournèrent, aussi surpris qu’intrigués. Il se répéta, et quelques personnes hurlèrent des paroles similaires qui fixe l’attention sur eux. Léandre se tourna vers elle et approcha ses lèvres de ses oreilles, de la même manière qu’elle quelques secondes auparavant.

« Maintenant, sors nous de ce pétrin. Des gardes sont postés à toutes les sorties, et d’autres viendront bientôt… Utilises tout ce que tu as : je n’ai aucune arme sur moi, je ne serais d’aucune utilité ! »

Tu te fiches de moi ;
Mais ça ne me dérange pas.
Tu veux me tester ;
Veille à ne pas le regretter.

Tiens donc ... Il connaissait mon nom. Mais moi, je ne pouvais pas le reconnaître. Son masque m'en empêchait. Mais qu'importe puisque je le saurai bien assez tôt. L'homme que j'avais hypnotisé peu de temps avant venait de se réveiller. Il était paniqué et clamait son innocence. L'homme masqué se tourna vers un autre et me demanda - assez fort pour que tout le monde l'entende - d'hypnotiser la personne qu'il me montra. Génial. Et maintenant qu'il avait averti tout le monde, c'était à moi de nous sortir de là. Puisqu'il n'avait pas non plus d'armes sur lui. Bon, à moi de jouer ! J'hypnotisais assez facilement la cible qu'il m'avait demandé. Une autre âme faible ... Je la fis venir vers moi tout en sortant ma dague. Je pris doucement l'homme par l'épaule droite avant de lui glisser lentement la lame métallique sous la gorge. Je me mis à avancer vers la foule ; le tenant comme ça. Puisqu'ils m'avaient tous repérer, autant y aller franco et sortir le grand jeu. De toute façon, c'est ça ou je me fais coincer. Je regardai les gens aux alentours avant de me mettre à parler sur le ton froid que j'utilise lorsque je suis sérieuse et que mon instinct reprend le dessus :

« - Bien. Le premier qui bouge ; qui appelle à l'aide ou qui tente un geste aussi vain qu'inutile ... Je lui tranche la gorge. Croyez-moi, je n'aurais aucun regrets et aucun remords à le faire. Si vous ne voulez pas que quelqu'un d'autre ne meurt. Je vous conseille de rester sagement à votre place ... »

[Fini ! ~]

Milvia optait donc pour une solution de facilité ? Menacer simplement une personne en lui mettant le couteau sous la gorge, et s’en servir comme otage en espérant que les gardes -connus pour être d’une cruauté sans pareille - dédaignent attaquer ? Elle venait de le décevoir... Il soupira, sans se faire entendre, puis passa à une vitesse impressionnante derrière l’assassine, dégainant une dague précieusement cachée dans son manteau. Le mensonge faisait partis des atouts d’un bon meurtrier ! Il plaqua l’arme sous la nuque de la demoiselle, puis passa son bras inoccupé autours de sa taille, la plaquant contre lui ...

“Je la tiens... Appelez la garde avant qu’elle ne tente de tous nous hypnotiser !”

Tandis que la foule se bousculait et que quelques hommes disparaissent au loin, Léandre rapprocha ses lèvres du cou de sa partenaire, puis laissa échapper un rire audible par elle, et elle seule. Il lui murmura des mots, simples, efficaces, qui expliquaient à la lettre le pourquoi de cette « réunion ».

“Léandre, de Lune Sanglante. Tu as été choisie pour nous aider à rétablir la paix sur ces terres, nous avons besoin de personnes compétentes, c’est pourquoi j’ai monté ce scénario de toutes pièces. Parmis ces gens, il y a beaucoup de nobles qui ont juré fidélité à Aile Ténébreuse, que dirais-tu de les envoyer croupir en enfer ?”

Son plan était simple : attendre la venue des gardes, et compter sur les talents de la belle pour s’improviser une “armée” qui se salirait les mains à leur place. Il espérait qu’elle puisse y parvenir, car 5 gardes lourdement armés approchèrent à grande vitesse, épées à la main !

“Ne bougez plus ! Lâchez tout les deux vos armes, nous vous embarquons !”

Elle avait du cran pour oser lui demander de se battre à sa place ! Mais après tout, il était compréhensible qu’elle souhaite avoir un aperçu de ses talents avant de consentir à le rejoindre. On ne suit pas de but en blanc un inconnu dont on ne connait rien, pas même la force ! Le problème ici, c’était qu’il n’y avait pas vraiment d’adversaires capables de rivaliser avec sa lame et, par conséquent, pas de possibilités de lui démontrer ses capacités au combat ...

« Si tu me le permets, j’aimerais que tu me fasses confiance et que tu me suives sans broncher. Il n’y a ici rien qui puisse faire office de cible pour ce que tu me demandes, et qui plus est, je ne souhaite pas salir mes armes contre ce genre de personnes aujourd’hui. Séparons-nous, et retrouvons nous demain, 8h précise, aux portes de la ville. Je ne porterais pas ce masque, mais tu me reconnaîtras. »

Léandre fit quelques pas en arrière puis se retourna vivement, avant de s’éloigner en courant à une vitesse fulgurante, afin de ne pas être poursuivit ! Une fois éloigné de sa pièce de théâtre, il s’arrêta contre un mur et reprit son souffle. Il n’imaginait pas qu’elle puisse se faire capturer par les gardes de la ville, il ne se faisait donc aucun soucis pour elle. Dorénavant, il devait trouver un lieu calme ou il pourrait se changer et reprendre son apparence habituelle. Il se dirigea dans les quartiers peu fréquentés, habités essentiellements par la populasse sans le sou...

Quelques heures plus tard, il réapparut dans une auberge non loin de là, et s’y changea cet fois-ci les idées, en buvant une délicieuse pinte de bière. Il dormit paisiblement, puis une fois levé, fit un brin de toilette sur son visage pour y enlever la crasse incrustée. Quand il fut près, il se décida à partir. Léandre déposa quelques pièces sur le comptoir, puis prit la direction qui lui permettrait d’arriver rapidement au lieu de rendez-vous ... Il y surprit sa convive, s’approcha d’elle à pas lent, puis s’inclina avant de lui baiser la main.

« Beau début de journée, n’est-ce pas ? J’en oublierais presque le carnage qui a eu lieu hier ...»