Une Nymphe en mission [terminé]

Comme presque tous les matins depuis qu'elle était à Cardrak, le brouillard envahissait les rues de la ville forte alors qu'un léger crachin envahissait l'air, déposant des milliers de minuscules perles d'eau dans la chevelure de la Nymphe, l'humidifiant peu à peu. Ce jour là, Svelyana avait pris son courage à deux mains, et à peine le soleil levé, elle s'était mise en marche vers le chateau. Vêtue d'une simple tunique et d'un pantalon, chaussée de bottes montantes et enveloppée d'un chaud manteau à capuche, le seul soin qu'elle avait accordé à son apparence avait été de glisser un joli bijou elfique dans son opulente chevelure rougeoyante. Mani, la pie qui ne la quittait plus, perchée sur son épaule, elle s'estimait désormais suffisamment acclimatée à la ville et informée sur sa mission pour pouvoir la mener à bien. Enfin, elle l'espérait. Car elle était loin d'être une diplomate, ni même quelqu'un d'important. Elle était juste une petite Nymphe sortie de chez elle, faite Purificatrice en cours de route, et qui, elle même ne comprenait toujours pas trop pourquoi, se retrouvait porteuse d'une mission somme tout importante.

Cela faisait maintenant pas loin de deux semaines qu'elle se trouvait ici. Venue depuis Drayame accompagnée d'un Paladin de Yehadiel, ce dernier lui avait confié sa mission avant de disparaitre, la laissant quelque peu désemparée, voire même complètement paniquée face à la mission qu'il lui laissait. Elle s'était surtout sentie extrêmement seule,  perdant soudainement celui qui avait été son compagnon pendant de nombreuses semaines. Mais une brève correspondance avec Alyna, membre de l'Ordre et la rencontre de Lirissa l'avaient quelque peu rassurée. C'était toutefois avec une certaine appréhension qu'elle gravit les massives marches menant au château. Cet édifice imposant, tout de pierre noire et dure impressionnait toujours autant Svelyana, peu importe le nombre de fois ou elle l'observait. Les bannières aux couleurs de Cardrak claquaient dans le vent qui ne cessait jamais ici. Son murmure ne lui était plus aussi étranger, elle commençait à saisir les bribes de mots qu'il voulait bien lui laisser. Ici, la brise parlait de la force et du courage des hommes des Glaces, de leur fierté. Elle lui confiait les caprices de la mer et des éléments... Tout était si différent de ce qu'elle avait connu jusqu'ici, de la douceur de Drayame...

Ses pas la menèrent jusqu'aux lourdes portes métalliques condamnant l'accès au château, gardées par les fiers soldats en faction. Prenant une grande inspiration pour se donner du courage, la demoiselle se planta devant l'un d'entre eux, qui fut bien obligé de baisser les yeux sur elle. Face au géant armé qui la toisait d'un air dubitatif, la Nymphe faillit tourner les talons avant de se reprendre en main. Elle avait une mission. Il était temps qu'elle soit un peu utile à quelqu'un.

- Bonjour. Mon nom est Svelyana. Je suis une Nymphe venue de Drayame. Je suis porteuse d'un message de l'Ordre Nouveau de Yehadiel pour le souverain de ces lieux.

Quels mots aurait utilisé Lysandre à sa place? Il aurait été certainement bien plus éloquent, bien plus convaincant. Elle avait préféré faire simple et aller droit au but. Le soldat la détailla du regard, posant les yeux sur ses fines oreilles pointues, son visage pâle et sa chevelure rousse. Tout en elle clamait qu'elle n'était pas humaine, mais savait-il au moins ce qu'était une Nymphe..., Elle avait bien pu voir au cours des derniers jours que sa race était plutôt...exotique ici. Son don lui permettait de sentir son scepticisme, mais la mention de cette race étrange ainsi que de Yehadiel suffit à la convaincre d'aller s'enquérir de la marche à suivre auprès de son supérieur.

- Restez ici.

La réponse, laconique, suffit à contenter la Nymphe qui s'immobilisa sagement devant les lourdes portes de fer, dans l'attente d'une réponse, et, elle l'espérait, d'une possible entrevue avec le seigneur de ces lieux.

- Svely, tu crois qu'il va te recevoir?
- Je ne sais pas, Mani. On ne peux pas dire que je soit quelqu'un de grande importance.
- Mais tu porte la volonté d'un Dieu ! Et tu es une Purificatrice.
- Je fais ce que je peux, surtout. Et je n'ai pas dit que j'étais une purificatrice. Je préfère ne pas le crier sur les toits.
- Pourquoi?
- Parce que peu ont ce don, alors je préfère être prudente. Maintenant tais-toi, on va encore me prendre pour une folle, à parler avec un oiseau.

Vexée, la pie se mura dans le silence alors que Svelyana attendait nerveusement le retour du soldat.

« - Thane. »

Bjergsen vrilla un œil distrait sur Joakim ; n’était-il pas de garde, aujourd’hui ? Adossé contre un mur de la salle d’arme, le huscarl observait jusque là le prince de la nation s’entraîner aux arts de la guerre sans réelle passion, mais avec une attention qui avait toutefois la pudeur de ne pas être vaine. Qu’il veille sur Alrik n’était pas un secret en soi, bien qu’à part lui-même et ses parents son maître d’armes fut celui en qui on plaçait le moins de soupçons quand il s’agissait d’attenter à la vie de l’héritier, mais Bjergsen agissait là plus par habitude routinière qu’autre chose. Lorsque Harald était trop occupé pour s’accaparer sa présence, alors Alrik écopait du chien de garde. Adressant un signe de tête à ce dernier qui, intrigué par les échos, avait rivé son regard sur eux, Bjergsen se redressa pour s’approcher de l’inopportun, réprimant un sourire aux réprobations du maître d’armes qui passa outre l’inattention du prince pour mieux le désarmer.

« - Efterlevnad och robusthet, bror. répondit l’interpellé, accompagnant le salut usuel de Saline d’un hochement entendu.
- Efterlevnad och robusthet. Une femme désire s’entretenir avec Kejsare. »

Bjergsen comprit le sous-entendu sans avoir à l’entendre de la bouche de Joakim. Lorsqu’il s’agissait de s’assurer que le Roi pouvait avoir confiance en un étranger, alors l’on venait quémander son second pour être certain que le précieux temps du monarque ne serait pas perdu. Pour s’assurer également de sa sécurité, et qu’une simple prétendue nymphe se présente au nom d’une obscure religion pouvait sans doute paraître inoffensif au premier venu, ils s’étaient habitués à ne jamais rien sous-estimer. En outre, Bjergsen savait que l’homme le plus lambda pouvait se révéler meurtrier et l’ombre de ce garde impérial hantait encore parfois ses rêves lorsqu’il repensait à la visite de courtoisie que leur présenta Saeros Yggdrasil. Un bref rictus déforma l’embrasure de ses lèvres, mais après tout il n’avait rien à y perdre, pas même le temps qui s’égrenait sans lui offrir autre alternative que d’attendre qu’Harald revienne l’interpeller. Il acquiesça silencieusement, jeta un dernier coup d’œil à Alrik qui sembla l’interroger du regard et si sa patience toute relative l’avait incité à attendre que Bjergsen termine sa conversation il s’apprêtait déjà à se rapprocher quémander la raison de cette interruption lorsque le concerné le prit de vitesse.

« - Rien d’important, min prins. Je serais de retour dans une minute. et sans attendre son approbation, sinon d’ignorer son ‘Bjergsen !’ autoritaire, celui-ci tourna les talons pour quitter la salle. »

Ce n’était pas un manque de respect ; qu’il soit son prince n’empêchait pas Bjergsen de le considérer comme un enfant et, après l’avoir vu grandir, de le placer sous son aile comme un énième petit frère que lui aurait offert le hasard. Alrik ne s’en formalisait pas tant que ça et faisait même preuve d’une certaine souplesse envers le huscarl, lui qui avait hérité du caractère inflexible de ses aïeux ; sans doute évoquerait-il à nouveau son incartade plus tard, mais c’était à lui de se faire interpeller par son maître d’armes à l’heure actuelle et les portes se refermèrent sur les injonctions de ce dernier tandis que le châtain s’en éloignait. Marchant à ses côtés, Joakim lui résuma la situation, haussant les épaules à l’évidente surprise de l’élite de la nation, rouvrant les portes du château pour mieux l’accompagner jusqu’au portail de fer où patientait la demoiselle.

Petite chose frêle aux beaux cheveux roux ; quelque chose de doux, d’inexplicablement serein se dégageait d’elle. Peut-être n’avait-elle pas menti quant à son espèce et Bjergsen la détailla de loin avant de donner son accord, rasséréné par la sensation de paix étonnante qu’elle émanait naturellement. Le portail s’ouvrit et on invita la dénommée Svelyana à entrer, comblant l’espace qui la séparait du huscarl qui vint à sa rencontre au milieu de la cour. Cette fois, pas de salut salinéen, pas d’artifices barbares ; qu’il la surpasse de plusieurs têtes étaient déjà une chose mais il ne comptait pas davantage la mettre plus mal à l’aise qu’elle ne l’était déjà – cela se voyait sur son visage, même pour un homme aussi aveugle aux choses féminines que le châtain.

« - Bienvenue en Saline, Svelyana. Je suis Bjergsen, mais vous pouvez m’appeler Bjørn. »

Il ponctua sa présentation sobre d’un signe de tête, l’invitant à la suivre. Si elle avait sans doute déjà deviné qu’il représentait un certain pouvoir tout relatif, elle pouvait remarquer sans mal que sa cape rouge, habit que partageaient tous les hommes officiels de Saline, était attachée d’une broche marquée des armoiries des Wallah. La broche des huscarls, quoique c’était un détail qui pouvait sans mal lui échapper si elle ne connaissait pas les us et coutumes du coin. Tout en reprenant la lente procession vers le château dont il sortait à peine, Bjergsen lui jeta un coup d’œil en biais, soucieux de ne pas la lâcher du regard quand bien même avait-elle su apaiser ses doutes.

« - L’Ordre Nouveau de Yehadiel, hein ? la question semblait innocente et le ton un peu plus vulgaire, comme si les salutations passées octroyait le salinéen à l’aborder avec moins de bienséance – mais sans jamais lui manquer de respect ; Bjergsen était simplement un type qui marchait à l’instinct et sa qualité de basse extraction ne l’avait jamais vraiment quitté. Dites-m’en davantage. rajouta-t-il sur le même ton, reportant son attention devant lui comme s’ils partageaient une simple conversation routinière. »

Ce qui n’était pas le cas, bien évidemment : Bjergsen la testait, tâtait le terrain, alors qu’il était à l’heure actuelle sa seule chance d’accéder à ce pourquoi elle s’était présentée à eux. De la même manière, il lui mentait : Dana était assez versée dans les arts de Yehadiel, en sa qualité de purificatrice, pour qu’il en sache bien davantage qu’il ne voulait le faire croire. Mais ça aussi, cela faisait partie de son enquête préliminaire. La percer à jour en prétendant ne rien connaître de sa foi.

Nerveusement, la demoiselle patientait, ses doigts martyrisant et entortillant une boucle rousse pour tenter de se donner contenance. Mais très vite, le soldat auquel elle s'était adressée quelques instants plus tôt revint, accompagné par un autre homme. Les lourdes portes de fer s'ouvrirent, et à leur invitation Svelyana fit quelques pas en direction des deux hommes qui avançaient vers elle.

Un géant. Ce fut la première pensée qui effleura l'esprit de la Nymphe lorsque le dénommé Bergsen se présenta devant elle. Elle leva un regard émeraude vers lui, les trait de son visage perdant à nouveau leur consistance alors qu'elle luttait pour garder forme humaine. Battit à l'image des hommes de Cardrak, et peut être même plus imposant encore, cet homme la surplombait de toute sa hauteur, sa stature imposante semblant écraser complètement la demoiselle. Ainsi face à lui, Svelyana paraissant encore plus frêle et insignifiante qu'elle ne l'état déjà.

- Bienvenue en Saline, Svelyana. Je suis Bjergsen, mais vous pouvez m’appeler Bjørn.

Sa voix était grave, presque rauque, mais au moins elle n'était pas menaçante. S'inclinant légèrement, la demoiselle lui rendit son salut avant de se redresser. Dans un bruissement de plumes, la pie jusqu'ici installée sur son épaule vint se percher sur le sommet de son crâne pour pouvoir observer à loisir cet imposant humain. Agacée, Svelyana se retint de lui demander de s'en aller de là Sa faculté de converser avec les animaux était pour le moins inhabituelle, et elle en tenait pas à passer pour une folle en cet instant.

- Merci de bien vouloir me recevoir.

Lui emboitant le pas, elle s'engagea  à sa suite vers le château. Le dénommé Bjørn avançant à son rythme, elle était obligée de faire deux pas là où il n'en faisait qu'un, et trottinait donc plus qu'elle ne marchait à ses côtés. La demoiselle ne se fiait pas vraiment à son habillage pour tenter de découvrir sa fonction. Non, elle observait plutôt ce qui se dégageait de lui, laissant sans crainte son don d'empathie s'étendre jusqu'à lui. Il y avait en lui cette force et cet instinct de protection, ainsi que de la méfiance à son égard, mêlée à un peu de surprise. Svelyana ne pouvait lui en vouloir, après tout, elle était parfaitement inconnue au bataillon.

- L’Ordre Nouveau de Yehadiel, hein ? Dites-m’en davantage.
- Notre priorité est de contrecarrer l'avancée des Adorateurs de Nayris qui tentent de la ramener dans ce monde. Ce sont eux qui ont répandu la peste mort-vivante qui sévit dans les Terres Infectées. Pour lutter contre ce mal, nous recherchons également les personnes qui Yehadiel a doté du don de Purification pour les placer sous notre protection.

Svelyana marqua une pause, hésitant avant de reprendre.


- Je suis moi même une Purificatrice.

Elle se retint d'ajouter qu'elle ne voyait pas tellement pourquoi Yehadiel l'avait choisie, elle, une simple Nymphe à peine sortie de sa forêt. Elle ne voulait cependant pas avoir l'air plus perdue qu'elle ne l'était déjà. Prenant une grande inspiration, elle se lança.

- C'est au nom de notre Ordre que je suis venue solliciter votre aide. Nous souhaiterions votre soutien pour établir à Cardrak notre quartier général, qui serait à la fois un lieu de rassemblement pour nous et de culte pour les croyants en Yehadiel.

Spoiler:

La nymphe fut emmenée devant le roi, dans la grande salle, alors qu'il réglait une des différentes affaires qui l'occupaient quotidiennement. Après un moment d'attente qu'elle avait passé aux côtés de Bjergsen jusqu'à ce qu'il se reposte aux côtés de son roi, elle s'avança et expliqua de nouveau les raisons de sa présence, suivant l'explication en salinéen qu'avait chuchoté le huscarl à Harald. Le monarque, terriblement imposant même lorsqu'il était assis, avait écouté les deux, en même temps, en posant son lourd regard sur la nymphe tout du long.

Les choses ne s'éternisèrent pas. Harald, fervent défenseur des fidèles de Yehadiel, avait autorisé qu'on inaugure un lieu de culte pour ces derniers, mais à condition qu'ils servent la cité en retour. Les soins et miracles de leur magie seraient mis à contribution en échange de cette place privilégiée. Il s'agirait d'un investissement sur le long terme qui encouragerait les fidèles du monde entier à se rassembler à Cardrak, et la cité n'en serait que plus forte.

L'ordre fut donné et la nymphe put considérer qu'elle avait obtenu gain de cause tant que les clauses de leur contrat seraient respectées. Le quartier général serait installé près du port afin d'accueillir les voyageurs le plus facilement possible et sa construction, le réaménagement des bâtiments déjà présent, commenceraient dès ce jour.