Tout choix possède son prix

S’il était une habitude de Silke qui était de notoriété publique, c’était sa manie de grimper, toujours plus haut. La chose l’aidait à avoir une autre vision des choses, c’était du moins ce qu’elle s’entêtait à prétendre. Mais certains savaient, mieux que d’autres, que c’était aussi une façon de se tenir loin de la foule lorsque le calme laisse place au vacarme des discussions. Il ne fallait cependant pas se méprendre, quelle que soit sa hauteur, elle entendait si elle devait entendre, si elle en avait le droit.
C’était un de ces jours où elle était perchée près d’une haute fenêtre, sur un meuble tout aussi haut, par simple envie, observant la forêt. Il n’était pas rare de l’y voir disparaître quelques jours et revenir les cheveux en bataille et la mine éblouissante malgré la crasse et les coupures. Une façon de se ressourcer que personne n’avait jamais vraiment compris, ou du moins pas cherché à comprendre.

Quand de lourds bruits de pas se firent entendre, elle changea de vue, de perspective, troquant son perchoir contre un autre. Les blasons étaient édifiants. La troupe, clairement guerrière et de haut rang. Hagl, qui jusque là roupillait tranquillement dans un coin proche du feu, tendit l’oreille et ouvrit l’œil. Il s’en suivit un échange particulier, mêlant images, sentiments et ressentis. Un moyen de communiquer parfois bien plus clair que les mots. Le constat était assez simple, voire même claire et limpide, quelque chose se préparait. De ça, elle était convaincue avant que la délégation ne passe la porte. À nouveau, elle changea de perchoir, retrouvant sa sempiternelle poutre porteuse, alors que son familier était plus alerte que jamais.
Étendue, écoutant avec attention si oui ou non, elle pouvait laisser traîner ses yeux et ses oreilles... Elle ne put que percevoir qu’en effet, la chose la concernant en partie. Dans un premier temps, elle choisit pourtant de laisser ces gens s’entretenir avec sa Jarl sans changer de hauteur. Il était clair qu’il y avait d’autres choses à débattre. Mais il était tout aussi clair que lorsqu’on en viendrait à elle, Sigrid n’aurait probablement pas tout à fait son mot à dire. Ainsi, elle réfléchissait déjà à ce qui avait pu faire venir ces hommes mais aussi à la raison pour laquelle son nom avait été évoqué. Voilà au moins bien dix ans qu’elle avait révélé ce qu’elle était et elle avait eu le temps de s’améliorer très largement.
Enfin, quand il fut question d’elle, elle redoubla d’attention, percevant un coup d’œil de Sigrid dans sa direction. C’était clair à présent, trop clair. La requête qui allait être posée la mettait dans une étrange situation. Elle qui n’avait jamais réellement cherché à se faire remarquer par ses dons, avait été remarquée. Le problème était de taille, car il s’agissait bien de cela, un problème. Si elle refusait, elle mettait sa Jarl, son amie, dans une position fâcheuse. Il y avait un risque qu’ils perçoivent cela comme une insulte et de ça, il était hors de question. Mais si elle acceptait, elle n’aurait pas d’amis auprès d’elle, juste des étrangers qui partageaient ses racines. S’il n’y avait que ça... si seulement. Car elle devait aussi compter sur une variable gigantesque : la loyauté de la Jarl envers son Roi. Que penserait-elle d’elle si elle refusait ?

Alors, quand Sigrid l’appela, comme à son habitude, joignant le geste à la parole. Silke se mit en mouvement, répercutant le tracé du chemin emprunté pour descendre de son perchoir, en le ponctuant de différents bruits sourds. Armoires et étagères contenaient décidément bien trop d’objets... Perchée sur l’une d’entre elles, une masse de cheveux noirs firent leur apparition et la silhouette incongrue s’arrêta, accompagné d’un chien étrange, près de la femme qui avait son allégeance.
Il y eut quelques regards interrogateurs, d’autres sceptiques, d’autres légèrement amusés qui tentaient de le cacher. Il était clair que Silke développait sa propre image, son propre folklore. Il le fallait bien. Ce qui retint également l’attention, ce fut sa posture et ses vêtements. Elle se tenait droite, fière, le regard ne se détournant jamais de sa rencontre avec d’autres yeux bien que ses traits restaient tendus, dans l’attente de quelque chose. Restait à savoir quoi. Il n’était pas non plus courant de voir un tel accoutrement mais ça n’était pas ce qui importait le plus.
De nombreuses questions furent posées mais avant d’en arriver à leur proposition, ils demandaient une démonstration. Ce n’était clairement pas à l’intérieur qu’elle le ferait, elle avait déjà roussi trop de meubles pour amuser les enfants. Elle traîna quelques planches, Hagl suivant d’un pas tranquille et reniflant de temps à autre. Elle déposa également quelques armes visiblement déjà éprouvées par les flammes et fit sa démonstration. Elle ne montra pas le plus gros de ses pouvoirs, expliquant que certaines limites étaient dangereuses à dépasser bien qu’elle le faisait si nécessaire, mais tous furent convaincu. Bien malgré elle, Silke venait de passer une nouvelle épreuve, de prouver à des hommes de plus haut rang ce dont elle était capable. C’était nouveau, perturbant, effrayant aussi mais pas autant que lorsque la question lui fut enfin posée. Alors elle chercha du regard Sigrid pour y trouver le courage de répondre. La décision qu’elle venait de prendre l’effrayait au plus haut point. Les mots sortirent de ses lèvres, tranchants comme une lame.

- J’accepte.

Elle retint un soupir et puis le doute l’assaillit. Et si sa décision ne plaisait pas à Sigrid, et si elle s’était fourvoyée quant à ce qu’elle devait faire ? Mais c’était trop tard, les mots avaient été prononcés. Il serait temps d’en discuter plus tard. Pour l’heure, il était temps de fêter l’accord sobrement ou non. Et pour elle, il était temps d’espérer qu’elle avait agi pour le bien de sa Jarl.

Les discussions qui suivirent furent empreintes de curiosité, mais respectueuses. Une chose nouvelle, bien que fort peu déplaisante...