Sur un sentier des Terres Mystiques, à la pointe Ouest du Grand Lac, marchait une femme a pied suivie de son cheval chargé de sacs de toutes sortes. Au loin derrière elle s’éloignait un petit village de pêcheurs dans lequel elle avait fait quelques affaires.
Amir leva la tête au ciel lourd de pluie et en déduit qu’il lui restait quelques minutes pour se mettre à l’abri. Aux alentours, des champs de céréales et des haies de buissons à perte de vue. Seul un grand chêne, à cent pas du bord de la route pourrait l’abriter elle et Tatsab.
Sortant du sentier, elle tapa l’encolure de la bête et l’enjoint à presser le pas dans sa langue natale.
- « Il faut se dépêcher sinon on va prendre la verse, Tatsab… »
Le cheval pressa le pas entre les champs avec sa maitresse. Lorsqu’ils arrivèrent au pied de l’arbre, les gouttes de pluie commençaient à tomber. Un grondement d’orage lointain parcourut la campagne et l’ondée prit de l’ampleur. Amir se colla contre sa monture et défit les sangles des panneaux de bois qui maintenaient les marchandises sur ses flancs. L’animal baissa la tête et commença à brouter l’herbe au sol.
La nomade s’assis et appuya son dos contre le tronc du chêne. Elle jeta un coup d’œil à sa cithare restée parmi les marchandises mais préféra plonger sa main dans son gilet pour sortir une fine pipe de bois de la taille de son avant bras. Il y restait un peu de tabac. Amir la porta à sa bouche, éteinte, et songea.
Elle avait encore rencontré des disciples de Nayris sur la route. La déese de la Mort, voilà qui laissait pensif… Ces temps ci, tous les camps différents de Terra Mystica semblaient lui avoir fait du pied de manière plus ou moins indirecte. D’abord les Adorateurs, puis cette présence forte des forces d’Aile Ténébreuse et de son clergé de Zelphos dans les Plaines Mystiques, ces badauds qui se chuchotaient dans une taverne qu’il leur vaudrait mieux fuir dans les Glaces pour être à l’abri et enfin cette tribu hostile à l’Aile avec qui elle avait marchandé dans les terres de Feu.
Soupirs et tâtonnements ! Qui rejoindre ? Qui renier ? Amir décida que cette averse était le contretemps opportun pour y penser. Amir sorti une baguette en bois de pin amidonné de son gilet et un percuteur à silex. Elle le fit claquer 5 fois avant qu’une allumette n’enflamme le combustible au bout du bâton. Prenant garde à ne pas s’éteindre, le feu oscillant trouva refuge au sein des feuilles de tabac sec et alluma la pipe avant de continuer à brûler par terre. La Lak’shir commença à fumer dans le bruissement des gouttes qui tombaient sur la campagne.
Zelphos ? De son opinion personnelle, ce n’était qu’un faux dieu crée pour permettre à son créateur de mieux maitriser les peuples conquis.
Une tapisserie à l’effigie d’Aile Ténébreuse lui vint à l’esprit. Pas question. Comment peut on conserver une once d’honneur lorsque l’on agit et qu’on se réclame de servir un maître qui égorgea dix mille femmes et enfants innocents ? Amir souffla sèchement sa fumée au souvenir du jour où elle avait appris la nouvelle atroce.
Elle soupira. Lorsque l’on sert un idéal, on a rapidement fait d’oublier ses côtés les plus sombres. Elle pardonnait à ceux qui l’avaient rejoint. Même à ces satanés elfes. Quand comprendraient ils que vivre dans un endroit avec aussi peu de visibilité, de lumière et auquel n’importe quel adversaire pourrait mettre le feu était une mauvaise idée ? C’est d’ailleurs pour cela qu’ils se sont soumis et quel leur ancienne reine a été assassinée, le feu ! Pauvre reine, se dit elle, il est des jours difficiles pour porter une couronne… Maintenant, avec sa descendante, ils sont tous aux pieds d’Aile Ténebreuse… Quelle déchéance !
Fini de grommeler après ces Longues-Oreilles, se disputa-elle. Ils ne t’ont rien fait. Pourquoi ne pas ravitailler les tribus de Feu de la rébellion ? Nombreuses ont chez elles des membres plus ou moins lointains de sa famille après tout. Le problème, c’est son clan, et son frère ainé. Lui désobéir et arpenter les terres que foulaient les Lak’shir était hors de question. Elle respecterait sa décision et trouverait un moyen de racheter sa faute.
Nayris fut le nom suivant à se présenter à son esprit. Elle et sa promesse de résurrection des morts. Sa promesse d’immortalité. Elle tilta. Faire revenir ses parents ! Amir s’arrêta net et resta immobile un long instant. Enfin, elle posa sa pipe à terre et souffla lentement sa dernière bouffée. Elle alla à Tatsab et plongea sans hésiter sa main dans un long sac resté accroché au cheval. La nomade en sortit une petite pierre carrée. Celle ci était percée de deux trous bouchés par des bâtonnets d’encens. Elle s’abaissa, assise sur ses pieds, et posa la pierre face à elle. L’allumette de pin consumait toujours lentement son amidon, bientôt les deux baguettes d’encens étaient allumés et fumaient tranquillement.
Amir joignit ses mains contre ses genoux et appuya son front contre la terre humide.
- « Père, Mère, pardonnez moi. Je ne ferais pas appel à la Déesse des Morts en hommage à vôtre mémoire. La mort est ce qui donne de la valeur à la vie de ses proches. Je me refuse de vous arracher aux plaines éternelles où vous chevauchez en paix, à présent, dans l’honneur des guerriers qui auront combattu jusqu’au bout. Je me refuse aussi à mourir et renaître, car j’espère vous rejoindre un jour quand mon heure viendra. J’espère que vous veillez sur moi de là haut. »
Elle souffla les deux baguettes pour les éteindre, se releva, ramassa le socle, sa pipe, son allumette et les rangea à leur places. Tout en tirant sur les sangles de son cheval, se préparant à repartir, elle se dit qu’il ne lui restait plus qu’une option. Autour d’elle, la pluie s’arrêtait.
Elle plongea son regard dans le ciel blanc et dit :
- « Ô Nhieling, Dieu des voyageurs, je pars en voyage pour Glace. Pas seulement comme marchande comme toutes les autres fois, mais aussi en pèlerine à la recherche d’un juste idéal. Et si je n’y trouve pas ce que je cherche, advienne que pourra. Accorde moi ta bénédiction et fait que mon voyage soit sans encombres ! »
A ces mots, elle posa à terre deux poissons salés en offrande et se remit en route vers sa future destination, le soleil, à travers les nuages, éclairant le chemin.