Mar 18 Fév - 12:27 | | | | De nombreux Elfes avaient été invités au palais, pour la troisième fois depuis le règne de la nouvelle Reine. Elwing n’en voyait pas particulièrement l’utilité, mais son frère Argawaen, le cadet des descendants d’Elinfrai, jugeait bon d’agir de la sorte. Puisqu’il ne pouvait, ni ne voulait, convaincre sa sœur d’aller plus lentement au niveau des décisions, il pensa, avec raison, qu’il était préférable qu’au moins une partie du peuple soit présente au moment de leurs naissances.
Tout se passait relativement bien, une fois de plus. Tout le monde n’était pas parfaitement d’accord, bien entendu. Il est impossible de contenter tous les esprits. Mais rien de bien notable. Jusqu’à ce qu’il fût question d’une ouverture au commerce. Une décision qui paraissait pourtant logique aux yeux d’Elwing. Les accords commerciaux étaient souvent des liens entre plusieurs forces, bien plus forts que des alliances simples. Si quelqu’un proposait quelque chose d’unique, et que ce quelqu’un venait à être en danger, ceux qui avaient désormais l’envie, voire la nécessité de ce marché avaient de fortes chances à lui venir en aide. Les marchandises et l’argent sont en effet bien plus fort que les mots quand il s’agit de rallier des peuples. Qui plus est, les Elfes eux-mêmes, selon la vision de la Reine, ne pouvaient plus se suffire à eux-mêmes. Reine, permettez-moi de vous interrompre.Elwing fût un peu décontenancée, ne s’étant pas attendue à ce que quelqu’un lui dise quoique ce soit. Après tout, tous étaient restés calmes et silencieux par rapport à des décisions qu’elle imaginait pourtant être beaucoup moins faciles à accepter, la nouvelle affiliation à Ailes Ténébreuses en tête. De fait, même si cela devait bien arriver un jour ou l’autre, cette première réaction suite à l’une de ses apparitions la perturba. Au point de réagir instinctivement. Elle s’apprêtait à lui rétorquer de se taire et de retourner dans les rangs, le menaçant probablement d’une quelconque sentence en fonction de ce qui lui passait par la tête, quand son frère posa sa main sur son épaule en secouant la tête. Elle le fusilla du regard, se rendant pourtant compte à quel point il avait raison. Prenant une grande inspiration, elle hocha simplement la tête, pour donner son aval. Merci, ma Reine. Selon moi, puisque je ne vais pas m’avancer et me flatter en disant que je parle au nom de tous, votre décision n’a pas vraiment de sens. Cela fait des siècles que nous vivons sans nous mêler au monde extérieur, et cela ne nous a jamais posé de problèmes. Ce changement me semble donc un peu inutile.Et il continua d’exposer son point de vue. Au final, ce qui semblait le gêner plus qu’autre chose n’était pas tant les échanges qui auraient lieu que le travail à produire pour y arriver, ou l’accueil d’ambassadeurs de tous bords en Drayame. Accueil nécessitant la construction de quelques infrastructures et de cadeaux en tous genres, par exemple. Elwing l’écoutait, tenant ses mains l’une dans l’autre devant sa bouche, perplexe quant à ses dires. Elle n’imaginait pas que certains des membres de sa race soient encore tellement aveugles à l’évolution du monde. Laissez-moi expliquer cela avec mes mots. Si vous le voulez bien, bien entendu ?Au vu de l’expression et du ton de la voix de sa Monarque, l’Elfe pâlit un rien. Elwing ne faisait pas spécialement peur, rien dans son physique n’était particulièrement impressionnant, mais sa façon d’agir actuelle laissait comprendre son manque de patience. Déglutissant, et préférant adopter une attitude un peu plus lêche-bottes, il lui répondit : Vous êtes la Reine, vos désirs sont des ordres.Un petit sourire en coin se dessina sur le visage de la Reine. Peu avant, elle n’aurait jamais pu imaginer le plaisir que cela pouvait engendrer d’entendre ces quelques mots. Elle secoua la tête, l’air faussement ennuyé, tout en lui répondant : C’est le cas, en effet. Et cependant, ne venez-vous pas d’agir comme si les choses étaient différentes ? Si, ma Reine... N’imaginez pas que je vous pense en tort, cependant. Si cette audience est publique, c’est aussi pour obtenir vos avis, même s’ils sont divergents. Mais je m’égare, je voulais vérifier si j’avais bien compris ce que vous pensiez.Cela va sans dire, Elwing n’était pas à son aise. Elle arrivait à cacher ce fait, gardant sa consistance avec plus ou moins de succès aux yeux des autres, mais pas à elle-même, en témoignait cette désagréable sensation qu’elle ressentait au niveau de son ventre. Les doigts de sa main droite se tordaient seuls, discrètement. Pour cacher cela, elle reprit la parole, d’une voix calme et posée. Que ma décision, pourtant réfléchie, vous semble insensée et non justifiée, voire même sotte, je l’ai bien compris. Cependant, ai-je bien saisi votre capacité à imaginer quelque chose de mieux ? Ce... N’est pas ce que j’ai dit, ma Dame. Ma mère, peut-être, aurait été plus capable ? Je... Peut-être, il est difficile de le dire sans qu’elle ne soit là... Du moins, je n’ai jamais eu à me plaindre de sa politique en ce qui concerne... Ma mère, donc, qui a vu ses jours finir brusquement suite à ses choix. Des choix qui mènent à un assassinat peuvent-ils être, oui ou non, considérés comme étant mauvais, et donc des erreurs ? Je suppose que... Vu comme ça... Et donc, ce que vous voulez me dire est que ma tentative de corriger une erreur serait malvenu ? Ce que vous me dites semble logique en surface, certes, mais... Reine, avec tout le respect que je vous dois... Ce choix n’a rien à voir avec la mort de votre mère... Un manque de logique ? Elwing se rendit compte qu’en effet, il était possible de voir les choses ainsi. Tout dépendait de la façon dont on concevait les choses, et elle n’avait clairement ni le temps de lui expliquer sa façon de faire, ni l’envie de le forcer à la partager. C’est à ce moment qu’elle comprit qu’elle n’avait de toute façon pas à le faire. L’Elfe l’avait dit plus tôt, ses désirs étaient des ordres. Elle pouvait, à loisir, couper court à tout débat, en affirmant que sa parole faisait loi, et qu’il n’y avait pas à discuter. Tant qu’elle le faisait avec un peu plus de diplomatie que de sortir ce fait tel quel. Aucun choix ne suppose aucun impact sur notre vie. Et le vôtre, de venir vous plaindre juste pour le plaisir de le faire, puisque vous ne m’avez proposé aucune alternative, vous le prouvera. Maintenant, avec tout le respect que je vous dois, comme à chacun d’entre vous, puis-je mettre fin à cette audience ?Hochant la tête, inquiet pour son sort, l’Elfe se recula et se fit tout petit dans les rangs. Elwing ne comptait pas lancer la moindre poursuite contre lui. Cela ne ferait que lui donner l’image négative de celle réduisant au silence les contestataires. Son seul objectif avec tout ce petit spectacle était de prouver qu’elle avait les épaules pour être la Reine. D’assoir sa vision du pouvoir, et de ne pas qu’être une copie sans fond de sa mère, incapable de faire autre chose que de jouir de la popularité qu’elle avait pu avoir. De se le prouver à elle-même avant tout, à vrai dire.
La séance se termina rapidement, sans le moindre incident. Les Elfes attendirent, par politesse ou par une légère crainte, que la séance soit officiellement annoncée comme terminée avant de discuter entre eux, ou plutôt chuchoter. Certains saluaient la prestation, maladroite certes, de la Reine, jugeant bon de voir quelqu’un qui s’en tiendrait à ses choix, ne fût-ce que le temps de remettre un maximum de choses en ordre. D’autres, au contraire, craignaient les dérives et autres pertes de contrôles de la Reine.
Le frère d’Elwing ramena cette dernière jusque dans sa chambre. Il n’avait guère d’avis sur ce qu’il venait de se passer, à vrai dire. Mais même, elle lui fût reconnaissante de ne pas lui jeter la moindre critique au visage, ni même le moindre compliment. Des avis, elle en aurait suffisamment plus tard dans la journée, une foule de conseillers et autres soi-disant érudits trop joyeux d’étaler leur avis personnel comme étant des faits de base du savoir défileraient des heures durant. Certains lui prouveraient, par des raisonnements bancals, que leurs propos seraient exacts. D’autres se contenteraient de la questionner. Mais aucun ne poserait la seule question qui compte, celle qu’Argawaen lui posa une fois arrivés à destination : Elwing, es-tu bien certaine de ce que tu fais ? Oui. Non. Ce n’est certainement pas la meilleure façon d’agir, je le reconnais. Cela se voit. Au minimum, arrange-toi pour garder une logique unique, et ne pas t’éparpiller de la sorte à l’avenir. Puis-je te demander pourquoi t’évertuer à agir ainsi, si tu ne sais pas encore vers où tu souhaites aller ?La Reine soupira, et s’avança sans rien dire vers son lit, sur lequel elle se laissa tomber. Elle s’habituerait, forcément. Et, comme le prouverait la suite des évènements, ses capacités d’oratrice et, autant le dire ainsi, de manipulatrice s’amélioreraient drastiquement. Ce n’était pas si terrible, juste une petite erreur dans le parcours qu’elle venait de débuter. Mais pour l’instant, elle avait besoin d’un peu de temps seule, le besoin de réfléchir et s’isoler se faisant ressentir. Restant sur son dos, elle regardait droit au-dessus d’elle, pensive. D’un signe de la main, peut-être un rien hautain, elle intima à son frère de sortir de la pièce, tout en lui répondant : Il n’y a pas d’autre choix que de forcer le changement, quelques fois.
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