Le vent du Drayame souffla, ébouriffa ses cheveux, respiration tranquille en ce refuge perdu. Un calme royale régnait en ces lieux aujourd'hui; l'on n'entendait que le murmure des feuilles et le faible chant des oiseaux; les temps agités semblaient loin.

Donovan prit une profonde inspiration, s'aidant du vent léger qui effleurait son rose dénudé, regardant la hache d'un air perplexe. Il n'avait acquit l'arme que très récemment; elle lui avait rappelé les Glaces, et, dans un élan de nostalgie, il s'en était emparé. Une arme de belle facture, solide, bien construite- mais dont il avait encore besoin de parfaire la maitrise.

Avec les récents événements, il n'avait pût prendre le temps de s'occuper de sa condition physique. Il s'était laissé porter au gré des imprévus, cherchant toujours à s'en tirer vivant, sans s'occuper de lui, et de lui seul. Résultat : il avait rouillé. Certes, tout n'avait pas été de tout repos, et il avait bien livré quelques combats, mais ce n'avait pas été régulier. Et s'il voulait pouvoir continuer à faire face, à son âge, il lui faudrait plus de discipline.

Il l'avait eu un peu plus de deux mois auparavant, en revenant de la Toundra, et les débuts avaient été difficiles. Il était alors retourné au quartier général de l'Aurore, au fin fond du Drayame, afin de s'y exercer- il s'était souvenu de son entrainement de soldat, et c'était assez vite revenu. Il sentait pourtant bien qu'il pouvait faire mieux, et ne s'était encore jamais vraiment battu avec.

A quelques mètres de là, Thjodvitnir le regardait, couché par terre, la tête entre les pattes. Le loup n'avait pratiquement pas bougé depuis qu'ils étaient arrivés ici.

- Tu devrais faire un peu d'exercice, mon grand. Tu vas devenir un vieux sac de poil incapable d'attaquer qui que ce soit. Pourquoi n'irais-tu pas chasser un petit quelque chose ?

L'animal ne broncha pas.

- Et ne te moque pas de ton maître, fit Donovan, légèrement vexé de ne pas être écouté.

Il se remit à la tâche, exécuta quelques mouvements avant de s'arrêter à nouveau. Ceci devenait inutile- s'entrainer seul ne lui ferait plus faire aucun progrès. Et c'était d'un ennui... il lui fallait un adversaire, en vrai, et il savait parfaitement où en trouver un coriace. Un très coriace.

Rägmor était là, lui aussi. Il ne l'avait pas beaucoup vu, le géant passant la plupart de ses journées à régler des détails pour le bon fonctionnement de l'Aurore. L'archer l'aurait bien aidé, mais il n'entendait rien à la paperasse, aussi le laissait-il faire. Il craignait de ne le déranger dans une tâche importante, mais cela ferait peut-être du bien au giguêtre de prendre un peu l'air et de faire un peu d'exercice.

D'autant qu'ils ne s'étaient jamais combattus, réalisa Donovan en pénétrant dans la grotte. Malgré toutes leurs péripéties, et bien qu'aucun des deux ne doutait de la valeur guerrière de l'autre, ils ne s'étaient jamais affrontés. Le défi tentait l'archer depuis un petit moment déjà- il était curieux de voir ce que l'on pouvait ressentir lorsqu'il frappait.

Il était cependant un peu inquiet pour sa transformation. Ne referait-elle pas surface au beau milieux du combat ? Pourtant, à chaque fois qu'il se transformait, cela demandait un long processus. Rägmor avait déjà était mis au courant, et, de toutes façons, il ne doutait pas que le barbare puisse soutenir les assauts de l'ombre-sang le temps que la transformation passe. Et puis... un peu d'exercice plus brutal ne ferait probablement pas de mal au fondateur de l'Aurore.

Comme il le pensait, il trouva son ami plongé dans des papiers divers. Comment pouvait-il passer autant de temps là dessus ? Ca forçait l'admiration. L'archer s'appuya sur la paroi rocheuse, à quelques mètres du géant, et se racla la gorge.

- Rägmor, mon ami... Pourrais-tu me rendre un service ? Sors un peu de là et vient t'entraîner avec moi. J'ai besoin d'un adversaire sérieux, et tu es tout indiqué pour le rôle. Si je ne fais pas attention, je vais finir par ne plus être bon à grand chose. Et puis, ça fait un moment je voulais t'affronter.  Mais si tu accepte, je veux un vrai combat. Ne retiens pas tes coups, et je ferais de même. Alors, qu'en dis-tu ?

Donovan eut un petit sourire devant les provocations de son ami. Ha, oui... le duel des mots avant la parole des armes... une activité de guerrier qu'il n'avait jamais appréciée- c'était une perte de temps et d'énergie. On le raillait à chaque fois, aux débuts des combats, mais il était toujours resté silencieux, se focalisant sur son adversaire pendant que se dernier se pavanait. Mais cette fois-ci, il décida de jouer le jeu; peut-être parce que Rägmor attendait ceci de lui, et qu'il ne souhaitait pas le décevoir.

- Peur ? D'un enfant comme toi, à peine entré dans l'âge adulte ? Tu ne devrais pas sous-estimer tes aînés...

Il fit quelques pas, tourna autour du géant, à la manière des loups lorsqu'ils chassent une proie, observant son adversaire. Un léger sourire flottait sur ses lèvres, tandis que l'excitation du combat à venir montait en lui, électrisait ses sens. Oui, l'adversaire était prometteur... Plus jeune, plus grand, plus fort, plus résistant que lui. Il savait déjà tout cela, avant même que le premier coup n'ait été porté. Il ne ressentait pourtant aucune peur, et luttait contre l'envie de s'abandonner complètement à ses instincts de guerrier, luttait pour ne pas se ruer purement et simplement sur le giguêtre.

Avec ce qu'il savait de Rägmor, il ne voyait pour le moment qu'un seul moyen de l'emporter. Se montrer plus agressif que son adversaire, tout en se servant de sa tête. Il fit un pas encore, soupesa une dernière fois ses armes- l'épée norse dans sa main gauche, la hache dans la droite-, puis s'arrêta, fléchit les genoux, rentra la tête dans les épaules et...

Il chargea. Durant sa course, il plaça ses deux armes parallèlement l'une à l'autre, au niveau droit de son bassin. Lorsque le géant fut à sa porté, l'épée décrivit une arc de cercle, de droite à gauche, en un revers violent- et fut aussitôt suivie par la hache, qui traça la même courbe dans les airs.

C'était un assaut bête, brutal, direct. Mais il avait besoin de voir quels effets auraient ses coups contre Rägmor, aussi y mit-il toute sa force grâce à un mouvement du buste, son sourire flottant toujours sur ses lèvres. Il ne laissa pas le temps au giguêtre de réagir; la hache, d'abord, refit son chemin en sens inverse, suivie de près par l'épée norse.

Il voulait enfermer Rägmor dans ce schéma d'attaque. Qu'il s'habitue à ces assauts violents, mais sans grand danger pour lui... L'idée qu'il se fatiguait pour rien lui traversa l'esprit, mais il était prêt à tenter le coup. Que le géant croit qu'il attaquait sans réfléchir. Qu'il s'habitue à un mouvement d'esquive... à une parade...

Le coup eut moins d'impact; il était un peu déséquilibré, avait perdu son élan. Pourtant, il ne lâchait pas. Il fallait qu'il mette la pression à son adversaire; qu'il ne lui laisse pas le temps de respirer, pas le temps de répondre... A peine son mouvement terminé, il refit à nouveau le premier, perdant encore de la force. Et puis...

Et puis son expression changea. Son sourire s'effaça soudainement; il n'y avait plus un ami, plus un frère d'arme en face de lui. Seulement un homme à abattre. Son regard se durcit, ses yeux bleus reflétèrent une froidure peu commune chez lui. Toute trace d'amitié envers Rägmor s'était envolée; il ferma son coeur, n'écouta plus que les pulsions meurtrières qui vibraient en lui.

A nouveau, la hache décrivit un arc de cercle, de gauche à droite; elle chercha à frapper l'arme immense du giguêtre. Mais cette fois-ci, l'épée ne suivit pas. Donovan se campa soudainement sur ses deux jambes, raffermit sa prise sur sa lame... et allongea une botte; un coup direct, rapide, qui visait le ventre de son adversaire.

Ses assauts eurent plus d'effet que prévu. L'acier mordit la peau de pierre du giguêtre, et ce dernier finit par reculer pour se retrouver coincé entre Donovan et une paroi rocheuse- il était parvenu à acculer le colosse. Une décharge d'adrénaline afflua en lui- il le tenait! Ne pas lâcher, surtout ne pas lâcher, ne pas...

Emporté par sa fureur, il ne vit pas venir le coup de Rägmor- le genoux du géant le percuta en pleine poitrine, lui faisant expirer l'air dans ses poumons, le forçant à reculer de quelques pas. Comme il s'y attendait, son adversaire frappait fort- il dût lutter, durant quelques secondes, pour reprendre son souffle et retrouver une respiration régulière. Le léger vent qui soufflait sur ce lieux paisible troublé par le fracas des armes l'y aida à nouveau.

Il passa sa langue sur ses lèvres pour les humidifier. Déjà, quelques gouttes de sueurs perlaient sur son front... Le juste revers de ses assauts. Maintenant, il allait devoir se ménager- en face de lui, Rägmor semblait avoir décidé de prendre lui aussi ce combat au sérieux. Peut-être avait-il perçu la détermination de l'archer.

Il examina le giguêtre balancer aisément sa hache, pour finir par la pointer vers lui. C'en était absurde, la facilité avec laquelle il maniait une telle arme. Donovan sût qu'il allait devoir faire attention- faire très attention. Un coup, et c'en était finit de lui. Il ne pourrait jamais parer un assaut direct de cette arme, qui, soupçonnait-il, était bien capable de pourfendre en deux un homme en armure. En cas d'attaque de Rägmor, sa seule chance de survie résidait dans l'esquive.  

Pourtant, la hache démesurée avait également quelques inconvénients. Pour se servir lui-même d'une hache, il savait que seul le tranchant serait utilisé; et qu'une fois un mouvement lancé, il était difficile de le stopper. Pour sa part, il n'y arrivait pas: une fois que la hache avait entamé une rotation, il devait aller au bout. Restait à savoir jusqu'à quelle point Rägmor maitrisait son arme.  

L'autre inconvénient était  qu'un combat trop rapproché pourrait se révéler délicat. Une fois passé le tranchant, il ne restait plus que le manche à son utilisateur pour se défendre... Pourtant, l'idée de devoir se rapprocher au maximum de Rägmor ne l'enchantait guère. Il s'était habitué, avec les années, aux combats à distance. Et lorsque l'on voyait la hache du giguêtre, la première pensée était, justement, de prendre ses distances. De ne pas s'approcher de cette masse d'acier capable de vous couper en deux.

Il lui fallait dépasser son appréhension- il se ferait massacrer autrement. Qu'il bouge, et vite. S'il laissait Rägmor prendre l'initiative, s'il le laissait utiliser l'avantage que lui conférait son allonge...

Il fit abstraction. Se força à oublier cette image qu'il avait en tête- celle de la hache fracassant son crâne. Oh, bien sûr, Rägmor ne voudrait pas le tuer... mais qu'il ne maitrise pas sa force une seule fois, et la vie de Donovan s'en verrait sensiblement raccourcie.  

Il se remit en mouvement, avança de quelques pas en direction de son adversaire. Arrivant à portée de la hache, il prit appui sur sa jambe droite pour se déporter rapidement sur sa gauche grâce à un petit saut. Il se réceptionna sur son autre jambe, la fléchit... et se servit de son élan pour porter une nouvelle attaque.

La tête de sa hache vola vers le tranchant de Skroll en un revers vicieux;- que celui-ci s'écarte de sa route. Une fraction de seconde plus tard, et l'épée norse fusait vers la jambe droite du giguêtre.

Il était trop court- il l'avait sût avant même de porter son coup. Au mieux, sa lame effleurerait la peau de son adversaire. Mais il comptait sur les réflexes du géant, sur son instinct de guerrier- qu'il cherche à éviter ce coup-là. Qu'il soit déséquilibré; une seconde, juste pour une seconde, pour qu'enfin Donovan franchisse la garde du géant.

Il y eut un éclair vermeille- le coup de Donovan avait porté. Une étincelle de joie brilla dans ses yeux- elle ne dura guère.

Il avait été trop ambitieux, trop impatient. Dans l'espoir de toucher sa cible, l'archer s'était porté en avant- trop porté en avant, en fait, et il se retrouva déséquilibré. Aussi prit-il de plein fouet le coup du géant, eut un réflexe stupide: il lâcha la hache pour tenter de le bloquer en ramenant sa main contre sa poitrine pour amortir l'attaque.

Mais la force du giguêtre était colossal. Donovan recula sous l'impact. Sa petite garde n'eut guère d'effet: il crût que le coup lui défonçait la poitrine, lui broyait l'avant-bras. Il recula de quelques pas, essoufflé, et jura. Par tous les dieux, c'était la deuxième fois qu'une de ses attaques portait réellement, et c'était la deuxième fois que le colosse le repoussait aisément.

Il lâcha un autre juron. Foutus réflexes ! Il était censé avoir pour lui l'expérience des combats. Ce genre de chose n'aurait jamais dût se produire. Il jeta un regard de dépit sur sa hache qui reposait sur l'herbe- c'était précisément pour que cela ne lui arrive pas lors d'un combat sérieux qu'il avait voulut s'entraîner. Pour qu'il prenne les bons réflexes, ceux que l'on se doit d'avoir lorsqu'on se bat avec deux armes.

Il jeta un regard noir à Rägmor.

- Ne t'avise pas de me laisser tranquillement reprendre mon arme, fit-il en faisant remuer son poignet douloureux. Je te l'ai dis, je ne veux pas de cadeaux. Et un autre adversaire ne me laisserait pas faire.

Son avant-bras l'élançait affreusement, mais n'avait pas l'air cassé, bien qu'il doutait à présent de pouvoir s'en servir correctement. Il grimaça. Il venait de perdre l'un de ses rares avantages. Et l'attitude du giguêtre ne l'aidait pas non plus : il restait sur la défensive. Contre un autre adversaire moins bon, Donovan aurait fait de même- attendre que l'autre attaque, attendre une faille, une erreur, et en finir rapidement.

Sauf que le géant avait plus de force et d'endurance que lui. Rägmor serait capable de tenir encore longtemps ce combat, tandis que l'archer n'avait que quelques minutes tout au plus avant de commencer à être à bout de forces. Si son adversaire cherchait à l'avoir à l'usure, son plan risquait bien de fonctionner.

Son esprit tournait à toute vitesse. Même si l'attitude défensive du colosse le gênait, qu'il adopte une posture d'attaque le mettrait dans un plus mauvaise situation encore. Il se savait rapide, savait que son expérience lui permettrait de sentir venir le coup, mais même s'il pensait pouvoir esquiver une charge, il n'avait aucune envie de voir s'abattre sur lui la lourde hache.

Il n'avait qu'une seule idée en tête. Une seule option qui lui paraissait convenable. Et celle-ci lui fit peur, celle-ci serra son coeur, noua ses tripes. Il lui fallait s'approcher, encore, du géant. De la hache. Avec ou sans deuxième arme.

Il songea un cours instant à essayer d'attraper le manche de Skroll à main nue, mais chassa rapidement cette idée- il entrerait dans un rapport de force avec Rägmor, et il était certain de perdre.  En revanche...

Il écarta les mèches de cheveux collées à son visage par la sueur et chargea, poussant un hurlement sauvage. Que Rägmor le croit fou, bestial, ou quoi que ce soit d'autre. Qu'il s'attende à un assaut violent... qui ne viendrait pas. Donovan n'avait, pour l'instant, pas l'intention de porter le moindre coup.

Arrivant à proximité du tranchant de la hache géante, il se laissa tomber sur les genoux, glissant sur l'herbe verte du Drayame. Alors, il se propulsa vers le géant, forçant ses jambes à le relever soudainement, s'aidant de son bras blessé qui le transperça de douleur. Un arc de fer, au-dessus de sa tête- tandis qu'il se relevait, l'épée norse trancha l'air en un revers violent, cherchant à atteindre le bras du giguêtre.

Une détermination farouche assombrissait son regard, aiguisait ses sens. Cette fois-ci, quoiqu'il arrive, il ne reculerait plus.

Donovan sentit l'acier de sa lame mordre la chair de pierre de Rägmor- des gouttes de sangs éclaboussèrent son visage. Sous la douleur, le géant lâcha son arme, alors que l'archer se relevait déjà. Un éclair dansa un instant dans ses yeux- Oui ! Il le tenait !

Quand bien même son adversaire était désarmé, Donovan n'hésita pas une seule seconde. Il ramena son bras droit à hauteur de sa bouche, la main légèrement courbée, et... il frappa. Il frappa, encore et encore, ne laissant aucun répit au giguêtre. L'épée vrillait l'air, tranchait les chairs- elle mordit les bras du géant, mordit son ventre, mordit ses jambes.

Malgré la violence de ses coups, l'archer ne se laissa pas emporter par ses ardeurs. Avec l'expérience qui était la sienne, il savait que s'acharner stupidement lorsque l'on touchait la victoire du bout des doigts était un erreur- il resta méthodique. Il ne frappait pas au hasard, ne se laissait pas aveugler par l'adrénaline qui brulait en ses veines. Il devait affaiblir le géant. Déchirer ses bras, déchiqueter ses jambes.

Et surtout, ne pas penser à la lame qui pesait de plus en plus lourd dans sa main. Ne pas penser à la sueur qui trempait maintenant son corps entier, à son souffle qui devenait court. Il avait plus d'expérience que Rägmor; mais ce dernier gardait pour lui la fougue et l'endurance de la jeunesse.

Subissant de plein fouet son assaut, le giguêtre finit par tomber. Voyant là enfin sa chance d'en finir avec ce combat, Donovan leva la lame au dessus de sa tête, l'abattit violemment et... un bruit métallique- sa propre hache se trouvait maintenant entre les mains de son ami, bloquant l'épée norse en une résistance farouche.

Il rassembla ses forces; sa main gauche serra tellement le manche de l'épée que ses doigts blanchirent, sa mâchoire se crispa- il lutta, cherchant à clouer le géant au sol... avant de se désengager de ce combat qui drainait toutes ses forces. Le colosse avait encore de la ressource, malgré ses blessures. Encore un peu trop de ressource à son goût, d'ailleurs...

La contre-attaque de Rägmor fut loin d'être agréable. Donovan ramena à nouveau son bras droit contre lui, tandis que l'épée norse couvrit la zone partant du bas de son visage jusqu'à son ventre. La posture qu'il avait adoptée était risquée- ainsi, il pourrait difficilement parer un coup du giguêtre. Mais elle lui permettait de bouger plus facilement, et il misait tout sur l'esquive, comptait sur son agilité et sa rapidité pour s'en tirer...

Sauf qu'entre les mains du colosse, sa hache ressemblait presque à une brindille. Et quand on peut manier une arme telle que Skroll, nul doute qu'une simple hache ne devait pas peser bien lourd, à côté. Donovan sût voir venir quelques coups, les évita de justesse. Mais par deux fois, le tranchant de sa propre hache entailla sa chair. Une fine ligne de sang se dessina sur son épaule droite, courut le long de son bras. Une autre, plus importante, imprégna son torse- acculé, il eut un instant d'inattention; et lorsque son bras fut touché, sa garde se défit quelques secondes. Quelques secondes, seulement, mais cela suffit.

Donovan recula rapidement de quelques pas, expira pour mieux reprendre son souffle, conscient que s'il n'avait pas blessé son adversaire avant, l'expérience aurait été encore plus rude. Tous deux puisaient dans leurs dernières réserves de forces et de ruses. Rägmor étant en sang, tandis que le corps de l'archer commençait à le lâcher. Afin d'entailler la peau du giguêtre, il avait dût frapper plus fort qu'à son habitude. Bien plus fort.

Un mince sourire se dessina sur ses lèvres. Par tous les dieux, jamais il n'avait eu de combat si intense...

Les coups de Rägmor faiblissaient- il perdait en force, en vitesse... Donovan mobilisa ce qui lui restait de concentration. Tenir, encore, encore, enc... Une faille, dans la garde du giguêtre. Le poing gauche de Donovan, enserré sur la garde de son épée, vint heurter son menton. Le géant frappa encore- une fois, deux... Et s'écroula sur le sol, laissant échapper un râle, demandant l'arrêt de leur entrainement.

L'archer poussa un long soupir de soulagement. Lui-même était à bout de force, et, l'adrénaline du combat retombant, la douleur de ses blessures se faisait plus forte. Il sentait la sueur perler sur son torse et sa nuque, le sang couler aux morsures du fer. Son bras gauche était engourdi, supportant à peine le poids de l'acier, et il lui semblait que ses jambes allaient se dérober sous lui.

Il se laissa également tomber sur le sol, s'assit en tailleur et planta l'épée norse dans la terre du Drayame.

- Et que dire de toi ?, répondit-il avec un rire marqué par une toux épuisée. Jamais je n'ai affronté d'adversaire aussi coriace. J'ai bien crut que tu ne t'épuiserais pas. Je plains ceux qui devront te faire face lors de combats à mort.

Il posa ses bras au sol, derrière lui, se pencha en arrière, voyant du coin de l'oeil son frère d'arme s'amuser avec sa propre hache. Il laissa échapper un rire en voyant cette scène- oui, la hache avait vraiment l'air minuscule entre les mains du giguêtre.

- Ne te moque pas ! Entre des mains expertes, la plus petite chose devient mortelle ! Et puis, quoi ? C'est toi qui t'es écroulé le premier. Tu as perdu, lève-toi donc et va nous chercher toi-même à boire !

Il n'avait parlé méchamment, et le sourire qu'il adressa à son ami enlevèrent tout venin éventuel à ses paroles. Et puis, lui aussi était épuisé. Son souffle était encore haletant, et il n'avait aucune envie de devoir porter seul le tonneau de bière qu'il leur restait, il en était sûr, quelque part au fond de la grotte.

Son regard se promena sur l'herbe aux alentours, et tomba sur Skroll. Une idée lui traversa alors la tête, et il se leva péniblement pour aller la ramasser. Elle était lourde, pour lui- beaucoup trop lourde.

- Par tous les dieux Rägmor, comment peut-tu soulever cette chose, et te battre avec ? Je serais mort de fatigue après trois mouvements seulement. Mais regarde donc ce que moi, je sais faire avec ta hache.

Il retourna l'arme, faisant en sorte que la tête tranchante sur trouve en bas, et la tint comme une lance. Il prit son élan couru sur quelques mètres... et planta soudainement dans la terre, s'en servant comme levier pour se projeter dans les airs. La manoeuvre ne réussit pas, et la hache n'était pas encore tout à fait droite lorsqu'il s'écroula sur lui même, tombant lourdement sur le sol.

Ce qui ne l'empêcha pas de partir dans un grand éclat de rire, sous cette scène pathétique qu'il venait d'offrir. Il resta un instant sur le dos, appréciant la vue du ciel, le souffle d'air frais sur son corps.

- Tu sais, mon frère, fit-il d'une voix lasse, parfois, j'aimerais ne plus avoir à me battre. Apprécier la vie, simplement, être auprès de celle que j'aime, et laisser tous ces tourments, toutes ces horreurs loin derrière moi. J'aurais put être un homme paisible, dans une autre vie.

Il se releva et fit un sourire triste à son ami.
- Mais pas dans celle-là. Je ne pourrais rester trop longtemps au quartier général, il me faut partir. J'ai à me faire pardonner auprès de celle qui m'est chère, et j'ai ma petite idée sur la question. Je m'en irais dès que je me serais remis de notre affrontement.