Janvier 113, Plaines Mystique, région d'Afredal.
Le convoi était pris dans son élan, la vingtaine de fiacre menés par les cochers vacillaient tantôt à droite, tantôt à gauche sur l'étroite route de terre qu'imposait la province impériale.
Au sein des multiples transports, l'ambiance était palpable. La trouille au ventre pour la plupart, beaucoup avait l'impression de rouler dans leur propre tombeau, mais un individu ne semblait pas affecté par cette angoisse collective. Dans le véhicule de tête, un large sourire se formait sur le visage osseux de l'Apothicaire, sous les regards inquiets des multiples soldats de Nayris.
Amusé, il regardait le comportement et l'attitude des vivants à l'approche de la mort. C'était une situation bien particulière et qui passionnait l'individu masqué plus que tout. Lui-même savait que ces hommes et femmes n'en avaient plus pour longtemps. Ils seraient bientôt libérés du lourd manteau qui pesait sur leurs épaules depuis trop longtemps et faisait affront à la très vénérée : la vie.
Aux alentours de minuit, la colonne traversa la frontière, après que les éclaireurs aient effectué leurs sombres travaux. La voie était à présent libre.
Le convoi roula un moment avant de faire définitivement halte sur l'ordre de l'escouade de commandement, avant qu'un individu n'ordonne d'ériger le camp avancé.
Peste-Mort regardait les humains décharger les chariots avec intérêts. Ils étaient agités, angoissés et s'investissaient au maximum. Les voir de nouveau à l’œuvre après un si long séjour dans les Limbes était passionnant.
L'Apothicaire songea un moment, il était ici dans l'unique but d'accomplir la volonté de la très vénérée. De prouver à la Déesse qu'il était digne de la servir. Il allait devenir prêtre du Bras Armé.
Alors que le camp prenait forme, deux soldats prévinrent l'individu masquée qu'une case venait d'être aménagée pour lui, afin qu'il prépare ses travaux.
Après longue discussion avec l'un des membres de l'escouade commandante, il avait effectivement reçu l'autorisation d'exercer la maccabre tâche qu'il préparait.
L'Aphotichaire pénétra dans sa tente, un chaudron plein d'eau reposait déjà sur un feu ambiant, maintenu par un homme du Culte.
« Laissez-moi. » Ordonna le mort-vivant d'une voie ferme. Peste-Mort ne supportait pas être dérangé dans son travail.
Lorsque le soldat disparut derrière le rideau qui servait d'entrée à la tente, l'Apothicaire sortit de la poche intérieure de son manteau ce qui ressemblait à un grand sachet de thé. Le présent des Élus.
L'individu savait qu'il ne pouvait décevoir ceux qui lui avait remis l'arme biologique et qui comptaient à présent sur lui.
Lorsque l'eau entra en ébullition, il plongea le sachet dans le chaudron en murmurant des paroles incompréhensibles en dialecte humain, puis patienta en contemplant le liquide qui changeait progressivement de couleur.
Six heures après la halte du Culte, un chariot quitta le camp des Adorateurs et s’enfonça droit dans les terres de la contrée de l'Empire. A bord, le précieux chaudron et une dizaine d'individus.
Le véhicule tirés par trois chevaux roula longtemps. Il coupa par les bois, imposant à ses occupants de lourdes vibrations et secousses, puis s'arrêta non loin de ce qui ressemblait à une exploitation.
Sous les premiers rayons de l'aube, Peste-Mort sortit du fiacre et s’avança discrètement vers la ferme, sans dépasser la couche de végétation qui masquait le groupe des regards indiscrets.
Pendant ce temps, cinq Adorateurs déchargeaient le chariot et installaient un maigre campement, alors que cinq autres avaient pris la direction de la maison de fermier qui apparaissait derrière la couche d'arbre qui leur faisait face.
Malgré leurs longs uniformes rouges qui ne manquaient pas de les faire remarquer aisément, les soldats de Nayris traversèrent l'unique hectare cultivé qui s'étendait devant la demeure, en soutenant un long rondin de bois qui leur servirait de bélier.
Pendant que Peste-Mort s'engageait à son tour à traverser l'exploitation, le groupe d'amorce s'arrêta devant la porte de la maison et déposa lentement le bélier au sol. L'homme de tête se détacha du groupe et s'en alla faire le tour du lieu, de façon à vérifier le nombre d'entrée de celui-ci.
Alors que l'éclaireur était de l'autre côté de l'habitation, un chien de berger surgit de de ce qui ressemblait à une grange et aboya en direction du groupe, forçant l'éclaireur à filer sur lui, son sabre en main. L’aboiement du chien laissa bientôt place à une lente agonie, mais une deuxième menace venait d'entrer en jeu.
« Poivre ? Poivre ici ! » Cria un homme depuis l'une des fenêtres qui surplombait le groupe.
« Ouvrez cette foutue porte ! » S'exclama l'Apothicaire, agacé.
Sans attendre leur camarade qui s'était embusqué suite à l'apparition du fermier, les hommes soulevèrent le lourd rondin et frappèrent une première fois la porte en bois qui se fissura.
« Plus fort, imbéciles ! »
Le deuxième coup fut fatal pour la porte d'entrée qui vint s'écraser de l'autre côté. Les Adorateurs se ruèrent dans la maison les armes en mains, alors que des affolements se faisaient entendre à l'étage.
Peste-Mort ordonna au groupe de monter et de ramener vivant les occupants :
« Papa ? Papa qu'est ce qui se passe ? » Annonça une voix d'adolescent qui venait d'ouvrir la porte de sa chambre.
Mais les soldats de Nayris étaient déjà là. Ils empoignèrent le jeune-homme et le projetèrent dans l'escalier, avant qu'il ne soit réceptionné et maîtrisé par deux activistes qui étaient restés en retrait.
Le fermier était sur le palier, armé d'une masse d'arme artisanale, tentant de protéger son épouse pétrifiée.
« Dégagez de chez moi, foutus charognards ! Sortez avant que j'ne commette un meurtre ! »
Les hommes de Peste-Mort foncèrent sur l'individu qui abattit sa masse vers eux.
Les armes s'entre-choquèrent, le fermier frappait sans remord. L'homme de tête battit bientôt en retraite, l'une de ses épaules visiblement fracturée par un lourd coup de masse, laissant la place à deux autres soldats qui surgirent derrière lui et engagèrent à nouveau la lutte à travers le couloir étroit. Bientôt surpassé par le nombre, le brave fermier fut désarmé et empoigné de force.
L'opération n'était pas prise à la légère. En vue de ce qui allait se dérouler en Afredal, Peste-Mort avait besoin de capturer des cobayes de façon à les infecter et à les envoyer contribuer à la pestilence du territoire.
Alors que les soldats emmenaient les individus vers leur camp de fortune, l'Apothicaire ordonna de maintenir le fermier récalcitrant sur une table.
« Toi mon ami, je te réserve une toute autre faveur. Que dirais-tu d'être directement sacrifié au nom de la très vénérée Déesse de la Mort ? » Questionna Peste-Mort plein d'énergie.
« Ne touchez pas à ma famille, salopards ! Vous êtes complètement fou espèce d'ordure !! »
Le visage de l'Apothicaire se crispa, l'homme venait de toucher un point sensible.
« Fou ? Moi ?! Comment osez-vous ! Je vais vous montrer, misérable .. ! »
Le malheureux fermier fut sacrifié au nom de la Déesse.
Il est dit que depuis ce jour, Nayris se dota d'un nouveau prêtre. Un serviteur fourbe et dangereux qui risquerait de provoquer de graves troubles en ce monde déjà ravagé par la guerre.