On fit envoyer un messager pour apporter à Antripus tous les papiers et ingrédients récoltés, nécessaires à la fabrication d'un remède pour le Maléfice qui s'étendait sur Terra. Le messager déposa le tout dans la boite aux lettres d'Antripus. Il était suicidaire d'oser de promener autour d'un laboratoire qui puait le cadavre et la putréfaction. Antripus se dirigea jusqu'à son courrier en prenant soin de ne pas écraser les papillons et autres insectes inoffensifs qui étaient éparpillés par centaines au sol, tous asphyxiés par les émanations mortelles qui s'échappaient du laboratoire.
Antripus, qui était matinal, s'étira. Il avait passé une nuit reposante à étudier dans la cave de son laboratoire les réactions d'un corps humain quand on lui faisait boire différentes décoctions. Il n'avait jamais autant ri de sa vie, et encore moins de sa mort, si bien qu'il avait presque l'impression d'être fatigué a force de s'esclaffer. Mais il était désormais à la botte d'Aile Ténébreuse, et il risquait de se faire couper la tête s'il ne se mettait pas vite au travail. Fini la rigolade ! Il plongea sa main dans la boite aux lettres, récupéra les papiers, et fit demi-tour à l'intérieur de son laboratoire en prenant soin de claquer la porte.« Un cœur d'animal de Zelphos, du sang d'Archidémon et une mèche de cheveux d'un Adorateur de Nayris ?! S'exclama Antripus en décryptant ce qui était écrit sur le parchemin. Par les bijoux de famille du maître démon, je m'attendais à ce qu'il faille récupérer des ingrédients au vingt-quatrième étage d'une grotte souterraine dans les limbes, ces mêmes limbes qui m'ont faites revenir au monde. Je suis censé servir l'armée la plus puissante de Terra, et ils ne sont même pas fichus de m'apporter des ingrédients aussi simples. Ah ! Je ferais bien d'y aller seul, on ne peut définitivement compter que sur soi-même ! »
« Je vous entends.. rétorqua l'un des gardes qui défendait le laboratoire. »
"Défendre le laboratoire" était un grand mot. Il était nécessaire de laisser un espace minimum entre les gardes et le laboratoire. Même à plus de vingt mètres, l'odeur pestilentielle était encore présente. Il fallait rapidement mettre en place un système pour cacher ces effluves, ou bien tout Sent'sura finirait par puer la mort.
Antripus referma frénétiquement sa fenêtre en réponse à cet garde mal élevé et trop curieux.
« Allons bon, ils n'ont pas ton intelligence de grand scientifique. Leur cerveau a du être ramolli par les années de guerre. Ces ingrédients-là, tu les connais trop bien, Antripus. »
Et il n'avait pas tort. On ne devenait pas Herboriste ou Alchimiste par pur hasard. Cela nécessitait de s'y investir à temps plein, de partir à l'aventure et d'aller toujours chercher plus loin. Antripus était irréprochable à ce sujet là. S'il y avait bien un domaine où il était le plus sérieux, c'était dans ses recherches, ses expériences et tout ce qui tournait autour de l'Alchimie et de l'Herboristerie. Autant vivant que mort, il accomplissait tout ce qu'il prévoyait de faire, et ce dans les moindres détails. Du temps où il voyageait à travers le monde vaste de Terra, il dut affronter des bêtes sauvages, des monstres atroces et échapper à des groupes de bandits, ou pire encore. Il ne comptait encore et toujours que sur son alchimie pour se soigner et pour se battre. C'est à cette époque que son savoir dans l'alchimie grimpa en flèche : Il avait osé s'aventurer à des endroits où même les plus vaillants guerriers ne s'étaient jamais aventurés. Le besoin de connaissance et d'expérience était une motivation telle que sa propre vie ne valait rien à côté.
Il ne fallut pas bien longtemps à Antripus pour élaborer un plan clair, net et précis du remède. Il était mieux placé que quiconque pour ce genre de mission. Nayris, la mort, la peste, la décomposition.. Il ne connaissait que trop bien ! Quoi de mieux que de demander à un alchimiste trépassé d'établir un remède contre un phénomène qui ranimait les morts. Une fois le plan dessiné dans le moindre détail, accompagné de calculs et d'explications importantes, il prit soin de ranger précieusement ce parchemin au fond d'un tiroir où personne n'oserait chercher. Si quelqu'un venait à dérober ce plan du remède, alors Antripus risquerait de finir en tas d'ossements. Il déglutit rien qu'à l'idée d'imaginer ce que son puissant maître pouvait lui affliger.
« Inutile de perdre mon temps à appréhender des scénarios qui n'arriveront jamais, se dit-il pour se rassurer. Je suis trop génial pour qu'il puisse m'arriver quoi que ce soit. Il faut que j'aille prévenir l'Empire qu'il ne me manque plus que les ingrédients pour la mise en place du remède et que j'ai préparé un plan complet. Après le théorique vient la pratique ! »
Il sortit de chez lui, sifflotant l'air d'une vieille chanson, tandis que tout autour de lui s'écartaient les habitants de Sent'sura, effrayés par ce qu'ils voyaient, et étouffés par une puanteur qui n'avait pas lieu d'être dans une ville aussi réputée. Les gardes qui l'escortaient devaient avoir l'estomac solide, ainsi qu'une bonne apnée, pour pouvoir rester aux côtés du Grand Herboriste. Antripus se dirigea vers le supérieur qui était chargé d'être mis au courant de ses avancées dans ses expériences.