Les bottes d'Erwin bruissaient doucement sur les feuilles de la Cité des Arbres. Ces feuilles, bien entendu, étaient au sol, Erwin ne marchait pas en haut de la cime des arbres. C'aurait été une belle expérience ceci-dit. Il leva la tête pour contempler les arbres millénaires. La Cité était en pleine effervescence, et un grand marché était installé en son centre. L'endroit rêvé pour une transaction. Dans le cas d'Erwin, de Kira, et par extension de Voëlkara, ce n'était pas un simple échange de bibelot, ou l'examen d'une toile de maître. Non, il était question de plus subtil. D'un regard circulaire, il reconnut le contact. Il marcha dans sa direction, et appuya un regard en passant devant lui. Ce dernier le suivit des yeux, et le suivit tout court. Par cet échange rapide et invisible, le ton était donné: Voëlkara avait l'autorité, puisque c'était maintenant le commanditaire qui le suivait vers un coin plus tranquille ou discuter. Ils s’arrêtèrent dans une ruelle en périphérie de la grande place. Kira était là, assise sur une caisse en bois, nonchalamment appuyée contre le mur. Elle avait fait merveille en gardant la ruelle vide de monde. Erwin lui fit un clin d’œil que le commanditaire ne remarqua pas. Le chistël s'arrêta et se tourna vers l'elfe. Ce dernier était sans aucun doute un bourgeois, mais cela, Erwin l'avait deviné. En effet, ce dernier avait caché tout signe de richesse, et portait un capuchon en tissu dissimulant son visage et ses grandes oreilles. Mais certains signes ne trompaient pas: la bague surmontée d'un topaze à son index de la main droite, montrant aussi des ongles parfaitement manucurés. L'étoffe de ses vêtements, qui se voulaient être des habits du peuple, était aussi fine que le plus beau des atours. En réalité, Erwin soupçonna qu'il s'agissait de la robe de nuit du commanditaire. Cela le fit sourire intérieurement. Erwin repéra quantité d'autres détails, mais préféra se reporter sur l'elfe. Ce dernier remonta son capuchon juste assez pour que son visage soit visible. Un signe de reconnaissance, et un moyen de reconnaissance, les deux à la fois, se dit Erwin. Ce dernier ouvrit la bouche.

- J'imagine que vous êtes les membres de Voëlkara que j'ai fais venir pour être à mon service. Voilà comment cela va se passer. Je veux la plus grande discrétion sur tout ce qui sera dit et entendu au cours de la mission. Vous m'escorterez hors de la Cité vers un petit village pour que j'y fasse affaire. Arrivés à destination, vous recevrez le paiement de soixante Ailes de Bronze. Vous ne m'accompagnerez pas sur le chemin du retour, car cela ne sera pas une transaction de courte durée. Ainsi, vous serez libres de partir. Avez-vous des questions?

Erwin s'avança d'un pas et regarda l'elfe dans les yeux.

- Avons-nous la possibilité de connaître la nature de cette mission? Nous n'en serions que plus efficaces.
- Non, vous n'en serez informés que si je le juge utile. Tout ce qu'il vous sera dévoilé le sera si tel est mon souhait. Contentez-vous de me protéger.
- Nous serons aussi invisibles que possible, soyez-en assuré.
- Retrouvez moi à la porte Est de la ville, dans une heure.

L'elfe s'en fut et Erwin se tourna vers Kira. Elle n'avait rien dit, et le chistël se demanda ce qu'elle pouvait penser de cette mission...

- Alors, des idées sur les motifs de ce petit pompeux aux oreilles pointues?

Erwin rajusta Celestis dans son dos, et vérifia que le katana coulissait bien dans son fourreau. Son arme fétiche le suivait partout où il allait, et il ne s'en séparerait pour rien au monde. Il effectua la même action avec ses deux poignards. De vraies lames de rasoirs se dit-il. Puis il suivit Kira. Alors qu'il marchait en direction de la porte Est, Erwin réfléchissait aux informations que la Yogaï avait réussi à trouver auprès des passants. Les animaux sauvages n'étaient pas un problème. Erwin se considérait lui-même comme une bête et un chasseur. Penchant des deux côtés, il n'y aurait pas de problème. Pour ce qui était des détrousseurs, c'était une autre paire de manche. Ils sévissaient par bandes plus ou moins organisées, plus ou moins nombreuses, et plus ou moins réparties sur les routes. Erwin ne connaissait pas bien le pays de Drayame, mais les routes ne devaient pas être très sûres de par leur aspect forestier. Il s'agirait d'ouvrir l’œil, et le bon. Kira se tourna vers lui alors qu'ils arrivaient à la porte Est de la Cité des Arbres.

- En attendant, dis-moi si tu as quelque chose à ajouter pour cette mission.
- D'après moi, il nous faudra juste ouvrir l’œil. On ne sait pas si nous serons la seule escorte, ou si l'autre noble aura embaucher d'autres mercenaires. Si tel est le cas, on se positionnera à l'avant du convoi. Sinon, alors on fera la navette entre l'avant et l'arrière. Il faudra aussi que l'on joue les éclaireurs à tour de rôle.

Arrivés à la porte, ils aperçurent le convoi qui allait partir. Il se dirigèrent dans sa direction, reconnaissant l'elfe à son capuchon beige. Erwin se serra contre Kira et lui chuchota à l'oreille.

- A partir de maintenant, il faut qu'on soit les petits chiens les plus obéissants du monde. Je sais que ça te déplaît autant qu'à moi, mais ne lui donnons pas de raison de nous refuser le paiement à cause de notre penchant naturel pour l'insoumission à l'autorité...

Il arriva à hauteur du chariot, et se campa fièrement devant le commanditaire.

- Devons-nous marcher, où possédez-vous des chevaux pour ma compagne et moi-même?

Le ciel s’assombrissait, des nuages grisâtres commençant à faire leur apparition. Rien de bien alarmant encore, mais assez que pour laisser présager une averse qui serait bien handicapante. Non seulement elle réduirait la visibilité, surtout dans un milieu aussi dense en végétation, mais en plus la pluie ralentirait leurs mouvements, rendant certaines parties du trajet impraticables autrement qu’à pieds. Et autant dire que notre ami commanditaire aurait, en plus d’une difficulté naturelle à se déplacer de cette manière de par son entraînement de flasque ne bougeant jamais de chez lui, une certaine réticence à marcher dans la boue au risque de se salir. Bref, des conditions parfaites pour des bandits embusqués, connaissant un peu l’endroit. De quoi donner des inquiétudes aux mercenaires, même si rien ne disait que la pluie tomberait bel et bien.

« Et une mauvaise nouvelle de plus… »

Visiblement, c’était assez que pour mettre l’un des autres mercenaires en rogne. Au vu de son équipement plus neuf, mieux entretenu que les autres, il devait probablement être le chef, ou du moins un vétéran. Il s’approcha de la Yogaï et du Chistël, une grimace de colère sur son visage plein de cicatrices.

« Je vais être direct. Je n’ai pas la moindre idée de pourquoi vous avez été engagés. Moi et mes hommes, nous sommes plus qu’aptes à réussir cela de par nous-même. Ne comptez pas vous mettre dans notre chemin, restez en retrait et laissez faire les pros. Je n’ai aucune confiance en vous, et je n’aurai aucun remord à vous laisser en tant que distractions aux bandits. Mieux, je me ferai un plaisir de vous étriper moi-même si vous nous retardez, ou que vous faites quelque chose de travers… Après tout, deux mercenaires en moins, plus d’argent pour nous. C’est de bonne guerre, je suis certain que vous comprenez. »

Sur ces mots, il s’éloigna, retournant vers ses hommes. Non sans jeter un regard de grosse brute méchante n’ayant pas tout compris à la vie, mais voulant montrer qu’il était le plus fort aux deux membres de Voëlkara.

La pluie n'allait pas tarder à se mettre à tomber. Ils auraient du mal à progresser dans les petits chemins de la forêt. Déjà peu larges, ces derniers deviendraient alors des bourbiers infranchissables. Alors qu'ils allaient se mettre en route, un autre groupe de mercenaires se joignit au convoi. Il y eut de la tension au premier regard. Il y avait neuf hommes, bien armés, et qui ne semblaient pas en être à leur première mission. Ce n'était pas un problème. Erwin aurait pu les rayer de la carte à l'instant, et Kira était une excellente tireuse qui aurait sans doute pu en toucher plusieurs en très peu de temps. Mais le temps n'était pas encore aux hostilités. Bien entendu, Erwin se trompait. Le chef des mercenaires s'approcha du Chistël.

- Je vais être direct. Je n’ai pas la moindre idée de pourquoi vous avez été engagés. Moi et mes hommes, nous sommes plus qu’aptes à réussir cela de par nous-même. Ne comptez pas vous mettre dans notre chemin, restez en retrait et laissez faire les pros. Je n’ai aucune confiance en vous, et je n’aurai aucun remord à vous laisser en tant que distractions aux bandits. Mieux, je me ferai un plaisir de vous étriper moi-même si vous nous retardez, ou que vous faites quelque chose de travers… Après tout, deux mercenaires en moins, plus d’argent pour nous. C’est de bonne guerre, je suis certain que vous comprenez.

Ne laissant pas le temps à Erwin de répliquer, l'homme s'en retourna auprès de ses compagnons. Des amateurs tout compte fait. Erwin regarda Kira d'un air amusé. Il ne faisait pas preuve de suffisance face aux autres, mais c'était un fait. A eux deux, ils étaient plus performants en matière de protection que les neuf loubards engagés en plus par l'elfe. C'est pour ça qu'Erwin se permit son commentaire. Il porta ses doigts à sa bouche et siffla en direction de l'homme qui venait de lui laisser un goût acide sur la langue. Ce dernier se retourna. Erwin leva la main pour se mettre au garde à vous.

- Oui chef! Mais évitez de renverser le problème chef! C'est nous qui n'hésiterons pas à nous débarrasser de vous si vous faites mal votre boulot, chef!

Erwin claqua des talons et se mit en position pour le départ. Il avait beau affiché un immense sourire à l'extérieur, il était déjà en train de planifier les échappatoires face aux futurs débordements. Car il y en aurait sans le moindre doute...

Deux imbéciles, qui semblaient peut-être un peu trop certains de leurs capacités et plus prompts à se moquer qu’à combattre, voilà comment le chef des mercenaires voyait les deux personnages. Et encore, se moquer… Ils auraient pu être tellement plus originaux. Il verrait bien comment les choses se passeraient, mais il n’avait définitivement pas confiance en eux. Pas question de répondre à leur provocation de bas-étage, il était plus que temps de se concentrer sur la mission. Ne lui restait plus qu’à lancer un regard réprobateur afin de replacer ses subordonnés à leur place, qui commençaient à chuchoter, touchés dans leur honneur.

Toujours pas de mouvement au niveau de la météo, ce qui n’était pas plus mal. Le chef s’assura rapidement que le commanditaire était bien installé, afin qu'il ne les ralentisse pas trop en râlant, vérifia une dernière fois l’équipement de ses compagnons, et poussa un soupir. Quelque chose lui disait que les choses allaient mal se passer, et il n’aimait pas ce genre de sentiment. Il finit par lever le bras, vers la forêt, signe que tout le groupe devait se mettre en route.

Il ne fallut pas bien longtemps pour qu’ils tombent sur un élément intriguant. Un loup, mort, qui traînait au milieu de la route. Le chef fit s’arrêter la troupe, et s’en approcha, posant un genou au sol. N’importe qui d’un rien habitué se rendrait compte que ce n’était pas le simple résultat d’une quelconque chasse. Le cadavre ne serait pas laissé sur place. Il observa un rien les alentours, quelques secondes à peine.

« Ils nous laissent un avertissement… Faites attention, tous autant que vous êtes. »