Cela faisait plusieurs jours qu'Eolia quittait quotidiennement Flore ces temps-ci. Elle partait le matin, sans vraiment de but, et explorait cette contrée que le monde appelait Terre. Peu importe la direction, elle allait simplement sans vraiment se poser de questions. Parfois, elle n'avait rencontré nulle âme qui vive puis d'autres fois elle avait eu le plaisir de rencontrer des individus plutôt haut en couleur. Qu'allait-elle croiser aujourd'hui ? Son coeur en palpitait déjà de curiosité.

Cependant, sa marche durait depuis plus d'une heure quand l'un des animaux qui l'accompagnaient souvent dans ses voyages, un corbeau, revint à tire d'aile lui signaler que la mer n'était plus très loin. La mer... qu'était-ce que ce mot qu'elle n'avait lu que dans des parchemins et qu'elle n'avait fait qu'entendre. Pressée d'en savoir davantage, elle avait donc hâtée le pas en suivant le noir volatile. Elle n'était pas encore arrivée qu'elle sentit l'atmosphère changer. L'air était lourd et humide et une espèce de bruit de fond résonnait. Quand la nymphe arriva enfin en haut de la dune, elle vit enfin l'étendue aqueuse qui s'étalait à perte de vue et fut prise de cours.

Le spectacle était à la fois grandiose et effrayant. Qu'elle était loin sa forêt vu d'ici. La main en visière, la jeune fille essayait de distinguer l'horizon mais seule une épaisse brume lui faisait face, luisant au-dessus d'un miroir remuant. Le souffle coupé, elle n'aurait pu dire combien de temps elle resta ainsi mais finalement ses jambes, comme poussées à continuer, se remirent en marche et elle dévala donc la pente sableuse d'une démarche rapide pour enfin s'en approcher davantage. Le vent était bien plus fort ici et comme pour lui dire bonjour, il soufflait et la décoiffait, plaquant sa robe blanche contre son corps juvénile.

Eolia ne put s'en empêcher, elle quitta les sandales dorées qu'elle portait et entra dans l'eau, mieux, elle la goûta et le goût du sel la fit légèrement grimacer. Cependant elle était quand même tellement heureuse d'avoir découvert ce qu'était "la mer" qu'elle en oublia ce petit désagrément. Au contraire, insouciante, elle se prit à faire ce jeu que tant d'êtres humains avaient fait avant elle : fuir sur la plage à chaque avancée des vagues. Seulement, en tant que nymphe, ce jeu prenait une toute autre dimension. La mer lui parlait comme une rivière aurait pu le faire et se comprenant mutuellement, leurs mouvements trouvaient-ils alors un sens.

Après plusieurs courses-poursuites, la fatigue la prit et la demoiselle se décida enfin à s'arrêter de courir et commença à chercher un endroit où se poser. Ses pas la guidèrent le long de la plage mais il n'y avait aucun arbre et les quelques plantes qu'elle rencontrait était si desséchées qu'elle continuait à chaque fois son chemin. Heureusement, après quelques minutes de marche, elle aperçut une grande ombre et s'y dirigea. Au fur et à mesure, elle s'aperçut qu'il s'agissait d'une immense carcasse de bois échouée là. Les voiles étaient déchirées et le bois était lui-même à certains endroits cassé. Divers objets jonchaient le sol et... ses yeux remarquèrent que ce n'était pas la seule chose.

A quelques mètres d'elle, ce qu'elle avait pris pour une planche était en réalité un corps. Prudemment, la sylphide s'en approcha et distingua les traits d'un homme d'âge mur. Observant autour d'elle, elle n'en vit aucun autre et ne sachant quoi faire, elle fit ce que son instinct lui disait et s'agenouilla auprès de lui. Doucement, elle posa sa tête contre son coeur et quand elle le sentit battre, elle se releva pour le tirer à la force de ses bras jusqu'à l'ombre du navire échoué. Là, elle prit enfin le temps d'observer ses blessures et grâce à sa magie, réussit à en guérir la plupart d'entre elles. Les coupures se refermèrent et cicatrisèrent tandis que la fièvre retombait. L'homme semblait déjà mieux, avait retrouvé quelques couleurs et paraissait même dormir. La nymphe sourit et se posa contre le bois et se mit en tête de le veiller mais la fatigue d'un tel effort l'avait épuisée aussi sombra-t-elle malgré elle dans un sommeil léger.

Des vagues. Hautes, de plusieurs mètres, s’élevant dans les airs telles des colosses marins, touchant des cieux tourmentés par l’orage. Et ce roulis, ce chavirement, inlassable, éternel, qui soulève le cœur des hommes, qui les fait tomber, qui les malmène, et qui les emporte par-dessus bord, au fond de ces eaux sombres dont personne ne revient. La pluie, qui brouille leur vue, l’eau de la mer qui les frappe et les blesse, et qui les empêche de survivre dans cet enfer aqueux. Les cris des hommes face à la folie marine ; les cris de ceux qui perdent espoir, les cris de ceux qui tentent de les raisonner, et enfin les cris de ceux qui meurent, broyés par les blessures du navire, emporté par la houle meurtrière. Le poids de ses propres armes sur son dos, qui accablent ses épaules et gênent ses mouvements, les meurtrissures faites par l’étreinte des cordes, ses bottes qui le trahissent sur ce bois trempé… Puis la solitude dans ce monde de ténèbres, quand tous ceux qui étaient là ne sont plus, avalés par la gueule de la mer, ou encore finissant leurs jours sous le bois, tout autant meurtris que le bâtiment qui n’a sût les protéger. Et finalement, un choc brutal, qui le jette lui-même par-dessus le garde-fou, et, lorsque son corps heurte le sable, l’archer croit déjà qu’il est mort…

L’obscurité d’abord. Puis la conscience d’être en vie. En enfin, la lumière. Donovan se redressa d’un bond. Ses côtes grincèrent sous cet effort soudain et il grimaça sous la douleur. Encore sous le choc, il tenta de reprendre ses esprits. Premièrement, il était vivant. Ce qui, en soit, n’étais pas forcément une mauvaise chose. Deuxièmement, la mémoire lui revenait. Il avait réintégré l’armée. A Selian. Il était entré grâce à son ancien capitaine, mais les autres soldats, ses anciens compagnons, ne lui avaient pas pardonné sa retraite anticipée. Alors, comme on ne voulait pas trop de lui, on l’avait envoyé, ainsi qu’avec d’autres dont on souhaitait se débarrasser, en mission de reconnaissance à Terre. Histoire de définir la situation politique de façon claire. Un prétexte, bien évidemment. Ils avaient donc embarqué et… s’étaient retrouvés au milieu d’une tempête. Pour ce qu’il en savait, il était le seul survivant. Etrange, d’ailleurs. Pourquoi lui ? Quel que soit le Dieu à qui il devait sa chance, il lui en était reconnaissant. Troisièmement, il avait l’air d’aller bien. La plupart des hématomes et des coupures avaient disparut, et il n’avait apparemment rien de cassé. Quatrièmement, la broche que lui avait offerte Ysle était là aussi, toujours sous le plastron de cuir, qu’il enleva d’ailleurs, laissant apparaître l’oiseau d’argent.

Essayant en vain de ne pas se souvenir aussi qu’Ysle était morte, Donovan se releva. Il chancela un peu, puis parvint à trouver un équilibre. La tête lui tourna, mais le malaise passa vite également. Il ne se sentait même pas fiévreux. Prenant plusieurs grandes respirations, il regarda le navire échoué d’un air désolé. Il remarqua alors qu’il n’était pas seul. A quelques pas de lui, appuyée sur la coque en bois du navire, se tenait quelqu’un qui semblait dormir. Une jeune fille, pas encore tout à fait une femme, mais en passe de l’être, et d’une beauté rare. Enfin, pour quelqu’un de son âge. Il venait peut-être de trouver une explication à sa survie, mais ne voyait aucun matériel médical.

L’archer décida de la laisser dormir. Si vraiment elle s’était occupée de lui, elle devait être épuisée. De plus, d’autres problèmes plus urgents requérraient sont attention. Savoir si ils étaient en sécurité. Il n’avait pas survécu à un naufrage pour finir la gorge tranchée par un quelconque sauvage. Ensuite, trouver de la nourriture. Puis s’occuper de ses armes. Il entreprit donc de faire discrètement le tour des lieux, et prit le temps de réfléchir. Il n’allait pas faire la mission tout seul. Il n’avait donc plus qu’à rentrer. Mais par ou ? Il voyait bien, maintenant, que l’endroit lui était inconnu. Tout seul il n’arriverait à rien. Oui, il fallait qu’il trouve un moyen de rentrer à Glace. Le plus court était peut-être de passer à Sen’rin. Il avait toujours voulu voir l’île, et il pourrait peut-être rapporter quelques informations utiles.

Il allait entrer dans l’épave, puis s’avisa qu’il pourrait faire du bruit et réveiller la jeune fille. Il préféra donc commencer par ses armes. Il avait perdu toutes ses flèches pendant la tempête, mais le bateau en avait en réserve. La corde de son arc était mouillée, et là encore, il y avait probablement des réserves. Ce qui l’embêtait le plus était son épée. Il la tira du fourreau, et la rouille qui commençait à se former émis un grincement strident qui le fit grimacer. Il prit alors une poignée de sable, et frotta énergiquement la lame afin de la nettoyer.

Eolia s'était assoupie sans y prendre garde et ce ne fut que lorsque son noir ami vint prendre place sur son épaule qu'elle rouvrit doucement les yeux, cherchant pendant quelques minutes la raison de sa présence ici. Petit à petit, les souvenirs lui revinrent et ce fut donc empressée qu'elle se releva à la recherche de son "malade" qui n'était plus là où elle l'avait laissé. Tournant la tête, elle s'inquiétait de ne pas le trouver et se fustigeait de s'être endormie. Si elle l'avait sauvé pour qu'il lui arrive quelque chose, elle ne se pardonnerait jamais... Finalement ce fut le corbeau qui dénicha l'inconnu un plus bas, occupé avec son arme. Hésitante à le voir manier ainsi son épée, elle n'osa trop s'en approcher et resta donc en retrait.

En même temps, que pouvait-elle dire ou faire ? La jeune fille avait beau réfléchir, elle ne voyait aucune autre manière d'entrer en contact avec quelqu'un qui lui faisait dos et encore moins en de telles circonstances. Tout ce qu'elle pouvait voir de là où elle était, c'était qu'il avait l'air d'être en meilleur état que lorsqu'elle l'avait trouvé. Elle aurait pu tout autant repartir et cela ce serait fini comme cela aussi mais une petite voix lui disait de rester ici, comme s'il pouvait encore avoir besoin d'elle. Repliant donc ses jupons, la jeune nymphe s'assit sur le sable et continua à l'observer faire. Apparemment il se servait du sable qu'il faisait rouler sur son épée. Eolia ne savait pas à quoi cela servait mais l'homme arborait un air si concentré qu'elle ne se sentit pas le courage de l'arrêter en plein travail.

Derrière lui, l'horizon était toujours aussi embrumé et la mer continuait à doucement se soulever. Oubliant alors où elle était, la demoiselle se perdit dans sa contemplation et le temps s'écoula sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte. Le temps que son compagnon aux plumes noires n'arrivent à la faire émerger de ses rêvasseries, le ciel s'était couvert et à coup sûr un orage se préparait. Se décidant enfin à se lever, elle descendit prudemment jusqu'à l'homme qui ne semblait pas avoir bougé d'un cil. Par précaution, la pucelle s'arrêta à bonne distance, sait-on jamais qu'il soit surpris ou qu'il ne se décide à l'attaquer, et tenta d'attirer son attention.

- Excusez-moi...

[Hors RP : Désolé, je n'ai pas trouvé comment mettre ta couleur de texte :-s]

- Excusez-moi...

Donovan en était encore à s'acharnait sur son épée quand il entendit la voix derrière lui. Il se retourna, la lame toujours à la main, et vit la jeune fille assise derrière lui.

- Tiens, te voilà réveillée. C'est toi qui m'a soigné, n'est-ce pas ?

Il se releva et fit un pas vers elle. Il s'avisa alors qu'avec son épée dans la main, il n'avait pas l'air très commode. Il la rengaina.

- Ne t'inquiète pas pour mes armes, je ne te ferais pas de mal. Et je te suis reconnaissant de m'avoir aidé. Sans toi, je serais probablement mort. Je me nomme Donovan. Et tu es ?

La jeune fille lui rappelait beaucoup Ysle lorsqu'elle était jeune. Non pas dans l'apparence, mais dans les manières. Et d'y penser lui serrait le coeur, bien qu'il essaya de ne pas laisser transparaître son chagrin. Inconsciemment, il passa une main sur l'oiseau d'argent que lui avait autrefois offert sa défunte femme.

- Tu dois avoir faim. Moi oui en tous cas, mais je ne voulais pas te réveiller. Je crois qu'on peut trouver quelque nourriture dans la cale du navire. Encore ne faudrait-il pas que tout ça ait trop prit la flotte.

Donovan se retourna et entra dans la coque éventrée du navire. Lorsqu'il vit le cadavre d'un marin, coincé sous une poutre de bois, il fit signe à l'étrange jeune fille de rester à l'écart. Que pouvait-elle bien faire dans un endroit aussi perdu ? Où étaient ses parents ? Quoiqu'il en soit, ils devraient bouger vite. Il avait noté qu'un autre orage se préparait, et il ne tenait pas à être prêt de la mer quand cela arriverait. D'autant qu'il ne savait absolument pas où il était. Tout en réfléchissant, il fouilla rapidement la cale et revint sur la plage avec plusieurs morceaux de viande séchée. Il en tendit quelques uns à la jeune fille.

- Ce ne sera pas très bon, mais ça devrait nous rassasier pour une heure ou deux. Dis moi, sait tu où l'on est ? Tes parents ont-ils une maison dans le coin ?

- Tiens, te voilà réveillée. C'est toi qui m'a soigné, n'est-ce pas ?

Eolia ne répondit pas mais hocha doucement de la tête d'un signe affirmatif en reculant. Il faut dire qu'un inconnu - qu'on l'ait sauvé ou non - qui brandit une épée en nous parlant, ce n'était pas très rassurant. Un peu effrayée, elle recula doucement et sûrement dut-il s'en rendre compte car il ne tarda pas à ranger son arme pour se présenter.

- Ne t'inquiète pas pour mes armes, je ne te ferais pas de mal. Et je te suis reconnaissant de m'avoir aidé. Sans toi, je serais probablement mort. Je me nomme Donovan. Et tu es ?

- Eolia, répondit-elle d'une toute petite voix, quoiqu'elle fut un peu plus rassurée à présent.

Les mains jointes, elle le regarda se lever et se diriger vers le navire à la recherche de nourriture. Elle avait bien pensé à le faire mais avait été trop épuisée aussi, ce fut donc telle une enfant, ce qu'elle était encore à bien des égards, qu'elle le suivit en silence quand il pénétra dans la coque éventrée du navire. Elle se serait même probablement heurtée à son dos s'il ne lui avait pas fait signe de s'arrêter. Intriguée de savoir pourquoi, elle nota cependant à l'expression de son visage que ce qu'il essayait de lui cacher ne devait pas être vu aussi ne chercha-t-elle pas à en savoir plus et attendit patiemment qu'il revienne.

Quand il revint avec un sac qui avait l'air intact, ils prirent place à bonne distance l'un de l'autre, assis sur le sable blanc de la plage, et Eolia avait pris le morceau de viande séchée qu'il lui tendait mais elle ne le mangea pas. Non pas par irrespect ou autres mais tout simplement parce que la nymphette avait un régime essentiellement composée de fruits et de racines.

- Ce ne sera pas très bon, mais ça devrait nous rassasier pour une heure ou deux. Dis moi, sait tu où l'on est ? Tes parents ont-ils une maison dans le coin ? lui dit-il en mangeant.

- Merci... mais je n'ai pas très faim, répondit-elle en lui rendant son morceau de viande. Vous devriez le garder pour plus tard je pense. Vous pourriez en avoir besoin. Et euh... non. Ma famille ne vit pas ici et euh... je ne sais pas du tout où nous sommes. Enfin, nous sommes à Terre mais je ne saurai vous dire dans quel coin précisément.

Elle avait parlé tout en explorant les alentours, cherchant un indice qui aurait pu peut-être la renseigner mais en vain. Il était dommage que son noir ami soit parti, elle attendrait son retour. Peut-être que lui saurait lui indiquer où ils étaient.

- Attendons un peu. Peut-être que mon ami pourra nous le dire. Il faut juste attendre qu'il revienne.

Elle lui sourit d'un air rassurant puis reprit :

- A propos, vos blessures vont-elles bien ? Avez-vous mal ailleurs ?

Elle demandait d'un air inquiet car même si les nymphes avaient ce don de guérison, pour sa part, elle ne l'avait que très peu expérimenté et donc craignait constamment de faire des bêtises. Et puis, elle n'avait soigné que ce qui était visible et n'avait pas cherché plus loin donc qui savait à part lui... En tout cas, en le regardant discrètement, il avait l'air d'aller bien. Du moins en apparence.

Son ami ? De quoi parlait-elle ?

- A propos, vos blessures vont-elles bien ? Avez-vous mal ailleurs ?

Donovan tâta son corps. Son torse était encore douloureux, bien qu’il n’y ait aucune blessure apparente, et respirer lui faisait un mal de chien. Ses jambes étaient encore fragiles, et il se coltinait une bonne migraine depuis son réveil. Il décida néanmoins de ne pas contrarier la jeune fille ; celle-ci s’était déjà donnée suffisamment de mal comme cela. Il lui sourit alors de la façon la plus chaleureuse dont il était capable.

- Non, tout va bien. Encore un peu secoué, cela dit, mais ça passera. Et bien que je ne sache pas comment tu t’y est prise, tu a fais un très bon travail !

Au dessus de sa tête, le ciel lourd de nuages menaçait, et la mer commençait à sérieusement s’agiter. Dérangé par la houle, la carcasse du navire grinça. Il n’aimait pas ça du tout, et même s’il se sentait encore faible, ils ne pouvaient pas rester ici. Les premières gouttes de pluie commencèrent à tomber. Sang et cendres, la pluie lui tapait vraiment sur les nerfs, ces temps-ci.

- Voilà ce que je te propose, Eolia. Une tempête se prépare à nouveau, et je n’aimerais pas être sur le rivage quand elle frappera. Il nous faudrait trouver un abri, une grotte ou dans le creux d’un arbre. En tous cas s’éloigner d’ici. Crois tu que ton ami arrivera à nous retrouver ?

Il entendit à peine la réponse d’Eolia ; le tonnerre gronda en même temps qu’elle parla. Il commença à s’éloigner du navire lorsqu’il s’arrêta soudainement. Les flèches ! Il ne pouvait partir sans.

- Attends moi là, je reviens très vite , dit-il à la jeune fille.

Donovan fit demi-tour en s’engouffra une dernière fois dans le navire échoué. Celui-ci tanguait dangereusement, et la mer se faisait de plus en plus forte. Qu’il soit damné s’il devait un jour remettre les pieds sur un foutu bateau ! Enfin… après qu’il soit rentré à Selian, en tous cas. Il trouva une trentaine de flèches qu’il mit dans son carquois, et, lorsqu’il ressortit, le navire tangua dangereusement. Déséquilibré, il s’accrocha à un morceau de bois, mais une pointe de planche qui dépassait traça un sillon sanglant sur son avant-bras. Décidément, il collectionnait les gaffes. Il ressortit de là en courant et offrit un sourire gêné à Eolia.

- Partons vite d’ici, avant qu’il nous arrive malheur, dit-il en la poussant légèrement de la main.

L'homme semblait aller bien et ses propos confirmèrent ses impressions. Contente d'avoir pu aider sans faire empirer les choses, Eolia était toute encline à se montrer complaisante aussi quand l'orage qui se préparait gronda au loin, ce fut avec plaisir qu'elle l'entendit lui proposer de se mettre à l'abri.

- Une tempête se prépare à nouveau, et je n’aimerais pas être sur le rivage quand elle frappera. Il nous faudrait trouver un abri, une grotte ou dans le creux d’un arbre. En tous cas s’éloigner d’ici. Crois tu que ton ami arrivera à nous retrouver ?

Fini le beau temps et le moment des exclamations de joie. A présent, le danger à chaque instant aussi hochant la tête, la jeune fille répondit que son corbeau les retrouverait sans peine mais elle ne fut pas vraiment sûre qu'il l'avait entendu. Le tonnerre semblait se rapprocher et il leur fallait réellement se presser. Elle était déjà prête à partir quand il tourna les talons en lui criant quelque chose qu'elle n'entendit qu'à moitié mais qui suffit à la faire rester sur place, sans quoi, elle se serait probablement enfuie à l'abri ou l'aurait suivi.

- Partons vite d’ici, avant qu’il nous arrive malheur, lui dit-il quand il revint vers elle pour l'aider à avancer.

En temps normal, elle lui aurait probablement rétorqué que ce n'était pas elle qui traînait mais le temps justement ne lui permettait pas de rechigner aussi avança-t-elle. Le vent qui tout à l'heure jouait avec elle semblait s'être intensifié et bientôt, elle eut du mal à lutter contre la force qui la poussait. Sans vraiment réfléchir, elle s'accrocha donc à son compagnon. Il semblait bien plus stable et bien plus fort qu'elle au milieu de la tempête. En tout cas, la demoiselle était sûre que si elle le lâchait, elle s'envolerait probablement.

- Je ne vois rien devant nous. Crois-tu que nous trouverons un abri avant que la pluie...

Eolia n'avait même pas fini sa phrase que des trombes d'eau s'abattirent sur eux. Alors sans plus essayer de parler, la nymphe s'accrocha encore plus fort au bras de l'homme et s'aidant mutuellement, ils continuèrent d'avancer. Seulement, la plage était grande et elle ne la connaissait pas.

- Viens ! cria-t-elle alors à son compagnon.

Et sans cérémonie, elle l'entraîna non plus le long de l'eau mais en direction des dunes. Elle était arrivée par là tout à l'heure et en haut, elle savait que la nature reprenait ses droits. Là-haut, elle était sûre qu'ils trouveraient refuge. Avec le vent dans leur dos, la montée ne fut pas si difficile que cela, le plus dur étant de garder l'équilibre dans le sable qui semblait vouloir les empêcher de monter. Quand ils émergèrent sur une terre meuble, la nymphe sourit. Comme elle l'espérait, quelques ombres lui indiquaient qu'une forêt était à proximité. Tel un aimant, elle s'y dirigea sans abandonner son compagnon et bientôt, les arbres étendirent leurs voûtes au-dessus d'eux, filtrant ainsi la pluie et coupant le vent qui les avait suivi.

- Vois-tu quelque chose ? demanda-t-elle alors en cherchant des yeux une quelconque cavité dans laquelle ils pourraient se poser.

Tandis qu’ils traversaient la plage, Eolia s’agrippa à son bras, comme si elle craignait, probablement avec raison, de s’envoler si elle le lâchait. Donovan lui-même avait du mal à avancer dans le vent ; tentant à la fois d’être un appuie solide pour la jeune fille et de ne pas flancher lui-même, il avançait péniblement dans le sable. Eolia lui dit quelque chose plusieurs fois, mais le vent emporta ses paroles, et il ne put entendre distinctement ce qu’elle lui disait, ne captant que quelques syllabes noyées par la pluie. Soudain, elle sembla se décider pour une direction et l’amena dans une forêt.

- Vois-tu quelque chose ?

Oh oui, il voyait quelque chose. Les soldats avaient l’habitude de crapahuter dans tout type d’environnement, et s’ils étaient loin du savoir faire des chasseurs, ils arrivaient généralement à survivre dans les pires conditions afin de mieux mourir au combat. Et souvent, ils cherchaient ces arbres au tronc creux, pouvant abriter une ou deux personnes. Il n’avait rien pour faire de feu, mais au moins ils seraient à l’abri de la tempête.

- Là- bas ! Cet arbre a un tronc creux.

Il prit Eolia par la main et l’entraîna à sa suite. Il ne s’était pas trompé ; le tronc était bien creux, et il y avait un trou à sa base. Il fit d’abord passer la jeune fille, enleva sa fourrure d’ours et se glissa dans l’arbre.
Une fois installé, il posa la fourrure sur Eolia.

- Elle est trempée, mais elle devrait te réchauffer un peu.

Il sortit de l’arbre à reculons.

- Ne t’en fais pas pour moi, dit-il pour la rassurer. Je viens de Glace, et il fait bien plus froid là-bas. Je reviens dans un instant, ne bouge pas d’ici.

Donovan fit un tour de l’arbre dans l’espoir de trouver quelques branchages. Il en ramassa quelques-uns tout en réfléchissant. Il devait retourner chez lui, et le moyen le plus rapide pour cela était de passer par Sen’rin. Mais qu’allait-il faire d’Eolia ? La jeune fille elle-même ne semblait pas savoir où ils étaient. Et il ne pourrait jamais la laisser livrée à elle-même dans cet endroit là. Entre le climat et les mauvaises rencontres, quelque chose de mauvais pouvait lui arriver. Elle lui rappelait trop Ysle pour qu’il laisse faire. En fait, même sans cela, il n’aurait pût se résoudre à l’abandonner comme ça. Il revint avec quelques épais branchages, entra dans l’arbre et boucha l’entrée du trou avec ses trouvailles.

- Dis moi, Eolia, je vais jusqu’à Sen’rin. Que dirais tu de m’y accompagner ?

- Là- bas ! Cet arbre a un tronc creux.

A la pression de sa main, la jeune fille ne riposta pas et pénétra dans l'antre boisée et s'y pelotonna sous la peau que lui tendit son compagnon. Elle essaya bien de le retenir quand il voulut repartir mais il n'était déjà plus là. Aussi prenant son mal en patience, s'était-elle rapprochée du bord de la cavité pour le suivre du regard. Il semblait chercher et ramasser quelque chose mais elle ne distinguait rien avec cette pluie jusqu'à ce qu'il revienne. Apparemment c'était des morceaux de bois qu'il avait ramassé pour calfeutrer l'entrée.

Repoussant l'épaisse fourrure qui l'entourait, elle l'aida à mettre le tout en place puis reprit place sous le manteau de poils tout en lui en laissant tout de même un peu. D'elle, on ne voyait plus que le haut de son petit minois qu'elle avait enfoui dans l'épaisse toison. Et c'était tout somnolente qu'elle écoutait le bruit de la pluie qui tombait autour d'eux. Silencieusement, elle remerciait mère nature de leur avoir fourni cet abri quand Donovan lui posa une question.

- Dis moi, Eolia, je vais jusqu’à Sen’rin. Que dirais tu de m’y accompagner ?

Eolia hésita puis d'une petite voix qui sortait de dessous la pelisse, elle demanda :

- Je... je ne sais pas... Qu'est-ce que Sen'rin ? Et qu'irions-nous faire là-bas ?

Ce n'est pas qu'elle ne voulait pas l'accompagner mais elle ne savait pas ce que c'était et avant de se décider il fallait au moins qu'elle sache où on voulait l'emmener. Peut-être que d'autres personnes, telle Alyna, lui aurait déconseillé de suivre un inconnu mais la jeune fille se sentait en sécurité avec cet homme aussi ne pensait-elle pas à tous ces détails. Après tout, n'avait-elle pas commencé à quitter Flore avec l'intention d'explorer un peu plus les horizons ? Alors quoi de mieux que de le faire accompagnée d'une personne qui ne semblait pas lui vouloir de mal ?

Donovan regarda Eolia un petit moment. Il lui sourit chaleureusement. Evidemment. Une jeune fille n’accompagnerais pas un inconnu armé, dans un lieux qu’elle ne connaissait pas , sans crainte aucune. Parfois, il oubliait qu’il était en compagnie d’une si jeune demoiselle- il avait presque le double de son âge.

- Comme je te l’ai dit, je viens de Glace, et je dois retourner chez moi.

Il se replia un peu sur lui-même, dégageant un peu d’espace pour pouvoir dessiner une carte sommaire sur la terre.

- Regarde, Sen’rin est cette île, ici. De là, je pourrais trouver rapidement un bateau pour pouvoir rentrer chez moi.

Il se doutait qu’Eolia était en train de se demander pourquoi il tenait à ce qu’elle vienne avec lui. A la vérité, lui-même ne le savait pas vraiment. D’autant que l’île pouvait se révéler être un endroit dangereux; d’après ce qu’il avait entendu, si officiellement ses dirigeants se déclaraient neutres, ils étaient liés d’une manière ou d’une autre à Aile Ténébreuse. Il pouvait trouver une autre port pour rentrer chez lui, mais ne voulait pas laisser passer l’occasion de fouiller l’île.
Mais d’un autre côté, il ne voulait pas laisser la jeune fille livrée à elle-même. Etrangement, il s’en sentait responsable. Il fallait maintenant la convaincre de venir, et ce sans lui faire peur. Par tous les dieux, comme il détestait ce genre d’exercices !

- Ecoute, pour le moment nous sommes perdus au milieu de nulle part, et apparemment ni toi ni moi ne savons où nous sommes. Mais d’après mes calculs Sen’Rin ne devrait pas être loin, et avec sa réputation, elle ne sera pas difficile à trouver. L’île est un passage des plus connus des voyageurs, et de là nous pourrons aller où nous le souhaitons.

Il poussa un petit soupir.

- Comprend moi, je sais bien que ma proposition peut te paraître étrange, et même malvenue, mais je ne peux pas te laisser toute seule aussi, pas en ces temps troublés. Pour autant que je sache, il y a pillards et démons dans le coin.

Comme son compagnon lui souriait, la jeune fille cligna des yeux et lui rendit son sourire puis écartant quelque peu la pelisse qu'il lui avait prêté, elle se pencha en avant pour suivre les traits qu'il dessinait à même le sol. Dans cette concave cachette et la pluie battante extérieure sur l'écorce, on aurait pu croire qu'ils étaient seuls au monde et cela n'était pas plus dérangeant que cela, bien au contraire.

- Regarde, Sen’rin est cette île, ici. De là, je pourrais trouver rapidement un bateau pour pouvoir rentrer chez moi.

Hochant doucement la tête, la nymphe observait le tout en réfléchissant. D'un côté la prudence lui disait qu'il était dangereux de suivre un inconnu, aussi gentil et attentionné soit-il, mais après tout, n'était-elle pas venue ici avec l'intention de découvrir un peu plus que sa forêt. A coup sûr, son compagnon devait se demander ce qu'elle pensait car il reprit bientôt la parole d'une voix rassurante, parfois entrecoupée de petits soupirs.

- Ecoute, pour le moment nous sommes perdus au milieu de nulle part, et apparemment ni toi ni moi ne savons où nous sommes. Mais d’après mes calculs Sen’Rin ne devrait pas être loin, et avec sa réputation, elle ne sera pas difficile à trouver. L’île est un passage des plus connus des voyageurs, et de là nous pourrons aller où nous le souhaitons. Comprend moi, je sais bien que ma proposition peut te paraître étrange, et même malvenue, mais je ne peux pas te laisser toute seule aussi, pas en ces temps troublés. Pour autant que je sache, il y a pillards et démons dans le coin.

- Je comprends, répondit-elle, et si vous, enfin tu penses qu'il vaut mieux que je t'accompagne, je veux bien.

Bien entendu, elle omit de lui dire sa nature et aussi que sa maison à elle était sur ce continent. Le premier parce qu'il lui permettait de garder un avantage dans le cas où la situation se retournerait et le deuxième car elle avait peur qu'il la laisse ici pour partir sans elle. Maintenant qu'elle s'était faite à l'idée de traverser cette grande étendue d'eau, rien n'aurait pu la faire changer d'avis.

Mais en attendant, la fatigue la gagnait et ce fut donc tout naturellement qu'elle se reblottit dans l'épais manteau de fourrure avec l'intention de se reposer quelque peu en apprenant à faire connaissance avec l'homme mais la nature eut raison d'elle et sans même s'en rendre compte, elle plongea dans un sommeil réparateur.

Au petit matin, ce fut le chant des oiseaux qui l'éveilla et telle une fleur qui se serait clos pour la nuit, elle s'étira doucement, repoussant sa couverture improvisée en se demandant où elle était.

- Je comprends, répondit-elle, et si vous, enfin tu penses qu'il vaut mieux que je t'accompagne, je veux bien.

Donovan fit un petit sourire à la jeune fille. Eolia laissait transparaître une douceur rare en ce monde, à tel point qu'il se demandait comment elle avait pu survivre toute seule. Il resta pensif en la regardant s'enrouler dans le manteau. Elle s'endormit rapidement, plongée dans un sommeil profond, le laissa seul au creux de l'arbre. L'archer poussa un soupir. Il avait beau essayer de paraître sûr de lui, la réalité était tout autre. Il était complètement perdu. Et il ne savait pas comment se sortir de là. Sur le coup, rejoindre Sen'rin lui avait semblé être une bonne idée, mais il n'était pas certain que l'île lui porterait chance. Il avançait en aveugle, et il détestait ça.

Ses pensées se tournèrent machinalement vers ses compagnons disparus. Dire qu'il avait été proche d'eux aurait été un mensonge. Il connaissait à peine ces hommes, et n'avait aucune affinité avec eux. Il avait crût qu'après la décision des Glaces de rejoindre la rébellion, les choses se seraient améliorées dans l'armée, mais au final le haut commandement prenait toujours des décisions douteuses. Une troupe entière de soldats étaient morts pour rien. Il haussa les épaules. Il avait apprit avec le temps que repenser aux morts était une perte de temps- il devrait plutôt s'estimer heureux d'être toujours vivant.

Il sortit de son abri et fit quelques pas en remuant ses épaules. Bien que Eolia l'eut soigné, il avait l'impression que tous les muscles de son corps lui faisaient encore mal. Et le manque de sommeil menaçait de l'emporter. Ses habitudes de soldat lui disaient qu'il serait mal avisé de s'endormir comme cela. On ne sait jamais à quoi s'attendre, et établir une garde de nuit lui semblait important. Mais il ne se voyait pas réveiller la jeune fille pour ça. Pas après tout ce qu'elle avait fait pour lui. Son repos était bien mérité. L'archer s'assit donc à l'entrée de leur petite cachette, l'arc en travers ses genoux, une flèche encochée et prête à partir. Il tenta de veiller, mais ses yeux se fermaient tous seuls, et, bientôt, le sommeil triompha de lui.

Il ne se réveilla qu'avec les premières lueurs de l'aube. Après un léger instant de panique, il secoua la tête pour garder les idées clairs. Bon, il s'était endormi. Pas conseillé, mais la nuit étaient passée sans encombres, et se maudire pour ça était inutile. En revanche, son corps lui faisait un mal de chien. Dormir assis avait le désagréable inconvénient de laisser le corps plein de courbatures. Derrière lui, Eolia s'éveilla elle aussi. Sur le coup, elle lui fit penser à une fleure, ce qui provoqua un léger sourire sur son visage.

- Bonjour, Eolia. J'espère que tu a pu dormir convenablement. Une longue route nous attend.

Il farfouilla dans son sac et en sortit un morceau de viande séchée qu'il tendit à la jeune fille.

- Mangeons un peu. Il faudrait que l'on parte assez rapidement.

"Où suis-je ?" se demanda la délicate jeune fille en ouvrant ses paupières qui furent vite aveuglées par la lumière blanchâtre du jour. Une voix rassurante et profonde résonna néanmoins à quelques pas d'elle et ce fut donc sur le qui-vive qu'elle repoussa totalement la fourrure qui l'avait couverte cette nuit et qu'elle s'agenouilla pour observer un potentiel danger. Déjà ses yeux s'habituèrent et elle put distinguer un visage mûr et bien dessiné qui ravivèrent ses souvenirs de la veille.

- Bonjour, dit-elle finalement en esquissant un sourire. J'ai très bien dormi et toi ?

Puis s'avisant qu'il était à l'extérieur de l'arbre et assis par terre, la culpabilité l'envahit. A coup sûr, il s'était endormi assis et dehors en montant la garde alors qu'elle s'était stupidement endormie bien au chaud sans plus se poser de questions.

- Tu as dormi dehors Donovan ? Tu aurais du me réveiller, je t'aurai tenu compagnie tu sais ?

Se relevant, elle se sortit à son tour du tronc creux et s'étira doucement à la brise du matin. Dehors, le soleil brillait et le pan de ciel qu'elle pouvait apercevoir à travers le feuillage épuré des arbres était aussi bleu et calme qu'un jour d'été. En face d'elle, l'homme quant à lui fouillait dans son sac et en sortit bientôt quelques morceaux de viande séchée qu'il lui tendit en lui demandant de se restaurer car la route allait être longue toutefois la nymphette lui sourit et hocha doucement de la tête pour refuser.

- Cela ira. Je préfère les fruits de bon matin, dit-elle gentiment. Je reviens tout de suite.

Et avant même qu'il eut pu esquisser un geste, elle s'était éloignée dans les sous-bois. Une dizaine de minutes plus tard, elle revint avec des baies et diverses feuilles et racines comestibles et même un peu d'eau et déposa le tout devant eux.

- J'ai trouvé un petit ruisseau. Rien de grandiose mais c'était déjà cela. En plus, il y avait de petits buissons juste à côté où j'ai pu récupérer ces baies. Tu peux en prendre si tu veux. J'en ai pris pour deux.

L'homme serait probablement surpris mais tant pis. Elle était nymphe, la nature n'avait aucun secret pour elle alors ce fut donc tranquillement qu'elle commença à manger, non sans continuer à discuter.

- Dis-moi, as-tu une idée de comment nous allons nous rendre à l'endroit dont tu m'as parlée ?

- J'ai trouvé un petit ruisseau. Rien de grandiose mais c'était déjà cela. En plus, il y avait de petits buissons juste à côté où j'ai pu récupérer ces baies. Tu peux en prendre si tu veux. J'en ai pris pour deux.

Donovan lui jeta un regard curieux. Il ne s'était pas vraiment inquiété lorsqu'elle était partie, sachant que tout le monde avait besoin d'un minium d'intimité. En revanche il était plus surpris par la découverte du ruisseau; lui même n'avait rien entendu du tout. Mais comme il la regardait évoluer dans la forêt, il trouva qu'elle allait en parfaite harmonie avec son environnement, comme si elle faisait elle même partie de cet ensemble de verdure et de parfums. De plus, elle avait une fois de plus refusée la viande, et l'archer ne ferait pas l'erreur d'en proposer une dernière fois. Il avait déjà rencontré des personnes dont le régime alimentaire excluait ce type d'aliments, mais il ne comprenait pas pourquoi elle ne lui en avait pas parlé. Probablement qu'elle ne lui faisait pas encore confiance.

Il tendit une main et prit une ou deux baies dans la main de la jeune fille.

- Merci Eolia.

Il craignait quelque peu d'avaler les baies - comme beaucoup d'habitants des villes, il se méfiait toujours un peu de ce qui poussait sauvagement dans la nature, nourriture dont on apprenait qu'elle n'était pas comestibles que lorsqu'on se tordait de douleur par terre, des crampes terribles à l'estomac. Mais il ne voulut pas la contrarier, aussi fit-il abstraction de ses préjugés et mangea, trouvant, finalement, cela plutôt bon.

- Dis-moi, as-tu une idée de comment nous allons nous rendre à l'endroit dont tu m'as parlée ?

Donovan faillit s'étouffer avec les baies. Aïe, voilà qu'elle posait la question sensible. Par tous les dieux, il était adulte, et était censé se montrer responsable ! Il jeta un regard autour de lui. Le problème était que le naufrage l'avait fait débarqué dans un endroit qu'il ne connaissait pas, et surtout un endroit qui n'était pas celui auquel il était prévu qu'il débarque. En un mot, il ne savait même pas où il était. Mais il avait pu y penser, avant de s'endormir, la veille.

- He bien avant tout, il faudrait trouver une ferme, village, ou même une route pour savoir où on est, et ensuite demander la direction, ou même trouver un moyen de transport, comme des chevaux ou un chariot. Ou mieux encore un petit bateau qui nous permettrait de couper par la mer.

Et encore une fois, il était dépendant d'Eolia.

- Dis moi, est-ce que ton... ami, de hier, pourrais nous donner un coup de main ? Survoler la forêt, et nous indiquer des constructions humaines non loin d'ici ?

Agenouillée avec précaution sur la terre meuble encore engorgée de la pluie dernière, la jeune nymphette dégustait ses baies avec appétit, appréciant à sa juste valeur la savoureuse chair des fruits qu'elle avait ramassé ce matin. Parfois, elle s'interrompait pour boire à l'aide d'une feuille encornée quelques gouttes d'eau tout en observant autour d'eux, sans toutefois être inattentive aux propos de son compagnon qui déjeunait en face d'elle. La preuve, quand il cita son ami volatile, la jeune fille se retourna vers lui et réfléchit avant de répondre.

- Il pourrait oui, je pense, mais...

Elle ne finit pas sa phrase, sombrant dans une intense réflexion. Dans son esprit, elle se demandait si elle demandait simplement à cette nature environnante son aide ou si elle prenait elle-même forme pour aller voir. Savait-on jamais. Cependant, ne voulant pas l'inquiéter en disparaissant de longues heures, surtout quand on savait qu'elle maîtrisait encore mal son don, elle opta finalement pour la première option et ce fut donc dans un petit sourire qu'elle lui fit part de ses pensées.

- Je vais tâcher de demander de l'aide.

Et sans vraiment que l'on sache comment l'ami au plumage d'ébène apparut et vint se percher sur son épaule. Doucement, Eolia fit part à l'oiseau de leur demande et celui-ci s'envola aussitôt pour observer les environs, laissant les deux "humains" continuer leur repas du matin. Au bout de quelques instants, s'estimant repue, la nymphe s'arrêta et attendit patiemment que son compagnon finisse à son tour.

Avec un peu de chance, le corbeau reviendrait rapidement mais elle doutait. Dans son voyage, la veille, elle n'avait rien vu alentour alors que pouvait-il donc y avoir... Toutefois, elle fit taire son scepticisme et entreprit de ranger la nourriture restante dès que Donovan eut fini. Elle ne pouvait pas l'aider à grand chose mais au moins, ça, elle savait le faire.

- Je vais tâcher de demander de l'aide.

Un corbeau apparut soudainement, se perchant sur l'épaule de la jeune fille, qui sembla lui dire quelque chose. Donovan regarda la scène sans broncher. Eolia l'avait sauvé de la noyade, l'avait soigné, et voilà maintenant qu'elle lui permettait de trouver son chemin. L'archer poussa un soupir - se reposer autant sur quelqu'un d'autre n'était pas dans ses habitudes. Le corbeau reprit rapidement son envol, les laissant seuls pour finir leur léger repas. Donovan avala un dernier morceau de viande, voyant qu'Eolia avait finit, puis entreprit de ramasser ses affaires.

- Je pense qu'on devrait commencer à marcher, dit-il à Eolia. Ton corbeau devrait nous retrouver facilement, vu comment il a surgit de nul part. Et ça nous fera bouger un peu.

Oui, le corbeau ne devrait pas avoir trop de mal à les retrouver. Donovan rassembla ses affaires, sangla son carquois et le fourreau de son épée dans son dos, gardant l'arc à la main.

- On va essayer de regagner la côte. Si on peut longer la mer en restant à la lisière de la forêt, on ne devrait pas rencontrer de problèmes.

Il fit signe à Eolia de le suivre puis commença à s'enfoncer dans la forêt. Il avait essayé tant bien que mal de garder des repères par rapport à la plage, mais n'était même pas sûr d'être sur le bon chemin. Il n'en laissa pourtant rien paraître.

Si la pluie avait arrêté de tomber, la forêt restait emplit d'humidité, et les arbres lâchaient encore quelques eaux sur les deux voyageurs. Alors qu'il écartait une branche avec le bout de son arc, une craquement de bois retenti, suivit de près par un grognement... Par réflexe, l'archer encocha une flèche à son arc. Une masse de fourrure brune apparut soudainement au détour d'un arbre, et le sang de Donovan se glaça dans ses veines. Instinctivement, il visa la tête de la bête, qui huma l'air avant de poser ses yeux noirs vers lui et Eolia. L'archer répugnait à tuer une telle bête, mais était prêt à tirer au moindre geste suspect de l'animal. L'ours se mit alors sur ses deux pattes arrières, les toisant du regard.

- Recule doucement, souffla Donovan à la jeune fille, sans quitter l'ours des yeux.

L'oiseau s'était envolé à tire d'aile et à présent le petit-déjeuner était terminé. Tout en rangeant, Eolia écoutait les propos de son compagnon de route et ne pouvait qu'acquiescer. Même avec son immense inexpérience, la princesse se doutait bien qu'il ne servirait à rien de rester en place. Et puis, il était vrai que le corbeau les retrouverait où qu'ils soient dans ces alentours alors elle hocha la tête et se prépara à partir.

- On va essayer de regagner la côte. Si on peut longer la mer en restant à la lisière de la forêt, on ne devrait pas rencontrer de problèmes.

- Je te suis, dit-elle simplement en prenant pas derrière lui.

Habituée à marcher lentement, elle dut faire parfois plusieurs petites enjambées pour le rattraper mais cela ne la fatigua point. Au contraire, elle appréciait la promenade et la nature environnante lui plaisait. C'était son élément et elle s'y sentait comme un poisson dans l'eau. Même la boue qui tâchait le bas de sa jupe ou les flaques qu'elle devait parfois contourner n'auraient pu altérer sa bonne humeur matinale. L'orage était loin et seuls les quelques rayons du soleil qui transperçaient le feuillage des arbres lui importaient. Elle aurait même pu se mettre à fredonner si leur quiétude n'avait pas été troublée par... un ours.

- Recule doucement, lui souffla Donovan, les yeux rivés sur l'animal et l'arc à la main, mais ne l'écoutant nullement, la nymphe se suspendit à son bras et lui demanda d'attendre.

- Non. Donovan. Attends...

En effet, elle était nymphe, elle parlait aux animaux et elle savait que ceux-ci n'attaquaient pas. Du moins pas sans raison, pas s'ils se sentaient menacés. Aussi, la main posée sur son avant-bras, elle se tourna vers l'animal, le fixa longuement puis tendit la main vers lui, comme un signe d'apaisement. Surtout, ne pas bouger. Surtout, ne pas le brusquer.

Donovan était sidéré. Quand il avait vu l’ours, son sang s’était glacé- ces animaux étaient suffisamment fort pour déchiqueter un homme en deux temps trois mouvements. Son premier réflexe face à ce genre de menace ? Armer son arc et, viser la tête, et tirer au moindre geste suspect.

Et voilà qu’Eolia, qui semblait si fragile à côté de la bête, la bravait sans broncher. Décidemment, cette jeune fille lui cachait quelque chose. Espérait-elle vraiment calmer un animal sauvage ? Donovan abaissa son arc et laissa faire. Pour faire face à l’ours d’une telle manière, Eolia devait savoir ce qu’elle faisait, et il ne voulait pas la gêner.

Il attendit donc patiemment, luttant pour garder son calme et se faire le plus discret possible. Si l’ours avait des affinités avec Eolia, il doutait qu’il en ait avec lui, qui avait déjà mangé certains de ses confrères ours. Sans parler des manteaux et autres accessoires qu’il avait fabriqué avec leurs peaux. Donovan eut soudainement la désagréable sensation d’être un boucher. Il regarda ailleurs, cherchant à dissimiler son malaise, plaçant toute sa confiance en la jeune fille qui l’accompagnait. Quelques instants plus tard, un bruissement, et l’ours avait disparu. Quoique Eolia ait pu faire, cela avait marché.


- Je ne sais pas trop ce que tu viens de faire mais… merci, dit-il.

Il rengaina son arc et se remit en route, faisant signe à Eolia de le suivre. Ils marchèrent ainsi une heure durant, crapahutant à travers les bois. Donovan se sentait perdu, et n’étant pas certain de pouvoir le cacher, il ne disait mot. Et tant pis s’il avait l’air d’un rustre. Et puis, il ne voulait pas mettre Eolia dans l’embarras en posant des questions qu’il devrait garder pour lui, et il craignait que ces questions là ne finissent par lui échapper. Envoyer un corbeau faire un repérage aérien… rare, mais d’accord. Tenir tête à un ours… ça commençait à être étrange, même si les créature mystiques, au fond, ne l’avaient jamais inquiété.

Au détour d’un chemin, alors qu’il écartait un feuillage qui lui barrait la route, la forêt s’arrêta brusquement, laissant place à une lande sauvage et rocheuse, que venait frapper la mer. Ainsi, ils avaient bien fini par regagner la côte. Alors que l’air marin fouettait son visage, Donovan jeta un coup d’œil aux alentours. Rien. Pas même la fumée d’une cheminée, pas même une route tracée. Maintenant, il s’agissait de savoir de quel côté aller.

- Revoilà la mer… Tu penses que ton corbeau en a encore pour longtemps ? Je n’aime pas l’idée de m’éloigner de cet endroit sans savoir où l’on va, sans être sûr d’être dans la bonne direction.

La nymphette poussa un discret soupir quand l'animal décida finalement qu'il ne craignait rien et qu'il rebroussait chemin. Derrière elle, elle pouvait entendre l'homme ranger son arc et la remercier mais ce fut tout de même mal à l'aise qu'elle se retourna vers lui. A tous les coups, il devait se poser beaucoup de questions sur elle et la jeune fille ne savait pas trop encore quoi répondre. Elle aurait pu se taire et le laisser faire aussi hein mais au prix d'un animal innocent, elle n'aurait jamais pu... Heureusement, son compagnon ne sembla pas vouloir relever de suite l'incident et préféra rouvrir la marche. Trop heureuse d'échapper à des questions sans réponse, elle sourit et le suivit aussitôt, prête à ne plus se faire remarquer, du moins autant que cela se pouvait.

Bientôt leurs pas les menèrent de nouveau vers le rivage. La main en visière, Eolia tâchait d'observer l'horizon, à la recherche d'une paire d'ailes noirs. Donovan aussi d'ailleurs à en croire ce qu'il disait mais la jeune fille ne pouvait y répondre. Qui sait jusqu'où cet abruti d'oiseau était allé ? Si elle n'avait pas craint de trop en dévoiler sur elle, elle se serait elle-même changé en oiseau et serait allée voir en personne ce qu'il y avait aux alentours.

- Je ne sais pas combien de temps cela lui prendra Donovan et je suis désolée. Il n'est pas mauvais mais il a du s'attarder quelque part ou alors il est allé trop loin et...

Elle n'avait pas fini sa phrase qu'elle tourna son ravissant visage vers la mer. Là-bas, une embarcation s'approchait d'eux. Etaient-ce des pêcheurs ? Elle n'aurait su le dire mais au vu de leurs filets et de leurs cris, peut-être ? En tout cas, ils semblaient les avoir vu à leur tour et venaient à présent dans leur direction. Levant son regard vers son camarade, l'adolescente se reposait entièrement sur son instinct pour savoir s'il fallait ou non rester ainsi, parce que elle, à ce niveau, elle n'avait aucune expérience.

- Tu crois que l'on risque quelque chose ? chuchota-t-elle tout bas pour que lui seul l'entende au moment précis où le bateau touchait le sable et que les hommes à bord mettaient pieds à terre.

Donovan suivit le regard de la jeune fille et grimaça. Peut-être était-il paranoïaque, mais que les pêcheurs les aient vus tous les deux le gênait.

- Tu crois que l'on risque quelque chose ?

L'archer tourna la tête vers Eolia.

- Je ne sais pas. Reste là, je te ferais signe.

Il lui fourra son arc dans les main et s'avança sur le sable. Faire connaissance en leur pointant une flèche dessus ne lui paraissait pas être une bonne idée, et, de toutes façons, il pourrait toujours se servir de son épée si les choses tournaient mal.

- Hé là, l'ami ! Fit un des hommes, qui descendait du bateau.

Le type en question avait tout l'air d'un pêcheur, un homme d'âge mur, des cheveux rasés et une barbe de quelque jours encadrant sa bouche.

- Vous venez d'où tous les deux ? C'est rare, de voir des gens par ici. Et sans offenses, un homme armé, ça n'apporte jamais rien de bon...

- Paix, fit Donovan calmement. Je ne suis qu'un homme égaré, et mes armes ne me servirent qu'à me défendre. Nous cherchons un moyen d'aller sur Sen'rin. Pourrais tu nous aider ?

L'homme parut réfléchir un instant.

- Je ne te connais pas et tu m'a l'air d'être un mercenaire ou quelque chose comme ça. Tu pourrais tout aussi bien tous nous tuer... Donne nous tes armes et on peut vous emmener à l'île. Nous devons y passer, faire du commerce. C'est ta fille ?

- Oui, répondit Donovan en faisant signe à Eolia de les rejoindre.

D'un air méfiant, il se défit de ses armes et les donna au pêcheur.

- Eolia, ces hommes vont pouvoir nous amener sur Sen'rin.

Il se pencha vers elle et lui chuchota à l'oreille :

- Je leur ai dit que tu étais ma fille. Joue le jeu, ce sera plus sûr.

L'archer s'approcha de la petite embarcation et tendit sa main à la jeune fille afin de l'aider à y monter.

L'embarcation stoppa et s'ensuivit alors une discussion entre Donovan et les hommes à bord. Sans vraiment savoir pourquoi, la nymphe préféra rester en arrière comme lui avait conseillé son compagnon et attendit qu'il s'occupe de voir avec les inconnus ce qu'il en était. Elle était peut-être innocente mais pas naïve à ce point et trop d'hommes la gênaient. D'ailleurs, certains d'entre eux l'observaient d'un air insistant et ce fut donc tout naturellement qu'elle leur tourna le dos. Pour s'occuper, elle joua avec la corde de l'arc que Donovan lui avait remis. Cela lui rappelait une journée auprès d'un ruisseau et cela la fit sourire. Derrière la conversation allait bon train et quand enfin on l'appela, ce fut presqu'en sursautant qu'elle se retourna.

- Eolia, ces hommes vont pouvoir nous amener sur Sen'rin.

Aussitôt l'adolescente se précipita vers lui et lui rendit son arc pendant qu'il lui chuchotait à l'oreille ses dernières recommandations. Apparemment il avait réussi à leur faire croire qu'elle était sa fille et cela la fit sourire mais pour ne pas le contrarier, elle hocha discrètement de la tête en signe d'assentiment. Acceptant sa main, elle monta alors à bord du bateau et prit place à côté de lui pendant qu'ils retournaient en mer. C'était une impression nouvelle pour elle et c'était donc radieuse qu'elle observait la plage qui s'éloignait. Elle ne se rendait pas compte à quel point sa candeur et sa fraîcheur pouvaient attirer l'attention. Combien de temps naviguèrent-ils depuis que l'horizon avait disparu, elle n'aurait su le dire mais en tout cas, la fatigue commença à l'atteindre et ce fut donc tout naturellement qu'elle se reposa contre son compagnon.

- Donovan, où sont tes armes ? demanda-t-elle alors tout bas en se rendant compte qu'il ne les portait plus. Es-tu bien sûr qu'il valait mieux les leur donner ?

Elle ne voulait pas attirer l'attention sur eux mais cela l'inquiétait quand même un peu. Encore qu'elle, il lui suffirait probablement de changer de forme et de plonger mais et lui ? Que ferait-il si jamais on essayait de leur faire du mal ? Ce fut donc peu rassurée qu'elle se colla davantage contre lui. C'était étrange comme relation mais elle lui faisait confiance. Après les heures qu'ils avaient vécu tous les deux, s'il avait voulu lui faire du mal, il l'aurait fait or au contraire, il avait toujours pris soin d'elle. Et là, dans cette situation fort étrange, il semblait être l'arbre contre lequel la nymphe qu'elle était prenait appui. Tout ce qu'elle espérait c'était qu'il ne le prenne pas mal et surtout que tout aille bien jusqu'à ce qu'ils arrivent à destination. Toute à ses pensées, sa tête dodelina doucement au rythme du bateau tanguant et elle s'assoupit dans un sommeil léger.

Eolia parut nerveuse, se colla un peu plus contre Donovan. Cette histoire d'armes données au pêcheurs le préoccupait également, mais il n'était clairement pas question d'en parler à la jeune fille. L'archer lui ébouriffa un peu les cheveux.

- Ne t'en fais pas pour cela. Je saurais nous défendre si les choses tournent mal.

De plus, les hommes n'avaient pas l'air d'être de mauvais bougres. Et puis, l'embarcation restait assez petite, et même au cas où on leur voudrait du mal, il ne devrait pas être trop difficile de les jeter par dessus bord.

Il remarqua alors qu'Eolia s'était endormi, aussi fit-il en sorte de ne pas bouger afin de ne pas la réveiller. Lui même avait du mal à garder les yeux ouverts, le bercement des vagues menaçant de l'emporter sur son désir de rester éveillé en présence d'inconnus.

Pourtant, leur voyage se passa sans encombres, et Donovan en remercia les cieux, Yedahel, Nayris ou quoi que ce soit qui aurait pût leur éviter des ennuis. L'archer parvint à tisser une discussion agréable avec les pêcheurs, leur parlant de leurs familles, leur village... Même s'il ne quitta pas les armes qu'on lui avait prise des yeux, il en vint à apprécier leurs compagnons temporaires. Ceux-ci étaient d'honnêtes hommes, qui travaillaient dur afin de nourrir femmes et enfants, et qui, une fois débarrassés de leur méfiance envers l'archer, montraient une attitude amicale.

Donovan parvint tant bien que mal à éluder les questions le concernant lui et Eolia, étant piètre menteur et ne voulant pas leur avouer qu'il ne connaissait la jeune fille que depuis la veille. Le sentiment protecteur qu'il ressentait envers elle s'accroissait avec le temps, et il ne voulait prendre le risque qu'il lui arrive quoi que ce soit.


Heureusement, devant sa réticence à parler de lui et de Eolia, les marins abandonnèrent vite ce sujet de conversation. Les vagues se succédèrent aux vagues, tandis que le bateau avançait au travers de l'immensité bleue de la mer, laissant une trace d'écume derrière lui. Puis le souffle du vent se fit plus fort, les vagues montèrent, comme si elles tentaient d'atteindre le ciel gris.

- Nous ne sommes plus très loin, fit l'homme à qui Donovan avait parlé la première fois. Mais on n'échappera pas au début de la tempête.

Il lui lança deux corde.

- Attachez vous où vous pouvez. Ca risque de secouer un peu.

- Rendez moi mes armes, alors. Je ne voudrais pas qu'elles finissent au fond de l'eau.

L'homme prit quelques secondes pour réfléchir, puis acquiesça. Donovan s'assura que Eolia soit bien réveillée avant de prendre son épée, son arc et son carquois, puis de sangler le tout sur son dos. Il attacha enfin la corde autour de sa taille, et noua l'autre extrémité à un anneau de fer qui sortait du bois du bateau. Il se retourna alors vers la jeune fille.

- Il va falloir s'attacher au bateau, Eolia. Ca nous évitera de couler si on passe par dessus bord.

Donovan sur trouver les mots pour la rassurer et son geste d'ébouriffer ses cheveux la fit sourire. Ce fut donc apaisée qu'elle plongea dans un sommeil réparateur le temps de la traversée. Parfois, certaines bribes de conversation lui parvenaient aux oreilles comme de très loin mais elle ne s'y concentra pas, trop épuisée. C'était la première fois qu'elle quittait aussi longtemps ses bois et cela lui manquait mais le temps n'étant pas à la mélancolie, autant profiter de l'instant présent. Surtout qu'elle était accompagnée d'un homme qui avait l'air parfaitement sûr de lui et capable de la protéger.

Finalement, quand il la réveilla doucement, la nymphette se rendit compte qu'elle s'était assoupie bien plus longtemps qu'elle ne l'avait prévue. Le ciel qui était alors radieux au début de la traversée s'était assombri et le vent soufflait fort. Se redressant, elle se tint solidement au banc pendant que son compagnon récupérait ses armes. Quand il revint, il lui dit qu'il leur fallait s'attacher et elle le regarda faire sans broncher. Probablement mal réveillée, ou pour une autre raison, elle ne comprenait pas pourquoi elle devait elle aussi s'attacher. Elle ne craignait rien. Elle allait même le dire à voix haute quand elle se rappela qu'ils n'étaient plus seuls et qui plus est que Donovan lui-même ne savait toujours pas sa nature exacte.

Docile, l'adolescente hocha donc de la tête et entreprit de passer la corde autour de sa taille pour soit-disant se maintenir au bateau si jamais la tempête augmentait en intensité. En tout cas, le vent, lui, était bien là et ne se gênait pas pour la décoiffer, glissant ses cheveux sur ses yeux, lui obstruant alors la vue.

- Et vous messieurs ? Vous ne vous attachez pas ? osa-t-elle enfin lancer aux pêcheurs après avoir remarqué qu'ils ne semblaient pas pressés de le faire.

- Tout de suite ma 'tite dame, lui fut-il répondu avec un grand sourire et malgré elle la nymphe ne put s'empêcher de leur retourner leur sourire.

Il est vrai que jusqu'à présent ils avaient été très bien donc Eolia commençait à être de nouveau plus cordiale et aimable. Autour d'eux, les vagues grossissaient à vue d'oeil et bientôt l'embarcation se mit à tanguer avec fureur. Plus d'une fois, elle s'accrocha aux bords même si elle savait qu'elle ne pouvait pas tomber. Une secousse un peu plus forte la fit même s'agripper quelques instants au bras de son compagnon mais elle le relâcha dès qu'elle retrouva l'équilibre. Loin d'avoir peu, ce déchaînement des éléments semblait l'amuser et c'était donc tout naturellement qu'elle rit doucement à chaque fois qu'une vague plus haute les transportait. Que les autres la prennent pour une folle lui importait peu, elle trouvait cela amusant et s'ils n'avaient été là, probablement qu'elle aurait pris forme marine pour aller jouer sous l'eau.

Finalement, la tempête s'apaisa et bientôt tout redevint calme. Comme toute chose, rien ne durait jamais longtemps et le soleil perça à nouveau les nuages. Décoiffée, les yeux rieurs, la nymphe avait retrouvé des couleurs et semblait bien plus réactive à tout ce qui l'entourait que depuis la veille. Sans attendre qu'on le lui dise ou non, elle détacha sa corde et se pencha avec précaution au-dessus de l'eau pour observer l'horizon, la main en visière jusqu'à trouver ce qu'elle cherchait.

- Nous arrivons Donovan ! s'exclama-t-elle toute joyeuse avant de se mordre la lèvre. N'étaient-ils pas sensés jouer un père et sa fille ? Bah, avec un peu de chance, personne n'aurait rien remarqué. Du moins elle l'espérait car à présent que la terre était de nouveau en vue, la jeune fille frémissait d'impatience de découvrir de nouvelles choses.

La tempête ! Donovan eut l'impression que ses tripes allaient sortir. Par tous les dieux, il commençait sérieusement à détester la mer. Il s'accrocha de toutes ses forces au rebord du bateau, luttant pour ne pas vomir. Il jeta un regard désespéré à Eolia. La jeune fille, quand à elle, semblait s'amuser; elle semblait être... en phase, avec ce qui l'entourait, et elle rayonnait d'une aura joyeuse. Comment pouvait-elle supporter tout ceci avec autant de bonne humeur ? Donovan avait l'impression d'être en enfer. Et toute cette eau... Ne pourrait-il pas passer au moins plus de deux heures sans être trempé ?

Heureusement, la tempête ne s'éternisa pas, et, lorsque le calme revint, l'archer se laissa tomber au fond du bateau, fermant les yeux, et tentant en vain de faire abstraction du balancement lancinant de l'embarcation.

- Nous arrivons, Donovan !

Il ouvrit les yeux et jeta un regard vers Eolia. Celle-ci semblait toute joyeuse, et lui, le teint livide, tenta de lui rendre un sourire maladroit. Il ne savait plus qui remercier, de Yedahel, Nayris, ou quelconque autre dieux ou déesse. Enfin, ils arrivaient.

Les marins les conduisirent lentement au port, et bientôt les effluves et le bruit de la ville remplissait leur petit monde. Le petit bateau s'engagea dans des voies d'eau afin de rejoindre les quais, passant près de somptueux bateaux de commerce et autres transports en tout genres, tandis qu'abondaient les petites embarcations.

- Bienvenue à Sen'rin, fit un des marins.

Sen'rin... De sa vie, Donovan n'y avait encore jamais mit les pieds. Pourtant, entre l'armée et l'exil, il avait pas mal vagabondé. Un doute s'installa dans son esprit. Il avait voulut emmener Eolia pour ne pas la laisser seule, mais pour autant qu'il le sache, cette île pouvait bien être plus dangereuse encore que la forêt. Il fit un sourire à la jeune fille, essayant par là de dissimuler son trouble tandis que les pêcheurs manoeuvraient pour accoster. Lorsqu'ils furent débarqués à quais, Donovan les salua chaleureusement, les remerciant pour leur générosité, puis fit signe à la jeune fille de le suivre.

Il était peut-être parti précipitamment, mais des problèmes plus urgents que la politesse occupaient son esprit. L'argent, d'abord. Il n'avait rien sur lui, et en ville, impossible de se dégoter à manger sans cela. Leur sécurité, ensuite. Il voulait s'éloigner des docks le plus vite possible, et rejoindre des quartiers plus tranquilles.

Seul, il aurait probablement usé de ses poings pour prendre leur argent à des ivrognes, mais il ne pouvait se permettre de faire ceci devant Eolia. Il fallait qu'il trouve quelque chose pour attirer son attention, tout en la laissant à sa portée de vue. Il n'était pas fier de ses projets douteux, mais si l'armée lui avait bien appris une chose, c'était que la fin justifiait les moyens. Oui, il lui faudrait prendre les mesures nécessaires.

Il se tourna alors vers la jeune fille.

- He bien Eolia, nous voici enfin à Sen'rin ! Alors, qu'aimerais tu voir en premier ?

Alors qu'elle s'écriait d'une voix joyeuse, la délicate jeune fille se retourna vers Donovan et ne put s'empêcher de remarquer que son compagnon n'avait que peu apprécié le voyage. Il semblait même malade et cela intrigua la nymphe. Qui pouvait donc tomber malade face à de tels phénomènes ? La Nature n'était-elle donc pas une grande et puissante force digne d'admiration ?

- Bienvenue à Sen'rin ! lancèrent alors les marins, interrompant ainsi ses pensées vagabondes. Ils avaient habilement manié le bateau jusqu'au port et accostaient à présent pour laisser descendre leurs deux passagers.

Une fois le pied à terre, Eolia sourit aux marins d'un air tout à fait ravi avant de se détourner pour observer les alentours, laissant Donovan régler les derniers détails et les aurevoirs. Elle lui faisait pleinement confiance pour cela. Et quand il eut fini et qu'il l'appela, ce fut toute enfantine qu'elle courut vers lui. Quiconque l'aurait aperçu en cet instant n'aurait jamais pu imaginer qu'elle avait passé un orage ainsi qu'une tempête car ses vêtements bien qu'un peu plissés étaient toujours aussi immaculées et sa longue chevelure flottait avec indolence derrière elle.

Insouciante aux tourments qui devaient probablement traverser l'esprit de l'homme qui l'accompagnait elle s'accrocha simplement à son bras pendant qu'il lui demandait ce qu'elle souhaitait faire maintenant qu'ils étaient arrivés. Levant la tête vers lui, elle lui sourit pour lui répondre qu'elle n'avait aucune envie particulière. C'était sans doute un peu étrange mais la nymphe n'avait jamais entendu parler de cet endroit avant aujourd'hui et ignorait ce que l'on pouvait y trouver d'ailleurs. Pour l'instant, elle se rassasiait uniquement de ce que ses yeux voyaient et c'était largement suffisant. Par contre, Donovan, même s'il avait repris des couleurs, semblait toujours aussi soucieux aussi se retourna-t-elle une nouvelle fois vers lui.

- Est-ce que tout va bien Donovan ? demanda-t-elle gentiment. Je te sens préoccupé. Peut-être as-tu à faire ? Souhaites-tu que je te laisse quelques instants ? Tu sais, si tu crains pour moi, tu ne devrais pas, je sais très bien me débrouiller.

Elle était tout à fait sérieuse. Certes il ne savait pas tout ce qu'elle pouvait faire mais elle se devait tout de même de le rassurer. Après tout, il avait forcément à faire ici sinon pourquoi aurait-il voulu venir ? Redevenant sérieuse, elle l'arrêta donc au milieu de leur marche et le força à l'écouter. Ils étaient arrivés sur une petite place à l'entrée d'une petite ville donc c'était l'endroit idéal pour se donner rendez-vous.

- Voici ce que je te propose. Séparons-nous ici et fais ce que tu as à faire. Moi je vais visiter et je reviens te retrouver ici avant la nuit d'accord ?

Et lui adressant un sourire rassurant, elle lui lâcha le bras et s'en fut tranquillement se promener avant qu'il n'ait eu le temps de la retenir, se perdant rapidement dans la foule mais néanmoins facilement reconnaissable avec ses cheveux argentés et sa robe blanche qui détonaient dans cette population brune aux vêtements tout aussi bruns. Cela devait être jour de marché car plusieurs étalages s'étendaient à divers endroits de la place et toujours aussi curieuse, la nymphe entreprit de faire le tour pour tout regarder mais quand elle croisa plusieurs fois les regards intrigués des passants, elle prit alors l'initiative de prendre son châle et le noua sur sa tête, cachant ainsi sa chevelure et une partie de son visage, puis reprit son exploration des lieux.