La bâtisse commença a s'agiter. Des clameurs se faisaient entendre, se rapprochant de plus en plus d'elle.
D'un coup de pied la porte fut arrachée à ses gonds et un vieux pirate borne brailla:
"- Debout là d'dans! on part dans deux heures, il faut préparer l'navire!"Les hamacs furent retournés, les esclaves se relevant sous les hurlements de l'homme.
Seule une ne bougea pas, convulsant sur le sol.
"-Ho! Gamine! Au boulot toi aussi!!"La botte noire s'écrasa à quelques centimètres de son visage, la sortant de sa torpeur. Avisant la pièce quasiment vide, elle se dépêcha de rejoindre les autres... Une lueur brillant dans son regard pour la première fois depuis longtemps.
Il faisait grand soleil lorsqu'elle sortit dehors, la chaleur était étouffante et ce malgré la brise marine qu'apportait l’océan. A perte de vue on voyait les mats des vaisseaux se battre contre l'horizon pour la possession du ciel. Aucun nuage... Aucune pluie ne voulait parvenir jusqu'à leur ile.
Le repaire était très animé comme à son habitude, les hommes courraient partout, les tonneaux roulaient sur les sols crasseux, les enfants s'amusaient au milieu de tout ce désordre, imitant leur capitaine favoris. Pourtant il n'y eut qu'une seule chose que Lyra ne vit: la Lune. Bien plus loin, elle se levait à peine, commençant paresseusement sa course poursuite contre l'astre du jour, essayant une nouvelle fois de le rattraper pour lui faire la cour. Les clameurs des matelots se firent encore plus bruyantes et pressantes. Il fallait se hanter... Elle fut envoyée, comme beaucoup de femmes ou d'enfants sur le pont, la brosse à la main, à quatre pattes en train de récurer le plancher inégal. Pendant ce temps les hommes montaient les barils et les tonneaux de vivres, les armes, vérifiaient les voiles, traçaient un cap.
Les soutes se remplissaient rapidement, le navire s’enfonçant un peu plus dans l'eau verte. Lorsque le bateau fut fin prêt, le drapeau de leur fratrie fut hissé en haut du mat principal, claquant faiblement dans la brise. Il quitta le port, les marins bien installés à bord avec leur bouteille à la main.
La nuit commençait à lentement recouvrir de son voile silencieux la petite ville, les rayons de son astre donnant plus de force à la jeune fille de la lune. Ses yeux brillait de plus en plus et le vent balayait ses cheveux emmêlés. Elle devait partir. Comprendre ce songe qui l’obsédait tant. Il était temps, elle le savait... Seulement elle avait peur... Malgré leur manière brusque et leur langage quelque peu... pauvre et grossier, les pirates de leur repaire n’étaient de mauvais bougres. Ils étaient différents sur la terre ferme qu'en mer où l'on les connaissait pour leur fait barbare, leur pillage et leur méchanceté. Jamais il n'avait porté la main sur elle, et bien que craintifs vis à vis des autres races, ils ne lui avaient pas tenu rigueur de ses origines, au combien mystérieuses pour eux. Ils avaient été son foyer pendant presque un an durant lequel elle avait réapprit à vivre. Mais il fallait qu'elle parte... Pour aller où? Poursuivre un rêve chimérique. Elle commençait à se sentir ridicule de tant tenir a fuir pour cela...
Tous les esclaves furent de nouveau enfermés dans la bâtisse. C'est ainsi qu'ils appelaient le plus grand bâtiment de l’île où l'on y enfermait pelle melle esclaves et pensionnaires. Ils ne portaient pas de chaines aux pieds... Mais comment s'enfuir lorsque l'on est emprisonné sur une ile? Si ce n'est en bateau ou en volant. En volant?! Surprise, elle se mit à fouiller ses lointains souvenirs et se rappela une conversation avec son père, un soir où ils profitaient de la nouvelle Lune...
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"- Nous, les enfants de la Lune, nous voulons tellement la rejoindre que des ailes ont parés nos épaules... Pour nous permettre de rêver l'atteindre. Un jour, tes ailes pousseront à toi aussi, et tu pourras aller lui dire bonsoir..."Son regard rêveur contemplait la Lune avec envie si bien que la petite fille lui prit la main et enferma la Lune dans sa paume.
"-Je la tiens!! Papa regarde!!"Un grand sourire illumina le visage de Lyan .
"-Merci mon enfant... Mais ce n'est pas son reflet qui me contentera""-Et toi papa? Tu es déjà allé lui dire bonsoir?""-Oui... Il y a longtemps... Avant que tu naisses mais... Mes ailes sont brisées, je ne peux plus y retourner...""-Pourquoi papa? Je peux pas les réparer?""-Non Lyra... La tristesse... La déception, la colère, la jalousie... Tous les sentiments négatifs les affaiblissent... et un jour tu finis par oublier comment voler..."Ses yeux étaient emprunt d'une profonde tristesse en disant ses mots.
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Il lui fallait donc s'enfuir en volant! Son coeur se serra. Le souvenir de son père la faisait toujours autant souffrir... Secouant la tête, elle refusa de penser à des choses tristes. Il fallait qu'elle trouve comment voler.
Une femme d'un certain âge prit la parole:
"-Y ai b'soin d'monde en cuisine! Qui est assez doué avec'un couteau?"D'instinct Lyra s’avança. Elle ne supportait pas d’être au centre de l'attention mais... Il fallait qu'elle y aille... Toujours sans savoir pourquoi.
La lune était haute dans le ciel, les étoiles l'escortaient dans sa course. Les rayons de la Lune filtraient par les petites ouvertures de la cuisine, donnant une nouvelle vigueur à Lyra. Soudain, d'agréables souvenirs lui revinrent en mémoire... Une nuit sans lune près de son père, sou sourire, une pêche mémorable où aucuns poissons ne s’étaient manifestés... Quelque chose bougea dans son dos! Surprise, elle perdit sa concentration et le mouvement cessa ainsi que le vent qui commençait à se lever autour d'elle.
"- Elle viennent ces patates petiote?"Avec un petit sursaut, elle revint à la réalité et montra le cageot vide.
"-Ben qu'es'ce t'attends ptite empotée! Va en chercher d'hors!"Traversant les couloirs d'un pas précipité, tenant dans ses mains tremblantes un panier, Lyra allait enfin retourner à la liberté. Seule sous les rayons de sa protectrice, son coeur battant a tout rompre, elle ferma les yeux et se concentra de nouveau sur tous les joyeux moments passés avec son pères et tous ses rêves d'avenir... Le mouvement dans son dos reprit une nouvelle fois, et au comble de joie, elle laissa filtrer entre ses lèvres un petit cri de joie. Elle planait, à quelques centimètres du sol, la pointe des pieds traînant à peine sur la terre battue. Ses ailes battaient vigoureusement, formant de petits tourbillons de poussière. Mais elle n'arrivait pas à se défaire de l'emprise de la gravité. Incapable de s'envoler, ses pensées commencèrent à prendre un tournant plus tragique, les battement dans son dos faiblissant...
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Le souffle de Lyan faiblissait, son coeur ralentissant sa course après une longue envolée.
"-Je te donne... Ces rubans... Ils viennent de ta mère, prends en grand soin... Et aussi, ma fille... Cette dague... Garde la toujours sur... toi..."Un long silence entrecoupé de quintes de toux suivit son discours
"-... Chante... Pour nous... Leila..."****
Elle était de nouveau à Terre, les yeux tristes mais sans larmes. Elle ne savait pas comment prendre son envol. Les sentiments et les souvenirs heureux n’étaient pas suffisants. C'est a ce moment-là que des gamins la dépassèrent en chantant. Ils avaient l'air si heureux, chacun y allait avec leur coeur.
Chanter? Que pouvait elle éprouver en chantant? Jamais depuis sa tendre enfance elle n'avait pu chanter, son père y veillait. Un chant qu'elle ne reconnaissait pas lui vint de suite en tête... Un peu craintive, elle l’entonna... Des sonorités riches mais claires, d'abord imperceptible puis de plus en plus forte résonnèrent dans le port. Ses pieds quittèrent le sol définitivement et elle prit de l'altitude, chantant de plus en plus fort, un grand sourire aux lèvres.
Elle vit la cuisinière sortir et la regarder hébétée, elle vit les enfants la désigner du doigt, elle vit les bateaux de moins en moins impressionnant...
Partant d'un grand éclat de rire, elle partit comme une mésange, le vent l'aidant quelque peu, au dessus de l’océan.
Libre, liberté, libérée!
Ces mots résonnaient dans sa tête.
Continuant sa course folle, elle se rapprochait sans cesse de la Lune et du royaume des Cieux. Mais la lune était presque couchée. Bien vite, elle se fatigua et dans un ultime effort s’écrasa sur une plage, à moitié dans l'eau... Déjà inconsciente.
Ce jour là son songe se transforma. Il avait perdu son coté merveilleux et enfantin pour se muer en une chose pressante et terrifiante... Ce fut son tout premier rêve prémonitoire...