- Citation :
- Raconte nous ce qui s'est passé après son premier client.
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Elle avait prit sur elle pour cette épreuve qu’elle
s’imposait. Alors oui, sans doute il y’avait t-il d’autres solutions, des
centaines de solutions plus simples, plus nobles. Mais il n’y en avait pas de
plus rapide. De l’ « argent sale » comme on dit. Salit car
allant à l’encontre des principes que Kaori avait pu apprendre auprès de sa
pieuse mère lorsqu’elle n’était encore qu’une enfant. Désormais, elle ne
l’était plus. Elle n’était ni pieuse, ni une enfant à présent. Et elle ne le
redeviendrait plus jamais. C’était la fin d’une époque, la fin d’une vie qu’on
aurait pu considérer comme « dans la norme ». La jeune fille rousse
avait tourné le dos à une existence paisible, à une vie de famille réjouie et
une vieillesse épanouie.
Cette toute jeune demoiselle venait de choisir la peine, la
solitude et la bestialité pour le reste de ses jours. Cruel, injuste, pitoyable
destin ? Elle était bien trop fière pour l’envisager ainsi et vivre avec
l’étouffant poids de la culpabilité jour après jour. Avant de se lancer dans
cette déchéance irrémédiable, Kaori s’était fait la promesse de tout assumer,
de tout mener de front, la tête haute et la conscience tranquille. Sa dernière
promesse d’enfant naïve.
Mais à présent, le corps brisé emmitouflé dans des draps
souillés, la tête vidée de tous sentiments et les yeux pleurant des larmes
invisibles, elle savait que son serment serait bien plus dur à respecter
qu’elle ne pensait. Imbécile qu’elle était, elle n’avait pas prit la peine de considérer
la perte de sa virginité, virginité sacrée, comme ayant une quelconque
importance. Ce n’était que maintenant qu’elle réalisait ce qu’on venait de lui
arracher. Certes, elle était consentante, c’était indéniable. Mais être
d’accord ne signifie pas toujours être prête. Kaori s’était surestimée, elle le
savait. Mais la marche arrière n’était dorénavant plus une option. Et la
sentence de non-retour lui laissait un gout amer dans la bouche.
A ses cotés, dans ce lit maudit, reposait celui qu’elle ne
parvenait pas à considérer autrement que comme son bourreau. Réaction juvénile
de celle qui ne parvient pas à se supporter elle-même. Ca n’était pas de sa
faute, à ce garçon, au fond d’elle même, elle en était bien consciente. Mais le
souvenir de ses mains sur sa peau, de ses lèvres sur les siennes… La vision de
lui au dessus d’elle. La douleur. Tout ceci était encore trop frais dans sa
mémoire pour qu’elle appréhende les choses telles qu’elles étaient réellement.
La présence de cet étranger à ses cotés lui était insupportable. De plus,
n’étant pas accoutumée à l’exercice, Kaori avait laissé le bougre s’endormir
comme un bienheureux, au lieu de le chasser immédiatement une fois son plaisir
prit. Les prunelles sombres de la demoiselle se perdirent dans le vague. Elle
ne voulait pas le voir. Elle ne voulait pas lui parler. Elle ne voulait pas
apprendre à le connaitre et se rendre compte qu’en fait, c’était peut-être
quelqu’un de bien. Elle ne voulait rien savoir de plus sur lui. Elle le
connaissait déjà bien trop intimement à son gout. Il lui avait parut normal,
lorsqu’il était venu l’aborder à la taverne, quelques jours avant que celle-ci
ne ferme. Presque gentil. Kaori se rappelle qu’a ce moment, elle avait trouvé
qu’il sentait bon, ce fils de marchand. Désormais, elle le voyait comme un
monstre, doté de l’odeur insupportable de la concupiscence. Une bête qui
grognait sans cesse, qui se montrait trop gourmand et trop avide. La jeune
fille se rendit alors compte qu’elle en avait prit peur, de lui qui était
paisiblement endormi.
Il esquissa un geste dans son sommeil et la rouquine se
crispa de tout son être, incapable de respirer, tel un agneau devant le loup.
Le genre de réaction qu’avaient eu les repas de Beowulf…
C’est à cette réflexion, qu’enfin, la fierté piétinée de la
solide jeune fille se réveilla. Elle n’était pas un gibier, ne le serait
jamais ! Elle se redressa soudain, arrachant les draps qui la couvraient
pour se lever et s’étirer avec nonchalance. Une nonchalance jouée à la
perfection. Si Kaori n’était pas encore assez forte pour endosser le rôle
qu’elle s’était donné, qu’a cela ne tienne ! Elle feinterait cette
assurance jusqu'à ce que cela lui vienne naturellement. Car il y allait bien
avoir un moment ou la boule de terreur contenue qu’elle avait au ventre s’en irait,
non ? En tout cas, elle l’espérait très fort. Etirer son corps meurtri lui
procura une étrange sensation de bien être. Comme si elle en reprenait
doucement le contrôle.
La flamboyante rousse
jeta un coup d’œil à la chambre, d’une décoration plus que sommaire. Elle
n’était jamais venue ici auparavant. C’était le « brave » allongé de
tout son long dans le lit qu’elle venait de quitter qui l’avait conduite ici,
lui assurant qu’ils ne seraient pas dérangés. Si elle ignorait ou elle se
trouvait, au moins Kaori remarqua une sorte de coiffeuse grossière en bois,
acculée dans un coin de la pièce. La jeune fille s’assit sur le tabouret et
regarda son reflet dans le miroir. Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle
cherchait dans sa propre image. Elle s’était imaginée trouver la même personne
qu’avant. «Rien ne changera », disait-elle. Pourtant, elle nota un détail
qui la troubla quelques instants. Son regard, au lieu d’être terne et perdu,
était au contraire bien plus vif et brillant que jamais. Une flamme dansait dans
les prunelles sombres de la rouquine. Une flamme impitoyable, froide et
calculatrice. Elle sut ce qu’elle devait faire, désormais et entreprit, à
l’aide d’une brosse, méthodiquement et patiemment, de dompter sa crinière de
mèches rouges, rendue folle par ses agitations du jour. L’exercice prit un
certain temps avant que les longs cheveux de la demoiselle retrouvent leur
soyeux coutumier mais Kaori pouvait se targuer d’être à présent totalement
apaisée. Pendant que ses mains s’attelaient à une tache des plus banales, son
esprit put tranquillement faire le point sur sa situation. Elle put, entre
autre, se rappeler de son but premier : l’argent. C’est ainsi qu’après
avoir enfin reprit un visage serein, la belle pivota pour aller secouer « l’autre » et réclamer son du.
Seulement, elle ne s’attendait pas à le voir assis, les yeux biens ouverts, la
regarder se peigner depuis Dieu seul sait combien de temps. Totalement rebutée
par son sourire pourtant paisible, Kaori tressaillit, avant de se reprendre
immédiatement, maitre d’elle même. C’était son maitre mot pour l’instant. *
Maitrise-toi. Maitrise-toi. Maitrise toi* Cette litanie se répétait en boucle
dans l’esprit de la jolie rousse, tandis qu’elle s’approchait d’une démarche
féline du bord du lit, un sourire aux lèvres.
« Tu es magnifique » souffla t-il
Ces trois mots eurent l’effet d’un coup dans l’estomac pour
la jeune fille, qui sentit la nausée lui monter instantanément. Il n’avait
aucun droit de lui dire cela. Pas lui. Pas après ca. La pauvre Kaori était
tellement ivre de rancœur qu’elle prenait un bête compliment, certainement guidé
par son attraction innée de succube, comme le pire des affronts. Convaincue
qu’il voulait remuer le couteau dans la plaie et ignorant obstinément l’éclat
amoureux qui naissait dans les yeux du garçon, la rouquine choisit néanmoins de
ne pas relever. Cela finirait plus vite si elle se taisait. Ravissante, elle se
passa une main désinvolte dans la chevelure.
« C’est gentil, mais laisse moi te rappeler que cette
beauté a un prix. »
C’était peut être un peu trop abrupt mais Kaori s’en fichait
totalement. Qu’il se dépêche de sortir de là ! Le jeune homme marqua un
temps d’arrêt, comme choqué d’être si brutalement ramené à la réalité. Mais,
affable, il eut la bonne grasse de se lever du lit, nu comme un ver et de
s’étirer bruyamment, à l’instar de Kaori quelques instants plus tôt. La nudité
de son client fit prendre conscience à la jeune fille son accoutrement…
Inexistant. Sans pour autant baisser les yeux ou se précipiter sur ses affaires
pour se cacher du regard de l’homme, elle alla, au contraire, récupérer sa robe
qui gisait au pied du lit. D’une démarche confiante, jouant habilement de ses
hanches et s’assurant que sa proie n’en perde pas une miette. Celle-ci, sous le
charme, ne pouvait diriger son regard ailleurs que sur cette désirable
créature. A son grand regret, ladite créature se rhabilla prestement. Elle
estimait s’être suffisamment pavanée en tenue d’Eve pour la journée.
« C’est bon ? On s’est bien amusé ?
Maintenant, il faut retourner à ta petite vie bien rangée, mon grand. » Le
ton était sec et sans appel.
Le jeune homme comprit le message on ne peut plus explicite
mais ne semblait pas pressé du tout. Vraiment vraiment pas. Kaori jura
silencieusement. Comment se débarrasser de cet énergumène, maintenant ?
Une vague d’angoisse l’envahissait lentement mais surement. Malgré tout, elle
demeurait impassible. Coute que coute. Bien sur, elle se montait totalement la tête,
encore déstabilisée par l’expérience traumatisante qu’elle venait de vivre et
désirant faire le point au plus vite. Toute seule. Ce jeune garçon n’était
pourtant pas un dangereux psychopathe qui s’apprêtait à la couper en tout
petits morceaux, il était juste tombé sous l’influence du charme inné (et
malheureux) de la jolie rousse. Il ne pouvait s’empêcher de la dévisager, un
mince sourire sur les lèvres. Pour nous, lecteurs, qui avons l’explication à la
situation, il n’y avait rien d’alarmant. Mais pour Kaori, qui n’était qu’une
débutante dans le domaine de l’amour, l’individu lui faisant face sans rien
dire, avec un sourire étrange, c’était tout de même très louche.
Heureusement pour la toute nouvelle péripatéticienne, le
seul chevalier servant qu’elle n’aurait jamais déboula sur ces entrefaites.
Beowulf apparut, comme par enchantement, rendu fou de rage par les sentiments
de son amie. Le regard sombre du loup n’était que férocité et colère, les crocs
à découverts, il grondait puissamment, promesse lugubre à l’encontre du jeune
impudent. Autour de son cou, le reste de la pauvre corde avec laquelle Kaori
avait été littéralement de l’attacher à un arbre, tellement il n’était pas d’accord
avec ses projets d’avenir. C’était d’ailleurs la première fois ou ils avaient
eu un différent de cette ampleur. Et la première fois ou elle lui donnait un
ordre. Celui de ne pas bouger de sous cet arbre, de la laisser gérer toute
cette histoire toute seule. Cet ordre, plus que la corde, avait retenu le grand
loup gris pendant tout ce temps. Mais, en tant que Familier, il avait accès aux
sentiments et aux émotions de la rouquine et vint un moment ou lui, à l’inverse
de Kaori, n’avait pas pu se contrôler davantage. C’était à présent une bête
sauvage, tel qu’il aurait toujours du être s’il n’avait pas croisé le chemin de
la jeune fille. Les muscles bandés, prêt à sauter à la gorge de son ennemi, Beo
était terrifiant, même aux yeux de Kaori.
Le garçon, quand à lui, n’en menait pas large non plus. L’intrusion
soudaine de la bête lui avait arraché un cri de frayeur et, tel un pleutre, il
avait filé se réfugier derrière les jupes de Kao. Elle, stupéfaite par l’apparence
de son meilleur ami, demeura sans voix quelques instants, incapable de réagir.
Puis les vagissements hystériques de son… Client, la ramenèrent sur Terra. A
présent, elle était sure d’une chose : Jamais elle n’aurait du avoir peur
d’une telle loque. Beowulf avait beau, pour l’heure, être méconnaissable, un
véritable homme n’était-il pas sensé se montrer courageux, brave, devant l’adversité ?
En tout cas, pas celui là. Cette révélation fit reprendre contenance à la
rouquine. Elle se détacha de l’étreinte insupportable et cingla :
« Maintenant, tu vas payer vite fait, sinon tu tâteras
des crocs de mon loup, c’est plus clair là ? »
Et tout d’un coup, la peur prit le pas sur la fascination ou
il se rappela quelques urgentes affaires à régler, toujours est-il qu’une main
tremblante jeta une bonne liasse de billets sur le lit, docilement.
Approuvant d’un signe de téte, Kaori s’approcha alors
doucement de son compagnon d’âme, toujours préoccupée par son état de fureur.
Elle tendit une main caressante vers le museau encore froncé par la colère.
Entre les deux yeux, c’était là ou il préférait être câliné. D’abord sourd aux
cajoleries, les yeux vissés sur le garçonnet recroquevillé dans un coin, Beo se
laissa peu à peu calmer. A force de mots doux chuchotés dans les oreilles et d’étreintes
chaleureuses, Kao parvint à rendre à son ami son flegme habituel, sans que
toutefois disparaisse la lueur malveillante dans les prunelles sombres. Après
un doux baiser sur le crane du loup, la flamboyante rousse se releva et fit
face au jeune homme.
« Tu peux partir en un seul morceau… Je crois… »
Ce pauvre garçon ne se le fit pas dire deux fois et détala, sitôt
avoir dépassé l’horrible bête qui en voulait à sa vie. Kaori ne le reverra
jamais. Une grosse perte.
S’il s’était laissé apaisé, le loup portait maintenant un
regard mi perplexe, mi accusateur sur sa compagne.
« Je sais ce que tu penses, se défendit-elle
immédiatement, mais c’était nécessaire, pour nous deux ! »
* Pourquoi ? * Beowulf était du genre borné. Le
convaincre n’allait pas être une mince affaire.
« On a besoin d’argent, je te rappelle ! Et là…
-elle ramassa la généreuse liasse de billets- on a de quoi payer une auberge et
de quoi manger pour quelques temps ! »
*Donc c’était juste pour cette fois ?*
« En fait… J’y
ai longuement réfléchi… Je ne veux pas
me contenter d’une auberge poussiéreuse et d’un poulet de temps en temps !
Je veux un château ! Je veux de l’or ! Je veux vivre comme une reine ! »
*Vos reines doivent faire ca pour devenir aussi riches ?*
La jeune fille eut un sourire un peu triste
« Non mais… Jouer à la reine, c’est tout ce à quoi je
peux prétendre, mon tout beau. »
*Je n’aime pas ca… Mais si toi, ca te convient…* Le ton
était toujours aussi perplexe, mais il n’y avait pas une once de pitié ou de
colère. Il lui donnait tacitement son accord, tout en lui souhaitant du fond de
son cœur, d’être heureuse.
La jeune femme, touchée, revint câliner affectueusement Beo,
le couvrant de baisers comme à son habitude et enfin, il quitta son air
renfrogné.
« Aujourd’hui, on commence une nouvelle vie. Mais les
règles n’ont pas changées. C’est toi et moi contre le monde. »
*Toi et moi contre le monde… Pour toujours.*