L'odeur de sable et de sang, de moisissure et de fer humide lui sautèrent aux narines. Lentement, Ukufa ouvrit les yeux. Des images floues tout d'abord, ponctuée d'un soudain mal de crâne. Ou était-il encore ? Sa bouche était pâteuse et sa mâchoire douloureuse. Il comprit alors l'origine de son mal. Une chaine aux arceaux serrés lui enfermait la gueule. Le dragon tenta bien de s'en débattre mais ses pattes, elles aussi se révélèrent entravées. Impossible de s'en débarrasser en faisant appel à son feu. Les gardes avaient bien comprit que plus que ces crocs et ses griffes, ses flammes auraient été sa carte de sortie. Soupirant, agacé, Ukufa abandonna ses vaines tentatives pour se concentrer sur la cellule. Son regard parcouru la pièce. Trois murs de lourdes pierres froides et noires, de même que le plafond incurvé à la façon des caves à vins et le sol couverte d'un peu de vieille paille. D'épais barreaux de fer rouillé par l'humidité séparaient sa cellule d'un long couloir sombre où s'étendait de par et d'autre, autant de prison que la sienne. Quelques torches embrasées éclairaient l'ensemble, peignant sur les murs la danse sombre des flammes.
Incapable de bouger, Ukufa posa sa tête sur ses pattes, réfléchissant à ce qui s'était passé. Peu à peu, sa mémoire se re-dessinait, floue d'abord, étale mais gagnant lentement en finesse. Il se souvient de l'auberge. Oui l'auberge où il avait croisé ce vieil ennemi. Et puis quoi ? Il l'avait fait fuir, et peu après, plusieurs gardes étaient venus l'arrêter. Facilement, le dragon fit le rapprochement entre le départ de l'autre et l'arrivée des soldats. Quelle piètre vengeance. Frappant du poing sur la roche, le dragon se promit de lui faire payer un jour, cet affront. Et après ? Qu'était-il arrivé ? Ukufa se souvient s'être battu, au prix d'une auberge brulée, avant d'être trainé contre son gré dans un cellule un peu plus chaleureuse que l'actuelle. Là ils était venu l'interroger, prenant le risque de lui libérer la parole. Le dragon fit preuve de savoir-vivre et d'agacement face à cet irrespect à son égard. Alors ils commencèrent à l'interroger. Principalement sur les rebelles. Et le dragon n'avait strictement rien à dire sur leur sujet, excepté ce que tout le monde savait déjà. Finalement exaspéré et piqué à vif par celui chargé de l'interroger, Ukufa cracha quelques flammes au derrière de celui-ci, occupé à le malmener en lui tournant autour, comme un chacal autour d'une carcasse. Si le dragon avait ensuite du encaisser plusieurs coups avant d'être transporté dans cette froide cellule, il demeurait satisfait de savoir que le soldat ne pourrait se rassoir avant plusieurs jours.
Et maintenant ? Qu'allait-il se passer ? Attendre. Attendre encore et toujours comme si le temps s'était suspendu en ce lieu. N'ayant rien à faire d'autre, le dragon gratta ses griffes contre la roche histoire de les tenir propres et solides. Et lentement, le sablier continua à répandre son sable. Ukufa se laissa sombrer dans le sommeil avant d'être éveillé par un bruit résonnant. Des pas résonnèrent. Un groupe d'hommes apparut alors à l'entrée de la cellule. La grille grinça sur ses gongs lorsqu'ils pénétrèrent dans la cellule. Deux d'entre eux, dont la carrure ferait pâlir une armoire, se saisir des chaînes, tendit qu'un troisième les détachèrent du mur à l'aide d'une lourde clé noire. Sans un mot il l'entraînèrent dans un dédale de couloir avant de monter quelques escalier et se stopper face à une immense porte de bois et de fer. La lumière filtrait tout autour, des rayons dorés, chauds et annonciateurs d'une journée ensoleillée. Le calme avait cédé au bruit, des sons dont Ukufa ne put déterminer la nature. Le dragon se débattit dès qu'il sentit ses gardes se saisir de ses ailes. Ils attachèrent à chaque pointe qui tendait la peau, des poids. Puis les hommes lui retirèrent toutes ses chaînes, tandis qu'Ukufa les observa, cherchant à connaître le mot de la fin. Il n'eut pas le loisir de recevoir de réponses. Dans un grondement sourd, les portes s'étaient ouvertes, actionnées par des mécanismes de fer. Une forte lumière l'engloutit, l'aveuglant vivement, lui, habitué à l'obscurité de la cellule. Ukufa gronda, cachant ses yeux d'une patte, complètement désorienté par l'arrivé soudaine de ce flot de clarté. Il sentit alors qu'on le poussait avec force vers la sortie. La pierre laissa rapidement place à un sable granuleux et chaud. Il comprit alors la nature des bruits qui avaient redoublés à sa sortie. Le grondement anarchique d'une foule au émoi. Ukufa commença à comprendre la situation. Lentement ses yeux s'adaptèrent à la lumière du soleil lui faisant découvrir ce qu'il avait craint. Une immense arène surmontée de hauts gradins où la foule scandait, et hurlait leur joie de venir voir le massacre de pauvres condamnés, ou de pauvres fous. Mais Ukufa n'avait pas l'intention de rester là. Il commença à sauter pour prendre son envol mais ses ailes ne le portèrent pas. Le dragon plana sur quelques mètres avant de retoucher le sol. Les gardes avaient lesté ses ailes pour lui éviter toute tentative d'évasion. Plus de fuite possible, la porte avait déjà été refermée. Ukufa inspira profondément. Il allait devoir affronter les gladiateurs.
Le lézard ailé observa la situation. Le sable avait déjà été sali par le sang d'autres combattants, et quelques carcasses demeuraient à certains endroits. Folle ambiance. Au centre de l'arène se tenait un groupe de maigres guerriers, armés de quelques glaives, de lances et boucliers et habillés d'armures en mauvais états. Prudemment, le dragon s'approcha des hommes, qui semblaient cacher de leur mieux leur peur, et certains moins bien que d'autres au vu de l'odeur. Ce n'était, de toute évidence, pas de bons gladiateurs, peu habitué à la situation, peut-être des condamnés, ou d'anciens paysans accusés d'être partisans des rebelles. Bref, pas un grand danger pour le dragon.
_Qu'est-ce que cette mascarade signifie ?
Le groupe d'hommes recula d'un pas, visiblement surpris de le voir parler. De toute évidence, des dragons, ils n'en on pas côtoyer beaucoup. Mais avant que ceux-ci ne réponde, une voix résonna, mettant un terme au brouhaha du public. Faisant office de conteur, expliqua la situation, remettant en scène une vieille histoire de guerre, plusieurs siècles avant le grand hiver. C'était l'histoire d'un village massacré pour avoir volé le butin d'un dragon. Ukufa se souvenait avoir lut quelque chose sur cette histoire, qui n'était qu'un vieux conte finalement, plus qu'un réel évènement. Visiblement, c'était l'oeuvre d'une pièce burlesque, avec un dragon de taille minime en vue d'amuser le public, et un groupe de "villageois" terrifiés et malhabiles prêt à se faire massacrer. L'un d'entre eux sembla vouloir faire preuve de courage, il s'élança, suivit des autres, levant leur glaives, prêt à frapper. Ukufa ne bougea pas. Il cracha des flammes au sol, créant un léger mur de feu qui fut suffisant pour stopper vivement les assaillants.
_Bande d'imbécile, vous tenez vraiment à ce que je vous massacre ? rugit-il.
Le groupe hésita alors, comprenant que le dragon ne les tuerait que s'ils l'attaquaient. Un grand dilemme alors, car des gladiateurs qui ne se battent pas sont naturellement punis. Et voyant leur hésitation, la foule commença de nouveau à hurler de mécontentement. Et face à cette situation compromettante, les organisateurs durent changer les plans. Ils devaient divertir le public, ainsi qu'Aile Ténébreuse. Le contraire leur serait dramatique.
Les portes grondèrent de nouveau sur leur gongs. Pénétra alors dans l'arène un groupe de cavaliers beaucoup plus aguerris, armés de spathas et de piques. Cette nouvelle cavalerie commença par les encercler, menaçante. Le conteur modifia alors son histoire. Le combat allait pouvoir enfin commencer !
Peut-être Ukufa aurait-il du massacrer faibles gladiateurs avant. A présent, ses chances de survie s'était amenuisées. Il se tourna vers le premier groupe de soldats qu'il pourrait éventuellement manipuler pour s'en sortir.
_Ok, bande de larves, ne vous laissez pas impressionner ! Faites ce que je vous dis et peut-être aurez vous une chance de vous en sortir !
Ukufa ne leur laissa pas le loisir de refuser ou non. Il cracha quelques flammes de tailles modeste autour d'eux afin d'effrayer les chevaux durant un court instant. Le temps suffisant pour donner des instructions. Le sang de l'officier qu'il fut s'exalta. Ukufa était dans son élément.
_ Déployez vous en groupes, les lances et les glaives. Les lances, prenez les de face pour atteindre les chevaux au poitrail ! Les glaives, agissez en duo pour les détourner et les pousser sur les lances. Faites tourner les chevaux en bourrique mais ne vous laissez pas poursuivre ! Visez avant tout les montures !
Le dragon n'eut pas à en dire plus. Les gladiateurs se dispersèrent, formant de petits groupes. Une chance pour eux, ce n'était pas de véritable destriers de guerre, ils ne possèdaient pas leur aplomb mais ils ne demeuraient pas moins très bien dressés. Quelques gladiateurs tombèrent blessés, frappé par les piques des cavaliers tandis que d'autres parvinrent à blesser quelques chevaux. Des montures basculèrent au sol, sévèrement touchées. L'occasion de rapidement achever le cavalier encore sonné. La foule hurla, visiblement ayant repris le goût du jeu. Ukufa lui, supervisait tout d'abord, hurlant des ordres aux gladiateurs pour mieux les placer. Ce n'était malheureusement pas de vrais guerriers, le dragon devait, à contre coeur, les "tenir par la main". Ukufa dut alors venir au secours de certains, évitant lui-même les assauts. A la vue de deux cavaliers fonçant sur un porteur de glaive, le dragon fit appel à une force plus profonde. En deux mouvements de poignet, il souleva deux glaives laissés par des gladiateurs morts et envoya les lames s'enfoncer dans le coeur des montures. Si habituellement sa magie lui sert peu et pour transporter principalement ses livres, les glaives s'étaient révélés suffisamment légers pour qu'il les soulève et les dirige. Les chevaux hennir à la mort avant de trébucher et s'écrouler sur leur cavalier. Sans hésiter, Ukufa bondit à leur suite pour achever les cavaliers en les égorgeant avec ses crocs. Le sang lui coula dans la gorge, agréable nectar vermeille.
_Reste pas là ! rugit le dragon à l'encontre du gladiateur.
Leurs effectifs ne cessait de diminuer, ainsi que celui des cavaliers mais ceux-ci demeurait un supériorité numérique. Le dragon ordonna à sa maigre troupe de se regrouper. Il leur fit récupérer quelques piques des cavaliers tombés et en cercle, ils les tendirent chacun en avant, leur permettant de tenir les cavaliers à distance. Ces derniers, s'approchant de trop près, risquait de blesser leur monture. Le petit cercle aux airs de soleil du point de vue des spectateurs formait leur dernier rempart de survie. Les cavaliers leurs tournaient autour, à la recherche d'une faille. Ukufa, au coeur des soldats observa avec plus de minutie les cavaliers. Parmi eux, se trouvait un leader, un meneur qui de toute évidence menait la ronde. Le dragon bondit sur l'épaule du gladiateur le plus robuste, surprenant celui-ci, au risque de faire tomber sa défense. Sans en avoir l'air, Ukufa n'était pas d'un poids excessif bien qu'il savait ne pas devoir rester trop longtemps sur l'homme au risque de le faire tomber. Il lui avait donc bondit dessus afin de s'en servir comme d'un appuis. Prenant son élan sur le gladiateur, Ukufa sauta au devant, écartant ses ailes lestés pour le faire planer. Un envole qui ne dura qu'un bref instant, suffisant pour qu'il puisse s'agripper à la selle d'un des cavalier encore en course. Maintenant fermement les lanières de cuir, Ukufa se hissa sur la croupe de l'animal avant de s'agripper au cavalier. Dans le dos de celui-ci, les armes ne lui étaient d'aucun secours contre le lézard ailé. Le cavalier parvint à le frapper avec son coude, déstabilisant Ukufa qui se rattrapa à la maille de son armure pour ne pas tomber. Se redressant finalement, il pris appui sur la croupe, se leva en enserrant la tête de l'homme entre ses petits bras. Si cela pouvait sembler burlesque, Ukufa n'attendit pas un instant. Ses griffes se plantèrent dans les yeux de l'homme afin des les enfoncer le plus en profondeur avant de les ramener vers lui en entaillant tout le visage. L'homme bascula de côté, tombant lourdement au sol, trainé par l'étrier dans le sable. Ukufa tomba sur la selle à laquelle il s'agrippa. Le dragon n'était pas cavalier et s'il tenait sur le dos de chevaux au pas, le galop furieux et paniqué de cette rosse le déséquilibrait particulièrement. Dès qu'il pu, il bondit au sol, amortissant l'atterrissage de ses ailes. Il vit alors les autres cavaliers ralentir, visiblement hésitant sur la stratégie à adopter dès à présent.
_Encerclez-les ! s'exclama Ukufa aux gladiateurs.
Sur ses mots, Ukufa cracha de nouveau quelques flammes dans le but de dévier les chevaux et les regrouper, faisant office de chien de berger. Les gladiateurs à piques et lances formèrent une ligne et foncèrent sur le groupe de cavaliers désordonnés. Les montures paniquées par le feu piaffaient et se débattaient. Certains en voulant prendre la fuite allèrent s'empaler sur les piques, blessant pas la même occasion leurs porteurs. Mais cela n'avait pas d'importance pour Ukufa qui voyait la victoire se profiler. Le dernier cavalier achevé, la bataille était enfin terminée. Scandé par la foule, les gladiateurs levèrent les armes, vainqueur. Le conteur annonça leur victoire, à contre-coeur.
Ukufa avait été ramené dans une cellule de meilleur confort. Un repas l'attendait ainsi qu'une coupole d'eau. Aucune chaine, seulement des murs de pierre et une large grille. Si le dragon n'avait pas l'intention de restez ici, il estima qu'il lui fallait tout d'abord reprendre des forces. Il dévora la viande puis fit chauffer l'eau à l'aide de son feu, utilisant son aile comme d'un couvercle. Finalement, cette petite bataille avait été revigorante ! Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas amusé de cette façon. Dès que l'eau fut chaude, Ukufa entama une toilette, se débarrassant de la poussière et du sang que ses écailles. Repu, il s'allongea sur la paille fraîche afin de prendre du repos. Il n'avait, pas prit de sévères coups et avait su éviter d'être piétiné ou frappé par une lame. Un combat dont il s'en était sortit sans grand mal. Seul face aux cavalier, la donne aurait été très différente.
Il n'eut pas le temps d'attendre plus longtemps. Un garde vint ouvrir la grille, suivit d'autres de son rang. Derrière eux, la silhouette filiforme d'un homme richement vêtu. Ukufa se releva pour leur faire face.
_Quelqu'un d'important aimerait te rencontrer, se contenta de dire l'homme de haut rang.
Important disait-il ? Ukufa hocha de la tête, annonçant qu'il était prêt à l'accompagner. Le dragon ne laisserait pas passer une telle offre, lui qui aimait rencontrer les têtes les plus hautes de la société. Le dragon fut reçu dans une riche pièce. La silhouette démoniaque d'Aile Ténébreuse se découpait dans l'ouverture de la fenêtre. Un peu surpris tout d'abord, Ukufa regagna sa légendaire contenance et se tint fièrement. Il s'était attendu à tout sauf à lui. Il retrouva son aplomb et se dressa fièrement sur ses quatre pattes, levant le museau vers son hôte à qui il laissa la parole. La discussion s'engagea, tout d'abord sur les salutation, suivit des présentations. Finalement, Aile ténébreuse l'interrogea sur sa vie de dragon et son expérience. Et l'annonce de son passé d'officier stratège sembla l'intéresser. Visiblement, le dragon l'avait intéressé dans sa façon de faire dans l'arène. Il pouvait se révéler potentiellement prometteur. Il rendit la liberté à Ukufa, qui accepta de se ranger sous ses ordres, voyant de nouvelle opportunité s'offrir à lui. Pourquoi refuser, après tout, c'est un être suffisamment puissant pour être convaincant.