Mer 15 Fév - 12:26 | | | | - Citation :
- "Raconte le jour où elle a quitté le tout jeune Aël, sachant qu'elle ne le reverrait plus jamais"
________________ Il était là. Pendant neuf mois elle l'avait porté, et voilà qu'il était là, à présent. Blotti contre elle, tétant tranquillement au sein de sa mère. Cette dernière n'arrivait pas à détacher ses yeux de lui, d'ailleurs. Dans son esprit, les choses paraissaient si embrouillées... Enfermée comme un vulgaire animal, ayant perdu tout espoir d'un jour pouvoir à nouveau courir librement, de faire ce qui lui plaisait, jamais elle n'aurait cru pouvoir y trouver l'amour... Et encore moins pouvoir donner naissance à un enfant. Et puis, venant tout juste de lui donner la vie, la Lycan n'était pas des plus aptes à aligner des pensées cohérentes. Tout ce qu'elle était capable de faire, c'était admirer son fils, un imperceptible sourire aux lèvres.
Debout à côté du lit, Tobbias s'affairait à nettoyer un peu la pièce, ayant récupéré les draps souillés pour les sortir, et l'aérant un peu, sans pour autant laissé la fenêtre trop ouverte. Car le nourrisson avait à peiné été enveloppé dans un linge blanc, en attendant, et sa mère n'était guère plus vêtue. Une fois qu'il eut terminé son petit brin de ménage, le grand homme vint s'asseoir au bord du matelas, passant une main songeuse dans son bouc grisonnant. - Tu lui a trouvé un nom, à ce petit loupiot ?
- ... Aël. C'était le prénom de mon père.
- Très joli. Tu veux que je te dise ? ça lui va déjà bien. Il a la peau aussi pâle que toi.
- Mais il a les cheveux de son père. Et je suis certaine qu'il en a les yeux, aussi. Puis elle poursuivit dans un soupir. Mon pauvre Caliban, qu'est-ce qui t'es arrivé... ?
- Ne te torture pas à cause de ça, c'est le passé. Rien ne le changera. Tu ferais mieux d'aller de l'avant. Regarde, tu as un fils, ma belle ! Tu feras une très bonne mère. Akatsuki garda le silence, un voile de tristesse obscurcissant ses prunelles d'or. Si elle ferait une bonne mère... Jamais elle ne le saura. Car pour elle, malgré la confusion du moment, les choses étaient claires. La jeune femme n'élèverait pas Aël. Elle n'était plus que l'ombre de ce qu'elle était auparavant. Une créature craintive et méfiante, qui ne sortirait certainement plus de sa forêt natale, trop contente de pouvoir enfin y retourner. Ce petit bout méritait mieux qu'une existence d'ermite. - Non, Tobbias. Je... Je ne vais pas le garder.
- Quoi ? Attends, c'est ton bébé ! Tu ne peux pas l'abandonner ! ... Non, ne me regarde pas comme ça, je ne peux pas m'en occuper ! Je suis un Humain, moi. J'ai quarante ans passés, je ne vivrai qu'une dizaine voire une quinzaine d'années en plus, et fini ! Et puis qui lui apprendra à se transformer, à courir, à flairer, à chasser, hein ? C'est un petit Loup !
- L'instinct prendra le dessus, ne t'inquiète pas pour ça. Je n'ai confiance qu'en toi. C'est toi qui le recueille, ou bien je l'abandonne devant un orphelinat.
- ... Espèce de bougre de tête de mule de Louve ! Et si jamais il vient à croire que tu l'as laissé derrière toi parce qu'il n'était pas assez doué, pas assez fort ? Hein ?
- Qu'il pense ce qu'il veut, je m'en moque bien... Ne te méprends pas, je l'aime déjà de tout mon coeur, ce petit Aël... Mais je ne peux pas faire de lui ce que je suis devenue. Il mérite une vie heureuse.
- Sans sa mère ? Bah tiens ! Ah la belle bêtise !
- J'ai grandi sans ma mère, je n'en suis pas morte pour autant.
- Mais tu avais ton père. Lui sera complètement orphelin. Parce qu'en plus je suppose que tu ne veux pas que je lui dise où tu te trouves, pas vrai ? - Exact. Sinon il pourrait essayer de venir me chercher, et Drayame est dangereuse pour ceux qui n'y sont pas nés. Tu devras veiller sur lui, d'accord ?
- Autant que je pourrai, oui... Mais hors de question que tu partes avant un mois. Il a besoin de toi et de ton lait. Alors je te laisserai pas partir avant.
- D'accord, un mois. Mais pas plus. Tobbias s'en alla en ronchonnant dans sa barbe, refermant la porte derrière lui, laissant ainsi la jeune mère seule dans la chambre avec son nouveau-né. La Lycan laissa échapper un long et profond soupir, avant de reporter son attention sur le bébé, qui avait cessé de téter pour dormir le plus paisiblement du monde, lové contre la tendre poitrine de sa génitrice. Sans qu'elle puisse s'en empêcher, un sourire étira doucement les lèvres rosées de la jeune femme, et elle déposa un léger baiser le front de son enfant.- Je suis désolée, vraiment... Mais je n'ai pas le choix. J'espère que tu pourras me pardonner, un jour... ~~~ Akatsuki tint parole, et resta un mois encore à l'auberge. Ses journées étaient à la fois simples, mais bien remplies. S'occuper d'un nourrisson, ce n'est pas tâche facile. D'ailleurs, celui-ci devenait de plus en plus vigoureux, et avait à présent ouvert les yeux. Comme le soupçonnait la Lycan, Aël avait les même yeux saphir que son père... Et il était gaie comme un pinson. Un rien le faisait rire.
Cependant... Un mois, ça passe vite. Et le jour où elle avait prévu de retourner dans la forêt pour ne jamais revenir arriva bien trop vite. Car, évidemment, pendant ces quelques semaines les liens entre la mère et son enfant s'étaient consolidés. Avec le recul, Aki est maintenant certaine que l'aubergiste lui avait délibérément demandé d'attendre un mois, espérant sûrement que passé ce délai elle n'aurait plus le courage de s'en aller... Raté.
C'était une belle soirée. L'air était doux, et les chaudes lueurs du crépuscule teintaient les plaines d'or et d'ocre éthérés. Une fin d'après-midi très agréable, pour ce milieu de printemps. Une légère brise apportait les fragrances si particulières et si délicieuses au goût d'Akatsuki, en provenance de Drayame. Tout semblait si paisible, si calme... Pas un voyageur ne venait retourner la terre poussiéreuse de la route qui s'étendait tel un ruban fauve entre les collines, passant devant l'auberge de Tobbias. Rien. Pas un seul mouvement. Quelques oiseaux planaient haut dans les nuées ponctuées périodiquement de quelques nuages, mais guère plus.
Le tenancier se tenait debout, sur le seuil de son établissement, le petit Aël dans ses bras, qui jetait des regard curieux un peu partout, en gazouillant gaiement. En face d'eux, la Lycan avait repris son apparence animale, dressée sur ses pattes postérieures, toisant tour à tour l'Humain et son fils. Ses oreilles étaient plaquées à l'arrière de son crâne, et sa queue ballait tristement sur le sol.- ... Tu es sûre de toi, princesse ? Tu veux vraiment me le laisser ?...
- J'adorerais pouvoir le prendre avec moi... Mais je suis une solitaire, ce n'est pas l'idéal pour lui... Il sera bien mieux avec toi, crois-moi.
- Alors... On ne se verra plus, hein ?
- Non, Tobbias. Malheureusement, non... Je ne te remercierai jamais assez pour tout ce que tu as fait pour moi, et tout ce que tu continueras à faire, même après mon départ. Oh, à propos... La grande Louve blanche retira la chaîne en or qu'elle portait autour du cou, et la tendit à l'aubergiste. Sur celle-ci se trouvait un pendentif du même métal figurant une feuille veinée d'ambre. - C'est pour Aël. Je veux qu'il sache que je l'aime, même si j'ai décidé de te le laisser. C'est mon fils, après tout...
- Ne t'inquiète pas, il entendra parler de toi à la moindre occasion. Je te le promet. Je veillerai sur lui aussi longtemps que je serai en vie.
- Merci. Encore une fois, merci. Bon... Je vais devoir vous laisser... Puis s'adressant au nourrisson. Je compte sur toi pour être sage, d'accord ? Ne va pas lui mâchouiller les pieds de table pour te faire les crocs...Akatsuki posa son museau sur la poitrine de son bébé, pour souffler gentiment dessus. C'était un genre de caresse qu'elle avait pris l'habitude de lui faire, et ça le faisait bien rire. Comme de coutume, Aël se mit à gazouiller joyeusement, et posa ses mains sur la fourrure blanche de sa mère, joyeux comme tout. Une larme roula le long de la joue duveteuse de la louve, et elle enleva sa tête, avant de tourner les talons et de filer ventre à terre vers Drayame.
La dernière chose qu'elle perçut furent les pleurs d'Aël, puis elle disparut entre les arbres.
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