Le feu crépitait et tordait continuellement les ombres de la grotte, amenant autour de Len une sombre compagnie des plus étranges. Les sourcils froncés, il guettait avec une certaine inquiétude l'au-dehors, à l'affût du moindre bruit suspect. N'était-il point un homme recherché ? Ne désirait-on éradiquer son existence qui incarnait le déshonneur familial ? Ne voulait-on le tuer ?
« Ne te crois pas plus important que tu ne l'es, gamin. »
Len sursauta. Perdu dans ses interrogations, son attention s'était relâchée. Aussi n'avait-il vu l'elfe approcher. Cependant, il fallait remarquer que ledit personnage se déplaçait d'une manière presque féline, jouant des ombres pour se faire plus discret... Était-ce donc afin de le surprendre ? Len, curieux et quelque peu gêné par sa surprise, lui demanda. Ce à quoi Sigurd ne jugea utile de répondre immédiatement, s'installer confortablement à distance mesurée du feu étant en tête de ses priorités, vraisemblablement. Tous deux étaient alors assis en vis à vis, le feu entre eux, l'entrée de la grotte à leur côté.
« Je n'essaye rien, fit enfin l'elfe avec une mine ennuyée. Je réussis ce que j'entreprends, sinon je ne le fais pas.
- Ta fierté te perdra, Sigurd, releva Len. »
Paroles qui ne manquèrent de se réaliser... songea Len en regardant le chemin à peine décelable devant lui. Il avait l'habitude d'emprunter ses sentiers tortueux de Drayame en compagnie de celui qui avait été son mentor durant presque sept ans, profitant du couvert des arbres feuillus pour éviter toute rencontre inopportune. Soit assez d'années pour qu'il ne s'y perde pas, mais cependant trop peu pour en connaitre tous les recoins. Si cela était réalisable.
Enfin, après un mois de deuil à se morfondre du mauvais sort et maudire Nayris pour lui avoir enlevé Sigurd, Lennart avait repris la route, seul. Si certains qualifieront que ce deuil fut bien long, sans doute ne l'était-il pas assez pour l'orphelin qu'il était, puisque ses pensées se perdaient incessamment dans ses souvenirs lointains...
Il avait fait la rencontre de l'elfe marginal quelques jours, peut-être deux, après avoir été renié en tant qu'Arachnéa et jeté sans sommation à la porte du domaine familial. Il avait alors dix-huit ans, ce qui ne l'avait empêché de pleurer une bonne partie de la nuit -Sigurd lui avait d'ailleurs maintes fois reproché par la suite de se comporter en couard. D'une certaine manière, qui n'aurait ployé sous tant de malheur ? Du jour au lendemain, il se retrouvait abandonné, sans logis ni repère, seul dans sa tenue de nuit. Certes sa vie d'auparavant était loin d'être enviable, enfant peu aimé de la famille. Et en relativisant, de qui la compagnie des bêtes de Sen'rin ou celle de sa famille était la moins désagréable ? Car il fallait remarquer que rares étaient les Arachnéa ayant une once d'humanité.
Cela faisait bien longtemps que Len n'avait pensé à eux, tiens. C'est à ce moment qu'il se rendit compte que Sigurd avait suffi à emplir sa nouvelle vie, sans qu'il n'ait réellement besoin de se référer à l'ancienne. Et s'en apercevoir ne faisait que raviver la douleur de son absence. Néanmoins, Len esquissa un sourire amusé, en se remémorant les nombreuses fois où l'elfe lui avait tiré les oreilles pour son penchant défaitiste... Et ce, dès leur première rencontre.
« Arrête donc de te comporter en gamin, gamin ! s'agaça Sigurd, en se bouchant les oreilles afin de ne pas entendre les pleurs de Len.
- Mais c'était une... une araignée... une araignée...!
- Tu as quel âge pour pleurnicher comme ça ?! Comporte-toi en homme ! Damnation, pourquoi ai-je choisi de passer par là... Si je ne t'avais vu faire fuir cette bestiole, ne crois pas que je t'aurai aidé ! »
Len s'étonna brièvement qu'il eut un spectateur lors de son affrontement avec une de ces araignées géantes de l'île. Sa condition lui obscurcissant l'esprit, il n'avait que réagi à l'attaque du monstre en esquivant et s'emparant d'une branche pour parer faiblement ses coups, avant que la bête ne s'en aille à la recherche d'un met plus aisé à dévorer. Il n'avait pas eu le temps de réaliser qu'il s'agissait d'une araignée. Son pire cauchemar sur pattes.
Enfin il finit par s'arrêter de pleurer d'épuisement, avant de sombrer dans une inconscience de courte durée. À son réveil, il se retrouva dans une concavité rocheuse étroite, juste assez grande pour deux personnes. Sigurd était à ses côtés et marmonnait quelques obscurs propos en découpant des tranches de fenaison odorante, qui l'avait sans doute éveillé.
« Où sommes-nous...? s'enquit-il avec inquiétude, ne pouvant s'empêcher d'avoir aussitôt songé à sa condition d'exilé.
- À quelque distance du lieu où je t'ai trouvé. Assez loin pour que tu ne risques plus grand danger.
- Merci... Mais à combien de jours sommes-nous du port le plus proche ?
- Peu importe, en quoi cela t'intéresse-t-il ?
- Eh bien... Ne puis-je vous accompagner à Drayame ?
- Et comment aurais-tu la certitude que je m'y rends ? Tout elfe que je suis, je vais où bon me semble ! fit Sigurd avec un brin de colère.
- Mais un elfe sur Sen'in... est quelque peu incongru, non ? Rare du moins sont ceux qui y restent, poursuivit Len calmement. »
Sigurd le dévisagea avec intérêt avant de laisser s'échapper un grand rire.
Ce jour-là, il ne lui avait pas expliqué la raison d'une telle réaction et ce ne fut que bien plus tard, à mesure que Len apprit à connaître cet étrange personnage qu'il comprit : l'elfe appréciait ceux qui lui tenaient tête et osaient relever la faille dans ses propos. Delà a germé, peut-être, le goût prononcé de Len envers les joutes verbales.
De même, son mentor ne lui avait jamais explicitement dit pourquoi il se trouvait sur Sen'in. Len ne lui avait posé la question lors de leur rencontre : elle lui était venue en s'apercevant que l'elfe ne quittait les forêts qu'en de rares occasions... Quelle motivation assez puissante l'avait donc amené sur les terres rocheuses des Arachnéa ? Il soupçonnait un quelconque contrat de mercenaire qu'aurait accepté Sigurd, puisqu'une fois sur le continent, il l'avait mené à la capitale -la seule et unique fois de son vivant- pour "discuter avec des connaissances".
Il avait gardé en mémoire le visage de ces connaissances en question. Peut-être que s'il venait à les rencontrer, Len aurait le courage et l'impertinence nécessaire pour leur demander. Quoiqu'il en soit, peut importait son ascendance noble, Len avait choisi de devenir un mercenaire à la suite de Sigurd... Il y voyait l'occasion de parfaire ses talents de bretteur que l'elfe avait tant pris la peine de développer durant ces courtes années, chaque jour, une heure dès l'aube, une heure avant de se sustenter devant un feu. Au gré de ses voyages trouverait-il quelque indice sur les nombreuses parts de mystères de son défunt ami.