Tout le monde redoutait le pire. Il y avait de quoi. Quant on devait annoncer une mauvaise nouvelle à l'Empereur, il ne fallait pas en être le porteur. On pouvait en mourir.

Flanqués de gardes prétoriens, officiers et conseillers venaient de traverser la cours du Palais dans un silence des plus gelés. Il n'était pas difficile de deviner que l'ensemble était mort de trouille, surtout Metellus qui diabolisait la situation, bien qu'on l'ai préparé à quoi s'attendre. Le Conseiller Noir avait bien compris qu'Azraël n'était pas du tout celui qu'il pensait, mais à ce point.. Que ce dernier ait tué le prédécesseur du jeune-homme de ses propres mains, d'accord, un Empereur pouvait parfois s'emporter, mais en le projetant contre le mur si violemment, qu'on aurait dût le décoller à l'éponge, cela laisser désirer de sa santé mentale !

Politiciens et militaires s'étaient concertés au préalable, et mis d'accord sur qui dirait quoi et à quel moment. Les vieux renards étaient rassurés que Metellus soit l'éthéré du groupe, ils n'auraient pas à parler en premier, et c'était souvent l'individu qui occupait ce poste qui disparaissait le premier.

L'escorte marqua halte devant la Grande Porte, puis « Marius », un officier de la garde personnelle, rappela à l'ensemble avec un certain altruisme :

« N'oubliez pas, évitez de regarder l'éminence dans les yeux, ne vous plaignez jamais, ne le contredisez jamais. Pour ceux qui auront la chance de repartir, inclinez-vous face à lui jusqu'à la sortie. Force et honneur, que Zelphos vous vienne en aide. »

« Virtus et honor, Virtus et honor !. » murmurait tout bas le jeune conseiller, tandis que Marius indiquait à deux subalternes d'ouvrir la porte. Les yeux de la fine communauté étaient à présent rivés sur l'énorme tête de gargouille centré sur la porte, et qui les défiait d'un regard des plus effroyables. Un violent mécanisme s'actionna dans une terrifiante symphonie, puis, les deux extrémités des portes s'éloignèrent du cortège et vinrent claquer contre les parois des murs de marbre, faisant sursauter la moitié de l'équipe. La trouille au ventre, la ils se jetèrent dans la salle du trône, certains s'inclinant si bas que le spectacle en devenait ridicule. Il l'était d'autant plus que le groupe était presque en file indienne derrière Metellus.
L'Empereur était au fond, assis sur son trône, entourés d'hommes illustres, il était terrifiant.
  Il fallait maintenant lui expliquer pourquoi ce matin, une explosion avait réveillée la moitié du Palais. La terrible vérité, était que le personnel de garde de l'Aile Ouest, prit d'un excès de confiance, avait organisé une petite sauterie la veille, en prenant le risque démesuré d'aller à l'auberge au soir même ; et où ayant trop consommés, ils étaient rentré à six heures du matin dans leur baraquement où l'un d'entre eux avait allumé une pipe, sans doute trop prêt des réserves de poudres, puisqu'il avait fait sauter le bâtiment et trente-quatre de ses camarades avec lui.

La température de la pièce diminua lentement, signe de l'agacement de l'Empereur, alors que personne n'avait encore rien dit.
Claquant presque des dents, les conviés s'arrêtèrent à cinq mètres de l'Archidémon et se prosternèrent en tremblant, bien que certains ne pouvaient s'incliner plus bas qu'il l'étaient déjà. Metellus déclara :

« Votre Majesté, pardo..» Mais s'arrêtant brusquement, il trouva la formule trop maladroite, la température diminua d'un cran, certains sanglotaient presque : « ..veuillez pardonner l'intrusion des misérables que nous sommes, en ces âges troublées, où votre sublime éminence est assurément débordée. Nous implorons votr.. » Mais il coupa net lorsque la température déjà proche de zéro piqua d'un trait vers les -20°C, l'adrénaline lui parut s'extraire des spores de sa peau quand un éclair vint frapper le sol assurément trop proche de lui. Il se jeta en arrière provoquant un effet « domino » contre la pile de conseillers faiblis par la peur qui dégringolaient de tous côtés. « MERDE ! » fulmina-il quand le second trait de foudre lui passa au-dessus de la tête et vint frapper l'arrière de la file, saturant bientôt la pièce d'une odeur de viande calcinée.

Tout le monde était au sol, même les hommes illustres. Metellus leva la tête vers le trône, l'Empereur, dont la vision rougeâtre éblouissait la moitié de la salle, s'approchait du groupe avec une épée gigantesque. Le jeune-homme était pris d'hallucinations et discernait une immonde machine à la place d'Azräel. Celle-ci passa à côté de lui et vint empoigner un officier qu'il ôta du sol d'un trait :

« QUE-C'EST-IL-PASSÉ?! » Tempêta-il dans une voix tant rauque que tonnante.

« Je..je..jejejejejeje » cafouilla le soldat suspendu à deux mètres du sol.

« IM-BE-CILE ! » Hurla l'Empereur en le projetant vers une paroi.

« INCAPABLES MICROBES !! » Aboya-il à nouveau, avant d'entrer dans une frénésie meurtrière « RAAH ! » Il faucha le groupe ça et là avec sa lame, de façon absolument aléatoire, avant de rugir à nouveau : « QUE-S-EST-IL-PASSÉ ? » demanda-il difficilement tant son rythme cardiaque était accéléré : « LA CASERNE, QUI A FAIT EXPLOSER LA CASERNE ? »

« Les gardes votre sublime émin..eeuuarg !! » ne put finir l'homme qui s'était risqué à prendre la parole, écrasé comme un insecte.

« LES GARDES ? POURQUOI ? »

« Ils étaient ivres votre absoluité !! » Beugla un officier recroquevillé lamentablement.

« ILS-ÉTAIENT-QUOI....... ? RAAAH !!! » Hurla-il en s'emparant du combattant qu'il déchira en deux, avant d'ajouter en fauchant toujours à travers le groupe « DÉSOLANTS-LAMENTABLE !! »

Metellus n'osait pas prendre la parole. Il n'y avait plus qu'à espérer que le forcené s'arrête avant qu'il ne le chaparde lui aussi. Et tandis que des éclairs tombaient ça et là, il se bouchait les oreilles du plus fort qu'il pouvait, au sommet de sa panique.
La folie de l'Empereur cessa finalement, la température remonta. Il s'écoula une trentaine de secondes qui parurent une éternité au survivant avant qu'il ne daigne relever la tête. Il était tout seul. Le jeune conseiller, le visage noirci et les vêtements en haillons, releva lentement la tête vers les énormes jambes cuirassées d'Azräel, plantées juste devant lui. Au sommet de l'incompréhension, ce dernier lui tandis une main, que Metellus bien qu'hésitant, saisit, et qui se referma aussitôt sur la sienne comme un piège à loup, tandis que la température rechutait. Il hurla. L'empereur le remit sur pied, manquant presque de lui arracher sa main.

« Et bien mon bon Metellus » déclara l'Empereur détendu : « Toi qui a pour charge de me conseiller, dis-moi, ai-je eu raison de ne pas tolérer cette bavure? »

« B.. bien entendu votre absoluité, i..il est intolérable qu'un tel fait se soit produit et.. » Il fut brièvement coupé par Azräel qui ajouta en lui tapotant le dos : « Mais oui, mais oui, et seul Zelphos peut juger ces abrutis. Moi, je n'organise que la rencontre. »

Metellus fixait l'Empereur comme médusé, attendant impatiemment la fin de la sentence. L'Archidémon déclara enfin :
« Comme il ne reste que toi, et c'est étonnant je pensais pourtant t'avoir touché.. occupes toi de me remplacer tout ce monde, et assures toi que plus jamais pareil fait ne se reproduise, ou je te mutilerai tellement que même les lions de l'arène ne voudront pas de ton cadavre. Fiche le cas d'ici. »

Il obtempéra immédiatement et s'inclina du plus bas qu'il pu, se bloquant presque le dos, et repartit à reculons jusqu'à disparaître derrière les portes de la salle du trône. Les choses devaient changer, il en était maintenant convaincu.