Voyant que rien du côté du domaine familial ne lui faisait signe de venir, Chioné avait décidé de quitter quelques temps Umusk, histoire de se changer les idées. Elle avait donc prévenu Leyna et Hadrien DeLieux, sa nouvelle rencontre, en leur disant de ne pas s'inquiéter, elle s'absenterait juste quelques jours le temps d'oublier l'ennui, puis elle reviendrait. De toute façon, elle n'irait pas bien loin, elle avait entendu parler d'un lac pas très loin, elle pourrait aller s'y ressourcer un temps...

Ceci fait, elle avait pris de quoi camper pour quelques jours, puis s'était mise en route, armée d'une carte pour pouvoir se repérer plus facilement. Elle marcha pendant deux, trois jours, puis finit par arriver audit lac et fut aussitôt séduite par le paysage enchanteur de l'endroit. Elle avait beau être à moitié démone, elle était également à moitié humaine et ceci la sensibilisait à la beauté de la nature qui pouvait parfois échapper à ses collègues...

Bref, elle installa son campement pas très loin du bord du lac, puis se dévêtit, ne gardant que ses sous-vêtements, avant d'aller piquer une tête dans l'eau, ce qui la rafraîchit : une bonne baignade dans de l'eau fraîche, par rapport à une magnifique journée ensoleillée et chaude, cela ne pouvait faire que du bien. Elle resta un bon moment, faisant la planche et nageant avec les poissons, sans se douter que quelqu'un arrivait...

Le premier mois chaud, Welnorr, avançait déjà sur le monde, et les journées pleines de soleil se succédaient ... Une chose qui, encore après quatorze années, fascinait Sybaris. Les saisons. C'était un phénomène inconnu sur Zelphos. Là-bas, en tous temps, il fait toujours un temps des plus désagréables qui rappelle à tous que l'enfer ce n'est pas les autres mais bien Zelphos. Sybaris devait bien admettre que, une fois mis de côté l'aspect mièvre et mielleux des Plaines Mystiques, les lieux étaient confortables. Oui, confortable. Cela valait mieux qu'agréable. Sybaris détestait ce qui était agréable, cela sonnait trop ... "gentil". Confortable, c'était bien. Suffisant.

Et pour l'heure, son confort était mis à l'épreuve sur la route entre Sen'Tsura et le domaine des Férals. Non pas qu'elle veuille se rendre chez ses "collègues", mais un de ses clients habitait non loin, et il avait été particulièrement absent ces derniers temps. L'heure était venue de venir chercher son paiement ... Enfin ... L'heure était plutôt venue de se laver et de se rendre présentable. Il était étonnant, pour la démone, de voir à quel point on s'habituait vite à la fraîcheur et que ce soleil de début d'été tapait déjà bien fort le matin ... Surtout quand on porte des vêtements de voyage, bien plus épais et sombres que ses habituels voilages de "travail", qui pour l'instant étaient enfermés dans la sacoche qu'elle portait à son côté droit. Quant à Ssyfryss ... Le serpent semblait mort ... Du moins si on regardait sans détailler. Car en vérité, l'animal se dorait la pilule, bien enroulé sur le bras gauche de sa maîtresse - sa place favorite. Mais il avait besoin d'ombre, lui aussi ...

C'est donc avec un certain plaisir que Sybaris avisa le lac providentiellement placé sur sa route. Ainsi que la jeune demoiselle qui bullait tranquillement dedans ... Une jeune femme si blanche ... Cette extrême pâleur contrastait parfaitement avec le hâle doré qui couvrait la peau humaine de la démone, ainsi qu'avec ses cheveux presque noirs. Étrangement, cette jeune baigneuse paraissait familière à la démone ... Un physique dont elle avait déjà entendu parler ... Mais aucun nom à cet instant ne lui venait à l'esprit. Le soleil et l'envie de plonger son corps dans cette eau limpide devaient vriller sa mémoire par quelques maléfices ! Il fallait donc satisfaire son besoin de propreté pour ensuite combler celui de la curiosité ...

C'est donc pour cela que, sans se cacher, Sybaris avança jusqu'à la rive, ni trop loin ni trop près de la naïade, et se mira dans l'eau quelques secondes, avant de déclarer, d'un ton neutre, calme et doux, sans même se tourner vers la jeune femme :

Loin de moi l'idée de troubler votre séance de relaxation, mais ... Accepteriez-vous de partager avec moi ce coin paisible, blanche damoiselle ?

Le dernier mot prononcé, Sybaris pivota son visage impassible vers l'inconnue et lui offrit le rictus que les humains appellent "sourire amical" - qu'elle réussissait parfaitement depuis quelques années.

Pendant un bon moment, Chioné s'abandonna au plaisir de nager et au bonheur de goûter l'eau fraîche, bienvenue en cette saison. Cela faisait tellement de bien qu'elle pourrait presque s'endormir dans l'eau, mais ce serait fort dangereux, même pour elle. Et il serait idiot qu'elle meure maintenant, alors qu'elle avait moult choses de prévues...

Elle continua de nager pendant un moment, piquant quelques têtes avant de remonter à la surface pour respirer, lorsqu'elle vit sur la berge une belle jeune femme qui se regardait dans l'eau. Sans la regarder, la nouvelle venue lui demanda d'une voix douce :

Loin de moi l'idée de troubler votre séance de relaxation, mais ... Accepteriez-vous de partager avec moi ce coin paisible, blanche damoiselle ?

La Féral - enfin, pas tout à fait, vu qu'elle ne faisait pas encore partie de la famille - lui sourit et nagea jusqu'à elle avant de lui dire avec malice, comme une enfant qui veut jouer :

Bien sûr que vous pouvez venir, ce lac n'appartient à personne, ou alors je ne suis pas au courant... D'où venez-vous, et qui êtes-vous ? Si ce n'est pas indiscret, bien sûr.

Elle recula pour laisser la nouvelle venue entrer dans le lac, et nagea en attendant une réponse de sa part.

Maintenant qu'elle la voyait plus en détails, la démone reconnut que la jeune femme dans l'eau était ravissante. Une magnifique rivale à sa propre beauté. Sybaris appréciait la beauté, bien qu'elle ne la voyait pas comme les êtres de ce monde. Un visage bien fait, un corps bien fait, une architecture ordonnée ... Tout cela pour elle était synonyme de perfection et c'est cela qu'elle aimait en réalité. Le perfection physique dénote d'une supériorité indéniable, surtout lorsqu'on est du genre féminin. Même chez les mâles, la démone avait remarqué qu'entre eux ils se comparaient souvent à la perfection de leurs muscles et de leurs capacités ... La beauté est subjective en tous points, c'est indéniable.

Aussi, c'est un sourire serein et satisfait qui se dessina sur les lèvres carmin de la curieuse qui accepta de se présenter, non sans garder certaines choses secrètes ...

Je viens de Sen'Tsura, et mon nom est simplement Sybaris, bien que certains aiment à me surnommer la Vouivre ... Je suppose que cela revient à mon adorable Ssyfryss ...

Disant cela elle se dévêtit et posa son serpent, tout en lui administrant une légère caresse, sur ses habits. Ssyfryss se lova avec joie dans les tissus, tout en s'exposant au soleil, et en gardant son regard posé sur sa maîtresse. Une fois elle aussi en sous-vêtements - une fine culotte en soie et dentelle noires, laissant voir ses fesses parfaitement galbées, et un bandeau dans les mêmes tissus, maintenant sa poitrine aux rondeurs plus qu'acceptables - elle se glissa dans l'eau et se délecta quelques secondes de la fraicheur avant de s'intéresser à nouveau à son interlocutrice.

Et vous donc ? Je suis curieuse de savoir à qui ai-je l'honneur de palabrer ... et de nager !

La nouvelle venue sourit et répondit à Chioné avec tout autant de douceur que la première fois qu'elle avait parlé à la Reine des Neiges quelques instants plus tôt :

Je viens de Sen'Tsura, et mon nom est simplement Sybaris, bien que certains aiment à me surnommer la Vouivre ... Je suppose que cela revient à mon adorable Ssyfryss ...

Chioné remarqua ainsi la présence du serpent sur le bras de la demoiselle : un bien joli serpent d'ailleurs. Sybaris - car tel était le nom de la nouvelle venue - se dévêtit et posa son serpent sur ses habits. Celui-ci s'y lova et se mit à lézarder au soleil, pendant que sa maîtresse descendait rejoindre Chioné dans le lac, ne portant plus que ses sous-vêtements en dentelle noire qui soulignaient ses belles formes.

Elle se glissa dans l'eau et apprécia pendant quelques secondes la fraîcheur de l'eau avant de demander à la Reine des Neiges :

Et vous donc ? Je suis curieuse de savoir à qui ai-je l'honneur de palabrer ... et de nager !

Chioné rit doucement avant de répondre avec un grand sourire :

Je m'appelle Chioné, et suis née à Selian, en Glaces. Et ma foi, je ne suis pas fâchée de quitter mon pays natal pour voir le monde. Au passage, j'aime beaucoup votre serpent.

Enchantée, Chioné de Selian ! déclara la démone humanisée en effectuant une adorable arabesque avec le bras droit en guise de révérence - oui, elle ne va tout de même pas se mettre sous l'eau pour saluer ... avant de jeter un regard pour ainsi dire amoureux à son familier, qui venait de se dresser sur lui-même au compliment de leur nouvelle "amie".

Ssssyfryssss aime Ssssschioné ! chuinta-t-il, trop heureux d'être ainsi un sujet d'admiration. Bonheur qui le fit "danser" quelques secondes avant de se replier et de s'en retourner à sa séance de bronzage ...

Sybaris retint un rire et se contenta de sourire. Cet animal avait des goûts si simple et se satisfaisait d'un rien. En outre, il était bien plus sociable que sa maîtresse et compenser le manque de sympathie de cette dernière. Mais son atout premier était qu'il représentait bien souvent une diversion sans pareille pour observer à loisir et tirer des informations sans forcer. Les gens divertis s'ouvrent facilement, parfois ... Mais en l'occurrence, l'espionne en chef ne cherchait pas vraiment à décrypter son interlocutrice : elle n'était pas en mission et désirait seulement prendre du bon temps, et pour une fois, elle ne crachait pas sur cette compagnie de fortune.

Face à son serpent, Sybaris partit en arrière et fit un moment la planche sur le dos, profitant du soleil et de son éclat chaleureux, tout en se laissant aller au silence assourdissant de l'eau envahissant par a coups ses oreilles. Sa vie n'était jamais reposante, alors ce répit était plus que bienvenu. Mais elle n'était pas seule et il était justement malvenu de faire comme si elle était seule. Surtout que c'est elle qui avait interrompu la solitude de la jeune fille. D'ailleurs, en parlant d'elle ...

Dites-moi Chioné, vous êtes fort loin de chez vous ... Serais-je trop indiscrète en vous demandant de me conter ce qui vous a fait venir jusqu'en ces terres et vous retrouver à faire trempette avec moi ?

Sybaris s'étonnait elle-même, sentant son visage tiraillé par ce sourire si amical qu'elle offrait à Chioné. Intéressant comme certaines personnes sur Terra vous font devenir ... aimable ... gentil ! Pour un peu, Sybaris se dégoûterait ...

Sybaris salua Chioné en effectuant une révérence parfaite, montrant bien la bonne éducation de la jeune femme, et qui fut grandement appréciée par Chioné qui lui retourna le compliment en faisant de même.

Les deux femmes se tournèrent ensuite vers le serpent de Sybaris qui siffla de bonheur :

Ssssyfryssss aime Ssssschioné !

Ssyfryss dansa quelques instants - enfin, se tortilla plutôt - avant de se remettre en boule et de se dorer la pilule au soleil. Souriante, Chioné repartit nager tranquillement, laissant la fraîcheur de l'eau parcourir son corps en douceur. Un vrai bonheur...

Elle revint sur terre lorsqu'elle entendit la voix de Sybaris lui demander :

Dites-moi Chioné, vous êtes fort loin de chez vous ... Serais-je trop indiscrète en vous demandant de me conter ce qui vous a fait venir jusqu'en ces terres et vous retrouver à faire trempette avec moi ?

La Reine des Neiges resta muette quelques instants, pesant ses mots : il y avait des informations qu'elle ne pouvait pas révéler, comme le fait qu'elle était à moitié Féral... Elle finit par répondre :

Hé bien... Pour faire simple, ma mère a été... tuée, ce qui fait que plus rien ne me retenait en Glaces. Je la fais vraiment courte, il y a trop de détails.

Elle se perdit dans ses souvenirs : la vision du corps de sa mère, baignant dans son sang, revint devant elle quelques secondes avant qu'elle ne secoue la tête. Ça ne servait à rien de ressasser le passé...

Sybaris resta silencieuse à cette révélation. Si la jeune femme ne voulait point en dire plus, alors qu'elle en disait déjà si peu, il n'y avait pas à douter que ce meurtre fut des plus atroces pour elle. Elle devait aussi, pensa notre démone, tenir énormément à sa mère pour ainsi être remuée. Il est vrai que c'était une chose que ne comprenait que trop peu Sybaris, elle qui ne voyait en sa mère que la vile démone qui ne savait que la rabaisser et ne lui accordait que très rarement sa fierté et son approbation. Si la mère de Sybaris devait être massacrée, le seul regret de Sybaris serait probablement de ne pas avoir pu le faire elle-même, ou à défaut, de ne pas avoir pu y assister ...

Aussi, ne voulant point se faire submerger par des sentiments qu'elle ne supportait pas, Sybaris songea qu'il valait mieux ne pas chercher à en savoir plus. Et puis après tout, la jeune Chioné elle-même ne voulait pas révéler davantage d'elle-même et de son passé ... Alors ... qu'en serait-il du présent ?

Les Glaces n'ont d'important que le froid qui y circule ... Puisque votre passé est un sujet que vous ne voulez aborder, si nous parlions plutôt de présent ou même d'avenir ? Une jeune habitante des Glaces ne viendrais pas sur Terre par hasard, surtout seule ...

Sybaris avec déclaré cela sans animosité aucune, avec simplement un ton calme et apaisé, comme ... maternel, si l'on put penser qu'elle en fut capable ...

Chioné se mura dans un silence presque coupable. Si elle n'avait pas été dans sa chambre à ce moment-là, elle aurait partagé la souffrance de sa mère... Elle chassa cette idée de son esprit : allons, le passé était le passé, cela ne servait à rien de le ressasser. Au contraire, il fallait aller de l'avant.

Sybaris n'insista pas, comme si elle comprenait que Chioné ne voulait pas en parler pour le moment. Elle se contenta donc de lui demander :

Les Glaces n'ont d'important que le froid qui y circule ... Puisque votre passé est un sujet que vous ne voulez aborder, si nous parlions plutôt de présent ou même d'avenir ? Une jeune habitante des Glaces ne viendrais pas sur Terre par hasard, surtout seule ...

Un point pour elle. Mais la Reine des Neiges était encore embêtée : Leyna lui avait bien dit de ne pas crier sur tous les toits qu'elle était une Féral, cela pouvait être dangereux. Mais en même temps, elle ne pourrait pas rester paranoïaque longtemps, surtout avec Sybaris en qui elle commençait à avoir confiance. C'était... instinctif, elle le savait, c'était tout. Une bien étrange sensation. Elle nagea jusqu'à la jeune femme et planta son regard bleu de glace dans celui de Sybaris avant de lui répondre avec plus ou moins d'honnêteté :

Vous avez raison. Ce qui m'a poussée à quitter les Glaces, c'était la perspective de retrouver mon père, que je n'ai jamais connu. Et aussi celle de retrouver ceux qui m'ont pris ma mère.

L'honnêteté totale viendrait, Chioné le savait. Mais elle était encore méfiante, et ajouta avec un ton neutre :

Mais... Puis-je vraiment vous faire confiance ? Je m'excuse par avance, mais depuis cet accident, j'ai tendance à me méfier un peu trop...

Ha ! La confiance ... Une bien étrange chose que voilà. Même les démons de Zelphos devait en user ... parfois ... Mais ils usaient beaucoup plus de la méfiance, aussi Sybaris comprenait à la perfection les ressentiments de la jeune femme. D'autant qu'elle-même se cachait à elle sous son apparence humaine. Il allait falloir mettre carte sur table ... La démone pouvait au moins dévoiler tout de sa vie officielle, après tout, partout où il y avait des clients à elle, partout où elle séjournait, tous connaissaient la Dame Sybaris, tour à tour courtisane, danseuse, masseuse ... et aujourd'hui baigneuse ... Et qu'importe qui était en réalité cette Chioné ... elles étaient ici dans un lieu proche d'un nid de démons, aussi ce n'est pas Sybaris qui avait, semble-t-il, à craindre ... Même si ce nid n'était pas des plus ... agréables ...

La méfiance est une notion que je ne peux que comprendre, jeune Chioné. Qui plus est lorsqu'elle intervient avec un passif comme celui que vous évoquez ... Si cela peut vous rassurer, je n'ai jamais mis les pieds dans les Glaces et ne suis-je pas liée à un assassinat là-bas ...

Sybaris remua dans l'eau, faisant quelques brasses et s'amusant avec ce miroir mouvant.

Puisque vous avez dévoilé un peu de votre personne, mon tour est venu de vous rendre la pareille, et de nous mettre à égalité ... Je suis connue, dans les Plaines Mystiques, et peut être même ailleurs, comme une des Courtisanes du Palais de Sen'Tsura - la meilleure, je dois bien l'admettre, sans manquer de modestie - et je voyage énormément vers ceux de mes ... clients qui aiment le confort et la discrétion de leur demeure ... Un de mes amis a même déclaré un jour que je devais être la plus polyvalente des danseuse de l'Empire ... Mais à la vérité, je ne suis qu'une femme du monde qui connaît les ficelles de la politique et qui s'arrange pour ne pas y rester emmêlée ...

Sybaris refit face à Chioné et lui adressa un sourire aimable et poli.

Et votre père, l'avez-vous trouvé ?

Sybaris resta muette quelques instants, le temps de peser ses mots, avant de rassurer Chioné :

La méfiance est une notion que je ne peux que comprendre, jeune Chioné. Qui plus est lorsqu'elle intervient avec un passif comme celui que vous évoquez ... Si cela peut vous rassurer, je n'ai jamais mis les pieds dans les Glaces et ne suis-je pas liée à un assassinat là-bas ...

Cette réponse soulagea la Reine des Neiges, même si elle savait que sa compagne n'était pas mêlée à l'assassinat de sa mère, de près ou de loin. Elle ne portait pas le symbole qu'elle avait vu sur la main du tueur resté en arrière, et n'avait aucun intérêt à se débarrasser d'une Élementale de Glace qui s'est acoquinée avec un démon...

Elle observa Sybaris nager dans l'eau avant qu'elle ne reprenne :

Puisque vous avez dévoilé un peu de votre personne, mon tour est venu de vous rendre la pareille, et de nous mettre à égalité ... Je suis connue, dans les Plaines Mystiques, et peut être même ailleurs, comme une des Courtisanes du Palais de Sen'Tsura - la meilleure, je dois bien l'admettre, sans manquer de modestie - et je voyage énormément vers ceux de mes ... clients qui aiment le confort et la discrétion de leur demeure ... Un de mes amis a même déclaré un jour que je devais être la plus polyvalente des danseuse de l'Empire ... Mais à la vérité, je ne suis qu'une femme du monde qui connaît les ficelles de la politique et qui s'arrange pour ne pas y rester emmêlée ...

Une courtisane ? Un bien étrange métier. Facile pour soutirer des confidences, mais aussi pour y laisser sa vie parce qu'on en savait trop... Mais Sybaris avait l'air trop maligne et trop intelligente pour se laisser impressionner par ce détail... Elle se rapprocha ensuite de Chioné et lui demanda, avec un sourire aimable :

Et votre père, l'avez-vous trouvé ?

La Reine des Neiges sourit et lui répondit avec franchise :

Pas encore, mais je ne désespère pas. Et je sais que vous n'y êtes pour rien, dans l'accident, pour les simples raisons que vous ne portez pas le tatouage que j'ai pu remarquer sur la main de celui qui était resté, et aussi que vous n'aviez aucun intérêt à vous débarrasser de ma mère.

Elle se remit à nager un petit peu avant de frissonner et de commencer à sortir de l'eau : le temps du séchage au soleil était arrivé.

Voilà qui était fortement intéressant. Sybaris, de par sa profession complexe et polyvalente, entendait moult récits croustillants avec force détails. Et elle aimait les détails, surtout ceux qui sortaient un peu de l'ordinaire. Et cette histoire de tatouage associé à un meurtre ... Il y avait là de quoi ravir la démone curieuse.

Occupée dans ses pensées, elle ne remarqua pas tout de suite que sa nouvelle amie était sortie de l'eau. Elle nagea encore quelques brasses avant de réagir que l'eau n'avait plus qu'un seul locataire humanoïde. Sybaris jeta un regard sur la rive : la jeune femme s'était mise au soleil, imitant presque le serpent qui, comme mue par un drôle d'instinct, se redressa pour mirer sa maîtresse alors que cette dernière venait de se tourner vers lui. Il était temps pour elle aussi de se sécher ... Avant de continuer sa pêche aux informations ...

Ainsi donc, la démone aux traits si humains rejoignit la terre ferme, sortit de l'eau telle une nymphe, et marcha tranquillement vers ses affaires, ondulant gracieusement des hanches. Sa peau dorée miroitait grâce à l'effet de l'eau qui ruisselait sur elle, gravité oblige. Sans se presser, Sybaris tira un grand pan de voilage de sa grande sacoche et l'étala au sol, avant de s'y allonger. Elle resta ainsi, profitant du soleil, pendant quelques minutes, dans le silence propre à la nature ...

Puis, elle redressa le buste, et se tourna vers Chioné.

Je m'en voudrais de faire ressurgir malencontreusement de mauvais souvenir en votre mémoire, mais vous avez éveillé ma curiosité ... Pouvez-vous me décrire ce tatouage significatif que vous semblez chercher ? Qui sait, peut être l'ai-je déjà vu ... ou peut être le verrais-je un jour, et ce jour-là, je pourrais vous rendre un service ...

Disant cela, elle offrit à son interlocutrice un regard à la fois bienveillant - quelque chose qu'elle avait longuement travaillé durant ces deux dernières années - et intrigué.

Chioné s'abandonna, une fois sortie de l'eau, aux rayons du soleil pour se sécher et se réchauffer après ce petit bain agréable : ceux-ci la firent soupirer de bonheur en caressant son corps de part en part. Rien de tel qu'un bain de soleil après un bain tout court.

Elle entendit le clapotement de l'eau signifiant la fin de baignade de Sybaris, et sourit : oui, vraiment, un bonheur simple comme le bain de soleil pouvait chasser les idées noires revenues au galop. C'était aussi un bon moyen de se ressourcer, peut-être devrait-elle essayer après avoir usé de sa magie...

Elle tourna la tête vers Sybaris lorsque celle-ci, après quelques instants à profiter en silence du soleil, lui demanda :

Je m'en voudrais de faire ressurgir malencontreusement de mauvais souvenir en votre mémoire, mais vous avez éveillé ma curiosité ... Pouvez-vous me décrire ce tatouage significatif que vous semblez chercher ? Qui sait, peut être l'ai-je déjà vu ... ou peut être le verrais-je un jour, et ce jour-là, je pourrais vous rendre un service ...

Elle adressa à la jeune femme aux cheveux blancs un regard bienveillant et intrigué à la fois ; Chioné hocha la tête, attrapa son sac et farfouilla à l'intérieur pour y espérer retrouver le parchemin déjà utilisé par trois fois auparavant, où y était dessiné le symbole maudit. Elle finit par le retrouver, au fin fond du sac, et le tendit à Sybaris après l'avoir un peu défroissé :

Spoiler:

Sans attendre de réponse, elle précisa par avance :

Je ne m'attends pas à ce que vous connaissiez ce symbole, vous ne serez que la quatrième personne à me le dire... Mais si vous veniez à le croiser un jour, ne m'oubliez pas.

Elle se réfugia dans un mutisme en attendant une réponse, positive ou négative, de sa compagne. Même si, en réalité, elle la connaissait, la réponse.

Tandis que la jeune femme continuait de lui parler, Sybaris observa avec la plus grande attention le symbole, qu'elle grava dans sa mémoire. Mais plus que cela, elle fouilla à son tour dans sa sacoche et en extirpa un petite calepin et son crayon à mine de plomb, avec lequel elle griffonna sur le papier une copie stylisée du dessin ...

J'ai vu bon nombres de symboles avec des croix ou des serpents, parfois avec les deux, mais effectivement, celui-ci ne me dit présentement rien. Mais je me permet de le noter ... J'ai tendance à ouvrir très souvent les yeux sur bon nombre de choses, qui sait parfois sur qui ou sur quoi je peux tomber ...

D'un geste vif, la démone replaça son carnet là où il avait l'habitude de dormir. Puis, avant de rendre le papier à sa propriétaire, elle le fit voir à son serpent doué de parole et d'esprit. Deux paires d'yeux valent toujours mieux qu'une, et en l'occurrence, les yeux d'un serpent habile pour se glisser n'importe où pouvaient être grandement utiles. Après quoi Sybaris tendit le parchemin crayonné à Chioné, la remerciant du regard pour sa confiance.

La jeune femme semblait vraiment remuée par ce lourd passé, ce qui, au grand dam de la démone qui ne supportait pas ce genre d'émotions, donna à Sybaris un sentiment de tristesse et de pitié envers elle. Allons ma grande, tu ne vas pas te laisser attendrir par une gamine ! Comme à son habitude, Sybaris chassa ces pensées humaines de sa tête d'un revers invisible de la main : la main de son esprit démoniaque, pour être précis.

Mais dites-moi, Chioné, si je devais un jour avoir sous les yeux le porteur de ce tatouage, et si je voulais vous en faire part, comment m'y prendrais-je ? Avez-vous un point de chute en Terre où je pourrais y envoyer un messager, qu'il soit animal ou humanoïde ... ?

Une question innocente et logique qui servait bien la curiosité de la démone. Recueillir, toujours plus, des informations, telle était son métier ... après tout.

Pendant qu'elle reproduisait le symbole sur un calepin qu'elle avait sorti de son sac, Sybaris confirma les pensées de Chioné :

J'ai vu bon nombres de symboles avec des croix ou des serpents, parfois avec les deux, mais effectivement, celui-ci ne me dit présentement rien. Mais je me permet de le noter ... J'ai tendance à ouvrir très souvent les yeux sur bon nombre de choses, qui sait parfois sur qui ou sur quoi je peux tomber ...

La Reine des Neiges hocha la tête en silence, remplaçant sa déception par un masque de résignation. Il fallait s'y attendre, après tout, il était tout à fait possible qu'elle mette des années avant de trouver la réponse à cette énigme...

Un silence s'installa entre les deux femmes, vite rompu par la question de Sybaris :

Mais dites-moi, Chioné, si je devais un jour avoir sous les yeux le porteur de ce tatouage, et si je voulais vous en faire part, comment m'y prendrais-je ? Avez-vous un point de chute en Terre où je pourrais y envoyer un messager, qu'il soit animal ou humanoïde ... ?

Bonne question. Très bonne question même. Chioné n'hésita pas longtemps avant de répondre :

Mon point de chute, pour le moment, c'est Umusk, à l'auberge près du port. Demandez Chioné, c'est ainsi que j'ai signé le registre pour ma chambre.

Non, il était encore trop tôt pour qu'elle lui révèle son nom de famille. Un jour, peut-être... Elle se rhabilla et regarda derrière elle le soleil qui commençait à décliner, avant de se tourner vers Sybaris et de lui demander avec un sourire :

Le soleil se couche, peut-être devrions-nous partir. Souhaitez-vous prendre la route du retour avec moi et venir jusqu'à Umusk, ou préférez-vous partir de votre côté ?

Umusk ... Umusk ? N'était-ce pas le nom de ce village portuaire, l'unique voie d'accès à l'île des Férals ? Sybaris, dans son esprit tortueux et toujours prompt à imaginer tous les scenarii possibles, se demanda, l'espace d'un instant, si cette Chioné était liée, de près ou de loin, à cette famille ... Il est vrai que rencontrer par hasard une jeune femme mystérieuse logeant près du port d'Umusk, cela avait de quoi titiller les esprits tordus ...

Aussi, cela fut-il déterminant dans le choix de la réponse que Sybaris allait donner à Chioné quant à ce qui allait se passer par la suite ... Et donc, tandis que la démone se rhabilla avec rapidité tant que grâce, elle adressa un fin sourire à sa nouvelle amie du jour ...

Puisque je me rendais non loin d'Umusk, menti-t-elle, ce sera avec plaisir que je partagerais ce bout de chemin avec vous, il est vrai que je préfère une nuit sous un toit que sous les étoiles ... De plus, les routes de nuits sont tout de même plus sûre à deux, conclu-t-elle par un subtil clin d’œil.

Sans en attendre davantage, la démone rangea son léger paquetage, ferma sa sacoche et la réajusta sur son épaule, puis, sentant la fraîcheur qui ne tarderait pas à se poser, elle posa sa capeline en lin bleu-vert sur ses épaules, sans toutefois la fermer encore. Puis, avec une tendresse assez étrange, telle celle d'une mère pour son jeune et unique fils, Sybaris prit son serpent dans ses mains avec une extrême délicatesse, avant de le laisser se frayer un passage jusqu'à son cou, où il se lova avec bonheur.

Je suis prête, damoiselle Chioné, faisons donc marche ensemble !

Chioné put remarquer le sourire que lui adressa Sybaris pendant qu'elle se rhabillait :

Puisque je me rendais non loin d'Umusk, ce sera avec plaisir que je partagerais ce bout de chemin avec vous, il est vrai que je préfère une nuit sous un toit que sous les étoiles ... De plus, les routes de nuits sont tout de même plus sûre à deux.

La Reine des Neiges sourit à son tour : sa nouvelle amie - même si elle se demandait encore si elle pouvait lui faire vraiment confiance, et lui confier ainsi sa filiation - se rhabilla à son tour, avant de prendre avec tendresse son serpent qui se lova dans son cou. Ceci fait, elle lança à Chioné :

Je suis prête, damoiselle Chioné, faisons donc marche ensemble !

La jeune femme aux cheveux blancs lui adressa un grand sourire, et entama la route en déclarant à Sybaris :

Quoi qu'il en soit, je suis honorée d'avoir fait votre connaissance. Qui sait, peut-être que le temps nous fera délier nos langues...

Elle marcha pendant un moment en silence, avant de s'arrêter, de prendre son inspiration et débita presque sans pause dans la respiration :

Je dois vous révéler quelque chose. Je ne saurai garder ce secret plus longtemps, même si le révéler sur tous les toits me mettrai en danger. Je suis, apparemment, une Féral. Cela reste à confirmer, mais comme deux d'entre eux me l'ont dit avec certitude...

Le soulagement de libérer son cœur d'un tel poids la fit soupirer, avant de reprendre plus doucement :

Excusez-moi... Je ressentais juste le besoin d'en parler, et je sais que je peux avoir confiance en vous.

Je suis, apparemment, une Féral. Cela reste à confirmer, mais comme deux d'entre eux me l'ont dit avec certitude...

Ainsi donc, l'intuition de la démone avait une fois de plus fait mouche ... Et cela expliquait tout ... Chioné Féral. Un membre de cette famille si abrupte ... Cette famille qui avait prit place en Terra avant les autres et qui avait ainsi faisant déposé son autorité complète sur les Plaines Mystiques. Une famille fidèle à Aile Ténébreuse. Ainsi donc cette belle jeune femme avenante et aimable, sympathique au demeurant, avait le sang des démons dans ses veines ... Une fille des Glaces avec le sang d'un Féral ... A n'en pas douter une des nombreuses enfants du patriarche, cet Anima. Oui, vu son âge apparent, cela ne pouvait être que lui le père. Et à n'en point plus douter, elle devait être une bâtarde, comme la plupart des enfants Féral nés sur Terra.

Tout cela donnait une autre dimension à cette conversation qui devenait fort intéressante. Sybaris y vit là de quoi satisfaire ses ambitions. Être amie d'une Féral et lui venir en aide pourrait faire bien voir la démone aux yeux de cette famille ... Il ne restait qu'à voir où se plaçait cette jeune femme dans l'estime familiale ... Oui, tout cela était fort intéressant et on ne peut plus plaisant ...

Excusez-moi... Je ressentais juste le besoin d'en parler, et je sais que je peux avoir confiance en vous.

La confiance d'une Féral ... le premier pas.

Et bien, je renouvelle mes vœux : enchantée de vous rencontrer, Chioné Féral ! Vous avez en effet raison de me donner votre confiance, car je suis du même côté que votre nouvelle famille.

Sybaris sourit et réfléchit quelques secondes avant de reprendre :

Et puisque vous jouez cartes sur table, je me dois de vous rendre la pareille ... Je ne suis en effet point que simple courtisane : je suis au service de notre maître à tous, Aile Ténébreuse, et ce depuis plus de trente années, car comme lui et votre patriarche, je viens de Zelphos. Mais comme vous avez pu le constater, je suis loin d'être une démone sanguinaire et sans manières. Vous pouvez donc être rassurée, votre confiance en moi n'est pas mal placée ...

Sybaris fit quelques pas avant de se retourner vers Chioné, et d'ajouter avec un air compatissant et plus qu'amical - ce qui, une fois n'est pas coutume, n'était pas feint :

Soyez rassurée : votre secret sera bien gardé avec moi, cela est le principe même de ma profession ... Et je confirme ma promesse : si je viens à en apprendre plus sur le tatouage que vous recherchez, je me ferais un plaisir de vous le faire savoir. cela va sans dire ...

Oui, un vrai plaisir, surtout si cela parvient aux oreilles du patriarche Féral ou d'un autre membre important de la famille, et que cela la sert. Oui, la chef des espions avait besoin de noms influents dans son carnet d'adresse, et on ne peut pas dire que les Férals sont des gens faciles à atteindre ...

La réaction de Sybaris ne tarda pas, et rassura la Reine des Neiges :

Et bien, je renouvelle mes vœux : enchantée de vous rencontrer, Chioné Féral ! Vous avez en effet raison de me donner votre confiance, car je suis du même côté que votre nouvelle famille.

Elle sourit et se tut quelques instants avant de répondre :

Et puisque vous jouez cartes sur table, je me dois de vous rendre la pareille ... Je ne suis en effet point que simple courtisane : je suis au service de notre maître à tous, Aile Ténébreuse, et ce depuis plus de trente années, car comme lui et votre patriarche, je viens de Zelphos. Mais comme vous avez pu le constater, je suis loin d'être une démone sanguinaire et sans manières. Vous pouvez donc être rassurée, votre confiance en moi n'est pas mal placée ...

Ceci rassura une bonne fois pour toute Chioné : si elle servait les plus hautes instances du monde, alors en effet, elle pouvait lui faire totalement confiance. Sybaris fit quelques pas avant de se retourner vers la Reine des Neiges et de lui dire, sourire aux lèvres :

Soyez rassurée : votre secret sera bien gardé avec moi, cela est le principe même de ma profession ... Et je confirme ma promesse : si je viens à en apprendre plus sur le tatouage que vous recherchez, je me ferais un plaisir de vous le faire savoir. cela va sans dire ...

Chioné lui adressa un sourire radieux, et s'autorisa à lui prendre les mains et à les serrer fort avant de reprendre :

Soyez bénie, merci de bien vouloir m'aider à ce sujet...

Elle les relâcha ensuite avant de reprendre la route, le cœur en joie : non seulement elle s'était faite une amie, mais en plus, elle pourrait l'aider à retrouver les assassins de sa mère. La journée s'achevait parfaitement bien, la Reine des Neiges n'avait pas d'inquiétude à se faire. Bientôt, peut-être, elle rejoindrait sa famille et aurait sa place dans l'échiquier de l'Empereur...

Mais que fait-elle cette petite sotte ? Cette fille devait être folle ... ou étouffée par la naïveté ... Là voilà qui prenait les mains de Sybaris dans les siennes, et par ce geste faisait montre d'affection tendre pour la démone, qui se sentit défaillir. Les marques d'affections venant des autres l'horripilaient, mais plus encore elles la rendaient faible. Une nausée vicieuse s'insinua dans le cœur de Sybaris. Courage ma grande, contiens-toi ! Elle se sentait mal ...

Soyez bénie, merci de bien vouloir m'aider à ce sujet ... conclut la jeune femme avant de lâcher son immonde étreinte et de se remettre en chemin.

Une chance pour Sybaris qui put reprendre son souffle sans montrer son désarroi à la Féral. Bon sang, je vais devoir me méfier d'elle ... Sybaris avait un poids sur l'estomac. Elle se sentait vaseuse, nauséeuse, maladive. Elle détestait ce genre de sensation. Elle détestait être faible. L'amour pur, la compassion sans limite, l'amitié inconditionnelle, la tendresse affectueuse ... Tout cela la rendait malade. Et la maladie n'était rien de moins qu'une incarnation de la faiblesse à la fois physique et morale qui prenait aux tripes la démone. Pourquoi, par Zelphos, pourquoi cela m'arrive-t-il ?

La démone n'avait jamais connu ces sentiments puissants sur Zelphos, et depuis qu'elle était sur Terra et qu'elle les avait vu à l’œuvre, elle s'en tenait éloignée. Rien ne l'avait préparée à les subir avant le débarquement des troupes de leur Roi sur ce monde. Rien ne l'avait préparée à subir cela des mains même d'une enfant Féral. Cette jeune femme était encore trop humaine ... Son père allait devoir la détruire avant de la construire à l'image de cette glorieuse famille. Cette pensée insuffla une brise de rétablissement dans le corps de Sybaris, qui se sentait déjà un peu mieux. Et elle souriait. Elle souriait en pensant à ce que la jeune femme allait subir pour espérer devenir une vraie Féral ...

Ces pensées odieuses en tête, la démone reprit la marche elle aussi et en quelques foulées se retrouva à nouveau à hauteur de son amie ...

Zelphos nous bénissent tous, chère Chioné, clama-t-elle dans un pseudo chuchotement, plus pour elle-même qu'à l'intention de la jeune femme ...

Je suis curieuse ... Votre père, serait-ce le patriarche des Férals, Anima, qui arpenta Terra avant notre grand Roi ?

Chioné avait bien avancé quand Sybaris la rejoignit et chuchota :

Zelphos nous bénissent tous, chère Chioné...

La Reine des Neiges se contenta d'un sourire avant de reprendre silencieusement la marche ; le silence fut rompu une nouvelle fois par Sybaris, qui lui demanda :

Je suis curieuse ... Votre père, serait-ce le patriarche des Férals, Anima, qui arpenta Terra avant notre grand Roi ?

Chioné haussa les épaules légèrement, comme pour marquer son approbation :

Peut-être, peut-être pas. Je pense que nous parlons bien d'Anima, même si le fait que je sois une Féral reste encore à confirmer, malgré la quasi certitude de deux d'eux. Et puis, je ne le connais pas du tout, en vingt ans d'existence...

Elle secoua doucement la tête avant de tourner la tête vers Sybaris :

Dites-moi... Etes-vous en mission, là, actuellement, ou en congé ? Parce qu'il faut bien deux, trois jours entre Umusk et ici...

Elle venait de s'en rappeler, et commençait à s'en inquiéter. Une semaine d'absence, ça peut être mal ressenti par les supérieurs de Sybaris... Elle reprit ses esprits en attendant une réponse, et se mit à jouer avec son pouvoir, qui n'attendait que ça : il déborda assez rapidement et couvrit de givre une partie de la prairie qui se trouvait à gauche de la jeune femme, qui se dépêcha d'éteindre son pouvoir et de remettre ses gants. Et zut...

Vingt ans. Ainsi donc cette jeune femme, possible fille née de la semence du démon Anima, avait quinze années de moins que la démone qui avait été touchée par l'amitié de Chioné. Mais le plus troublant chez elle était cette façon de ne pas infirmer ni confirmer sa filiation. Espérait-elle secrètement ne pas être de cette famille et ne pas en partager le sang vicié ? L'espoir était une chose que Sybaris concevait à peine, une vague notion qu'elle ne comprenait que très peu. Mais si elle était divisée, elle semblait pour l'heure plus se préoccuper de Sybaris que d'elle-même :

Dites-moi... Êtes-vous en mission, là, actuellement, ou en congé ? Parce qu'il faut bien deux, trois jours entre Umusk et ici...

Certes, il fallait s'en préoccuper. Mais qui se souciait de cela ? A vrai dire, Sybaris était libre de son emploi du temps et de ses pérégrinations. Tant qu'elle livrait les informations qu'on lui demandait et que ses espions réalisaient sans faillir leurs missions, on la laissait relativement libre de vivoter comme bon lui semblait. Le privilège de l'efficacité prouvée. Autrement dit, personne ne savait où elle était actuellement mis à part celle avec qui elle discutait. Quand on y pense, cela était une attitude dangereuse, mais la démone orgueilleuse était de ceux qui se persuadent d'être toujours protégés. La vie était suffisamment remplie, mouvementée et courte pour penser à cela, d'ailleurs ...

Ne vous inquiétez point pour moi très chère Chioné. Ma liberté d'action me permet d'être où je le désire quand je le désire, sans que qui que ce soit ne s'en préoccupe ... Tant que je remplis les tâches qui me sont confiées, je peux bien perdre mes membres que personne ne s'en émouvra. Ne vous en faîtes donc pas, et soyez rassurée.

Sybaris avait encore ce sourire qui à présent n'était presque plus feint. Au fond d'elle-même, elle priait pour que ce voyage arrive vite à son terme, car elle craignait qu'autant de mièvrerie de l'achève pour de bon ... Mais elle se devait de garder son calme et de rester droite dans ses bottines.

Mais dites-moi, vous semblez vous raccrocher au doute sur votre possible famille ... Espérez-vous ne pas être une Féral ? questionna-t-elle d'un ton amusé, sans aucune prétention autre que de se détendre sur un sujet qui l’intriguait.

La chef des Espions de l'Aile Ténébreuse rassura Chioné :

Ne vous inquiétez point pour moi très chère Chioné. Ma liberté d'action me permet d'être où je le désire quand je le désire, sans que qui que ce soit ne s'en préoccupe ... Tant que je remplis les tâches qui me sont confiées, je peux bien perdre mes membres que personne ne s'en émouvra. Ne vous en faîtes donc pas, et soyez rassurée.

Elle sourit pour rassurer Chioné, mais celle-ci, dont l'attention avait été détournée par l'activation involontaire de son pouvoir, se contenta d'un hochement de tête avec un léger sourire, tout en bougeant de façon à ce qu'elle essaye de cacher ce qu'il venait de se passer à sa camarade de route. Sybaris reprit sur un ton amusé :

Mais dites-moi, vous semblez vous raccrocher au doute sur votre possible famille ... Espérez-vous ne pas être une Féral ?

Chioné réfléchit longuement, pesa ses mots, puis, poussant un léger soupir, répondit doucement :

Ce n'est pas tellement une question d'espérer ne pas en être une. C'est plutôt le fait que j'appréhende presque le fait que je vais bientôt rencontrer un père que je n'ai jamais vu. Étant sensible aux émotions, il se peut qu'un accident se produise et fasse plusieurs victimes collatérales...

Plus un problème d'émotions, comme toujours. Elle avait déjà tué une fois - c'était plus ou moins un accident - et n'aimerait pas recommencer de sitôt. Elle avança rapidement, triturant ses gants ; elle devrait très vite se remettre à l'entraînement, comme le lui avait conseillé son mentor improvisé lors de son passage dans la Toundra...

... j'appréhende presque le fait que je vais bientôt rencontrer un père que je n'ai jamais vu. Étant sensible aux émotions, il se peut qu'un accident se produise et fasse plusieurs victimes collatérales ...

Un accident ? Des victimes ? Sybaris savait Anima Féral violent mais ... A moins que ... Chioné parlait-elle d'elle-même ? Serait-elle au final une innocente source de grand danger ? Voilà qui piqua au vif la curiosité de la démone tout en la gratifiant d'un frisson sur toute l'échine. Devait-elle se méfier de cette jeune femme ? Il ne faisait aucun doute qu'elle était au moins à moitié démone si les Férals s'intéressaient à elle et clamait qu'elle était de leur sang ... mais qu'en était-il de l'autre moitié ? Sybaris la pensait humaine mais ... l'était-elle ? Voilà qui méritait approfondissement ... Elle devait savoir où elle mettait les pieds ... D'autant que ... Si ses émotions contrôlaient son pouvoir, Chioné pouvait fort bien être une créature incontrôlable ... Et ...

Que ... ?

Était-ce de la neige qu'elle avait aperçu dans ce bout de prés près d'elles ? Chioné cachait cela à présent par ses mouvements mais ... Sybaris avait bien cru voir le vert remplacé par le blanc ... Non, cela ne se pouvait, pas alors que l'été savourait son retour ... Non, Sybaris tu divagues ! La démone secoua la tête discrètement pour chasser cette étrange idée de ses pensées. Tout cela était ridicule. La conversation avait bien plus intéressant à offrir que les champs.

Dites-moi Chioné, accepteriez-vous de me parler de votre mère ? La curiosité m'envahit et ... Je me dis qu'elle devait être forte de caractère pour plaire à un Féral ... J'aime les gens avec du tempérament, on ne s'ennuie jamais avec eux ...

Rester vague pour en apprendre plus. Rien ne valait un retour aux sources pour comprendre le présent. Et faire un petit détour par le passé permettrait d'en savoir davantage sur cette jeune femme mystérieuse ...

Si Chioné était plus attentive, elle aurait peut-être pu noter que Sybaris était surprise de voir du givre sur de l'herbe verte, surtout en cette soirée d'été. Mais trop occupée à chasser ses angoisses de son esprit, elle ne s'en était absolument pas rendue compte.

Pour un peu, elle maudirait son côté démon, qui accentuait son pouvoir hérité de son Élémentale de Glace de mère. Il y avait des moments où, à la limite de la paranoïa, elle vérifiait systématiquement la présence de ses gants et s'empressait de les enfiler quand elle s'apercevait qu'elle ne les portait pas. Heureusement, ce n'était pas systématique qu'elle active son pouvoir inconsciemment, sinon, bonjour la vie difficile...

Sybaris lui demanda, l'intonation de la curiosité clairement marquée dans sa voix :

Dites-moi Chioné, accepteriez-vous de me parler de votre mère ? La curiosité m'envahit et ... Je me dis qu'elle devait être forte de caractère pour plaire à un Féral ... J'aime les gens avec du tempérament, on ne s'ennuie jamais avec eux ...

Chioné continua d'avancer, d'abord en silence, avant de lui répondre :

Hé bien... Ma mère était relativement discrète sur son passé, autant dire que je ne sais pas grand-chose sur sa famille. Tout ce que je sais, c'est qu'elle était une Élémentale de Glace, issue d'une famille assez... hautaine et fermée sur le monde, d'après mes souvenirs.

Et elle n'en dirait pas plus, parce qu'elle n'en savait pas plus. Enfin, concernant la famille de sa mère, vu qu'Aglaé entretenait le mystère. Comme si elle avait coupé les ponts en donnant naissance à Chioné...