Aurore aux doigts roses, cieux ambrés, plaines brumeuses. C'était entre chien et loup, ou plutôt l'inverse. Lorsque le soleil se lève, mais que la terre demeure froide, lorsque les vapeurs s'élèvent et se condensent en masses cotonneuses au dessus des champs. Au beau milieu des ruelles de Faestelia, une membre du beau peuple se promenait le plus simplement du monde. Soudainement, un tintement de clochettes sur sa gauche éveilla une envie irrésistible de faire elle même l'ouverture de la première échoppe. Sa main gantée de cuir saisit le montant de la porte en bois, qu'un homme à la cinquante bien frappée était entrain d'ouvrir nonchalamment. Ce dernier leva les yeux sur la haute silhouette et sursauta violemment, lorsqu'il croisa de son regard les prunelles couleur acier de la sylvaine.
-Vous m'avez fait peur ! Qu'est-ce qu'il vous prend de sauter sur les gens à l'ouverture des magasins ?
Elly laissa échapper un petit ricanement innocent, ses lèvres finement ornées d'un sourire.
- Croyez moi, si j'avais réellement sauté dans votre échoppe, tout le quartier aurait été réveillé par votre cri.
Le vendeur, un petit homme rabougri et encore en robe de chambre haussa les épaules, rassuré. Puis il s'avança en clopinant vers une porte menant à l'arrière boutique. La jeune femme en profita pour s'insinuer dans le magasin, découvrant une impressionnante collection de lames et coutelas, tous fermement fixés aux murs par des attaches probablement ensorcelées contre les vols. Émerveillée par sa petite découverte, Elly se retourna vivement vers lui ;
- Vous êtes un mage d'armes !
Mais il avait disparu, la laissant seule … Reposant son regard sur les articles, elle les détailla. Des katanas de différentes manufactures, des épées longues, courtes, à une main ou une main et demie, quelques arcs et flèches aux pointes anormalement lumineuses, des dagues de toutes sortes, des couteaux de jet plats, nervurés, à picots empoisonnés, et … une dague en particulier attira son attention. Elle était dans une vitrine non éclairée, elle même accrochée dans un angle de la pièce, au milieu de deux autres. A la vue, les trois armes étaient sensiblement les mêmes, exception faite d'une pierre plate de couleur différente à chaque fois, incrustée dans le manche. L'elfe s'approcha du verre la séparant de cette étrange arme qui semblait l'appeler, et effectivement, à son approche, le joyau rouge de la deuxième lame émit une puissante onde lumineuse, l'obligeant à battre des cils. Hypnotisée par ce qu'il venait de se produire, Elly revint brusquement à la réalité, éloignant son visage de la vitrine lorsque l'homme reparut à son côté.
- Voilà qui est étrange … Je me doutais bien qu'elles étaient spéciales ces choses ...
Légèrement perdue, la jeune femme le regarda les sourcils sévèrement froncés.
- Que sont-elles ?
- Oh, je ne sais pas trop … elles sont entrées en ma possession l'une après l'autre au fil de mes voyages dans différents royaumes.
- Elles sont enchantées, c'est surprenant.
- Erreur, elles ne le sont pas. En revanche, je pense qu'elles sont tout simplement vivantes.
- Vivantes ? Elly haussa un sourcil, avant de regarder les lames avec appréhension.
- J'ai obtenu la dague avec le joyau bleu dans les plaines mystiques. Je l'ai trouvé sur le cadavre d'un ange … allez savoir pourquoi, après tout, on en voit plus depuis des années. Après maintes recherches, j'ai découvert qu'elle pouvait être lancée d'extrêmement loin, car ni les vents ni la tempête ne semblaient dévier sa trajectoire. Elle est animée d'une volonté propre, je le crains ...
- Celle avec le joyau rouge vient de briller extrêmement fort, dites-moi ce quelle est sa propriété, elle m'est familière, je crois l'avoir déjà vue ou peut-être touchée …
- Je vous mentirais si je prétendais le savoir … et de toute façon, elles ne sont pas à vendre.
Lorsque les deux interlocuteurs lui tournèrent le dos pour admirer une autre collection, le joyau irradia plus encore que la première fois, et le vendeur revint vers elle, les lèvres tremblantes, les yeux étincelants, comme s'il avait eu une révélation.
- Vous dites l'avoir déjà touchée ? Je l'ai trouvée sur le mont le plus connu de ces dernières décennies, là où s'est déroulée la grande bataille contre Aile Ténébreuse. Est-il possible que … vous y ayez participé ?
Le visage de la gardienne se referma. Elle hocha simplement la tête, gravement.
- J'en ai entendu parler dans ce cas. Je crois que cette dague appartenait à un général démon, il est possible qu'il vous ait blessée, ou éraflée avec sa lame … si c'est le cas, et s'il s'agit bien de ce que je crois être vrai, cette arme a enregistré votre code génétique à partir de votre sang. Elle vous reconnaît.
Après avoir claqué des doigts, le marchand, et lui seul, put passer sa peau à travers l'étrange vitre qui protégeait les dagues. Il en extirpa la lame qui les intéressait, et la déposa à plat sur les deux mains de la sylvaine … Elle n'était guère plus longue que son avant bras, garde comprise, en mesurant du coude jusqu'à la base de son poignet, et ne pesait pas d'avantage ni moins que son poids physique supposé. Elly la déposa sur le bout de son doigt, et elle s'équilibra parfaitement … une jolie lame enchantée.
- Je crois comprendre, c'est une dague traceur. Elle me serait assez utile, du fait que je voyage énormément depuis la bataille, notamment dans le but d'en surveiller les suites.
L'homme opina du chef.
- Une telle arme vaut au moins neuf cent pièces d'or au bas mot, mais je reconnais là un phénomène inestimable. Elle vous a choisi, car beaucoup de voyageurs ayant participé à la bataille sont passés par ma boutique, et je suis prêt à parier qu'elle n'a pas blessé que vous. Quoi qu'il en soit, je vous la laisse pour cent pièces symboliques, à condition que vous reveniez me raconter ses effets un jour !
- Marché conclu, cher mage.
Sur ces mots, elle glissa la dague à son emplacement naturel,sur le côté de sa cuisse droite. Elle se logea silencieusement dans un étui intégré à sa combinaison, lui même demeuré sans utilité depuis trop longtemps.