"Cher Othenon,
C'est avec une immense tristesse que j'ai appris le décès de ton père. Il a toujours été, et ne cessera jamais d'être, un exemple de droiture, de noblesse et de dévouement. Jamais l'amitié de nos deux familles n'aurait été possible sans sa fidélité inconditionnel, et vous pouvez comptez sur les Van'Telors pour vous soutenir dans ce temps de deuil et de changement.
Je relis ces premières phrases sans émotions. Peut être un peu trop chargé en dramatique... Il faut ajouter du rêve, des perspectives, voilà qui plaira bien à mon ami!
Il y a aussi beaucoup d'espoir dans cette douleur, car tous savent combien vous êtes à même de reprendre avec justesse l'héritage laissé par votre père. Nous avons la chance formidable d'assister à la naissance et la croissance d'un empire, et je sais que vous saurez prendre les choix nécessaires pour la gloire de notre empreur. Dans cette époque agitée, je suis profondément heureuse de savoir que les décisions sont prises par des hommes comme vous. Le futur que dessine aujourd'hui notre génération éclipse déjà les difficultés rencontrées par ...
Toc toc
Soupir. A quoi bon avoir des appartements privés si tout le monde à le droit de venir me perturber jusqu'à des heures incongrue. A moins que ce ne soit Père qui revient du souper. Par tous les Dieux, il est bien tard! La lune ne va pas tarder et les volets ne sont pas fermés. Allons faire jeter dehors ce malpoli, les séances d'audience n'ont pas été inventée pour faire joli!
Je tire lentement la porte de mon bureau, décidée à ne pas céder aux caprices de ce visiteur.
- Pourriez-vous, je vous prie, revenir dem... Je m'interrompt en découvrant l'identité de mon interlocuteur. Othénon, pardonnez moi, je ne savais pas que... On ne m'avait pas...
Se ressaisir. Sourire.
- Entrez je vous prie. Avez vous besoin de quelque chose? Puis-je vous faire monter un diner?
Il secoue negativement la tête et se glisse à l'interieur pendant que je m'adresse au garde.
- Allez trouver mes femmes de chambre pour leur dire que je me passerai de leur service ce soir. Ne tardez pas.
La porte refermée, je me tourne vers mon invité surprise. Il ne ressemble pas à un homme qui vient de perdre son père, ni à celui qui dirige depuis peu un marquisat. Son regard est à la fois résolu et hésitant, soulagé et inquiet.
- Othénon, c'est folie de venir ici! Votre peuple à besoin de vous savoir présent, prêt pour reprendre les rênes! Ne les laissez pas croire que la mort de votre père représente un bouleversement, ou ils chercheront à tirer profit de ce changement!
Il me sourit. Je suis perplexe. J'avais si bien appris à le connaitre, mais ces derniers temps il me semble bien lointain.
- Comment vous sentez-vous? le questionnais-je avec plus de douceur.
- Libre.
Haussement de sourcil. Que s'est-il encore mis dans la tête?
- Ecoutez Electre, je suis venu voir le duc, mais il fallait que je vous parle avant. Je suis libre de mes chaines, je suis seul maître à bord pour la première fois et c'est tellement grisant! Je souhaiterais que vous puissiez connaitre cette ivresse un jour, ce sentiment que l'avenir sera fait par mes choix. Imaginez vous sans votre père, combien de choses feriez vous différemment? Je peux faire les plus grandes erreurs et les meilleurs choix, je peux faire le bien ou le mal, être heureux ou malheureux, cela ne dépend que de moi. Je suis un homme libre.
J'ai le tournis. De quoi parle t-il? Est ce bien la mort de son père qui lui donne ce sourire radieux et ce ton grave? A moins que...
- Mon cher, vous avez trop bu! Vous ne pouvez pas allez vous présenter au duc dans cet état.
- Je suis parfaitement sobre et, si cela peut vous rassurer je ne comptais pas le déranger à une telle heure. Il inspira lentement, l'air déçu. Ne comprenez vous pas ce que je vous dis?
- C'est abstrait et insensé. Mais je suis prête à vous aider, je le serais toujours. Reprenez vos esprits et demain nous retournerons sur vos terres, ma présence ne fera qu'appuyer votre légitimité. Ensuite nous irons à Sen'tsura voir l'Empreur pour que vous renouveliez votre serment et l'on organisera une grande réception pour célébrer cette harmonieuse continuité entre
- ELECTRE!
Il a crié, chose rare. Je me suis tue, chose rare. Il prend chacune de mes mains et les presse dans les siennes, le regard suppliant.
- J'ai tant espéré que tu comprenne. Ce soir là, à la capitale, quand tes ailes... J'ai compris que tu n'avais pas ta place dans ce monde. Mais tu t'obstine. Je pars Electre, je vais rejoindre la rébellion. C'est ma juste place, et sans doute la tienne. Me suivra-tu?
- Non. Tu as tord, tu n'es pas libre. Tu es soumis à ce que tes états d'âmes te soufflent, tu suis ton cœur qui s'égare, sans volonté. Ta place est à mes côtés, nos terres réunies auront besoin de nous.
Othénon me connait encore mieux que je ne le connais, sans doute parce que je n'ai jamais changé. Il sait que ce "Non" est irrévocable, il le savait même certainement avant que je ne le prononce. Il relâche mes mains et souffle:
- J'irais voir le duc demain, lui annoncer que nos fiançailles sont annulées. Il y a une femme qui travaille sur mes terres, elle tient avec son frère un commerce de chevaux. Elle me comprend, Electre. Plus encore, elle m'aime.
Je m'asseois, le souffle coupé. Il ne peut pas faire ça. Tout quitter, partir avec une moins que rien, laisser le marquisat en proie aux luttes de succession, ruiner l'héritage de sa famille? Et toutes ces heures passées ensemble, tous les efforts de nos pères pour solidifier notre alliance? Et toute la richesse, la puissance que notre mariage lui apporterait? Tout ça pour quoi? Parce qu'elle l'aime? A quoi cela peut bien servir?
- Tu ne peux pas faire ça. Tu as toujours été si bon, si attentionné envers les tiens... Cet égoïsme ne te ressemble pas!
- L’égoïsme serait de rester assis tranquillement dans mon château pendant que les troupes de l'empereur massacrent joyeusement des populations entières!
Complètement endoctriné et bien trop sensible! Il me sera impossible de le convaincre par la raison, son cœur naif s'est emballé comme un jeune cheval. En fine politique, je contourne notre point d'affrontement pour le rejoindre dans son energie et tenter de la faire devier faire un projet plus raisonnable. Si demain il passe chez l'ennemi, je n'aurais aucune difficulté à participer à sa mort. Mais en attendant, il ne sera pas dit que je n'aurais rien fait pour l'arrêter.
- Ecoute moi, Othénon, tu sais combien je tiens à toi. Je sais que ces causes là sont chères à ton cœur, nous avons longuement partagé à ce sujet. Te voilà déjà parti dans des belles épopées chevaleresques, mais écoute au moins une amie qui craint pour toi. Si tu pars demain sur les routes, tu ne sera qu'un soldat de plus dans une armée, et tu pourrai mourir sans n'avoir servi à rien. Tu n'es pas marquis pour rien, tu as un rôle à jouer. Que pourrait-il se passer si tu disparaissais? Ton successeur pourrait bien engager toutes tes armées pour soutenir l'empereur, et ton choix aurait fait plus de mal que de bien à la cause que tu veux servir.
En improvisation totale, je cherche les mots qui feront résonner ses idéaux chevaleresque, idéaux bien inutiles mais au combien dangereux!
- Tu es déjà à la bonne place. Ta liberté ne consiste pas à en changer, mais à agir librement avec les moyens qui te sont donné. Tu rêve d'un monde meilleur? Créé le sur tes terres, il y a tant à faire.
Je lui souris avec autant de tendresse que possible. Il semble perdu, s'approche de la fenêtre. J'ai l'avantage, il faut en profiter. Je me glisse derrière lui et pose une main sur son épaule.
- Promets-moi de ne pas faire cette folie qui coûtera cher à tous ceux que tu aimes. Veux-tu?
Il hoche doucement la tête en signe d'approbation. Je soupire, soulagée et dépose un baiser sur sa joue.
- Merci.
- Electre?
- Oui?
Il se retourne vers moi, retrouvant sa determination.
- Cela ne change rien quant à l'annulation de nos fiancailles. Si je dois rester ici, je ne pourrai le faire sans le soutient d'une femme qui entend mes rêves et qui puise aimer mon coeur pour ce qu'il est.
- Je pourrai...
- M'aimer? Tu es ma plus chère amie, mais je sais que ce mot n'est pour toi qu'un outil au service de ton devoir.
Comment cela pourrait-il être autre chose?
- As tu conscience de tout ce que tu perd en l'épousant?
- As tu conscience de tout ce que je gagne?
- Tu n'aura ni stabilité, ni richesse, ni pouvoir, ni autorité, ...
- J'aurais la passion, les espoirs, le partage, ...
- Rien de cela n'est bon pour un noble.
- Tout cela est pour pour un homme.
Je ne répond rien. Tout est là, la source de notre désaccord se tient dans ces deux dernières phrases. Tout repose sur notre choix entre notre devoir et notre nature.
- Bonne nuit, Electre.
Il me salue respectueusement avant de se diriger vers la porte. Avant qu'il n'en franchisse le pas, je le rappelle.
- Sais-tu ce qui pourrait t'arriver si je parlai de tout cela?
Ce n'étais pas une menace, mais il venait de me confier une arme mortelle contre lui tout en choisissant de me délaisser pour une autre, choses que l'on évite généralement de faire en même temps.
- Sais tu ce qui pourrait t'arriver si je parlai de tes ailes? Nous voilà à égalité, madame la Duchesse!
Malicieux et vainqueur, il tira la porte avant de disparaître dans l'obscurité du pouvoir.