Dim 27 Sep - 0:42 | | | | - Citation :
- Un jour, des bandits armés tombent sur le village de Cinozoïk. Malgré l'étrangeté des habitants, ils décident quand même de le prendre d'assaut. Comment Baba Hag a réagit pour protéger l'oeuvre de sa vie ?
La tête de bélier infusait dans l'eau frémissante depuis un long moment déjà. Au dessus de la marmite, deux gros yeux sans pupille scrutaient la surface, sondant la chair bouillie à l'aide d'une spatule en bois.- Baba Hag, dois-je ajouter d'autres brindilles? demanda une voix bourrue.
L'immense créature détourna son attention de la carcasse, pour poser son regard sur l'hominidé trapu qui lui adressait la parole.- Cela suffira, Jhug, répondit-elle d'une voix chevrotante. Ça ne devrait plus tarder.Difficile de discerner lequel des deux était le plus laid. D'un côté se tenait une hideuse harpie dégénérée, si grande qu'elle se tenait courbée pour ne pas perforer la chaume de la hutte. De l'autre, un être bouffi et grotesque, au visage si enflé que l'on distinguait à peine ses yeux. Les deux êtres tordus, penchés autour d'une marmite fumante, formaient à eux seuls une parodie de scène de foyer. Une scène qui paraissait pourtant des plus ordinaires. En effet, il n'y avait, dans l'enceinte de cette hutte, ni peur ni dégoût, ni crainte, ni révulsion. Seule trônait, au milieu des effluves de viande et de poussière, le sentiment d'un quotidien serein.
Quelques morceaux de chair se détachèrent du crâne pour venir flotter à la surface de l'eau. La pseudo-harpie renifla.- C'est prêt, grinça-t-elle.
Aussitôt, le gros Jhug vint plonger une branche crochue dans le chaudron bouillonnant, avant d'en retirer la tête de bélier, suspendue par l'orbite. Après l'avoir égouttée, il la déposa délicatement sur un billot. L'épaisse créature saisit ensuite une petite lame en silex, et se mit à gratter le crâne avec soin, retirant les restes de peau et de carne.- C'est très bien, Jhug, commenta la vieillarde, qui observait par dessus son épaule. Fais attention à ne pas abîmer l'os.Un tumulte venu de l'extérieur vint l'empêcher de poursuivre ses instructions. Tous deux se retournèrent, surpris, tandis que la toile de l'entrée fut levée avec précipitation, révélant plusieurs visages disparates.- Baba! Baba Hag! Père-mère! répétaient-ils de manière désordonnée. Tous semblaient agités, et terriblement pressés.- Mes enfants, clama Baba Hag. Un peu de calme je vous prie. Quelle est la raison de ceci...?L'attroupement se serra sous la hutte. Ils étaient une bonne dizaine, tous aussi étranges les uns que les autres. Les Cénozoïdes formaient une race physique éparse, mais socialement soudée. La grande harpie connaissait chacun de leur visages, chacune de leurs voix. Aussi, son expression se durcit lorsqu'elle s'aperçu que certains d'entre eux portaient des hématomes. Lorsque le brouhaha s'adoucit, une jeune femelle cornue s'avança.- Baba...! entama-t-elle. Les hommes des dunes! Ils sont revenus, et ils sont nombreux! Honta et Pelox ont prit des coups...Les concernés claquèrent de la mâchoire, visiblement remontés. Tous deux portaient les traces d'un passage à tabac.- Ces thaffs sont repartis quand nous sommes arrivés, mais ils ont dit qu'ils allaient revenir pour tout mettre à sac! Khak!- KHAK! s'exclamèrent-ils tous à l'unisson."Nous doive battre!" cria-t-on. "Tuez ceux du dehors!" répondit un autre. Rapidement, la cohue se remit à jacasser, rendant toute conversion inaudible. Surplombant le groupe, la matrone écarta les bras, réclamant une nouvelle fois le silence.- Assez. Seuls ceux du dehors tuent pour obtenir ce qu'ils veulent, réprimanda-t-elle d'une voix pincée. Nous ne sommes pas des animaux, nous parlons avant de combattre. Menez-moi aux hommes des dunes. Jhug, nous reprendrons la leçon plus tard.La grande créature enjamba ses enfants, et s'extirpa de la hutte, étirant sa silhouette élancée vers le ciel. Perchée sur ses longues pattes, elle pouvait scruter l'horizon au delà du village de Cénozoïk. Sans surprise, une tâche sombre se dessinait sur le paysage rocheux, soulignée par les rayons du soleil couchant. Les pillards du désert s'étaient amassés dangereusement près des portes, et l'on pouvait déjà presque entendre leurs jérémiades. Baba Hag pinça les lèvres. Le village était très isolé du reste du monde, mais il avait déjà eu quelques ennuis avec les nomades des plaines voisines. Certaines rencontres avaient d'ailleurs tristement dégénéré. Il fallait espérer que le sang ne soit pas versé inutilement. La harpie souhaitait enseigner la tolérance et la patience à sa progéniture, mais les vauriens venus des dunes rendaient souvent les choses difficiles.
Les habitants se regroupèrent peu à peu autour de leur Aîné, jusqu'à atteindre la centaine, marchant à ses côtés. La plupart d'entre eux s'étaient armés de tout ce qu'ils avaient pu trouver, constituant le bataillon le plus chaotique et désordonné qui soit. Tous, néanmoins, étaient animés d'une loyauté infaillible, et ils étaient prêts à répondre à la violence par la violence. Leur ancêtre était fier, naturellement, mais il espérait que les brigands allaient se montrer raisonnables. Lorsque le groupe fit ses premiers pas hors du village, les pillards vinrent immédiatement à leur rencontre. Ils se tenaient à une distance prudente, le visage révulsé par le dégoût et l'incrédulité. Leur armement était lui aussi composite, mais eux avaient l'avantage de posséder des lames et des lances de fer.- Halte! beugla le meneur du peloton. Un pas de plus, et je sonne la charge...!Les villageois stoppèrent leur marche, de même que la harpie. Cette dernière, qui dépassait largement du groupe, attirait les regards les plus intrigués. Le chef des bandits grinça des dents, la jaugeant de la tête aux pieds. Il passa sa main dans sa barbe, réajustant son turban, avant de s'approcher avec assurance.- Qu'est-ce que tu es, toi? lança-t-il, pointant la vieillarde du menton.- Mon nom est Baba Hag, roucoula-t-elle. Et vous pointez vos armes sur ma famille.- Ha! s'exclama l'homme avec un air de défi. C'est la meilleure! Eh bien, tu expliqueras à ta famille de consanguins que s'ils ont un minimum de jugeote, ils lâcheront leurs armes et se mettront à genoux.- Ne prenez pas notre patience pour de la faiblesse, hommes des dunes, gronda immédiatement Baba, effectuant deux grands pas dans la direction du meneur. Nous ne tolérons ni menaces ni agression, et nous défendrons nos frères et sœurs jusqu'au bout. Parles, étranger. Que veux-tu?L'homme sembla prit de vertige lorsque la harpie s'avança, et ne put s'empêcher de reculer légèrement. L'aînée du village était certes âgée, mais il ne faisait aucun doute qu'elle était parmi les plus robustes du lot. Atteint dans sa fierté, le chef des brigands fulminait.- Ce que nous voulons, monstre? Cela ne te regarde pas. Nous prenons ce qui nous intéresse, et nous tuons ce qui se dresse sur notre route. Alors écartes-toi!La grande créature laissa échapper un son d'oiseau suraiguë qui en fit pâlir plus d'un. Elle se pencha vers le petit homme, plongeant son regard vitreux dans le sien.- Tu ne trouveras rien à voler ici, étranger. Ni or, ni trésor, ni armes. Nous sommes aussi pauvres que le sable, et aussi terribles que le désert. Vous perdrez des vies, et n'emporterez rien en retour.Le chef de la troupe paru décontenancé, mais reprit rapidement ses ardeurs. D'un côté, l'hésitation semblait le gagner, mais de l'autre, il n'aurait jamais accepté de perdre la face devant ses hommes. Il renchérit donc, se fourvoyant d'un sourire carnassier :- Tu bluffe, le piaf...! Je suis même surpris que personne ne soit venu vous massacrer plus tôt!Une clameur étrange s'éleva au sein des villageois. Ils semblaient tous s'esclaffer, dégageant les sons gutturaux les plus incongrus. Baba elle-même émit un caquètement amusé, avant de répondre avec le plus grand sérieux.- D'autres sont venus, petit homme. Nous les portons sur nous.Comme un seul être, les Cénozoïdes se mirent à agiter les bras et les jambes, offrant à leurs agresseurs une dance des plus intimidantes. Leurs mouvements créaient des sons étranges, des percussions caractéristiques, qui ne pouvaient provenir que d'une chose : les nombreux ossements humains qui ornaient leurs parures. Alors que les pillards restaient bouches-bées devant ce spectacle sauvage, la harpie en profita pour s'approcher encore d'avantage, forçant les brigands à se reculer toujours plus.- Quittez cet endroit, hommes des dunes, ordonna-t-elle. Regardez autour de vous. Les animaux, les plantes et les pierres sont aussi défigurés que nous. Ces terres portent la marque de notre présence. Restez, et vos enfants hériteront de notre visage.Après quelques instants de réflexion, et poussés par les huées primitives des villageois, le bataillon de pillards abandonna son assaut. Découragés, ils s'éloignèrent vers le sud, prenant soin de ne pas tourner le dos à la foule. Quelques jets de pierre les poussèrent à accélérer le pas, tandis que les Cénozoïdes dansaient de plus belle, fêtant leur victoire joyeusement. La vieillarde se retourna alors vers sa progéniture, écartant les bras, comme à son habitude. Tous firent silence, écoutant la leçon de la journée.- Souvenez-vous, mes enfants. Même si ses crochets sont mortels, le crotale agite toujours la queue avant de mordre. N'ayez recours à la violence que lorsque les mots échouent. Khak!- KHAK! répondirent-ils d'un même cri.
Le soir laissa place à la nuit, et le calme revint dans les steppes arides. Cénozoïk pu dormir en paix. Le sang n'avait finalement pas été versé, mais la vie était faîte de nombreux jours, et Baba elle-même ignorait de quoi serait fait le lendemain. Ce qu'elle savait, en revanche, c'était que le village ne serait pas uniquement confronté à de simples pillards. Le monde extérieur était déchiré par la guerre, les royaumes et les divinités. Tôt ou tard, les Cénozoïdes allaient en subir les conséquences, et elle ignorait encore comment appréhender ce moment.
|
| | Baba Hag
Partie IRLCrédit avatar : Ace TeamDouble compte : -Vitesse de réponse : Hebdomadaire
|