Bien des lunes après sa rencontre avec l'étrange barbare qu'elle considérait aujourd'hui comme un ami inestimable, Eolia prit son courage à deux mains et décida pour la première fois de quitter la contrée de Flore. Ici, elle se sentait chez elle et en sécurité, alors que l'extérieur lui faisait peur mais il lui fallait avancer, explorer le monde et qui sait trouver sa voie. La jeune fille se doutait bien qu'à rester terrée dans ses buissons, jamais elle n'avancerait et ne trouverait une solution pour aider ses soeurs aussi l'idée avait-elle eu le temps de mûrir avant qu'elle ne trouve le courage de faire le premier pas.

Les oiseaux qu'elle avait envoyés en éclaireurs étaient revenus avec tout plein d'histoire sur une contrée voisine du nom de Drayame. A les écouter, cette forêt était habitée par les Elfes et était connu pour être impénétrable mais la nymphe n'eut nullement peur. Elle était une fille des bois et devant elle, la nature s'ouvrirait toujours aussi, se leva-t-elle ce matin-là, confiante et disposée à une longue marche. Si la première partie du voyage se fit sous sa forme humaine, la demoiselle se rendit vite compte que sous forme animale elle irait bien plus vite mais comment faire quand son temps de transformation était temporaire ?

Quoiqu'il en soit, elle finit tout de même par atteindre la région choisie, non sans s'être reposée plusieurs fois et s'être abreuvée et sustentée le long du chemin. En tout et pour tout, elle mit presque quatre lunes quand les bois de Drayame s'élevèrent devant elle. Majestueux mais néanmoins sombres, ils semblaient lourds de secrets et ce fut donc frissonnante que la fière princesse de Flore pénétra en son sein. Si elle s'était attendu à ce que la nature lui ouvre les bras, elle dut tout de même lutter, comme pour prouver sa présence et son rang ainsi que sa présence en ces lieux. Au début, les branches semblaient faire comme un rempart mais au fur et à mesure qu'elle posait sa délicate main sur elles, le chemin devint alors plus facile.

Son ascension devenue plus aisée, la nymphe se fraya un chemin inconnu mais qui semblait toujours avoir été là. Petit à petit, il la guida jusqu'à l'Ancêtre qu'elle était venue voir. L'Arbre Roi. Celui-ci trônait fièrement au milieu d'une clairière et ce fut presque timidement que la donzelle s'en approcha. D'une main tremblante et révérencieuse, elle le toucha et son coeur s'écroula. Il était si semblable à l'Ancien, l'arbre sacré des Nymphes de Flore et qu'elle avait abandonné aussi derrière elle, qu'elle ne pouvait que s'effondrer. Peut-être que l'Ancêtre le sut car bientôt la jeune fille sentit son coeur s'apaiser, comme si à travers le contact de sa peau sur l'écorce, l'arbre lui donnait la force et la foi qui lui faisaient défaut depuis si longtemps.

Bien que cette rencontre lui fit du bien, elle l'avait également épuisée aussi, la jeune femme se roula-t-elle en boule et s'endormit-elle au creux de l'Ancêtre qui lui assurerait à coup sûr sa protection. Telle une enfant, ce qu'elle était encore à bien des égards, elle eut un sommeil sans rêve ni cauchemar et comme elle l'avait supposé, rien ne vint troubler son repos. Quand ses yeux s'ouvrirent, le jour tombait à l'horizon. Se relevant, Eolia mit quelques minutes pour reconnaître les lieux et sitôt qu'elle se sentit mieux, elle se décida à quitter son refuge pour aller se débarbouiller et avec un peu de chance, trouver aussi de quoi nourrir son ventre gargouillant. Heureusement, elle n'eut pas à chercher longtemps. Drayame était foisonnante et après avoir élu campement près d'une rivière, la nymphe, les pieds dans l'eau se mit à manger les baies et les racines qu'elle avait trouvées.

Tout aurait pu s'arrêter là si une sorte de sixième sens ne lui avait signalé qu'elle n'était plus seule. Alors que quelques minutes auparavant la nature gazouillait, le silence s'était à présent installé. Ses yeux couleur violette se mirent alors à explorer les buissons alentours tandis que son corps entier était tendu, prêt à fuir s'il le fallait.

Son instinct ne l'avait pas trompé... Elle n'était plus seule depuis un moment. Même si elle ne pouvait apercevoir ce qui la menaçait ainsi, elle pouvait ressentir dans l'air tout l'obscurité de ce qui la guettait. Abandonnant ses victuailles, la demoiselle se releva doucement, prête à fuir s'il le fallait quand ce fut le branle-bas de combat dans les fourrés. Ne sachant quoi faire, elle se changea en rocher alors même qu'une voix de femme l'interpellait pour lui dire de ne pas avoir peur mais trop tard, elle avait déjà changé de forme.

Sous cette forme rocailleuse, elle suivit toute la scène avec peur et incrédulité. Plusieurs gaillards armés de lames émergèrent des buissons aussitôt poursuivis par la voix d'une femme à la crinière rouge perchée sur une branche. Aussitôt des loups émergèrent à leur tour et se mirent en chasse de ceux qui avaient apparemment eu l'intention de s'en prendre à elle. Par l'Ancien ! que lui serait-il arrivée sans cette aide providentielle ? Rassurée, voir même soulagée, la nymphe ne se rendit même pas compte qu'elle avait repris forme humaine.

Cela lui arrivait à chaque fois qu'elle avait un trop plein d'émotions et vu ce qu'elle venait d'éviter, il était presque normal que cela arrive. Elle ne maîtrisait pas encore complètement ses pouvoirs mais là n'était pas la question. Assise à même la terre plate de la berge, elle tentait d'arrêter de trembler et toute concentrée qu'elle était, elle ne vit pas que la femme aux cheveux rouges s'était approchée.

- Désolée si l'on vous a effrayé, mais nous devions agir au plus vite.

Relevant son visage bouleversé vers l'étrangère, la nymphe essaya de se recomposer une attitude digne avant de répondre.

- Il n'y a pas de mal. Je vous sais gré de votre intervention en tout cas.

Epoussetant sa jupe, elle se releva gracieusement pour se mettre à la hauteur de sa sauveuse qui n'était plus haute qu'elle que de quelques centimètres tout au plus. A la différence que si Eolia paraissait frêle et fragile, sa compagne, elle, semblait bien plus robuste et élancée.

- Je me présente, Eolia. J'arrive de Flore, précisa-t-elle en faisant une rapide révérence devant l'inconnue. On m'a parlé de votre contrée et... je suis arrivée il y a en début d'après-midi. Je ne la pensais pas aussi... dangereuse. On m'avait pourtant dit que les Elfes la contrôlaient et que leur Reine ne tolérait pas ce genre d'agissements.

N'ayant pas grand chose à elle, la jeune fille parlait tout en ramassant sa besace tissée par les araignées et où se trouvaient un châle faite dans la même texture ainsi que son peigne de nacre. Une fois relevée, son sac passé sur l'épaule, elle prit enfin le temps d'observer un peu plus attentivement celle qui lui faisait face.

- Oh... vous êtes une elfe non ? demanda-t-elle innocemment. Désolée pour mes propos de tout à l'heure, je ne voulais pas vous offenser. Je...

La pauvre n'étant jamais sortie de Flore, elle ne savait pas à quoi ressemblaient ces êtres de lumière aussi était-ce normal pour elle de considérer que toute vie environnante ne pouvait qu'être de ce peuple dont elle avait tant entendu parler.

Eolia avait écouté avec une attention soutenue celle qui se présentait sous le nom d'Alyna. Apparemment, les Elfes n'étaient pas les seuls êtres à occuper cette forêt, ce qu'on s'était bien gardé de lui dire.

- ...Et je ne suis pas elfe pour la simple raison que ceux-ci ont les oreilles pointues.

Sans vouloir paraître malpolie, la nymphe vit qu'en effet les oreilles de la femme n'étaient pas pointues - un des signes distinctifs des êtres des bois - mais d'un arrondi typiquement humain.

- Oh, excusez-moi, je ne savais pas... Je pensais que...

Eolia en était toute confuse, ne sachant trop quoi dire pour dissiper ce petit malentendu. Heureusement, sa compagne ne sembla pas s'en formaliser et continua la discussion comme si de rien n'était. Ce que la nymphe lui fut gré.

- Que faites-vous ici ? Enfin je veux dire… seule, démunie, dans le vaste monde, tel un enfant innocent.

- Comme je vous l'ai dit, je visite cette contrée. Je n'ai pas vraiment de raison d'être ici mais je n'avais plus non vraiment de raison d'être là-bas... Vous comprenez ?

Eolia hésite à lui conter son histoire et ses raisons. Après tout, n'était-elle pas en fuite ? Sensée se cacher ? Par prudence, la jeune fille n'en dit pas plus de trop personnel mais comme pour l'instant, rien ne semblait non plus menaçant - après tout cette femme l'avait sauvée - elle pouvait bien avouer son ignorance.

- J'avoue que me rencontrer seule dans des bois alors que je ne sais ni me défendre ni... rien d'autres d'ailleurs, peut paraître déroutant mais ne craignez rien, il ne m'arrivera rien. Je cours vite et... disons que j'ai quand même un peu de magie en moi. Je suis une nymphe, conclut-elle d'un air malicieux.

Oui, Eolia était vraiment innocente. Fragile créature qui savait que si son rang et sa réelle identité étaient connus, elle serait attrapée puis enfermée, voir tuée... mais qui ne comprenait pas qu'être seule pouvait être dangereux. Dans sa grande naïveté, malgré le fait qu'elle sache que la guerre grondait et que les esprits étaient enflammés, elle n'avait pas encore vécu toute l'horreur de celle-ci pour en prendre pleinement conscience. A part l'attaque de Flore, la demoiselle pensait simplement que tant qu'elle ne révélait pas qui elle était, tout irait bien... et au pire, elle pouvait toujours se transformer pour tromper l'ennemi, puis fuir.

- Vous êtes amusante, je ne doute pas de vos capacités magiques et à la course, mais vous seriez incapable de me surprendre du point de vue camouflage, si vous vous placez mal je peux vous sentir, car votre pouvoir n’efface pas votre odeur naturelle. Quant à la course… Cela m’étonnerait que vous courriez plus vite que les lycans, dont je fais partie.

Eolia ne put retenir une exclamation de surprise et resta bouche bée quelques minutes avant de se rendre compte de ce qu'elle faisait. Hochant la tête, elle revint sur terre et sa nature curieuse reprit le dessus.

- Vous êtes une lycan ? On ne m'avait jamais décrit les lycans ainsi... sans vouloir vous offenser bien sûr.

En effet, on lui avait parlé de grands loups, de bêtes féroces qui ne seraient pas sensibles à sa nature de nymphe et à ses pouvoirs. On les lui avait décrits comme sanguinaires... et courant en meute. En parlant de meute... la jeune fille tourna la tête et regarda autour d'elles. Si cela se trouvait, elle était surveillée depuis tout à l'heure.

- Vous courrez seule ? osa-t-elle enfin demandé d'une toute petite voix, ayant déjà oublié les loups qui avaient chassés les hommes qui avaient tantôt épier ses gestes.

La femme en face d'elle semblait également avoir changé de comportement malgré le sourire qui restait sur ses lèvres. Aux aguets, les muscles tendus, elle semblait humer le vent et cela fit frissonner Eolia. Que ferait-elle si celle-ci se décidait à l'attaquer ? Elle pourrait se transformer mais à croire ce que cette dernière lui avait dit, elle n'aurait aucun mal à la découvrir. Etait-ce toujours le cas ? Personne ne le lui avait jamais dit...

- Est-ce que tout va bien ? demanda-t-elle enfin, en proie à diverses questions.

La nymphe aurait aimé posé toutes ces questions mais avant, elle avait besoin de savoir si elle pouvait avoir confiance et si elle était en sécurité...

Eolia sentit sa méfiance fondre comme neige au soleil quand sa compagne se mit à parler et à la regarder avec des yeux si vivants, si expressifs. La nymphe qu'elle était avait toujours été très réceptive à la nature et à toute vie qui y foisonnait et... en rencontrant ce regard, elle ne pouvait s'empêcher d'y être sensible et de baisser sa garde. Oh, et puis, la lycan n'avait pas tort, elle l'avait quand même aidé et sauvé donc en théorie, elle ne lui ferait rien. Enfin, normalement. Ce fut donc d'une main plus rassurée qu'elle accepta l'invitation de son aînée à marcher et qu'elle la suivit à l'abri des bois.

- Pardonnez mon changement d'humeur de tout à l'heure, s'excusa-t-elle après qu'elles aient pénétré sous le couvert des arbres. C'est juste que j'ai été surprise quand vous m'avez dit ce que vous étiez réellement et... comme vous vous en doutez, on ne m'a jamais dit que les lycans étaient... comme vous.

La jeune fille parlait en faisant des gestes de la main, comme pour chasser sa gêne. Ce n'était pas la nature qu'elle repoussait, non, celle-ci semblait s'écarter seule devant elle. Phénomène devenu habituel pour elle en tout cas.

- Je ne veux pas vous vexer euh... Alyna c'est bien cela ? Pardonnez-moi, tant d'émotions en une seule fois me font perdre le nord. Donc, je disais que je ne voulais pas vous offenser en disant cela, mais vous êtes tellement jolie et puis, vous m'avez sauvée. Moi, une inconnue. Alors cela m'a juste quelque peu choquée si l'on tient compte du fait qu'on ne m'avait jamais dit des lycans qu'ils étaient portés sur ce genre d'actions héroïques.

Elle adressa un grand sourire plein d'innocence à sa compagne, s'étant arrêtée en plein milieu de leur marche pour lui faire cette déclaration, ne se rendant même pas compte qu'elle babillait quasiment seule depuis tout à l'heure.

- A propos... où allons- nous là ? demanda-t-elle enfin, se rendant semblablement compte qu'elles marchaient toutes deux depuis une bonne dizaine de minutes mais qu'elle ne savait toujours pas vers où ni vers quoi.

Tournant la tête tantôt à droite, tantôt à gauche, la nymphe essayait de se situer mais cela lui était impossible. Même si la forêt était son amie et lui offrait sa protection, il n'en était pas moins qu'elle n'était pas d'ici et qu'elle n'avait pas encore le temps d'explorer Drayame dans son entièreté.

Eolia était de plus en plus surprise. La lycan lui parlait de "gravitation" et de "point de rencontre" afin d'éviter "embuscade" et "attaque de prédateurs". Pour la nymphe qu'elle était ces mots ne voulaient absolument rien dire. Quand elle marchait ben... elle marchait quoi. Et elle avait un peu de mal à suivre cette logique. Bon, il lui arrivait de faire attention quand même, elle ne sautait pas sur tous les inconnus que croisaient sa route mais en général, elle se dissimulait simplement aux regards. Quoiqu'il en soit, elle ne voulait pas ni montrer son ignorance ni paraître malpolie aussi hocha-t-elle la tête. Au moment où elle ouvrit la bouche pour parler, son intervention fut cependant rompue par l'arrivée d'une chouette qui se posa sur le bras de sa compagne.

-Pfff… je t’avais dit de rester à la Meute… Eolia je vous présente Fylia, toute jeune chouette qui me colle depuis que je l’ai rencontrée. Arf pas les serres dans le bras ! Ouste !
- Oh qu'elle est belle ! Bonjour Fylia...

La nymphe s'était automatique écriée de ravissement, la main en avant, et elle l'aurait probablement caressée si sa maîtresse ne lui avait demandé de déguerpir... le temps pour elle de mettre une espèce de gant en cuir. Aussitôt Fylia revint se poser sur son bras et Eolia ne mit que quelques minutes à hésiter. Se penchant pour se mettre à la hauteur du visage de l'animal elle la caressa du bout du doigt avec un sourire sur les lèvres, oubliant une fois de plus toute prudence sur le monde qui les entourait.

- Qu'elle est jolie ! Oh oui tu es belle Fylia. Magnifique même. C'est ta première sortie n'est-ce pas ? Ton amie te manquait ? Comme je te comprends...

Du bout du doigt, la sylphide ébouriffait gentiment les petites plumes de l'oiseau, riant d'y trouver encore un fin duvet, ce qui somme toute était normal vu qu'Alyna lui avait dit que son oiseau était encore bien jeune, tout en tenant une étrange discussion avec la bête. A ses yeux, il n'était pas inhabituel de parler aux animaux... puis, quand elle eut probablement assez causé avec la chouette, elle se remit néanmoins à parler à la lycan tout en restant au niveau de l'oiseau.

- Où l'avez-vous trouvé Alyna ? Est-elle seulement votre compagne ou a-t-elle une autre utilité ? Et qu'est-ce que ce gant que vous portez au bras ?

La jolie nymphe avait déjà oublié leur conversation et ce qu'elle avait voulu dire. Non, maintenant son attention était uniquement porté sur le volatile.

- Oh la pauvre ! s'exclama de nouveau Eolia quand elle apprit qu'Alyna avait trouvé sa chouette blessée. Si ce n'était par politesse, elle aurait probablement recommencé à la chouchouter mais la demoiselle tentait de calmer ses ardeurs et s'appliqua à écouter les propos que lui disait son interlocutrice.

- Alors ça s'appelle un gant d'archer...

La nymphe arborait un air très sérieux qui la rendait adorable. A bien des égards, elle ressemblait à une enfant curieuse à qui l'on venait de montrer une sucrerie. Observant de plus près le gant, elle prit soin de bien en noter tous les détails puis se releva en souriant.

- D'accord, je comprends. Donc, et maintenant que je sais cela, que faisons-nous à présent ?

C'était revenu subitement. Eolia tournait la tête à droite, à gauche, observant autour d'elle. Elle ne savait même plus par où elles étaient arrivées... Peut-être par là... ou alors par ici...

- Euh... Alyna, nous allons déjà ? Je ne sais plus ce que tu m'as répondue tantôt. J'étais trop concentrée sur Fylia.

Penchant la tête, elle fronça les sourcils à la recherche de souvenirs mais rien ne lui revenait entièrement si ce n'est les mots compliqués que la louve lui avait dit tout à l'heure. Pour son esprit simple, ces mots-là ne s'oubliaient pas.

- Tu parlais d'attaques, d'embuscades... et que sais-je encore. C'est cela ? demanda-t-elle enfin avec un petit air impatient.

Parfois son regard dérivait vers la chouette qui se tenait tranquille mais en se concentrant un peu, elle essayait de garder ses yeux sur la femme en face d'elle.

Eolia n'avait rien vu venir. Malgré toute la force qu'elle mettait à se concentrer sur la louve, ses yeux myosotis n'arrêtaient pas de se poser sur l'oiseau et c'est donc ainsi qu'elle se retrouva plaquée contre un arbre, une main sur la gorge. Tout bas, Alyna lui chuchota :

- Je crois que vous n’avez pas saisi, la prudence est de mise lorsque l’on ne connaît pas les lieux, tout comme certaines choses sont à savoir pour éviter de perdre bêtement la vie.

En tout cas, la nymphe n'eut même pas le temps d'avoir vraiment peur que sa compagne la relâcha. Bon d'accord, elle avait eu une petite frayeur mais la surprise l'avait emportée. La force et la vitesse avec laquelle la lycan avait agi l'avait étonnée et en même temps fascinée. Maintenant que cette dernière l'avait lâchée, la jeune fille se massa la gorge tout en regardant Fylia fouetter sa maîtresse qui continuait d'ailleurs à lui parler.

- Loin de moi l’idée de vouloir vous faire peur, mais de vous faire comprendre. Vous cacher une fois repéré est inutile, faire en sorte que l’on ne vous repère pas pour voir venir le danger est plus sauvegardant.

- Il n'y a pas de mal, murmura la nymphe. Je comprends ce que tu dis mais en général, je ne suis pas aussi imprudente. Là, c'est parce que je suis en ta compagnie alors je n'ai pas peur. Tu comprends ? Bon d'accord, après je ne suis pas très attentive mais ce n'est pas vraiment dans ma nature aussi. Mais je vais faire attention maintenant.

Elle se releva alors pour faire preuve de bonne foi et attendit qu'elles reprennent leurs marches. Silencieuse, elle prenait cette fois-ci garde à observer autour d'elles. Eolia ne faisait jamais de bruit en marchant, exercice ou don donné aux nymphes. Telle une ombre, elle allait aux côtés de la louve accompagnée de Fylia et remarqua que leurs pas les faisaient faire une sorte de ronde car elles repassèrent devant un arbre que la demoiselle n'eut aucun mal à reconnaître.

- Oh ! j'ai compris ! s'exclama-t-elle tout haut avant de se bâillonner toute seule. Elle sourit malicieusement et reprit tout bas : Tu voulais que nous marchions continuellement en tournant autour de notre point de départ près de la rivière pour éviter qu'on ne nous repère n'est-ce pas ?

Puis, la jeune fille fronça les sourcils pour réfléchir puis redemanda tout bas :

- Mais Alyna, pour moi c'est illogique. Si nous faisons deux fois le tour, nous nous ferons quand même remarquer. Non ? Parfois, rester au même endroit permet également de ne pas se faire remarquer. Il suffit juste de ne pas sauter sur place. Non ?

La mine concentrée, Eolia écoutait les explications de la louve pour la millième fois au moins sauf que cette fois-ci, son regard ne fut pas détourné puisqu'Alyna s'était mise à dessiner divers cercles par terre, tout en tirant des flèches et en faisant de grandes lignes.

- En terrain inconnu, il y a deux options en effet. L’immobilité et le mouvement. Pour le mouvement, simplement tourner autour, oui c’est dangereux. Mais si l’on varie les mouvements en faisant des huit c’est moins repérable... Et oui il y a l’option de l’immobilité, mais si vous décidez de faire cela il ne faut pas s’exposer comme vous l’avez fait, mais plutôt s’abriter dans les branches. Et vous pouvez parler à voix haute, cela éloigne les prédateurs classiques qui ont peur de l’homme. Le reste je m’en occupe.

Consciencieusement, la nymphe hocha la tête à toutes ses descriptions, un doigt sur la lèvre inférieure, répétant tout bas tout ce qu'on lui disait pour être sûre de bien l'intégrer.

- D'accord. Je crois que j'ai compris. Je ferai encore probablement des erreurs mais dans l'ensemble, je crois avoir saisi l'essentiel.

Ceci dit, elle se releva en époussetant sa légère robe blanche et regarda autour d'elles. Pas âme qui vive, juste le chant des oiseaux et parfois quelques petits pas cachés par les fourrés.

- Et maintenant, que faisons-nous ? Continuons-nous à tourner en rond ou faisons-nous autre chose ? Alliez-vous quelque part quand vous m'avez rencontrée ?

La louve répondit en reprenant leur marche, Fylia, qu'Eolia avait oublié un instant, s'élançant dans les airs pour revenir quelques minutes plus tard. Sans plus tergiverser, la nymphette suivit donc Alyna, attendant que celle-ci ne lui dise quoi faire car apparemment cette dernière savait bien plus de choses qu'elle et la demoiselle n'avait aucune envie de faire encore une quelconque bêtise. Elles durent encore faire au moins deux fois le tour de leur point de rencontre avant que la jeune fille ne s'arrête.

- Alyna, j'ai soif. Ne peut-on pas retourner près de l'eau ? Et dis... les loups... enfin tes compagnons de tout à l'heure, ils vont revenir ?

Elle était essoufflée. Bien qu'habituée à marcher dans les bois, elle n'avait jamais autant tourné en rond, et encore moins sur un rythme aussi soutenu. Elle, c'était de la promenade qu'elle faisait. Là c'était... fatiguant.

- Je suis désolée de ne pas m’être accordée à votre rythme. J’ai tellement l’habitude que je ne prends plus garde à l’allure à laquelle je me déplace.

Penchée au-dessus de la rivière, Eolia but en compagnie de la chouette tout en écoutant les paroles qu'Alyna disait. La lycan n'avait pas l'air d'avoir soif ou d'être fatiguée, et à son air, elle devait probablement encore surveiller les alentours. Ce fut donc d'un simple hochement de la tête que la nymphe signifia à sa compagne qu'il n'y avait pas de mal. Sa soif étant étanchée, elle s'assit à même la terre et sans aucune hésitation, trempa ses pieds épuisés dans l'eau. La fraîcheur les détendrait et apaiserait quelque peu leur fatigue. La louve choisit cet instant pour venir se désaltérer à son tour.

- Alyna ? demanda alors la jeune fille, dis-moi, que fais-tu à Drayame ? Tout à l'heure, tu m'as dit être de Feu pourtant nous sommes bien loin de cette contrée. Y a-t-il une raison quelconque qui t'a menée ici ? Et puis...

Quelques secondes, la demoiselle hésita. La curiosité était comme la lame d'un couteau, et si parfois celle-ci pouvait être bien, elle pouvait également être mal, aussi devait-elle faire attention avant de continuer à poser ses questions.

- Je me disais... avec qui vis-tu ? Est-ce que les lycans vivent ensemble ou chacun possède une tanière ? Et euh... que fais-tu de tes journées en général ? Je veux dire à part patrouiller avec d'autres lousp et éventuellement sauver d'imprudentes personnes comme moi.

Son regard clair posé sur la louve, Eolia attendait. Ce n'étaient pas de mauvaises questions non. Elle voulait juste en savoir plus. Après tout, n'était-elle pas dans cette forêt pour cela ?

Eolia n'avait pas conscience que ses questions pouvaient agacer. Elle les posait avec toute l'innocence et la curiosité liées à son âge et écoutait avec attention les réponses de la louve. Quand celle-ci lui parla d'exercices et d'entraînements, la nymphe ouvrit de grands yeux. Corps à corps et arc ? Ô joie, elle eut même droit à une démonstration. Devant elle, Alyna leva le bras et se mit en position, faisant des gestes sans vraiment de sens pour la nymphe.

- Mmm... est-ce ainsi que doit se tenir un arc ?

La jeune fille ayant été élevée dans un état d'esprit différent, elle ne savait donc pas réellement ce qu'était qu'un arc et encore moins comment celui-ci était utilisé. Quoique la seule chose qu'elle savait c'est qu'il s'agissait d'une arme mais puisqu'elle ne s'en servait pas, il n'y avait aucun mal à demander n'est-ce pas ?

- D'ailleurs, à quoi cela ressemble-t-il ?

Voilà qu'elle recommençait avec ses questions mais en même temps, quelle idée de montrer ou de tenir des propos qui en amenaient ? Si elle ne disait rien, elle allait passer pour une jeune fille dédaigneuse, et si elle demandait, elle passait pour une curieuse. Ah quelle vie !

Se relevant en se frottant les mains pour faire tomber d'éventuelles poussières qui lui auraient collé, elle observa la posture de la lycan. Apparemment, il fallait être droit, plier le coude, tendre l'autre bras... Mais à quoi cela pouvait-il bien servir ? En tout cas, sa curiosité était à présent réellement piquée aussi attendit-elle avec impatience les réponses de sa compagne. Nul doute que celle-ci saurait éclaircir le flou dans lequel elle l'avait plongée.

Debout à quelques pas, Eolia ne perdait pas une miette du spectacle. La lycan lui faisait une démonstration et la jeune fille ne pouvait qu'observer avec attention les moindres détails, la moindre plissure. Avec un peu de chance, elle pourrait peut-être se fabriquer son propre arc et apprendre seule... Oui, elle n'aurait jamais osé demander ou espérer qu'Alyna la laisse toucher son arme. Ce qui expliqua pourquoi elle eut une grande joie mêlée de surprise quand cette dernière lui proposa d'essayer.

- Je suppose que vous allez vouloir apprendre à moins de vouloir une démonstration d’accord.

Un grand sourire sur les lèvres, la demoiselle acquiesça d'un vigoureux hochement de tête et sans se faire prier prit avec une grande précaution l'arc de bois. Imitant de mémoire la position qu'avait pris "son maître d'arme du jour", elle écarta légèrement les jambes pour prendre appui, tendit la corde de l'arc à plusieurs reprises, comme pour tester les limites de son propre corps, de ses propres forces, comme pour faire connaissance avec cet objet qu'en temps normal elle n'aurait jamais touché.

- Est-ce ainsi Alyna ? demanda-t-elle innocemment, certaine qu'elle devait probablement faire des erreurs. Bien qu'elle n'y connaisse rien encore, elle ressentait une certaine gêne au niveau de ses bras qui lui semblaient être un peu trop haut... non ? Et puis, quels doigts fallait-il utiliser ? Elle avait oublié...

- Euh... avec quel doigt est-ce que je dois étirer la corde ?

A peine venait-elle de poser cette question, qu'une autre lui vint en tête. Comme d'habitude, elle réfléchissait trop à nouveau. Une moue dubitative sur les lèvres, elle se tourna à droite... puis à gauche... puis de nouveau à droite... pour finalement baisser les bras et demander à nouveau.

- Est-ce qu'on tient l'arc différemment selon que nous soyons droitier ou gaucher ?

La lycan regarda Eolia prendre l’arc et l’imiter, demander si c’était bon, comment placer ses doigts et enfin baisser les bras en demandant si en étant droitier ou gaucher c’était la même tenue. Comme prévu la nymphe avait des questions et comme prévu elle avait tenu la corde tendue peu de temps. Dans le même temps l’arc d’Alyna était une arme d’archer aguerri et donc relativement difficile à tendre, la tension de la corde était facilement de 30 livres, soit 13.61 kg, un arc de débutant étaient généralement de 16 livres.
Alyna lâcha un léger rire attendri, la jeune fille lui rappelait sa propre expérience étant enfant. Elle s’avança vers Eolia amusée et lui expliqua :

-Ce n’est pas une question de droitier ou de gauche, mais d’œil directeur, savoir lequel vise. Il est cependant rare qu’un droitier ait son œil directeur gauche.

La louve prit doucement l’arc et ensuite elle plaça l’arc sous son bras et tendit les mains devant elle pour former un cercle, elle ferma un œil et ensuite l’autre, tout en expliquant.

-L’œil directeur est celui où l’image ne se décale pas lorsque l’on ferme un œil.

Elle se plaça ensuite en position de tir comme précédemment, mais sans tendre la corde.

-Je suis fondamentalement droitière et vais donc expliquer ainsi, de plus je ne peux pas montrer la position des gauchers pour la simple raison que j’ai une épaule blessée et ne peut tendre la corde en position de tir gaucher, mais j’en suis tout à fait capable en temps normal. La base étant pratiquement la même je vais expliquer en droitier.

Elle leva son bras gauche dans le prolongement de son épaule, arc en main, ainsi elle était placée de profil.

-Au début il ne faut pas forcément tendre la corde, d’une part parce que c’est épuisant, d’autre part parce que l’on vise avant de tendre la corde, mais le geste est plus important que la visée. Tout d’abord les pieds alignés, parallèles, le buste droit, dans le même sens que les jambes. La tête seule pivote pour regarder dans la direction de la cible. Ensuite placer la flèche sur la corde et poser sur le rebord, elle le désigna sur l’arc, puis on incline légèrement l’arc pour qu’elle ne tombe pas. Toujours la tête droite on aligne le regard sur le bois de la flèche. On tend la corde, l’index, le majeur et l’annulaire sur la corde, puis on ne reste pas longtemps ainsi, le moins possible.

Elle avait joint le geste à la parole lentement, s’assurant que la nymphe comprenait bien tout. Elle resta un moment la corde tendue pour placer l’arc vers le sol, afin de ne pas perdre la flèche.

-C’est la position de base, j’avoue ne tirer ainsi que lorsque je prends mon temps, mais le reste vient avec l’expérience.

Elle tendit son arc à Eolia à nouveau une flèche à empennage bleu très abîmé et à la pointe ébréchée déjà encochée. Elle lui donna comme consigne de se positionner comme si elle s’apprêtait à tendre la corde en lui expliquant qu’ainsi elle pourrait corriger la posture.

[Youpi, me revoilà, si bêtise je fais, tu me tapes par mp. T'as vu, ça rime ]

A peine ses questions posées, Alyna prit les devants et entreprit d'y répondre de la manière la plus explicite possible. Parfois Eolia ne comprenait rien au jargon utilisé mais heureusement que la pratique avait lieu en même temps car en observant celle qui devenait à l'heure actuelle sa maîtresse d'arme, la jeune fille arrivait à se repérer.

"Oeil directeur ?" En même temps que la lycan, Eolia plissait et fermait les yeux l'un après l'autre pour essayer de trouver le sien. Comme sa compagne, elle répétait les mêmes gestes, avec ou sans arc, autant qu'elle intègre les mouvements donc forcément. D'ailleurs, après quelques essais, elle décida que son oeil droit était son oeil directeur.

- Au début il ne faut pas forcément tendre la corde, d’une part parce que c’est épuisant, d’autre part parce que l’on vise avant de tendre la corde, mais le geste est plus important que la visée. Tout d’abord les pieds alignés, parallèles, le buste droit, dans le même sens que les jambes. La tête seule pivote pour regarder dans la direction de la cible. Ensuite placer la flèche sur la corde et poser sur le rebord, disait Alyna.

Rebord ? Tournant la tête, la nymphe observa de nouveau l'arc, arrêtant de bouger pour mieux se concentrer. Apparemment le rebord servait à maintenir la flèche et elle hocha donc la tête pour dire qu'elle avait compris. Puis sa camarade lui rendit l'arc et cette fois-ci une flèche avec en lui demandant de prendre pose pour l'instant, histoire qu'elle puisse corriger sa posture et l'adolescente s'exécuta.

"Les pieds alignés. Le buste droit. Même sens que les jambes." se répétait-elle mentalement en tenant l'arc dans sa main gauche pendant que sa main droite tenait la corde de l'arc sans la tendre toutefois. Alyna l'avait dit, cela la fatiguerait et pour l'instant, elle n'avait rien à viser donc cela devrait aller.

- Comme cela ? demanda-t-elle une fois sûre d'être plus ou moins prête... sauf que la flèche ne semblait pas vouloir tenir contre le fameux rebord. Devait-elle retenir la flèche contre le bois avec un doigt ? Telle était la question. Et elle attendait que la lycan la reprenne et lui explique.