Le Duché du duc Hector de Vasson s’étendait au cœur des montagnes, loin de la capitale impérial, des forêts et du désert. Se trouvant entre les monts de L’Ungrid et la montagne de Sola, ce territoire disposait d’une position stratégique remarquable : en effet il était un point d’accès non négligeable aux montagnes. On disait que ce Duché était riche en minerais et en pierres de bonne qualité, aussi les nains entretenaient d’assez bonnes relations avec la famille de Vasson. Mais la paix qui avait régné pendant des décennies au sein de ce lieu s’était brusquement rompue lorsque le Duc Harold, père d’Hector, périt dans son lit. Son fils succéda au trône de la montagne … les habitants avaient acclamés leur nouveau seigneur, pensant qu’il serait un personnage bon et généreux comme son père. Mais hélas, Hector était à la tête d’un groupe de bandits patibulaires. Assoiffé d’or et de richesses, il imposa sur ses terres de lourds impôts. Envieux, il n’hésitait pas à brûler les bâtiments commerciaux qui rivalisaient avec lui. Ses larbins s’amusaient à patrouiller dans les ruelles en quête de pillages, et se saisissaient de tout ce qu’ils voulaient au nom d’Hector. Sa justice était fausse et sans logique, et nombres d’habitants furent punis, au cachot ou au fouet. Les villages environnants tombèrent rapidement dans la pauvreté et le malheur, et ce n’était pas prêt de s’arranger : Car l’hiver arrivait à grand pas. Hors, le cruel Duc s’était saisi d’une importante quantité de blé pour passer l’hiver, laissant les moulins et les réserves de grains presque vides. La famine s’enveloppait dans le manteau du froid hivernal, et murmurait de douces horreurs par le biais du vent du nord.
La décadence atteignit des sommets, et bientôt la criminalité et le vol proliférèrent à grande vitesse, comme un champignon croissant. Alors les brigands au service du seigneur s’attaquaient à tout ce qui leur apparaissait suspect, même les mendiants qui pullulaient dans chaque recoin de la rue. La saleté et la crasse envahirent les villages, et le château du Duc semblait se dresser comme une ombre menaçante, narguant les pauvres et les affamés.
C’est l’état dans lequel se trouvait ce lieu lorsque Magrant arriva. La description que lui avait faite un espion s’était révélée exacte. Cette terre sombrait dans l’abîme. L’homme encapuchonné tourna son regard dans chaque boutique. Toutes étaient barricadées et solidement fermés, de peur que des voleurs ne tentent de s’emparer des biens qu’ils tentaient désespérément de vendre. Les bagarres étaient fréquentes, et on voyait souvent deux bateliers se quereller dans la boue des pavés à grand renforts d’injures et de malédictions. La tension qui animait les lieux était à son comble, et il suffisait d’une seule étincelle pour faire exploser la rébellion.
Le nécromancien entra dans une vielle auberge isolée et commanda une chambre. Sans se soucier du confort médiocre de la salle, des mites qui rongeaient le lit ou des trous à rats dans les murs, il se mit à méditer sur son futur projet. Pendant toute la nuit, il pensait, élaborait des plans, des astuces, des pièges et des mensonges. Pour préparer une conquête d’un territoire à lui seul, il devait prendre tout son temps. Et il en avait, du temps. L’aurore aux doigts de roses fit son apparition, accueillie par le chant un peu torturé d’un coq malade. Magrant se releva lentement et quitta l’auberge branlante, sans se soucier de futilités comme le manger et le couvert. Il entreprît aussitôt de débuter son plan en plantant les graines de la rébellion.
Le concept fut simple à appliquer : Magrant, déguisé en un simple villageois, lançait de rapides discours persuasives pour faire monter la colère dans le cœur des citoyens. Des attaques surprises d’origines inconnues mettaient à mal la détermination des brigands. Des bâtiments du Duc étaient éventrés et livrés à l’appétit féroce des gens qui s’empressaient aussitôt de dérober tout ce qu’ils trouvaient. Petit à petit, la seconde classe reprenait ses forces, tandis que la première subissait d’amers échecs inexpliqués. On raconta même que la château du Duc fut directement ciblé, et que sa réserve de vin avait pris feu. Tout cela était fort encourageant pour les badauds. Ils haïssaient Hector et ne désiraient qu’une chose : la libération.
Ainsi, grâce aux habiles fourberies de Magrant, les villages décidèrent de détrôner Hector le vil. Magrant les aida un peu en pillant une caserne et en distribuant les armes aux citoyens par le biais de ses propres larbins. Il aimait agît dans l’ombre et lissait la nature faire son œuvre par elle-même. Pleins de volonté et de détermination, les gens prirent d’assaut le château. C’était toute la population des villes qui marchaient sur le Duc. Et ce dernier était réputé être un piètre stratège, habile seulement dans la punition et la cruauté. Ses brigands étaient de redoutables gaillards, mais leurs armes classiques face à la vague de gens en colère eurent vite raison de la ténacité des pillards, qui prirent la fuite, abandonnant Hector et ses quelques fidèles. Néanmoins des combats violents éclataient dans la cour du château, entre les rebelles et les partisans du Duc. Le sang tachait les pavés dans une œuvre d’art sanglante.
Plus loin, assis sur une chaise, au sommet d’une falaise, le nécromancien contemplait ce spectacle de mort et de violence. Près de lui se tenait un mort-vivant en armure, au visage mince et craquelé, aux orbites vides et aux crocs jaunis. Il se tenait debout, immobile, attendant les ordres. Magrant, confortablement assis, buvait dans un calice de cristal un mélange de poison et de sève toxique, péché mignon de notre ami Liche. Puis lorsque les heures passèrent et que les combats se faisaient moins intenses à mesure que les combattants fatiguaient, Magrant dit de sa voix mielleuse et doucement autoritaire :
« _ Nos amis se sont bien battus, ils m’ont offert un spectacle remarquable. Je loue leur bravoure et leur force. Mais à présent, il est temps que je m’occupe de prendre les rênes de cette terre et de la façonner selon mon bon plaisir. Capitaine Dragnir, lancez l’assaut … »Le mort-vivant qui, jusqu’à maintenant, s’était tenu immobile comme une statue, leva la tête et poussa une plainte étouffée, audible et pourtant curieusement silencieuse. Un frisson d’horreur s’abattit sur les gens lorsqu’ils entendirent tout d’abord ce hurlement sourd et terrifiant. Puis vinrent ensuite le bruit de pas rythmés. Tyrans et rebelles comprirent trop tard qu’ils étaient les victimes d’une terrible manœuvre de conquête.
Alors, tel un rideau noir cachant la fin d’une pièce de théâtre, les soldats morts embusqués autour du château s’abattirent ….
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Les cris d’agonies et les hurlements de terreur avaient résonné dans tout le Duché pendant de longs instants, puis un silence mortuaire avait envahis les lieux. Plus une âme vivante ne se subsistait encore du massacre qu’avait habilement perpétué Magrant. Il était toujours là, sur sa chaise, à boire sa douteuse boisson. Dragnir était toujours à ses cotés, imposante forme noire aussi silencieuse qu’immobile. Le nécromancien laissa un doux rire s’échapper de ses lèvres entrouvertes , puis, toujours fixant l’amas de cadavres sur lequel festoyaient ses larbins, il dit :
« _ Voilà une bien belle journée. Que diriez-vous maintenant si nous reprenions mon Duché en main, hum ? »Un corbeau noir croassa sinistrement puis prît son envol. Il survola pendant un moment le champ de bataille, les maisons difformes et le château tombé, puis quitta les lieux dans un dernier battement d’aile.