Après plusieurs heures de marche, me voilà enfin à Sen'tsura. J'ai mis du temps à me décider, mais je suis finalement venue. On pourrait tout de même se demander pourquoi. Après tout, cela fait cinq ans que j'ai quitté mon village natale pour mener ma vengeance à bien. Alors pourquoi venir ici, dans la capitale de Terra, la ville la plus touchée par Aile Ténébreuse, la ville des démons ? A vrai dire, moi, je me demande pourquoi je ne suis pas venue plus tôt. Quoi de mieux que cette ville pour apprendre toutes les faiblesses de cet empire ? Je ne sais pas trop combien de temps je resterais, mais je compte bien en savoir plus sur Zelphos, ces adeptes, et tous les démons qui l'accompagnent.

Je marche tranquillement dans les rues, explorant ce nouveau lieu, émerveillée. Tout attire mon regard. Je ne peux m'empêcher d'être impressionnée. Je ne crois pas en ces notions de bien et de mal, mais si je devais y croire, toute cette beauté serait ma représentation du bien. Comment peut-on laisser tant de lumières aux mains des ténèbres ? Les hommes ont-ils construits la ville eux même ? Celle ci est tellement merveilleuse que ça me paraît impossible. Et pourtant, toute cette magnificence est aux mains du mal. Je sens un pincement au fond de mon cœur. Cela me fait du mal de savoir que cette ville appartient à « l'ennemi ». Je reconnais ce sentiment qui commence à monter en moi. De la colère. Encore et toujours. Comme chaque fois que je pense à Aile Ténbreuse. Comment peut on autant haïr quelque chose ? Parfois, je me demande si ma vendetta n'est pas inutile, si je ne ferais pas mieux de rentrer chez moi, et d'oublier tout ça. Pourtant, il m'est impossible d'abandonner. Je n'arrive pas à oublier le fait que c'est l'Empire qui a prit la seule chose qui comptait à mes yeux, et qui a fait de moi ce que je suis. Peut être on-t-il créé une autre sorte de démon...

Mon regard s'assombrit. Peut être ne suis-je pas mieux qu'eux. Ils ont peut être une raison de faire ce qu'ils font. Après tout tout, je suis également une meurtrière. Je n'essaie certes pas de soumettre le monde à ma volonté, mais ce que je fais reste mal, non ? Je regarde autour de moi à nouveau. Mais ce qui me touche, cette fois, ce n'est pas tant la beauté du lieu, mais les gens autour de moi. Des adeptes de Zelphos, ignorant que mon seul but est de les détruire, tous autant qu'ils sont. Peut être ne sont ils pas tous mauvais... Peut être que certains ont une histoire similaire à mon frère. Je secoue la tête, chassant ces pensées de mon esprit. Suis-je folle ? Aile Ténébreuse doit être anéantie. Zelphos doit être réduit en cendre. Rabattant ma capuche sur ma longue chevelure noire, j'avance d'un pas plus rapide, comme si il était possible que quelqu'un ai lu dans mes pensées. Je pense que je vais avoir du mal à m'habituer à être entouré par tous ces démons adeptes des ténèbres.

Je n'ai pu fermer l’œil de la nuit. J'ignore si ce dont les mercenaires d'hier parlait est vrai, si j'ai compris ce qu'il disait, si j'ai bien tout saisi. Je me demande si j'ai bien interprété la tension palpable et l'agitation des soldats. Mais l'excitation est à son comble. Les rebelles se dresseraient-il enfin clairement contre Aile Ténébreuse ? C'est un moment exceptionnel, une bataille qui ne se reproduira peut être jamais. Et je suis sur les lieux de l'événement. Quelle coïncidence m'a amenée ici ? Quelle hasard m'a permis de participer à cette ultime bataille ? Il ne m'en faut pas plus pour me préparer. Mon long manteau reposant sur mes épaules, ma longue chevelure attachée en une simple queue de cheval, mes dagues soigneusement rangées à mes cuisses, cachées par un pan de la cape, j'attrape mon fourreau où se trouve mon épée, Nym, je me pose devant la fenêtre de ma chambre et je surveille l'horizon.

Cela fait maintenant une heure que je suis assise sur le rebord de la fenêtre. Toujours rien. Je commence à désespérer. Pourtant, quelque chose finit par attirer mon attention. Dans la ville, tout le monde commence à s'agiter. Les rebelles arrivent. Réellement. Nous y sommes enfin ! Sans réfléchir plus longtemps, je regarde le sol à deux mètres de moi, et saute instinctivement, me dirigeant vers le lieu des futurs combats. Je ne connais pas le plan, mais c'est l'occasion pour moi de faire quelques dégâts. Je suis une solitaire, une mercenaire, une vagabonde, je ne compte pas rallier un camp ou l'autre, mais aider les rebelles à défaire Aile Ténébreuse n'est pas un soucis. Même si mon rôle se limite à une dizaines de morts, ça me suffira, après tout, je n'ai encore que vingt trois ans.

Longeant les murs furtivement, je m'approche peu à peu des portes de la ville, cherchant à ne pas être repérée. Je m'arrête soudainement alors qu'une explosion de lumière jaillit dans le ciel. Je relève la tête, surprise. Que se passe-t-il maintenant ?! Comprenant que la barrière magique entourant Sen'tsura vient d'exploser, je reprends ma course plus rapidement. Au dessus de moi, des pierres volent. Plus surprenant, j’aperçois un immense dragon noir. Les rebelles vont avoir du mal à défaire Aile Ténébreuse. Plus qu'ils ne le pensent. Plus que je ne le pensais aussi. Je n'ai cependant pas le temps de réfléchir, je me lance dans la mêlée.

Au final, il n'y a pas tant de démons que cela. Beaucoup d'hommes. Des pros Aile Ténébreuse, des radicaux. Peut être de simples humains, n'ayant pas eu le choix, souhaitant simplement rentrer chez eux. Des gens comme Adonias. Des gens qui se sont retrouvés en quelques sortes piégés. J'efface ces pensées de mon esprit. Je n'ai pas le temps de réfléchir à cela. Chaque coup compte, ils ont choisit leur camp, comme tout le monde ici présents. Ce ne sont pas d’innocentes victimes. Dans une bataille, personne n'est innocent. Même si l'ont ne fait que suivre les ordres, on finira par tuer quelqu'un. Le bien et le mal n'existent pas en ce monde. Seulement nos choix et notre volonté. Le méchant ne se considère pas comme méchant. Personne n'est totalement bon, altruiste et fidèle. Chacun sert ses propres intérêts.

Filant aussi rapidement qu'un humain peut le faire, je me faufile entre les gardes. Nym est rangée dans son étui, accroché tel un carquois dans mon dos. Je ne me sers que de mes dagues pour l'instant. Il me faut certes m'approcher beaucoup plus près, et je peux difficilement parer les coups, mais je gagne en vitesse, et en fluidité. Je n'apprécie pas tuer, je n'aime pas le goût du sang, l'odeur des cadavres et des tripes sur le sol, mais je suis quelqu'un de déterminé, et s'il faut tuer, je le ferais. Lorsque que j'ai décidé de devenir mercenaire, je savais ce que cela voulait dire, mais il me faut bien gagner ma vie d'une façon ou d'une autre. J'ai appris à faire abstraction de la compassion, de la peur et de la tristesse. Tuer ne me touche plus. Ainsi, mes coups partent, précis et rapides, ayant pour seul but de prendre la vie, de donner la mort. Dans la folie de la bataille, je peux distinguer les rebelles et les soldats à la solde de l'empire. Je comprends comment leur attaque c'est organisé, certains sont déjà à l'intérieur. Je me demande comment l'armée à l'extérieur se débrouille. Je souhaite de tout cœur leur réussite, cependant, leur nombre de perte m'importe peu.

Je sens ma respiration s'accélérer. Je commence à fatiguer. Après tout, je n'ai jamais participer à une bataille. Il faut que je m'éloigne un instant. La mort m'importe peu, cependant, je suis déterminée à rester en vie tant que je n'aurais pas emporté avec moi un maximum de vies du camp adverse. Je fais demi tour, attaquant tout adepte de Zelphos se trouvant sur mon chemin. Je tourne à droite, puis à gauche, et à gauche de nouveau. J'assène un coup entre la cinquième et la sixième côtes d'un soldat qui me barre la route, j'esquive une épée qui s'abat sur moi, me décale de façon à pouvoir affligé une blessure mortelle à la carotide et abandonne ce dernier sur le bord de la rue, suffoquant. La ruelle suivante est déserte, je m’assoies un instant, reprenant ma respiration, vérifiant que l'adrénaline ne m'a cachée aucune blessure. De simples égratignures, des coups par ici, par là, je suis tout de même salement amoché. Pourtant, je repars dans la foule blessée, sortant enfin Nym de son enveloppe, laissant sa soif de sang se libérer.