Malgré le caractère important de cet évènement, il serait fort compliqué pour notre nain de le situer précisément dans le temps. Les affres inéluctables de l’âge. La mémoire s’alterne souvent et alors certaines informations passent à la trappe. C’est assez dommage, mais paradoxalement, Dwalek est plutôt content de ce phénomène car il lui permet d’oublier nombre de rencontres malheureuses avec cette chère, mais néanmoins très agaçante, dragonne. La mémoire fait de tous ces heurts une sorte de bouillie décousue où se mêlent les différents combats que se sont livrés les deux êtres séculaires. C’en est ainsi tellement désordonné que la vivacité de ces mauvais souvenirs s’en trouve grandement altérée et Dwalek ne parvient plus, aujourd’hui, à ne distinguer que quelques morceaux fugaces de ces accidents malencontreux qui l’énervent tant. Ce qui n’est pas pour lui déplaire, soyez-en sûr ! C’est ainsi que nous allons ensembles essayer de récupérer, dans ce magma bouillonnant et opaque, une anecdote amusante entre les deux rivaux. Ah… tiens. En voilà une ! Celle-ci est peu ordinaire, je l’avoue, mais j’espère qu’elle vous plaira !

Cela se passa il y a dix ans ! Non… trente ans ! Non plus… Enfin bref ! Dans le dernier siècle, ça c’est sûr. L’Hiver Eternel était déjà achevé et les différentes créatures qui peuplaient se monde sortaient enfin de leur prudente autarcie et redécouvraient le monde qu’ils avaient laissés à la morsure du froid pendant plus d’un demi-siècle. Avec un bonheur non-dissimulé, les Jambes-D’acier s’étaient remis à parcourir monts et plaines à la recherche de richesses antiques perdues. Celles-ci avaient, pour la grande majorité, été ensevelies sous d’épaisses couches de neige et de glace. Elles avaient donc été malencontreusement altérées par l’Hiver. Cela ne rendait les expéditions que plus dangereuses, et donc, plus intéressantes.

La joie au cœur, notre « jeune » Dwalek était alors parti fouiller une caverne sur un flanc de montagne que la neige avait découvert il y a quelques jours de cela. Le périple fut périlleux, mais une fois sur les lieux, le nain ne put que constater que son cousin Boror avait dit vrai. C’était ce fougueux nain d’à peine un siècle et demi qui lui avait donné le tuyau de cette grotte cachée par les pins des montagnes. Dwalek n’avait pas pris la peine de le questionner quant à ses sources, trop empressé qu’il était. En effet, le cousin Boror racontait que dans les sombres boyaux de la caverne était enfermée, bien à l’abri dans une chambre funéraire, le tombeau d’un ancien héros nain connu sous le nom de Dolgöm l’Eradicateur.

Pourquoi ce titre, me direz-vous ? Et bien il lui fut donné par les habitants de la région alors que, quelques siècles plus tôt, il était parvenu à mettre en déroute une population de gobelins particulièrement belliqueuse qui ne cessait de tourmenter les pauvres badauds. Dolgöm, alors paysan, décida avec un groupe de guerriers forts et expérimentés d’aller trouver la cachette de ces petites crapules et de les en déloger à grands coups de masse. D’ailleurs, l’arme utilisée par ce véritable héros était, selon la légende, l’un des nombreux trésors que contenait cette sombre grotte. Comme l’avait souhaité le nain, on l’enterra à l’intérieur même de la demeure des gobelins après que ceux-ci se soient enfuis. On y trouverait donc, parait-il, l’arme et l’armure qu’il portait lors de son acte héroïque, ainsi qu’une gravure alors commandée par les héritiers du nain pour orner sa sépulture et qui représente la bataille entre les hommes de Dolgöm et les gobelins.

Aussitôt après que son cousin eut fini de raconter cet incroyable récit, Dwalek s’était mis en route au plus vite vers l’est et cette caverne. Il traversa une profonde vallée et monta quelques cols avant de finalement arriver devant l’imposante entrée de la grotte. Celle-ci était encadrée de deux statues identiques représentant, avec plus ou moins de réalisme, le héros nain qui reposait ici. Le sourire aux lèvres, Dwalek pénétra alors dans la sombre caverne, en ayant pris soin de s’équiper d’une torche.

Les parois de la grotte ne portaient aucune trace d’activités humaines, ce qui était étrange, seules demeuraient les anciennes traces de suie sur le plafond, prouvant que quelques personnes avaient déjà utilisés cette caverne pour s’abriter et y avaient déjà allumés un feu. Mais comme dit plus tôt, ces restes étaient anciens et cela devait faire bien longtemps que plus personne, d’humain en tout cas, n’avait foulé le sol glissant de l’obscur tombeau.

Avec prudence, le nain s’aventura plus profondément dans les boyaux de la grotte. Tâtant le sol du pied pour assurer son avancée sans risquer une chute malencontreuse. La lueur de sa torche rudimentaire luisait sur l’humidité du sol et elle projetait les ombres immenses des rares excroissances rocailleuses rencontrées sur le chemin, assurant ainsi à Dwalek de ne pas se fracasser les rotules sur quelques cailloux. Il progressa aussi rapidement que faire se peut, et bientôt il déboucha, non sans joie, sur une antichambre creusée à même la roche. Celle-ci ne comportait aucun aménagement autre que des supports à torche creusés, eux aussi, dans la paroi de grès. Une unique, et massive, porte au fond de la salle permettait de rassurer les aventuriers quant à la présence d’autres pièces dans la caverne. Dwalek aurait certainement accueilli cette nouvelle avec bonheur et détermination, résolu à fracasser cet obstacle avec son crâne s’il le fallait. Malheureusement, aucun obstacle ne serait l’inquiéter autant que lorsqu’il avait déjà été franchi. En effet, la lourde porte de pierre était entrebâillée, juste assez pour laisser passer une frêle silhouette humaine. Un très léger rai de lumière passait par l’ouverture et venait épouser les contours d’une corne de bouc au sol, laissée là par les éventuels précédents maraudeurs qui avaient profités d’une petite pause dans leur exploration pour étancher leur soif.

Cependant, la taille de cette construction laissait aisément deviner son poids. Hors, quelques brigands n’auraient jamais réussis à ouvrir pareil bloc sans avoir recours à un équipement adapté. Hors donc, la personne qui avait réussi à ouvrir l’accès au tombeau du héros nain devait avoir une force titanesque. Une idée germa alors dans l’esprit de Dwalek. Une idée terrifiante, énervante, une idée saugrenue, presque improbable, mais en même temps si délicieusement crédible. Sans plus de cérémonie, Dwalek se précipita à l’intérieur de la crypte en courant aussi vite qu’il le pouvait. Il dépassait statuettes, fresques et autres décorations installées ici en l’honneur de Dölgom pour déboucher en quelques minutes à peine sur la fameuse chambre funéraire. Pas le temps de s’attarder sur les obélisques, les tentures si anciennes qu’il n’en subsistait presque plus rien, le chemin dallé conduisant directement à la tombe du guerrier. Le sarcophage magnifiquement plaqué d’or et de bronze était gravé d’une épitaphe en langue naine, malheureusement impossible à lire pour Dwalek qui se trouvait trop loin de là.

Ce détail, de surcroît, n’était guère important pour notre semi-homme. Oui car, devant le sarcophage de granit qui trônait au centre de la pièce. Au milieu des richesses qui ornaient celui-ci, vaisselle en métal précieux, monnaies sonnantes et trébuchantes, armes ornementales gravées de symboles cabalistiques et incrustées de divers pierres… Au milieu de tout ça, penché devant l’épitaphe énigmatique de la tombe, se dessinait une silhouette fine et élancée. Sa tignasse, semblable à des braises ardentes reflétées par l’éclat de sa torche, dansait imperceptiblement dans l’air. Se baladant au gré de la très légère brise qui parvenait de l’extérieur par quelques minuscules trous d’air invisibles. Enveloppée par la poussière qu’elle soulevait par ses mouvements, la peau hâlée et le visage radieux, se trouvait la pire créature au monde selon le nain.

- LUUUUUUUUZ !!!

Dwalek n’avait pas pu empêcher ce véritable cri du cœur alors que, déjà, la mine rouge de colère, il s’élançait à une vitesse hallucinante vers sa rivale de toujours. Il n’eut même pas à jeter un regard sur sa hache alors qu’il la dégainait de son dos et qu’il la levait au-dessus de sa tête pour l’abattre sans hésitation sur le dos, encore vouté, de la dragonne à l’apparence humaine. Malheureusement, elle le vit venir à cent mille avec ses hurlements guerriers et sa charge tout aussi raffinée. Elle esquiva promptement l’assaut, laissant la hache de l’aventurier s’écraser sur le tombeau, causant ainsi une profonde rayure dans la pierre pluri-centenaire.

- Tu as abîmé un trésor historique avec tes manières de brutes !!

Ni une ni deux, et sans même pouvoir se défendre, Dwalek se fit propulser par un crochet du gauche d’une puissance effarante pour une silhouette si fine. Il roula quelques instants avant de s’écraser, dos contre une colonnade de pierre. Cela aurait dû calmer les ardeurs du plus vaillant et obstiné des guerriers, mais pas d’un Jambes-D’acier. Sans réfléchir plus que cela, le nain repartit au combat, il récupéra promptement sa hache à côté de lui et fonça de nouveau sur Luz qui, avec un peu plus de mal toutefois, réussi néanmoins à re-éviter l’attaque, au grand damn du nain. Cependant, il parvint néanmoins à toucher la rouquine à la jambe d’un prompt mouvement de sa hache. Seul le plat de la lame avait touché la dite jambe, mais celui-ci étant en métal cela risquait quand même de faire mal. Le coup fit son effet et Luz dû se résoudre à fléchir, ne serait-ce que légèrement, sa jambe blessée. Dwalek saisit l’occasion et arma son bras pour porter le coup final. Aujourd’hui, il aurait la tête de cette dragonne prétentieuse !

« Ah non !! Elle est à moi !! » Ce véritable cri du cœur qui résonna dans toute la chambre funéraire dans un écho sourd accompagnait une énième charge du nain. Mais contre qui ? Pourquoi ? Le tranchant de sa hache fit des ravages parmi un groupe de créatures juste derrière. Leurs désagréables petits cris se brisaient au fur et à mesure que l’arme tournoyait au milieu du groupe. La dragonne pouvait maintenant apercevoir les assaillants, ou plutôt entendre le nain jurer mille et une fois sur leur espèce primitive.

- Saletés de pantins verts ! Retournez manger les restes de vos parents et forniquer avec votre sœur au fond de vos grottes !!

Les cadavres des gobelins commençaient à recouvrir le sol de la caverne alors que d’autres rappliquaient encore de l’entrée précédemment ouverte par la dragonne. L’un d’eux, habillé de peaux étranges et coiffé d’un crâne d’élan, se mit à vociférer des ordres dans son horrible langue maternelle. Luz, à l’instar de Dwalek, comprenait ce qui se tramait et c’est alors qu’elle entra en même temps que lui dans une colère noire.

- Vous comptez détruire cette tombe ?! Mais c’est un trésor inestimable !

- Je me chargerai de l’estimer quand on en aura fini avec eux ! Aller dragonne, rends-toi utile pour une fois, et dégomme ces sales rats !!

Sans se faire prier, la demoiselle fila l’aider avec les armes qu’elle avait ou qu’elle trouvait sur les cadavres tombés. Le nain, lui, continuait de moissonner les êtres verts avec sa hache. Il était recouvert d’un liquide épais et puant de la tête au pied. Il eut une légère pensée pour sa barbe, qui l’énerverait tellement au moment où il devrait la nettoyer.

Au bout de longues minutes, il ne restait plus un seul gobelin vivant. Le « chef » de ces êtres immondes reposait contre une paroi de la chambre. Celle-ci, d’ailleurs, avait été abondamment arrosée du sang vert et visqueux de ces derniers. Tandis que le nain reprenait bruyamment son souffle, lui et sa compagne improvisée purent constater que les dégâts étaient négligeables. La nature ferait son office et sécherait le sang qui s’étalait çà et là en tâches éparses et les cadavres n’étaient pas vraiment gênants, étant donné qu’on se trouvait dans une crypte. Une fois qu’il parvenait de nouveau à articuler une phrase, Dwalek remercia fugacement et fort doucement la dragonne de l’avoir aidée contre les agresseurs.

- Merci, tas d’écailles, je savais que tu laisserais pas ces chiens manger un trésor pareil ! Hahaha ! Maintenant si tu permets, je vais en prendre une petite part pour…

Le pauvre n’eut guère le temps de finir sa phrase. Le puissant poing de la dragonne s’abattit promptement sur le crâne, non casqué, de Dwalek. L’obscurité assombrit ses yeux instantanément et ses petites jambes chancelèrent. Il s’écroula alors, inerte, sur le sol couvert du sang verdâtre des gobelins.

Lorsque la lumière parvint à nouveau aux yeux lourds du nain, celui-ci tressauta avant de finalement les ouvrir. Il les referma immédiatement toutefois, éblouit par la puissante lumière solaire. Mais attendez… la lumière du soleil ? Dwalek se résolu finalement à plisser les yeux pour regarder du coin de l’œil ce qu’il y avait autour de lui. De la neige lui servait de matelas, froide et humide, elle électrisait son corps de mille picotements. Une sensation désagréable qu’il eut tôt fait de faire disparaître en levant rapidement la tête de cette horrible matière. Il se sentait déjà un peu mieux et pouvait désormais constater qu’il… et bien qu’il se trouvait au milieu de nulle part. Enfin, pas dans un endroit qu’il connaissait. Il se trouvait sur une pierre plate, qui dépassait légèrement du flanc de la montagne sur laquelle il se trouvait. Il y avait une multitude d’arbres en contrebas mais les alentours immédiats étaient vierges de toute végétation. Complètement perdu, autant psychiquement que physiquement, Dwalek tenta de se remémorer avec peine les évènements qui précédèrent son « sommeil ». Au début, c’était une entreprise compliquée, mais à force d’effort il remit bientôt la main sur un visage familier. Pas besoin d’en voir beaucoup plus que sa tignasse écarlate pour comprendre de qui il s’agissait. Il ne fallut que quelques instants de plus, à partir de là, au nain pour réussir à rétablir le fil des évènements et à retrouver la coupable de son coma.

- LUUUUUUUUUUUUUUUUUUZ !!!

Décidemment, malgré la haine qui habitait cet homme et qui était entièrement aimantée à cette demoiselle, Dwalek n’avait jamais hurlé le nom d’une autre personne. Une ironie amusante mais qu’il faut éviter de souligner en sa présence, je le crains. Hors donc, ce hurlement puissant précéda une sorte de résignation. Le nain, finalement, retomba dans la neige et ne bougea plus pendant un long moment. Trop déçu d’avoir, encore, perdu face à cet immonde tas d’écailles. Elle l’avait peut-être aidé, mais cela n’effaçait en rien la trahison immonde et immédiate qui suivit la bataille. C’était d’ailleurs fort dommage.