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 Réunion au sommet

 
Réunion au sommet Sand-g10Jeu 16 Avr - 18:43
La réunion était supposée débuter en début d’après-midi, mais la totalité des officiers conviés étaient arrivés juste après le déjeuner, plusieurs heures en avance. Cela était prévisible, aucun n’osant prendre le risque d’arriver à une réunion stratégique. Même pour des rencontres moins importantes, il était de coutume de venir bien en avance, en signe de politesse et de sérieux. Il s’agissait là d’une des nouvelles traditions qui étaient apparus avec l’Empire, et que Golias considérait comme bénéfique pour l’ensemble des habitants.

Ce jour-ci, l’intégralité des officiers militaires de la garnison de Sen’tsura avaient été convoqué dans la Salle Stratégique du palais impérial. L’ordre du jour était pour le moins vague : Il fallait discuter du problème des Adorateurs de Nayris. Chacun pouvait le comprendre à sa façon, et pour prouver sa dévotion, chaque lieutenant avait organisé dans sa juridiction une véritable chasse aux sorcières pour débusquer des « Adorateurs ». Plusieurs bûchers et exécutions sommaires avaient eu, pour faire bonne mesure, et les rares véritables sympathisants avaient été confiés à l’Inquisition nouvellement formée, pour interrogatoire.

Thaddeus Golias, le capitaine en charge de toute la cité de Sen’tsura, arriva le premier dans la Salle Stratégique. Il déposa quelques documents devant les chaises de chacun des invités, puis pris place sur l’un des bouts de la longue table rectangulaire. Petit à petit, les officiers arrivèrent, saluant formellement Golias avant de venir lui serrer la main. Un seul des invités ne prit pas la peine de saluer Thaddeus, se contentant de lui adresser un signe de la tête ponctué d’un « Capitaine. », signe qui lui fut rendu par l’officier impérial. Pas décontenancé le moins du monde, Golias lui offrit un léger sourire.

- Monsieur Armel. Je me doutais que vous viendriez. C’est toujours un honneur et un plaisir de collaborer avec nos amis Conquérants.

Techniquement, Thaddeus Golias était le capitaine de toutes les forces impériales de la capitale. Dans les faits, cependant, et comme cela est courant dans l’Empire, les choses ne sont pas telles qu’elles semblent l’être. Si les forces régulières étaient effectivement sous son commandement, les troupes d’élite des Conquérants n’étaient sous le contrôle que de l’Aile Ténébreuse.

Certes, les forces spéciales de l’Empire collaboraient avec l’armée, aussi souvent que possible. Mais le capitaine Golias ne pouvait que leur « suggérer des conseils quant aux actions à entreprendre », et non utiliser son autorité pour les déployer comme n’importe quelle unité. En sommes, le conquérant Gautier Armel était le seul présent dans la salle à ne pas être le subalterne de Golias. Qui plus est, ce qu’il voyait et entendait pouvait remonter directement jusqu’aux oreilles de l’Empereur, aussi fallait-il jouer prudemment.

Le reste des hommes –et les deux femmes- composant le corps des officiers de Sen’tsura arriva ensuite petit à petit. Il y avait là les trois lieutenants de la Garde Impériale, dans leur armure intégrale aux longues capes bleutées. Karla Goodwill, la lieutenante du 2e bataillon de la Garde, était parfaitement méconnaissable sous son armure. La splendide femme pouvait être méconnue pour un homme, de près comme de loin, et sa voix androgyne n’était pas là pour aider son interlocuteur.

Venaient ensuite les quatre lieutenants des bataillons de Lanciers. Des soldats admirables, ayant tous servis l’Empire avec dévotion. Romain Maret, le lieutenant du premier bataillon de Lanciers, l’avait d’ailleurs servi un peu trop longtemps, à en juger les traits fatigués et les rides qui constellaient son visage sévère. Sarah Nordheimer, la lieutenante du second de Lanciers, retira son casque sitôt entrée dans la salle pour laisser jaillir sa longue chevelure blonde rayonnante.

Enfin, un individu d’une vingtaine d’années entra juste à l’heure, sans prendre la peine de s’excuser alors que le reste des convives était là depuis longtemps. D’un geste de la main, il salua l’assemblée, bien qu’il ne put s’empêcher de déglutir en remarqua la présence de Gautier Armel, dans son armure noire et au casque cornu. Nul humain ne pouvait jamais être vraiment à l’aise en présence d’un démon.

- Juste à l’heure, comme toujours, sergent Nolanne. Je vous en prie, prenez place.

Le sergent Valiant Nolanne, bien que toute récente recrue dans l’armée impériale, était à la tête d’une petite division de gardiens de la paix : La Milice Civile. Formée peu après la bataille de Sen’tsura, elle avait pour but d’assurer le maintien de l’ordre dans les rues de la capitale après les lourdes pertes subies par l’armée impériale. Ses hommes étaient peu entraînés, peu équipés et pas vraiment motivés, et en nombre insuffisants, mais au moins ils assuraient une présence officielle dans les rues de la cité.

- Messieurs, mesdames, commença le capitaine Golias, cette réunion a été organisée voulue par l’Empereur lui-même. Notre bien-aimé souverain se préoccupe de la menace grandissante des Adorateurs de Nayris, et des souffrances qu’ils pourraient infliger sur le peuple de son glorieux Empire.

Chacun hocha la tête en silence. Une réunion avec tout le gratin de la ville, y compris le représentant des Conquérants, ne pouvait qu’avoir été organisée par le haut-commandement impérial. Le fait qu’Azraël lui-même en soit à l’origine n’était qu’une demi-révélation, mais l’information était là : L’Empereur voulait que des solutions soit trouvées pour maintenir la sécurité à Sen’tsura. Et rapidement.

A tour de rôle chacun exposa son sentiment et son point de vue sur la situation dans la ville. Le constat était le même partout : Manque d’effectifs criant, et absence d’ennemi désigné rendait pénible et difficile la lutte contre les partisans de Nayris. La traque était plus difficile que face aux Rebelles. S’il existait des moyens de déceler la graine de la Rébellion chez un individu (désir de liberté, contestation des répressions impériales, volonté de faire cesser l’expansionnisme d’Aile-Ténébreuse) ; Cela devenait bien plus complexe pour prouver les tendances nécromantiques d’un Adorateur.

Jusqu’à preuve du contraire, tous ceux vénérant Nayris, qu’il s’agisse de véritables Adorateurs organisés, de nécromants renégats, ou même de simples partisans ayant apprécié le message de la Déesse, tous étaient en apparence de parfaits petits citoyens impériaux. Ils payaient leurs impôts, n’hésitaient pas à dénoncer leurs voisins rebelles ou sceptiques de l’Empire, et pouvaient même obtenir des postes haut placés. Il se murmurait même que des nobles cachaient au fond de leur cœur un amour pour Nayris presque impossible à révéler.

Et pourtant, le moment venu, ils n’hésiteraient pas à frapper l’Empire. Que ce soit en répandant le Maléfice, en offrant leurs troupes aux Adorateurs, ou tout simplement en sabotant petit à petit les forces vives de l’Empire. La diffusion d’idées insidieuses était leur arme la plus redoutable, et comment lutter contre elle ? Fallait-il faire emprisonner et torturer tous ceux qui, à la perte d’un proche, se laissaient aller à des pensées dangereuses sur ce qu’un culte à Nayris pourrait leur apporter ? Fallait-il exécuter tous ceux qui refusaient de se convertir à Zelphos ?

Evidemment, il y en avait dans l’Empire qui était partisan de solutions radicales de ce genre. Gautier Armel, le Conquérant, faisait assurément parti de ceux-là, et il n’hésita pas à le faire savoir lorsque vint son tour de prendre la parole. Cependant, Thaddeus était un homme pragmatique, et il savait qu’une répression massive de ce genre ne pourrait que faire perdre du poids à l’autorité impériale. Au mieux, ils raviveraient la flamme de la Rébellion. Au pire, ils plongeraient l’Empire dans le chaos et la guerre civile.

Théobalth Scoville, lieutenant du 3e de Lanciers, était un partisan de la ligne dure de l’Empire. Sa dévotion à l’Aile-Ténébreuse était vibrante, et son culte à Zelphos entier. Et pour lui, le véritable combat ne devait pas se dérouler à Sen’tsura, mais en Adhès. Une invasion impériale de grande envergure, en collaboration avec la flotte des pirates et –pourquoi pas- les Montagnes, pour mettre fin à la menace des Adorateurs.

- L’idée est plaisante, lieutenant Scoville, mais elle nous laisserait vulnérable. Qui protégera Sen’tsura, si nous déployons la garde impériale et l’armée des Plaines Mystiques pour envahir l’Adhès ? Qui sera là pour arrêter les Glaces, ou empêcher les Montagnes de conquérir du territoire en notre absence ? Et quid des menaces qui surgissent chaque mois dans un coin ou l’autre de notre Empire ? Laissons ces projets de guerre à notre Empereur, et contentons-nous de discuter de ce que nous pouvons faire ici.

Plusieurs lieutenants désapprouvèrent, notamment ceux de la Garde Impériale. Ils se considéraient comme le bras armé de l’Empereur, au même titre que les Conquérants, et désiraient porter le combat chez l’ennemi. Il fallut l’intervention de Gautier Armel pour bien leur faire comprendre que non, quand bien même ils parviendraient à convaincre Golias, il n’y aurait pas d’offensive vers l’Adhès sans l’approbation directe de l’Empereur. Ayant pris le pouls de ses hommes, et leur état d’esprit, Thaddeus tâcha de recadrer la discussion.

- Les Adorateurs nous posent trois types de menaces. Il nous faut préparer une riposte pour chacune des trois. La première est d’ordre purement militaire : Une invasion d’hommes-creux, d’Adorateurs, et autres créatures maléfiques.

Un petit rire contenu parvint de la droite de Thaddeus. Sous son casque, le lieutenant Konstantin Cosme du 3e bataillon de la Garde ne pouvait contenir son hilarité à cette pensée. Les Adorateurs étaient un culte, pas une armée. Certes, ils pouvaient faire appel à des hommes-creux, mais le gros de leur forces avaient été –d’après les rapports- éliminés dans les terres infectées. Pour retourner sur le continent, il leur faudrait passer la flotte impériale, ce qui n’était pas une mince affaire. Surtout depuis que l’amiral Kerns avait pris le commandement. En bref, l’option ne lui paraissait pas envisageable.

- Nous sommes ici pour parer à toute éventualité, y compris à celle que les Adorateurs viennent assiéger le palais impérial à dos de dragons mercenaires cracheurs d’éclairs, est-ce compris ? Le plus probable reste qu’il pénètre la cité dans les cales de navires commerciaux, ou en faisant remonter le fond du fleuve à leurs créatures non-mortes.

Plusieurs sourcils se levèrent. Peu nombreux étaient ceux à avoir envisagé cela. Effectivement, même si le courant était fort, il était imaginable qu’une armée d’hommes-creux remontent le fleuve, sans être détectés, et ce jusqu’au cœur de la cité. La garnison serait dès lors prise de court, et le chaos causerait la mort de bien des citoyens impériaux. Le lieutenant Romain Maret se mordit la lèvre de rage de n’y avoir pensé plus tôt.

- J’ai déjà pris la liberté de demander à nos amis de l’Eau d’effectuer des patrouilles permanentes le long du fleuve. Ils seront basés sur l’Eternel Ressac, le navire du Capitaine de Vaisseau Denis Villière. Quelques escouades de Lanciers seront aussi en garnison sur le Ressac, afin de soutenir nos amis de la Flotte. Des objections ?

Aucun des lieutenants des Lanciers ne s’y opposa, et le Conquérant Armel acquiesça de la tête. La solution était adaptée : Ni démesurée, ni insignifiante. L’Eternel Ressac pourrait intercepter des espions remontant le fleuve, et stopper des escouades de la mort venus semer le chaos. En cas d’attaque massive, il serait rapidement submergé et détruit, mais pourrait au moins donner l’alerte à la cité, leur laissant le temps de se préparer. Thaddeus Golias n’avait décidément pas volé son poste de capitaine.

C’est le lieutenant Barthélémy Dumartel, du Premier Bataillon de la Garde Impériale qui prit la parole. Il exposa que si la menace du fleuve était bien la seule véritablement militaire –bien que peu probable-, le vrai risque avec les Adorateurs était celle de l’attentat. Un assassin en liberté dans la ville, ciblant tous les dignitaires qu’il croise. Une meute de créatures nécromantiques lâchées dans la ville. Une escouade de sanguinaires utilisant des drogues de combat pour s’assoiffer de sangs. Là était le véritable danger : Une guerre psychologique pour démoraliser la population.

- Remarque pertinente, lieutenant Dumartel, comme à votre habitude. Je pense que nous conviendrons tous que ce genre de travail reviendrait davantage à la Milice Civile, mais bien entendu, nous déploierons toutes les forces nécessaires en cas de lâche attaque sur le peuple ou les instances dirigeantes de la ville. J’ai bien entendu vos remarques à tous, et je sais que nos effectifs ne nous permettent pas de nous patrouiller comme nous le souhaiterions. Si toutefois un incident venait à se produire, nous pourrions réclamer des renforts supplémentaires, et nous servir de l’attaque comme prétexte pour renforcer le contrôle de la population.

Thaddeus ne pouvait rien déceler sous le casque de Gautier Armel, mais il pouvait aisément imaginer un sourire se dessiner sur les lèvres du démon. Après tout, si les humains ne s’enchantaient guère du renforcement des mesures –déjà drastiques- de sécurité, les Conquérants ne pouvaient que l’apprécier. Ils avaient déjà énormément de pouvoir, et à n’en pas douter, la prochaine étape serait de pouvoir –sans avoir à se justifier de quiconque- pouvoir embarquer n’importe quel citoyen impérial pour interrogation et exécution. Tant que sa propre famille restait « hors-jeu » pour les forces spéciales impériales, le capitaine Golias n’avait pas grand-chose à redire. Ces pertes humaines étaient acceptables pour maintenir le troupeau qu’était l’humanité dans les rangs. Un chien de berger doit mordre de temps en temps pour se faire respecter.

C’était à peu près tous les risques, aux yeux de chacun. Après tout, le reste des Plaines Mystiques n’était pas sous leur autorité, et ils n’auraient pas à s’y déployer. Leur priorité était la sécurité de Sen’tsura, et que pouvaient-ils faire d’autre pour l’assurer ? Il y avait malgré tout un dernier point que Golias souhaita aborder, une ultime « menace », et à ses yeux la plus sérieuse. Excès de zèle, volonté de plaire à l’Aile, ou réel soucis ? Toujours était-il qu’il lança le sujet.

- Nous devons parler du Maléfice.

Pourtant, la situation semblait contenue. Les Terres Infectées perdraient bientôt ce nom, on murmurait que les composants du remède étaient trouvés, et de toute façon, il fallait la complicité des dirigeants (comme pour les Terres Infectées) pour vraiment risquer une épidémie. Alors pourquoi prendre la peine d’en parler, et de risquer de compromettre le commerce avec un renforcement des contrôles ?

- Il nous faut envisager que les disciples de la Déesse maudite aient pu fabriquer une nouvelle souche de ce Maléfice. Plus aisé à diffuser, plus rapide à faire effet, plus meurtrier encore. Imaginons qu’il ne se répande plus par la nourriture et la boisson, mais par l’air ? Comme le pollen aux floraisons. Que ferions-nous ?

La scène décrite par le capitaine était proprement monstrueuse. Un tel type de sortilège décimerait l’intégralité de la population de Terre en l’espace de quelques semaines. Il faudrait alors l’intervention des mages, des prêtres de Zelphos et des héros de l’Empire pour y mettre un terme. Sarah Nordheimer secoua la tête de droite à gauche pour effacer ses pensées de son esprit.

- Admettons, plus raisonnable, qu’il se répande comme la lycanthropie ou le vampirisme, par morsure en l’espace de quelques minutes. Si l’infection débute dans un quartier populaire, dans le pire des cas par plusieurs injections volontaires simultanées, nous serions rapidement débordés. Ce ne sont pas nos deux mille hommes et demi qui feraient effet. D’après mes estimations, nous perdrions tout espoir de victoire avec l’infection d’à peine huit à douze pourcents de la cité.

Plusieurs lieutenants intervinrent à tour de rôle, proposant diverses solutions. Par exemple, le renforcement des patrouilles, pour contenir l’infection au plus vite. Ou l’augmentation du nombre de soldats en « réaction rapide », prêts à être déployés de leur garnison en moins de vingt minutes, restant avec leur armure à longueur de journée (travail épuisant s’il en est). Mais, comme toujours, le manque d’effectif revint sur la table avec la régularité d’un métronome. Le lieutenant Ranier Jubinville, dirigeant l’Infanterie Chevalière de la ville et véritable montagne de muscles, demanda l’avis du brillant Golias sur le sujet.

- Nous aviserons sur le moment selon la dangerosité de l’épidémie, mais nous devons nous préparer au pire : A fermer toutes les portes intérieures et extérieures de la ville, et à purger les quartiers infectés par le feu rédempteur.

Folie. Plusieurs lieutenants protestèrent, arguant que la mesure était bien trop violente. Même le plus petit quartier de Sen’tsura comportait plusieurs dizaines de milliers de civils, et le plan de Thaddeus Golias leur assurait une mort certaine. Le capitaine, devant ces remous, jeta un coup d’œil au Conquérant. Celui-ci hocha de la tête, signe que les forces spéciales, et par extension l’Aile, soutenaient son plan. C’était tout ce qui importait. Le reste des hommes présents étaient sous ses ordres directs. Golias tenta néanmoins de leur exposer sa vision.

- Ce ne sera pas une réponse automatique. Si nous pouvons contenir l’infection, nous le ferons. Mais si nous comprenons rapidement qu’il nous sera impossible de l’enrayer, alors nous devons avoir tout de prêt lorsque l’ordre viendra de sceller les quartiers infectés. Autrement, nous perdrons Sen’tsura, qui deviendra comme ces villes des Terres Infectées. Si l’intégralité du peuple de la capitale est transformée en monstruosité mort-vivante, ce sera la fin de l’Empire.

L’homme n’eut pas besoin d’expliquer plus en avant ce dernier point. Effectivement, si la capitale était perdue, il serait presque impossible de purger un quart de million de zombies dans une ville fortifiée. Le palais impérial serait certainement scellé, avec la Garde Impériale à l’intérieur, et Aile-Ténébreuse aurait probablement à fuir la ville. Cette débâcle pousserai de nombreux nobles à faire sécession, pour rejoindre la Rébellion, les Glaces, ou simplement pour retrouver leur autonomie et commencer à se fortifier en cas d’infection sur leurs propres terres. Il y en aurait même qui pourraient se tourner vers Nayris pour se protéger. Les Terres plongeraient dans l’anarchie, et les Adorateurs auraient le champ libre pour commencer leur destruction du monde et de toute forme de civilisation.

- Certes, la mort de dizaines de milliers d’innocents serait une tragédie, mais pensez un instant aux conséquences si nous ne mettons PAS mon plan en exécution. L’anarchie, la guerre civile, la fin du monde, voilà ce qui nous attend si nous ne nous préparons pas à répondre efficacement à une menace aussi sérieuse que le Maléfice. Il reste la meilleure arme de nos ennemis, et je ne pense pas qu’ils resteront les bras croisés sans l’améliorer. En attendant que notre Glorieux Empereur décide de se lancer à l’assaut de l’Adhès, il nous faut nous préparer à sauver l’Empire. Ne coupe-t-on pas la main gangrénée pour sauver la vie du malade ?

Tous les officiers opinèrent, certains en soufflant ou en poussant un râle. De telles éventualités n’étaient pas plaisantes à concevoir, mais il était de leur devoir de se préparer. Et Golias avait préparé des mesures admirables, dans sa plus pure tradition de pragmatisme utilitaire. Il ne leur restait plus qu’à prier pour qu’ils n’en arrivent jamais là.

Gautier Armel fut le premier à partir, après avoir serré la main du capitaine Golias. C’était un acte rare de sa part, signe que le Conquérant avait été satisfait de ce qu’il avait entendu à cette réunion. Thaddeus cru même entendre un « bon boulot l’humain » être soufflé sous le casque du démon, mais il ne parvint pas à en être entièrement sûr. Peut-être l’avait-il juste rêvé.

Après la réunion, chaque officier quitta le palais impérial, certains discutant entre eux. Thaddeus descendit les immenses escaliers du palais en compagnie des lieutenants Dumartel, Maret et Jubinville. Comme pour se changer les idées, ils ne parlèrent que quelques minutes des détails de l’implantation de ces mesures, avant de discuter de tous les progrès que faisait l’Empire sur tous les fronts. La victoire sur les Rebelles, bien que datant de plusieurs mois, restait encore dans les mémoires de tous.

Ils se séparèrent à l’entrée du palais. Golias resta une minute là, à observer les passants, le ciel bleu, et les spectaculaires jeux de lumière provoqués par les reflets du soleil sur les parois minérales des bâtiments de la ville. Sen’tsura était une œuvre d’art, et ce jeu de couleur et de lumière perpétuel ne cessait d’émerveiller le capitaine. Il lui faudrait probablement mille ans pour s’en lasser. D’ailleurs, avait-il existé un elfe ayant vécu assez longtemps pour se blaser de Sen’tsura ? Cela méritait recherche.

Golias fut sorti de sa rêve par un « capt’aine ! » provenant de son dos. Il s’agissait du sergent Nolanne, de la Milice Civile. Il dépassait à peine les vingt ans, mais ses longs cheveux hirsutes, sa barbe mal taillée et quelques cicatrices au visage le vieillissaient considérablement. A coup sûr, et contrairement à la plupart des hommes de son unité, Valiant Nolanne n’était pas une bleusaille (nom donné aux recrues impériales, avant de connaître leur baptême du feu, pouvoir colorer ses équipements en bleu marine –couleur impériale- et devenir un Bleu à part entière).

- J’voulais juste vous dire, cap’taine… Vos mesures sont bien, et tout. Mais… Ça fait longtemps qu’cette ville existe, vous le savez mieux que moi. Très longtemps. J’veux juste dire… Tâchez de pas entrer dans l’histoire comme le mec responsable de la cité le jour où elle a été détruite, d’accord ? J’compte devenir mercenaire, ça ferait tâche si je disais que mon ancien officier supérieur a ordonné l’massacre de j’sais-pas-combien d’civils. D’ac ?

Sans attendre de réponse, le sergent repartit au trot vers la garnison de la Milice Civile. Golias resta encore là plusieurs minutes, réfléchissant encore à ce qu’il aurait pu répondre à ce jeune impertinent. Et si c’était lui, qui avait raison ? Non, la menace des Adorateurs était réelle, et il fallait sauver le monde, quitte à en perdre une partie. Oui, mais on se souviendrait de lui comme d’un monstre, et non d’un héros, et l’autorité de l’Empire était en jeu… Certes, mais valait-il mieux que l’Empire soit détruit ?

Se raclant la gorge comme pour faire disparaître ces pensées néfastes, Golias se dirigea à petite foulée vers son appartement, respirant à plein poumon l’air de la ville. Sen’tsura était sa responsabilité, et il ferait tout pour la protéger. Sa famille, sa ville, voilà tout ce qui importait à ses yeux. Mais s’il devait sacrifier une partie de la ville pour protéger l’intégralité de sa famille, alors ce sacrifice méritait d’être fait. Les démons et l’Empire lui avaient déjà tout pris. Il pouvait bien profiter du pouvoir impériale pour se protéger à son tour.

Thaddeus Golias

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