Comme quasiment chaque matinée ensoleillée, il était resté dans l'ombre, dans ses appartements de Duc, évitant les rayons solaires qui le démangeait d'autant plus qu'il s'y exposait. C'était une sensation presque tant insupportable que de se brûler, et il lui était souvent difficile d'expliquer à ses « aux autres » pourquoi il n'aimait guère profiter du soleil, auquel il préférait un temps gris.
C'est dans les environs de midi qu'il s'était rendu aux écuries du châtelet y réceptionner une monture lambda, à laquelle il aurait préféré son fidèle palefroi « Porte-Cendre », mais dont l'apparence des plus funestes imposait à ce dernier la Crypte de Toten en guise d'asile. Avant de quitter la commune, il avait confié l'administratif à l'un de ses lieutenants infiltrés, lui assurant qu'il n'en aurait pas pour longtemps, il devrait être de retour dans les jours qui suivaient.
Puis, il fila vers l'Est à grand galop, sur sa monture de fortune, flanqué d'un disciple à cheval de chaque côté. Les trois cavaliers traversèrent le pays de Saint-Clôs fort de ses champs d'arbres à résine à perte d'horizon, préférant les sentiers ruraux aux routes encombrées de caravanes et de chariots de marchands, exportant leurs richesses et leurs patrimoines vers la commune-mère. Ils s'arrêtèrent dans une ferme au crépuscule du jour, pour y reposer les chevaux et surtout s'y reposer eux-mêmes, prirent un repas copieux accompagné de laits de chèvres, malgré l'insensibilité du Duc aux raffinements, se reposèrent une nuit, puis reprirent leur route à l'aube.
C'est en milieu d'après-midi seulement qu'il parvinrent à l'entrée de la sombre Forêt de Toten, qui dressait ses grands pins mêlés aux rangées de châtaigniers et de chênes. Ils y pénétrèrent et, dorénavant confrontés à une végétation qui envahissait parfois les sentiers et imposait le trot plutôt que le galop, mirent deux bonnes heures à gagner la Crypte de Toten. Là, l'Inquisiteur prit congé de son escorte, s'arrêta un moment troquer sa tunique de Duc pour son habillement plus lugubre qui voilait sa face d'un intrigant masque blanc, et continua seul en direction des montagnes. Il devait rejoindre le fameux Hilaren Sombresang, dont son ami Magrant lui avait dit tant de bien. C'était paraît-il un officier de confiance, parmi les plus dévoués de la cause, qui à la précipitation avait préféré la patience, en prenant le temps de rassembler ses forces pour les mettre au service de la très vénérée : un maître-liche. Er 'tan continua à grand galop en direction du lavoir, les derniers rayons de la lune avaient disparu, cachés par d'épais nuages ; il baignait dans son élément.
Il arriva aux alentours de vingt-deux heures, les lavandières de la nuit avaient déjà entamé leur chants tant ardents que funestes. Il fit halte et accrocha sa monture au lavoir. Les fantômes avaient cessé de chanter, et fixaient l'intrus. Il s'avança vers elles avec des airs de séduction, le torse bombé et l'allure hautaine, puis s'assit au bord du lavoir. Elles émirent quelques rires interdits et vinrent se placer à ses côtés :
« Venez-vous pour nous mon Lord ? » questionna l'une d'entre elle en jouant avec les cheveux de l'Inquisiteur.
« Pas cette fois mes belles, j'ai affaire à plus important.. »
Les demoiselles, excellentes comédiennes, râlèrent pour l'ensemble, certaines éclatèrent même en sanglots trop hyperboliques pour être sincères.
« Un être dont l'âme, m'a t-on dit, est bien plus froide que la glace de la Toundra. Il devrait vous plaire mes chères amies. Laissez moi en faire connaissance moi-même avant de vous le présenter, et d'ailleurs .. le voilà. »