Cela faisait maintenant un an que la petite Malkane, alors âgée de douze ans, inondait sa mère de supplications dans l'espoir qu'elle la laisse l'accompagner à bord de "la vicieuse", mais jamais la bougresse ne daigna lui accorder cette faveur. Pourtant elle se sentait prête, et sa mentore disait d'elle que c'était la meilleure de sa classe et qu'elle était très douée, pourquoi sa mère refusait-elle de reconnaître ses talents ? La piraterie, elle l'avait dans la peau, elle le sentait au plus profond de ses tripes, la mer l'appelait tout entière, elle voulait humer les embruns, danser sur les vagues, et ça la bouffait d'avoir ce sentiment d’incomplétude. Qu'à cela ne tienne, elle allait lui montrer de quoi elle était capable bon gré malgré, dans quelques jours elle aurait treize ans, c'était une femme !
Elle s'éveilla à l'aube alors que les couleurs crépusculaires coloraient sa tentes de pigments pastel, c'était le moment ! Ses petits pieds s'évadèrent de son hamac en silence et elle s'en laissa glisser avec légèretés, félin en cavale. Elle prit la direction de la sortie quand Moki lui tomba sur la tête, criant pour lui souhaiter le bonjour puis roucoulant de plaisir de voir son amie debout. Ses organes s'étaient retournées alors que son cœur se contracta violemment, cessant un instant de battre, la peur passée, Elle abaissa et leva ses petites mains pour lui dire de se taire. Toujours sur son piédestal, il baissa sa tête pour la regarder dans les yeux, roulant sa tête de droite à gauche interrogateur.
"Shhhhhhh Mokiiii ! C'est le jour le plus important de toute ma vie ! Tu vas m'faire prendre nom d'un poulpe à une tentacule !"
Il descendit de son perchoir pour lui faire face, recroquevillé comme un animal mal mené, la tête de biais, ses oreilles de chat en arrière et ses pupilles tellement dilatées qu'on en distinguait à peine le doré. Il tentait clairement de la corrompre le bougre.
Elle croisa les bras, levant un sourcil, l'austérité se lisait sur son visage juvénile.
"Non, y'a pas moyen, tu ne viens pas, c'est trop risqué, je serais pas tranquille en te sachant en danger"
Le chachouan se redressa visiblement vexé, ses pupilles se contractèrent subitement laissant apparaître une mince demi lune noire, de même que ses sourcils tombèrent. Son air se faisait plus menaçant et il ouvrit le bec laissant échapper le début d'un cri particulièrement strident. Elle se rua sur lui pour lui fermer le bec et l'empêcher de donner l'alerte.
"Tu sais comment ça s'appelle tes petites manigances ? Du chantage ! à moi ta mère qui t'ai pratiquement élevé ! Tu devrais avoir honte !"
Il lui jeta un air blasé comme pour lui demander si elle était sérieuse, car c'était lui qui l'avait élever et les chachouans ne font pas des macaques, accompagné d'un petit FrrFffffrRRr insolent. Elle lui adressa un index accusateur mais qui ne l'impressionnait guère aujourd'hui, lui maintenant le bec fermé de son autre main.
"Pas de ça avec moi ! Tu sais très bien que t'as tort ..." Elle balaya l'air de ses mains "Bon, bon, bon, d'accord tu viens !"
Le petit griffon se mit à roucouler en sautillant avant de presque se coucher sur le sol, rabaissant ses oreilles après que Malkane lui jeta un "Shhhhhhh nom d'une moule en bois !"
Ils s'éclipsèrent donc en catimini pour atteindre le port et sa plage alors que que les rayons du soleil commençaient les préliminaires avec le ciel pour l'échauffer de ses caresses. La boucle de sa ceinture dénouée, elle se jeta dans l'eau, le plouf masqué par le bruit des vagues mourant sur les rochers dans un fracas assourdissant. Moki hérissa ses plumes et ses poils rien qu'à l'idée de plonger, l'eau froide ne lui plaisait guère, finalement elle avait l'air de très bien se débrouiller et sa présence n'était pas indispensable. C'est alors qu'elle le saisit par la peau du coup en murmurant.
"T'as voulu venir, alors fais pas ton précieux, amène toi"
Il eut à peine le temps de prendre une mine effrayée qu'elle le tirait dans l'eau, c'était sa petite vengeance. Ils se toisaient, la bouille à demie immergée, statiques, juste ballottés par les remous de la mer, un large sourire se dessinait sur le visage de Malkane, remontant presque au dessus de l'eau alors que Moki lui lançait un regard méchant. C'est alors qu'il lui cracha un mince jet d'eau dans les yeux avant de plonger pour se diriger vers le bateau, vite rattrapé par Malkane et sa queue de requin. Heureusement pour lui, l'heure n'était plus à la plaisanterie car il fallait embarquer en toute discrétion et au plus vite, aussi il planta ses griffes dans le plastron en cuir de la naïade pour pouvoir suivre son allure. Une fois devant l'imposante chaîne de l'encre, elle fit surface et commença sa pénible ascension, Moki lui, s'envola furtivement pour guetter le pont du navire. Si l'accès au pont était très bien gardé, le reste l'était grandement moins, pour ne pas dire laissé à l'abandon. ça arrangeait ses affaires bien qu'elle déplore ce manque de discernement de la part de sa mère, elle lui en toucherait un mot à l'occasion. Une fois grimpée, elle se hâta en direction des écoutilles qui par chance n'étaient pas fermées et s'y faufila, Moki roucoulant sur ses talons.
Cependant, ce que l'amour et la passion de la mer leur avait fait oublier, les ballottements de la cale le rappela à nos deux petits clandestins. Un maléfice bien connu des néophytes s'empara de nos deux petits clandestins, une malédiction plus connue sous le nom de "mal de mer" qui se manifestait par un état nauséeux voir semi comateux. Quelle honte pour une fille de pirate se voulant sans peur et sans reproches ... Cachée dans un petit tonneau de fruits, la petite fille était semblable à une poupée désarticulée, le teint cireux. Elle avait troqué le rose de son visage poupin pour une teinte verdâtre qui ne sciait guère à ses petites joues d’enfant. Sa tête roulait de gauche à droite, bercée par le bâtiment giflé de milles vagues. Les relents de bile se déversaient dans sa bouche et stagnaient dans sa cloison nasale, les sécrétions acides commençaient à ronger son œsophage. Comment était-ce possible d'avoir cette agitée dans la peau alors qu'elle rendait autant malade ... C'était un peu comme vivre son premier chagrin d'amour.
Moki lui, était sur le dos, agonisant, quand son estomac commença à se contracter violemment, sa gorge se serrait dans ce bruit caractéristique du chat dont la boule de poil remontait le tube digestif dans un clapotis viscéral. Malkane l'attrapa par la nuque et se hissa du tonneau pour se réceptionner lourdement sur le plancher, titubant pour trouver la sortie, comme ivre. Les fruits de la cale aussi bons fussent-ils, avaient décidé de se faire la malle et de retrouver leur liberté, aussi, ses petits jambes se mirent à tricoter rapidement. Elle lâcha Moki qui rejoignit bien vite sa tête passée par dessus bord pour rendre son dégueulis à mer nature, ce serait son offrande pour la journée. Un filet de vomissure s'écoulait sur son menton, sa tête restait posée sur la rembarde, ses yeux se posèrent sur ce que son ami à poil et à plume avait régurgité et qui dégoulinait lascivement le long du bâtiment. Elle haussa un sourcil et lui demanda de sa voix malade.
" Je savais bien que les boutons de mes vêtements disparaissaient sans que j'y soit pour quelque chose ... Et où as tu trouvé du poulpe ?"
L'air frais leur redonna un peu de couleur et les odeurs salines soulageaient un peu leur état nauséeux, ils se retournèrent alors pour se figer face à un équipage qui visiblement n'était pas enchanté de les rencontrer sur ce charmant bâtiment. Malkane se laissa glisser pour s'asseoir, espérant se faire oublier mais les yeux interrogateurs et réprobateurs suivaient ses moindres faits et gestes. Moki voulu s'en protéger en se posant sur la tête de sa maîtresse, se cachant derrière ses ailes. Le petit chachouan avait cette curieuse manie, pensant que s'il ne voyait pas les gens, les gens ne pouvaient pas le voir. La petite fille les toisait de son petit regard arrogant, tout du moins elle essayait entre deux remontées acides qui venaient lui déchirer les muqueuses. Elle haussa les épaules, un sourire en coin et de la fierté mal placée suintant de ses pupilles.
"Cette tête que vous faites toutes, vous avez jamais vu une demi déesse ou quoi ?"
Elle tapota les ailes du petit griffon avant de laisser retomber son bras le long de son corps.
"Moki, j't'ai d'jà dit ... Quand tu fais ça, les gens peuvent te voir ..."
Le petit chachouan écarta ses plumes pour toiser l'assemblée et vérifier les dires de sa compagne, les regards mauvais lui arrachèrent un hululement d'effroi et un feulement, il se hâta de se cacher derrière sa maman, enfin il essaya. Son large popotin dépassait largement de son épaule, mais c'était bien essayé.
Un cordage se déroula jusqu'à elle et un bruit de frottement se fit entendre, accompagnant l'arrivée magistrale de sa mère. Elle surgissait de nulle part, comme tombant du ciel telle un ange mais en bien moins jovial. Son visage était impassible et serein, la plénitude ne présageait rien de bon chez sa mère et la froideur de sa voix la confortait dans l'idée qu'elle allait déguster. Les femmes qui composaient l'équipage cessèrent toutes activités pour resserrer le cercle autour des deux passagers clandestins, leurs visages bien moins passibles que celui de Denève.
"Est-ce que je t'ai entendu te moquer de mon équipage ? De tes soeurs ? De celles qui se sacrifie pour t'offrir une vie meilleure ? Fille de déesse ou pas, ça ne te dispense pas d'éducation. Tu te comporte comme une merdeuse alors que tu es prise en faute ... Tu veux qu'on te traite comme une grande alors que tu agis comme une gamine, une sale gamine de surcroît. Nous sommes toutes déçues par ton comportement et nous attendons des excuses de ta part."
Malkane se releva la mine mauvaise car sa fierté mal placée venait d'en prendre un sacré coup, sa voix criarde s'éleva au dessus du vacarme des vagues.
"C'est toi qui avait tort et c'est ton stupide orgueil qui t'empêche d'apprécier la grandeur de mon action" Elle fit un énorme arc de cercle pour désigner l'équipage "Toutes autant que vous êtes, vous vous êtes fait berner par une gamine !"
La voix nasillarde de Marishka la seconde s'éleva alors au dessus de l'assemblée, quelques pirates s'écartèrent pour apprécier le petit bout de femme qui venait de déclencher l'hilarité générale. Le chachouan profita du tohu-bohu pour se cacher derrière les jambes de Denève, tant qu'à être dans un camp, autant être dans celui du plus fort.
"Hey la morue ! T'as encore un peu de grandeur qui coule sur ton menton !"
Le rire de Denève accompagnait celui de ses compagnes de galère et sorti son fouet de son étui, le pointant sur la jeune insolente.
" Dans notre grande bonté nous te laissons une seconde chance de t'excuser. Je me permets d'ajouter que ta présence sur mon navire fais de toi un membre de mon équipage à part entière, un éventuel refus de coopérer serait perçu comme une mutinerie ... Et tu sais pertinemment que c'est puni de coups de fouet "
Malkane s'essuya le restant de vomissures du revers de la main, sa lèvre inférieure commença à trembler sous le coup de la honte. Elle secoua la tête pour se ressaisir et sauta sur la rembarde comme une sauterelle, perdant presque l'équilibre, roulant frénétiquement des bras pour se stabiliser. Elle releva les avant bras pour brandir ses deux majeurs, offrant un majestueux pied de nez à l'assemblée médusée.
"Le génie souvent incompris jamais ne se soumet !"
Elle exécuta un parfait salto arrière histoire de s'échapper dignement en leur faisant une belle nique. Denève ne l'entendait pas de cette oreille et lança la liane en cuir de son fouet qui se referma sur la cheville de Malkane en un claquement sec. La mère tira pour remonter sa fille sous la frénésie de la foule comme un pêcheur mouline pour récupérer sa prise, elle arborait une moue victorieuse. Malkane se balançait au bout de la lanière en cuir la tête en bas, les bras croisés, les joues empourprée et les yeux brillant. Marishka commença à scander le doux pseudonyme de "La morue" en rythmant la cadence à l'aide de son poing qui se levait et s'abaissait, bientôt suivie par l'équipage qui agrémentait le tout de sifflements, d'applaudissements et de ricanements. La capitaine leur adressa une révérence, la main sur sa poitrine puis s'adressa à sa fille, la bouche bien ronde.
"La prochaine fois, ne fais pas ta belle avec des pseudos phrases philosophiques et agis ... Je suis contre les châtiments corporels, à cet instant "T" tu es déjà à deux semaines de berniques, est-ce-que tu veux retenter ta chance pour gagner le gros lot ?"
Malkane lui jetait un regard plein d'affront, les lèvres bien rondes elle aussi, un sourcil relevé, elle murmura un petit pardon à peine audible. Denève fit alors mine de lâcher la corde en la priant de s'exprimer plus fort. La jeune effrontée s'écria alors en protégeant son visage d'une éventuelle chute.
"Paaaaardoooon ! Je m'excuse, je m'excuse ! "
La capitaine serra sa prise sur la liane, cessant le flot de cuir et empêchant toute collision entre sa fille et le sol, la déposant précautionneusement sur le plancher avant de ranger son fouet. Elle siffla gentiment pour sommer à Moki de venir sur son épaule, jusqu'ici il s'en tirait bien, il s'exécuta alors en ronronnant à la rencontre de doigts affectueux. Denève se baissa ensuite pour saisir son enfant par l'avant bras, l'aidant à se relever et l'invitant à la suivre d'un mouvement de tête. Elle frappa dans ses mains pour attirer l'attention de sa mauvaise troupe.
"Mesdames, retournez à vos postes, nous remercierons plus tard notre chère Malkane pour cette journée perdue, je préfère rentrer bredouille que de risquer la vie d'une des nôtre, aussi impertinente soit-elle. Marishka, raccompagne là à ma cabine et soigne son mal."
La mère avait placé trop d'espoirs dans sa fille pour prendre le risque de se la faire enlever alors qu'elle n'était qu'une enfant. Fort heureusement, rentrer les mains vides n'était pas habituel pour cet équipage et les Morisottos ne lui en tiendrait pas rigueur. La seconde glissa ses doigts entre ceux de la petite fille qui semblait disposée à obéir cette fois, cela dit elle en voulait vraiment à cette femme de l'avoir ridiculisée de la sorte.
"T'es vraiment qu'une garce Marishka, tu sais que j'ai ce fichu surnom en horreur ... Pourquoi tu te comporte comme une moule pourrite avec moi ?"
Mariska la secoua un peu, passablement agacée par le manque de remise en question de la fillette et son éternelle arrogance.
"Et toi t'es vraiment qu'une morue, remets toi un peu en question, moi en attendant je te ferais pas d'cadeaux. Est-ce que t'as la moindre idée de ce que nous coûte cette journée où on rentre prématurément et sans rien ? As-tu ne serait-ce qu'une vague idée des risques que tu prends ? Pour rien en plus, juste pour le plaisir de faire la belle alors que tu pourrais crever ? T'es égoïste, t'as fait tout ça pour ton propre intérêt. Lorsque tu agiras pour le groupe, avec une vision d'ensemble, je te respecterais, mais pour le moment c'est toi la méduse puante."
C'était de l'amour vache et puis, même si elle ne le montrait pas, Marishka était inquiète pour sa petite effrontée, parce que malgré tout elle faisait autant partie de la communauté qu'une autre. Si la vie en communauté n'était pas ce qu'il y avait de plus évident, elle lui avait appris à composer avec des personnalités diverses et variées. Elles arrivèrent à l'entrée de la cabine, la clef s’immisça dans la serrure, se retournant paresseusement pour actionner le mécanisme dans un cliquetis sourd. Malkane avait beau bouder, honteuse, elle était contente de se tenir dans la cabine de sa capitaine de mère. Elle allait pour tripoter le compas dormant sur le bureau quand Marishka la souleva par les aisselles pour qu'elle s'asseye sur le mode, tapotant sur les mains de gnomes avant de lever un index menaçant.
"On ne touche à rien ... Au cas où tu ne le saurais pas, c'est un lieu de travail, pas un terrain de jeu pour la princesse Morue ... Je peux t'ajouter une semaine supplémentaire à racler les berniques de la coque si l'envie t'en prend. Je suis bien contente que tu sois malade, la mer t'a puni pour ta bêtise, comme quoi ta seconde mère est juste."
Malkane ricana alors que la seconde sortait un pot très odorant d'un tiroir, qu'on la traite de morue était une chose mais alors qu'on l'insulta de princesse, ça jamais !
"Tu vas me payer cet affront face de poulpe ! En rentrant je te prends à un contre un !"
Marishka s'arrêta pour la regarder étonnée, un sourcil relevé, elle soupira en ouvrant l'écrin, y glissant trois doigts afin de se parer d'une bonne dose de cette mixture verdâtre épaisse. Sa main s'échoua sur le nez de la fillette accompagné d'un petit "oups" ironique, puis étala la pâte sur l'arrête de son nez et juste au dessus de sa bouche. L'odeur acide et salée s'installa dans ses narines, soulageant ses maux malgré l'odeur envahissante. Cependant elle n'eu pas le temps de se poser davantage de questions sur ce médicament étrangement efficace. En effet, le navire se mit à trembler violemment dans un bruit infernal. Marishka voulu protéger Malkane mais tomba à genoux alors que l'enfant fut projeter sur le plancher. La seconde se précipita en titubant pour secourir la fillette, l'attrapa et se cacha avec elle sous le bureau le temps que le navire se calme. Lorqu'il cessa de tanguer, la jeune femme entre-ouvrit la porte pour constater que des pirates avaient investi les lieux, elle la ferma bien vite et tourna la clef avant de revenir secouer Malkane encore sous le choc.
"Woh, il faut se réveiller, ils ... On ... S'est fait canarder, on se fait aborder Malkane, c'est pas une simulation cette fois et ... Ils t'épargneront pas, même si tu es une enfant. Alors dépêche toi et surtout, ne fait rien de stupide"
Elle l'attrapa par le poignet et chercha la trappe secrète qui lui permettrait de mettre la fillette à l'abri, c'était l'essentiel, peu importe ce qu'il lui arrivait à elle. Ses doigts finirent par buter sur l'infime jour qui signalait la présence de la cachette, elle enfonça ses ongles dans le bois laissant quelques échardes s'enfoncer dans se chaire, et souleva le panneau. Malkane qui se laissait manipuler jusqu'alors serra le poing et tenta d'échapper à son entrave en s'affaissant et tirant sur son bras, protestant vivement.
"Marishka, et toi, toi tu te cache où ? Je me cache pas si tu te cache pas !"
La seconde resserra sa prise sur son petit poignet et l'enfourna avec force dans la petite cavité, lui appuyant sur les épaules avant de refermer la trappe, elle se plaça dessus pour l'empêcher d'ouvrir, la forçant à l'écouter.
"Malkane, ce n'est pas un jeu, y'a des choses ... Pour lesquelles t'es loin d'être prête ... Alors que moi je le suis, pour l'amour d'Azuria Mira obéis où je te botte ton petit cul divin, c'compris ?!"
Les cris de l'équipage se mélangeaient à ceux des assaillants tandis qu'ils croisaient le fer, le tintement assourdissant de la ferraille s'élevait maussadement au dessus de ce tohu-bohu. Ce bref moment de silence entre les demoiselles laissait pénétrer les violences sonores et ne laissait présager rien de bon. La petite avait l'air calmé, sans doute choquée par le tableau que dépeignaient les horribles sons qui émanaient du pont, Marishka se hâta de remettre le tapis pour masquer la cachette. La distraction offerte par la fillette un peu plus tôt dans la journée lui avait fait baisser sa garde, grave erreur qu'elle cherchait à réparer en fouillant frénétiquement la cabine afin de trouver une arme. C'était impardonnable de la part d'une seconde et le compas qu'elle brandissait pour se battre exprimait parfaitement son état de détresse. Elle se plaça derrière la porte pour bondir furtivement sur le premier qui parviendrait à faire céder la porte, priant la déesse des mers de la protéger ainsi que sa digne héritière. Un premier coup de hache vint interrompre sa supplique pour laisser s'échapper ses espoirs en un petit cri à demi retenu. elle leva son arme improvisée entre ses mains et vient l'abattre sur la nuque de l'homme qui se faufila dans la pièce après que la serrure s’effondre après un énième coup. La piqûre ne fit qu'attiser la hargne de l'homme qui l'attrapa par les cheveux pour lui cracher son venin visqueux au visage avant de l'envoyer saluer le mobilier. Le bas de ses reins s'écrasa sur la tranche du bureau, un éclair de douleur se diffusa dans son dos, la paralysant toute entière. Son corps désarticulé s'échoua sourdement sur le plancher, comme si la vie ou la volonté l'avait quitté. Ses bras vinrent protéger son visage alors que le pirate s'accroupissait près d'elle après avoir toisé la pièce d'un air interrogateur, son attitude était presque paternelle et sa voix étonnamment gentillette.
"Oh pardonne moi mon petit chaton ... Mais tu m'as fait mal sacriponne ... Bon écoute, j'ai pas de temps à perdre, ni la patience de me répéter, aussi je te poserais une fois la question : Qu'est-ce que tu protège en bonne petite chienne de garde ?"
Les pirates étaient loin d'être des cons lorsqu'ils s'agissaient de trésors et celui ci avait reniflé la pépite avec sa truffe de bâtard mal léché. Cela dit, l'idiot du village aurait suspecté quelques cachotteries dans la situation présente, même sans une once de jugeote. Il faut dire que son allure ne laissait aucun doute quant à son appartenance à la piraterie, et lorsqu'un forban se postait dans la cabine du capitaine, c'était rarement pour se cacher et échapper au combat. Le problème avait beau se tourner et se retourner dans sa tête, aucune solution descente ne semblait se profiler, pas un seul signe de bon augure ne pointait le bout de son nez. Dans tout les cas c'était une issue dramatique au moins pour l'une d'entre elles et il était entendu que la petite ne subirait en aucun cas les foudres de ce fils de chien. Cet homme ne comprendrait rien à ces vaines explications, la fillette se retrouverait alors victime des histoires de grands. Dans le meilleur des scénarios il la tuerait et dans le pire ... Non, elle ne préférait pas songer aux horreurs qu'il ferait subir à une enfant, se concentrant sur son propre malheur. Elle dégagea la moitié de son visage qu'elle redressa en raclant le plancher rugueux, maintenant une certaine protection à l'aide de ses bras, sa voix était sure.
"Je ne vois pas de quoi vous parlez ... Quand vous avez attaqué, j'étudiais la carte"
Le pirate siffla mauvaisement, se redressant en roulant des bras, les doigts crispé et les épaules affaissées par la déception. Sa voix moqueuse s'éleva comme un pied de nez annonciateur du pire alors qu'il dodelinait de la tête.
" Tsss, tsss, tsss ... Mauvaise réponse ... "
Son pied décolla pour s'enfoncer dans ses côtes, secouant son palpitant qui s'arrêta de fonctionner un bref mais douloureux instant, sa cage thoracique s'enfonça pour comprimer ses poumons, coupant sa respiration. Il l'attrapa par le col pour la remonter face à lui et malgré son affliction elle parvint à lui rentrer son genoux dans son ventre, lui arrachant un râle rauque et bestial. Elle profita de l'effet de surprise pour lui administrer un coup à la gorge les doigts serrés, lui coupant momentanément la respiration, mais il 'avait déjà bloqué sur le bureau de sa masse impressionnante. Ses jambes pendouillaient dans le vide et il répliqua de son poing sur sa tempe, l’assommant presque alors qu'il la retournait comme une poupée, s'activant à la libérer de son pantalon. L'étole ne résista pas longtemps et tomba sur ses cuisses, le forban pressait la tête de Marishka contre le bureau de sa poigne ferme et puissante, libérant sa virilité, il se vautra sur elle comme un phoque en rut. Son souffle brûlant et putride lui caressait la joue alors qu'une larme perla sur sa joue, parce qu'être souillée était pire que la mort. Sa voix victorieuse mais cisaillée par l'excitation vint la narguer.
"Je vais te prendre ... Je vais te prendre mais par la petite porte, à sec et avec violence. Tu vas voir, jamais tu n'as ressenti pareille douleur, tu vas parler grosse chienne, parce que tu voudras être délivrée de cette souffrance insoutenable"
Ne rien dire, rester passible, se laisser faire, ne pas l'exciter davantage, ne pas lui donner cette satisfaction, ne pas craquer, sauver la petite. Ces couillons avaient attaqué bien trop près de leurs îlots, ses sœurs avaient forcément entendu les coups de canons retentir et elles allaient venir, trop tard pour elle mais assez pour sauver l'enfance de Malkane. Il fallait tenir malgré l'horreur, le dégoût acide qui allait se déverser dans sa bouche, gagner du temps, ses compagnes allaient venir. Sauf que ... Malkane ne l'entendait pas de cette oreille.
Elle n'était pas sure d'avoir compris l'intention du pirate, ou plutôt ne voulait pas savoir parce que c'était trop effrayant pour ses oreilles d'enfant et la peur l'empêcherait d'agir. Faisant fit de ses craintes, elle poussa la porte de la trappe avec vigueur et se hissa maladroitement, gênée par le tapis dans lequel elle buta. Pour l'entrée spectacle on repassera, mais elle se promit de les travailler à l'avenir avant de se redresser, l'air hautain, comme voulant faire oublier son arrivée laborieuse. Le bruit avait conduit le boucanier à tourner la tête, visiblement surpris de voir ce petit bout de femme pointer le bout de son nez, un sourire se dessinait sur son visage alors qu'il se détachait son corps de son jouet, continuant d'entraver la nuque de Marishka.
"Wéh ! T'peux pas t'attaquer à quelqu'un de ta taille crétin de chien galeux ?"
La seconde força sa tête à se tourner malgré la contrainte exercer par la poigne et le poids de l'homme, éraflant sa peau qui s'émietta, laissant les chaires à vif par endroit, une complainte gutturale s'échappa de sa gorge. Non, elle ne pouvait pas décemment se réjouir de conserver sa virginité toute entière si c'était pour voir la petite idiote se faire torturer à sa place. Malkane croisa les bras, vexée par tant d'ingratitude et d'injustice, sa mine se fit davantage boudeuse lorsque le pirate rigola à gorge déployée. Il sorti une dague de son manteau qu'il fit rouler entre ses doigts pour la presser sur la nuque de la femme, dissuadant quelque acte héroïque. Il se tenait droit maintenant pour ne rien rater du phénomène, amusé il reboutonna son pantalon d'une main.
"Un merci aurait suffit ... " Elle tourna la tête sur l'homme qui ne cessait de rire, l'agaçant passablement "La stupidité des humains n’atteint pas les dieux, prosterne toi devant la fille d'Azuria Mira où meurt pisse de rat hépatique "
Ses mains vinrent se poser sur ses petites hanches encore plate d'enfant, l'enfant ne se démontait pas, l'air maussade et le regardant de haut. Le forban lui lança un cracha épais qui atterri devant ses pieds, un affront pour rabaisser le caquet à cette sale gamine.
"Mmmh, je comprends que tu préfère mourir plutôt que de vivre une minute de plus avec cette énergumène... Eeeh mais oui! Mais j'ai déjà entendu cette histoire à la con ... Comment vous pouvez croire à cette vaste blague ?"
Malkane se figea un instant devant l'impertinence de cet idiot, comment lui pouvait ignorer qui elle était ou tout du moins contester ses origines ? Ses bras tombèrent le long de son corps, les poing serrés, la tête penchée et sa bouche bien ronde en biais, elle haussa un sourcil. Marishka compris ses intentions et secoua vivement sa tête, son regard menaçant accompagnait sa voix rauque.
"Non, non, NON ! T'as d'jà fait assez de conneries ! N'y pense même pas ! "
L'homme fronça les sourcils et regarda la seconde d'un air interrogateur, la pointe froide de sa dague toujours sur la nuque de la femme, se demandant laquelle des deux était la plus folle. Malkane profita de cet instant d'inattention pour sourire à pleines dents, découvrant des rangées de quenottes aiguisées et un visage déformé par la mutation, ses traits enfantins avaient disparus, de même que son iris, la pupille ayant envahie l’œil entier. La petite s'élança furtivement pour bondir sur le boucanier, se réceptionnant de sa mâchoire sur la base de son cou. Un flot de sang se déversa dans sa bouche, le liquide ferreux attisant des bas instincts de prédatrice, sa dentition striée allait et venait, découpant les chairs. L'homme attrapa les cadenettes, tirant violemment pour détacher la petite furie qui lui broyait les tissus, cognant de son poing. Il ramena son couteau, cisaillant le buste de la fillette qui ne broncha pas, son état de fureur amenuisait l'effet de la douleur et elle se déchaîna un peu plus. Marishka réalisa qu'elle n'était plus sous le joug de son assaillant et en profita pour le désarmer, arrêtant l'évolution de la lame qui aller ses planter entre les omoplates de l'enfant. La seconde lui asséna un puissant coup de pied dans les entrailles, le faisant perdre l'équilibre, entraînant le petit démon dans sa chute. Sa mâchoire claqua lorsque le corps du forban vint s'écraser sur le plancher,la jugulaire se rompit projetant un puissant jet sanguinaire. L'âme quittait peu à peu l'enveloppe de l'homme dans un gargouillis infâme, accompagné de spasmes puissants. Malkane lui tenait toujours la gorge comme un lion qui ne lâche sa proie qu'une fois certain qu'elle est décédée, des coups de canons se firent entendre. La cavalerie arrivait ! Les yeux de l'enfant redevinrent humain et elle se détacha du cadavre sanguinolent, un cracha s'échoua entre les yeux du macchabée avant qu'elle ne s'essuie les lèvres du revers de la main.
Marishka retourna la petite fille d'une main pour lui faire face , lui imprimant la marque de ses phalanges sur sa joue de sa main libre dans un bruit sec. La seconde tomba à genoux pour encercler la petite de ses bras bienveillants et la serrer tout contre elle, les larmes roulaient sur son visage. Les cris des renforts parvenaient jusqu'à la cabine, de même que la panique des assaillants devenus en sous effectifs, visiblement ils cherchaient leur capitaine, la porte s'ouvrit alors. Visiblement ils avaient retrouvé mais pas dans l'état escompté, la nouvelle faisait le tour du pont et les mâles s'arrêtèrent de combattre, leur second ordonna alors le repli chamboulé par cette information et parce qu'elles étaient en surnombre. Les doigts de la petite fille massaient sa peau brûlante, les yeux hagards, choquée car elle reprenait conscience. Elle avait vécu cette dernière scène comme à la troisième personne, possédée, ne maîtrisant plus ses actes. Elle se rendait seulement compte de ce qu'elle avait fait et de l'envergure son potentiel destructeur, ses pleurs vinrent alors se joindre à ceux de sa camarade. La main de Marishka vint lui caresser sa tête alors qu'elle enfouissait son petit visage mouillé dans sa poitrine, se laissant aller.
"T'es folle ... T'es complètement dingue ... C'était à moi de te protéger bon sang, pas l'inverse ... Je te charrie tout le temps mais t'es mon rayon de soleil bordel, tu le sais !"
Malkane releva un peu la tête en sanglotant, la goutte au nez, une bulle voulant s'échapper de sa bouche éclata contre des dents.
" T'as dit le groupe avant moi ... Pis je pouvais pas le laisser te faire du mal. "
Marishka passa sa main sous son chemisier pour venir lui pincer le nez afin qu'elle mouche son petit nez, la petite souffla, se geste l'apaisa un peu. Elles étaient couverte de sang, de mucosité grasse et de sécrétions acides et salées, souillées mais saines et sauves. La petite fille grimaça alors, découvrant alors l'incision dont elle n'avait pas souvenir, elle fronça les sourcils par que même en cours de cicatrisation elle demeurait impressionnante. Elle se concentra pour accélérer la guérison alors qu'un attroupement s'amassait sur le pas de la porte, Denève s'y fraya un chemin. Ses pouces et ses index vinrent attraper le menton des deux femmes pour s'assurer qu'elles aillent bien, rassurée elle se jeta sur les deux, soulagée. Les spectatrices ne savaient plus où donner de la tête, leurs regards passant du cadavre salement meurtri au trio, revenant sur le macchabée. C'était difficile à croire qu'une enfant ait pu faire pareille charpie, les murmures interrogateurs s'élevaient en un bourdonnement sourd. Cet épisode contribua fortement à alimenter les rumeurs et la légende.
Le soleil se couchait sur l'archipel de la Muerta, baignant le ciel de ses couleurs chaudes et intenses, se reflétant paresseusement dans les remous de la mer, hypnotique. Malkane retirait les berniques de la coque de la vicieuse à l'aide d'un petit racloir, sa punition avait l'avantage de lui faire oublier pour un temps les séquelles de l'attaque : De nombreuses blessées et la perte de deux d'entre elles, les dégâts matériel n'avaient aucune sorte d'importance en cette période de deuil. Moki se reposait à ses côtés, profitant des derniers rayons bienfaisants de la journée, pas bousculé pour un sous lui.
Marishka la regardait au loin depuis un moment déjà, elle se décida finalement à la rejoindre sur le ponton, silencieuse. La fillette lui jeta un regard de biais sans pour autant arrêter sa besogne, elle lui lança un peu maussadement.
" Si tu viens pour t'moquer tu peux t'en retourner d'où tu viens" un coquillage céda brusquement et elle tomba sur le bois, se rappant les extrémités sur les planches "J'suis pas d'humeur aux moqueries"
Marishka vint lui caresser la tête et se retourna pour s’asseoir dos à elle, laissant la pointe de ses pieds tremper dans l'eau déjà fraîche, elle racla sa gorge.
" Merci ... Je suis venue pour te dire merci ... Merci Malkane. "
Malkane roula sur le coté pour se mettre à quatre pattes, hébétée, les sourcils froncés, attendant la chute de la boutade. L'adulte ne la regardait pas, scrutant l'horizon, c'était difficile d'affronter le regard d'une fillette pour la remercier, c'était avouer qu'on avait été sauvé par plus petit que soit. Elle continua néanmoins, non sans gêne.
" Tu as fait plus que sauver ma vie ... Tu comprendras quand tu seras une femme je présume ... Je te suis redevable ... J'ai parlé avec ta mère, elle sait pour ta bravoure, ton courage et ton acte héroïque ... Tu es punie pour deux semaines mais dès demain tu pourras embarquer avec nous mon petit rayon de soleil ... Tu seras sous mon entière surveillance et le tutorat de ta mère et moi. Je compte sur toi pour être exemplaire, faire tes preuves et montrer à tout le monde que t'es plus qu'une merdeuse de morue, sinon je te botterais moi même le cul ! "
Elle se releva devant une petite Malkane statufiée par la stupéfaction, c'était bien la première fois qu'elle ne trouvait à redire et surtout qu'elle arborait cette mine là. Marishka rigola gentiment et se cassa en deux pour lui refermer la bouche avant de lui caresser la tête tendrement, avant de s'en aller, sans se retourner.
" à demain matin la lumineuse ."
Au début, ce pari fou ne faisait pas l'unanimité et beaucoup se demandaient à quoi jouaient la cap'taine et sa seconde. Et malgré quelques réprimandes sévères à ses début, Malkane se montra vite digne de la chance qu'on lui avait accordé. Elle restait la même mais avec un autre état d'esprit, affirmer qu'elle était devenue obéissante serait mentir, mais lorsqu'elle n'en faisait qu'à sa tête c'était toujours dans l'intérêt du groupe, dans un soucis de justice et de protectorat. Son habileté, sa dévotion, son intelligence brute, son amour et sa joie de vivre, autant de choses qui la faisaient briller aux yeux de ses sœurs. Le surnom de Marishka prenait tout son sens, l'équipage l'utilisait timidement à ses débuts, puis avec parcimonie à mesure qu'elle confédérait ses amies, pour finalement remplacer complètement les pseudonymes peu flatteurs et même son patronyme... Enfin ... Sauf quand elle faisait vraiment la morue ...