Le continent de feu avait toujours été son terrain de jeu, Adèle en avait bien conscience. Elle savait se servir du feu à son avantage pour chauffer les lames sur son corps afin de brûler et marquer ses proies. Malheureusement elle avait trop vu ce climat tropical intense et il fallait qu'elle s'approprie une autre sorte d'élément. Parfois plus que la chaleur que dégageaient les torrents de lave en fusion, le blizzard cinglant représentait une plus grande menace pour un être vivant quand il y était exposé directement. Ce pourquoi Adèle se devait de parfaire son art dans un lieu bien plus dangereux. Elle avait conscience que ça pouvait la tuer ou juste sérieusement la congeler et briser de ses membres comme de la meringue. Malheureusement si elle ne se perfectionnait pas son maniement de la lame à sa queue, elle hériterait d'un désavantage naturel sur terrain de glace. L'eau ne la dérangeait pas vraiment, juste la glace, cet élément dangereux, venait la narguer. Il fallait le dompter et ainsi devenir une excellente bretteuse.

C'est dans cette pensée que la dragonne s'était envolée de Sahawi en direction de la toundra de glace, le terrain idéal pour s'entrainer sans risquer l'avalanche. Elle ne possédait aucun renseignement sur les autres régions, elle n'avait encore jamais vu de carte de la zone, outil dont disposaient surtout les humanoïdes comme les elfes et nains. Au moins elle allait vite découvrir les lieux, et ses yeux finiraient par s'habituer au blanc immaculé pour qu'elle prenne ses repères. Cependant si elle se sentait en danger, ses ailes pouvaient facilement la sortir de n'importe quel pétrin.

Le vent avait subitement changé, passant de chaud et aride à froid et mordant. Adèle pouvait déjà sentir ses entrailles se geler, fausse impression que son cerveau lui communiquait à cause du manque d'habitude. Heureusement elle se concentra rapidement pour laisser ce vent glisser sur sa peau devenue acier trempé grâce à son esprit. La dragonne jaugea alors la grandeur du territoire à vue de nez afin de se poser au centre approximatif. Adèle baissa alors la tête pour amorcer la descente très rapidement afin de ne pas perdre de temps. Quatre traces de pattes marquèrent alors la neige, sa grande queue gardée bien en joue au cas où des monstres l'attaqueraient. La dragonne se trouvait dans le phare des déserts, et le vent neigeux qui y soufflait lui donnerait certainement un sourire jaune de par le paradoxe qu'offrait un tel nom. Pour elle, un désert était aride, brûlant, sec, rien à voir avec une pleine gelée en proie au blizzard, bien que la vie n'y grouille pas plus que sur les terres de feu. Comme sur ces dernières, Adèle imaginait que des peuples vivaient chacun dans leur petite tribu cachée du reste du monde et qu'il ne fallait pas les déranger. Seulement, rien n'indiquait leur localisation dans cette touffe de neige sur lequel elle marchait.

Sans surprise, la dragonne sentait ses membres s'engourdir au fur et à mesure qu'elle rallongeait la distance de marche. Elle ne voyait pas beaucoup devant elle, et à chaque fois qu'une nuée de vent soulevait la neige au loin, Adèle se rendait compte qu'elle avait attaqué de la matière inanimée et s'en sentait d'autant plus frustrée et tournée en bourrique. Son premier but était de s'habituer au froid mordant, et après seulement elle verrait pour entrainer son maniement au sabre sur sa queue.

De petites perles cristallines perçaient régulièrement la couche de poudreuse, provenant de ses yeux que le blizzard faisaient pleurer. Pourtant loin de la tristesse, la dragonne avançait toujours plus loin avec courage. Elle ne se rendait pas compte que le vent recouvrait ses traces de pas et que le demi-tour était courir à sa perte, autant géographique que vitale. Ses cornes commençaient à se recouvrir de givre, ainsi que certaines parties de son corps, mais ça ne la décourageait pas d'avancer. Finalement elle vit enfin l'objet de son salut, une cavité rocheuse qui se profilait à l'horizon, sa zone de chaleur si attendue. Une fois réfugiée dans cette grotte, bien au chaud, elle put enfin réfléchir en paix à ce qu'elle constatait. Ses pattes étaient toutes engourdies et ses yeux de desséchaient rapidement pour faire tomber des larmes sur le sol. C'était donc ça la toundra du continent de glace, elle se montrait bien plus rude que dans ses estimations, bien qu'elle fut confrontée au pire climat imaginable en ces lieux. Mais ce défi ne cessait de lui donner de la détermination et la faire rugir de puissance. Une fois la tête dégagée du tas de neige qui venait de lui clouer le bec en tombant du haut de la grotte, Adèle ressortit bien vite afin de montrer à cette neige qui était la plus forte.

Sans vraie idée précise, elle se coucha dans la glace et s'en recouvrit entièrement. Elle sentait son coeur ralentir de plus en plus, sa chaleur corporelle baisser lentement. Elle ne cessait de bouger ses pattes et sa queue afin de garder une certaine énergie de mouvement qui empêcherait ces mêmes membres de se congeler. Elle sentit alors une douleur aigüe la frapper au cerveau et se leva rapidement pour sortir de son cocon de neige. Heureusement le blizzard avait cessé, le paysage offrait un magnifique drap blanc immaculé et ondulé qui n'attendait qu'à ce qu une trace de pas vienne "l'inaugurer" comme si on découvrait une nouvelle terre. Le pas lent et calmement régulier et ample, Adèle revint se réchauffer dans sa grotte sans pour autant vouloir y trainer. Après tout, le blizzard devenait son pire ennemi alors il fallait en profiter pour avancer dans le continent de glace. En voyant cette étendue glacée et lisse, Adèle fut prise d'un court instant d'euphorie. Elle se disait que si elle avait passé son enfance dans cet endroit, et si elle avait eu le coeur plus clair elle aurait adoré s'amuser dans la neige. Mais à présent elle ne voulait pas s'amuser, c'était réservé aux dragons qui aiment gaspiller leur vie à de telles futilités qui leur faisaient perdre du temps. Elle se demandait si la neige lui aurait fait quelconque effet si son chemin avait pris l'autre direction, celle du bien. Bizarrement Adèle n'avait aucun mal à projeter une image d'elle dans sa tendre enfance et à se voir gambader dans cette étendue en riant et en souriant. Malheureusement il était trop tard pour reculer, la dragonne devait faire quelque chose de sa vie, et non perdre son temps à s'amuser comme une niaise petite dragonne.

Dans un mouvement vif, Adèle se leva et reprit son chemin en direction de sa prochaine destination. Elle espérait voir au moins un village d'humains, mais apparemment elle avait choisi le bon endroit pour s'entrainer seule. Entre les arbres congelés, les rochers trompeurs, et les grottes en tous genres, elle avait de quoi détruire ou se réfugier. Cependant couper des troncs avec la lame de sa queue était bien trop facile, ils ne se défendaient ni ne se protégeaient, il fallait trouver un adversaire qui ait du répondant, voire plusieurs. Elle ne s'apercevait pas qu'on la suivait du regard depuis son arrivée, mais personne ne voulait risquer de l'agresser sans connaitre ses intentions. Une grande vallée allait décider de ça, la vallée du cristal de glace qui se profilait devant Adèle. Celle-si voyait au loin une chose briller, ce qui, comme un phare, la guidait vers lui sans détour. C'était en fait un magnifique diamant taillé d'une main experte et qui semblait d'une valeur inestimable. Elle prit alors la pierre scintillante entre ses griffes et la plaça entre ses dents afin de marcher librement. Malheureusement c'est l'instant que redoutaient les créatures qui la suivaient furtivement. Adèle s'aperçut de leur présence quand une lance de glace vint la poignarder et la faire chuter au sol. Un bruit de verre brisé se fit entendre lors de l'impact, comme si un flacon avait éclaté. Un cercle de glace se forma alors autour du bâton, congelant toute la zone autour de lui sur une faible distance au niveau de la peau. Suite à sa chute, de nombreuses créatures vinrent lui monter dessus pour la recouvrir d'un liquide qui eut vite fait de l'emprisonner dans une combinaison de glace. La tête visiblement seule libre, Adèle se laissait emmener par les créatures vers leur repaire. Il ne fallait pas qu'elle s'endorme, sinon elle risquait de succomber au gel, sa chaleur devait rester le plus puissant bouclier contre sa cryogénisation. C'est ainsi qu'elle se retrouva mise en cage par les autochtones, une cage dont les barreaux ne donnaient pas envie de s'en approcher, elle s'imaginait essayer de cracher du feu dessus comme un dragon le ferait comme elle et voir sa flamme se congeler sur place. Bien que ce soit résolument impossible. Celui qui semblait être le chef de la tribu se plaça devant elle afin d'annoncer sa sentence. Bizarrement il pouvait la comprendre et se faire comprendre d'elle.

-Tu n'es pas la bienvenue en ces lieux, ce pourquoi nous t'enfermons ici. Ta présence est nuisible et nous devons te retenir efficacement.

-Je ne suis aucunement venue ici pour vous voler votre joyau, je voulais juste m'entrainer au maniement d'une lame et au froid du continent de glace.

-Je vois. Voilà ce que je te propose. Si tu parviens à toucher le cristal d'ici demain au plus tard avant la nuit, alors nous te libérons et en contrepartie tu ne remets jamais les pieds ici. Si tu n'y parviens pas, nous te gardons ici jusqu'à ce que tu meures de froid, et nous faisons un immense festin de ta dépouille. Ça te convient comme entrainement ou tu préfères directement te laisser tuer ?

-D'accord, d'accord, j'accepte ton défi. Mais avant je voudrais connaitre votre pouvoir, sinon le combat est inégal.

-Bien sûr. Nous nous servons d'un fluide particulier qui se nomme les gouttes des glaces. Elles ont la particularité de geler plus vite que l'eau et la solidité de sa glace est bien plus accrue que celle qui nous entoure. C'est notre arme la plus puissante, je te conseille de ne pas la sous-estimer. Veux-tu que je te rappelle avec quelle facilité nous t'avons maitrisée ?

-Grrrr...c'était juste de la chance, si je vous avais vu venir le résultat aurait été ma victoire incontestable...

Sur ces mots, le chef de la tribu siffla le rassemblement de sa troupe et les envoya vers la vallée se préparer au combat ultime. Adèle n'était pas très rassurée par tout ça, elle qui n'était même pas totalement habituée au froid au point de ne plus trembler. Cependant elle allait bien devoir faire un effort pour surmonter le mordant glacial de ce continent et récupérer le cristal afin de gagner sa liberté. Ce peuple avait l'air si calme et à la fois si féroce, Adèle n'en revenait pas encore à quel point elle avait perdu facilement en quelques secondes à peine. Mais heureusement elle allait pouvoir s'entrainer à les décimer en guise de match retour. Un soigneur ouvrit alors sa cage et passa son bâton sur le corps de la dragonne qui se vit dégeler rapidement, avant que sa plaie au flanc ne se referme aussi. Apparemment le peuple voulait tout autant qu'elle parte qu'elle reste servir de souper.

Sans trainer, Adèle sortit de sa cage et prit son envol afin d'arriver plus vite au lieu en question. Heureusement il ne se trouvait pas loin du tout de leur village, comme si personne ne pouvait s'en approcher sans l'avoir tout entier sur le dos. À peine dans les airs, la dragonne dut esquiver des lances glaçantes et ne vit pas d'autre solution que de les affronter sur terre. De toute façon l'une d'entre elles avait touché ses ailes et les avaient figées dans la glace, l'obligeant à atterrir en catastrophe dans un nuage de poudreuse. Elle devait se servir de sa queue pour tuer ces créatures et passer en force, mais ils semblaient si nombreux qu'une armée se profilait autour du cristal de glace. Elle transperça alors les deux premiers habitants avec une joie non dissimulée, mais ceux-ci se brisèrent et répandirent des gouttes des glaces sur sa queue, laquelle se recouvrit de givre. C'était donc des pièges, ce qui expliquait leur nombre incommensurable, il fallait donc ruser pour se débarrasser d'eux. Adèle abattit alors sa longue queue vers les deux premières lignes pour les balayer rapidement. Elle brisa alors et projeta les statues avant qu'elles ne puissent laisser couler leur fluide sur sa queue. La dragonne vit alors que les vrais habitants s'était terrés sous la neige pour esquiver. Si ils voulaient fuir, alors Adèle s'empressa de briser les quelques pièges qui lui barraient la route. Soudain elle vit une nuée de lances se diriger vers elle, la faisant sauter in extremis pour éviter le premier assaut et ensuite d'autres sauts pour les autres. Visiblement devant une impasse, Adèle fit un grand saut au-dessus du groupe et tourna sur elle-même verticalement pour abattre violemment sa queue vers ceux qui la séparaient directement du cristal. Ainsi la voie libre, la dragonne en profita pour courir vers le centre, mais ce fut sans compter sur les assauts de lances qui la faisaient reculer.

Le souci était qu'il fallait les détruire car les autochtones les reprenaient à chaque fois pour les réutiliser à l'infini. Adèle attendit alors le prochain assaut et brisa quelques lances avec un coup de fouet de sa queue, mais des gouttes des glaces coulaient sur elle et la figeait un peu plus dans la glace. Elle devait trouver un meilleur moyen de les briser se faire avoir à l'usure par le nombre. Le seul qui lui venait à l'esprit était de viser la pointe afin de déséquilibrer le fluide pour qu'il tombe dans une autre direction. Mais il fallait adopter une grande précision et un bon timing pour espérer en toucher autant. Tandis que les lances intactes disparaissaient dans la neige, Adèle reculait pour se mettre bien face au cristal. Elle sentait ses membres s'engourdir et elle savait que si elle faisait trainer l'affrontement, non seulement leurs lances finiraient par retrouver leur nombre d'origine mais elle risquait aussi de succomber au gel de ses pattes. Il fallait donc tenter le tout ou rien par un dernier assaut.

Pour commencer, elle prit soin de balayer les quelques dernières lignes qui se dressaient encore devant le cristal, tandis que le flanc opposé revenait rapidement pour prêter main fort aux autres en projetant leurs lances. Adèle stoppa alors sa course et fixe l'essaim en plein mouvement avant d'utiliser sa queue pour contre-attaquer. Beaucoup se brisaient net quand la lame touchaient leur pointe, alors que d'autres ne partaient pas sans répandre leur goutte des glaces sur la queue. Parfois Adèle se faisait poignarder par des survivantes mais elle ne cessait pas pour autant d'avancer malgré la douleur. Au fur et à mesure, la dragonne voyait de mieux en mieux l'emplacement des lances, et au lieu de donner des coups de fouet hasardeux, elle abattait seulement la pointe de sa lame sur celle des lances afin d'en viser plus que la fois d'avant. Malheureusement certains coups de queue manquaient leur cible et venaient se planter dans sa chair, mais la dragonne avançait toujours obstinément. Au final elle sentit ses forces la quitter et elle se laissa retomber avec fracas devant elle, à seulement une dizaine de centimètres du cristal.

Le chef de la tribu dissimulé parmi ses camarades mena un dernier assaut censé empêcher la dragonne de bouger et de reconnaitre ainsi sa défaite. Un sourire s'afficha alors sur son visage quand sa langue vint toucher le cristal, joignant le peu de distance qui séparait le bout de son museau du joyau. Deux soigneurs s'approchèrent alors et restaurèrent entièrement la dragonne des gelures et blessures qu'elle avait subies durant son épreuve. Ainsi elle dérouilla un peu ses ailes et se releva bien vite pour ne pas geler sur place. Avant de la laisser partir, le chef lui fit comprendre qu'il ne voulait pas qu'elle soit mal en point afin qu'elle puisse fuir assez loin de la toundra de glace et ne plus jamais y remettre les pattes. Les yeux de la troupe s'assombrirent alors, laissant des éclats luirent en eux, comme si ils mouraient d'envie de la voir expérimenter le second cas de figure qu'elle aurait subi en cas de défaite. Connaissant dorénavant leur puissance, sans envie de finir en festin des neiges, Adèle se hâta de prendre son envol avant qu'ils ne changent d'avis. Au moins elle avait acquis toutes les compétences qu'elle avait prévu de découvrir en elle, à savoir précision, vivacité, et résistance. Ce petit voyage lui avait servi d'entrainement et de leçon à la fois : ne jamais s'aventurer en terrain inconnu et hostile en baissant sa garde. Toujours garder un oeil derrière et garder ses réflexes intacts pour contrer n'importe quel type d'attaque.