- Je vais enfin pouvoir essayer ce pouvoir !
J'avais dit ça dans un chuchotement qui s'amplifiait en de multiples échos à travers l'immense édifice. Je me trouvais actuellement seule, au calme, dans un grand entrepôt abandonné du port. Celui-ci appartenait à un riche armateur mais celui-ci avait vu son empire commerciale s'effondrer d'un coup lorsque tous ses bateaux ont sombré lors d'une grande tempête qui s'est produite il y a peu. Les vaisseaux mal ancrés se sont faits ballottés aux gré des vagues déchaînés pour finir par s'écraser sur les récifs. Ils ornent désormais les plages et l'armateur en faillite vit désormais dans le même quartier que moi, à mendier pour survivre. Mais le malheur des uns fait mon bonheur ! (Comment ça c'est pas ça ?) Grâce à lui je peux expérimenter le sort que j'ai étudié durant des années !
Descendant donc l'échelle de métal qui menait dans ce bâtiment en sous-sol, je me dirigeais vers le centre de la salle tout en admirant la beauté relative de l'édifice. Les murs de pierres suintaient d'humidité encore plus que le sol qui était pourtant presque entièrement recouvert d'eau. La raison en est que la massive porte de métal qui sépare le bâtiment du chenal demeure maintenant ouverte. Donc en cas de tempête ou de très forte marée, l'eau s'infiltre dans le bâtiment sans se faire prier. Je cherchais donc avec du mal l'endroit le plus au sec du bâtiment. Quand je l'eus trouver, je m'y installai en tailleur pour feuilleter les innombrables pages du bouquin à la recherche de la formule qui permettait de créer la sphère. Plongée dans ma concentration, je n'entendis pas le petit garçon qui descendait doucement l'échelle, sûrement pour aller à ma rencontre. En effet, le bruit des vagues se fracassant sur les rochers couvraient sans peine les petits tintements de ses petons quand ils touchaient les barreaux pour descendre. La mine intriguée, il ne m'adressa même pas la parole le malpolie ! Se contenant simplement de s'asseoir à quelques mètres de moi pour me regarder lire, vraisemblablement fasciné pour pas grand-chose.
De mon côté, je trouvais enfin la bonne page. Pour activer la sphère, il fallait simplement claquer des doigts de la main gauche et dire "bubble". C'est plutôt simple, mais il faut aussi savoir que seule les femmes aux cheveux roses à cause de l'étude du livre peuvent espérer pouvoir réussir le sortilège. Ça réduisait déjà le nombre de personnes qui pouvaient prétendre l'utiliser. En fait il n'y avait que moi mais bon passons !
Satisfait, je posais le grimoire à côté de moi avant de me redresser, plaquant un large sourire sur mon visage.
- Bubble ! Dis-je simplement en claquant des doigts de la bonne main.
J'eus un léger soubresaut quand je sentais mon énergie partir dès l'instant où la sphère apparaissait. Je savais que la sphère puisait sur mon énergie, là n'est pas le problème, mais ça reste déroutant de sentir ses jambes trembler alors que l'on ne fait rien. Cependant, rien ne pouvait surpasser ma stupeur et ma joie quand je vis l'immense sphère bleue tout autour de moi. Du point de vue de la pièce, elle n'était pas grande. Mais lorsqu'on était à l'intérieur, c'était immense ! Je balayais ma création du regard, émerveillée. Me décalant de quelques pas pour vérifier que la sphère restait bien en place comme c'était écrit dans le grimoire. C'était fantastique. J'étais dans ma bulle, littéralement. Cependant les forces qu'elle me prenait commençaient à se faire désirer. Je stoppais donc le sort de la même manière qu'en l'activant avant de m'asseoir en soupirant. Posant le regard sur mon grimoire, enfin... sur l'emplacement où se trouvait le bouquin, je pus constater, non sans surprise, qu'il avait disparus.
- Où est ce foutu bouquin !!!
Mon hurlement provoqua un écho inattendu. Un léger "merde" se fit entendre près de l'échelle. Je tournais instinctivement la tête vers la source du bruit, le visage déformé par la colère et une certaine peur, pour enfin voir le petit voleur. Le gamin était en train de se faire la malle avec mon livre ! D'un bond, je me redressais avant de le poursuivre a grandes enjambés. Il était déjà presque rendu en haut de l'échelle quand je commençais mon escalade. Dans la précipitation, j'en avais oubliée ma lance qui m'aurait de toutes façons gênée pour escalader. Je prenais appuie sur les barreaux pour me propulser toujours plus haut. Ce type d'escalade était fatiguant, mais il avait le mérite d'être rapide. Et puis la fatigue je m'en fiche ! Je veux récupérer mon livre !!!
Arrivé en haut, je sortis rapidement de la petite cabane qui servait d'abri à l'entrée du bâtiment avant de balayer la jetée du regard à la recherche du gamin. Trouvé ! Et je repars à sa poursuite, demandant "gentiment" aux gens de me laisser passer à coups de coudes et de poings.
- DEGAGEZ DE MON CH'MIN !!!
La course poursuite continua pendant un long moment. Le gamin pouvait se faufiler à travers la foule contrairement à moi qui devait jouer des pieds et des mains, littéralement, pour me frayer un chemin à travers les passants. Finalement, nous arrivâmes à une longue estacade qui s'étendait au-dessus de la plage allant même jusqu'à déborder sur l'océan. Arrivé au bout, il eut l'intelligence de s'arrêter avant d'aller directement dans l'eau. Haletante, épuisée, assoiffée et surtout en colère, je le saisis violemment par le col et le soulevai du sol. L'entendre supplié, demander mon pardon me faisait du bien. Cela me soulageait de savoir que j'avais réussi à l'attraper. Il ne pouvait plus révéler mon secret au risque de se faire hué et recouvrir de moqueries. Je gardais néanmoins ma grimace d'intense colère pour lui faire la leçon.
- On ne touche pas à mes affaires !
- Non non m'dame ! Je recommencerais pas j'vous le jure !
Ma grimace se transforma en un sourire rassurant.
- Bien, tu as mérité un bon bain !
Me dirigeant à grands pas vers le bord du ponton, je le plaçai gentiment au-dessus de l'eau glacée trois mètres plus bas.
- Bonne baignade !
Et puis je le lâchais. Son cri d'effroi m'arracha un gloussement. Je sentais les regards indignés des passants et j'entendais quelques hommes essayer d'aller le repêcher.
- Oh c'est bon ! Elle est pas si froide !
Je pouvais désormais rentrer chez moi, satisfaite, mon grimoire dans une main et ma lan...
- Ma lance ! Je l'ai laissée là-bas !!! Fait chier !
Et je repartis en courant vers l'entrepôt. Bousculant encore une fois un nombre incalculable de passants sur mon chemin... Une journée ordinaire quoi.