Rhys croqua dans sa grenade – fruit acide aux allures de pomme et dont Zelphos raffolait à défaut d’avoir encore à sa disposition des vergers fournis – en laissant son regard bondir de démons en succubes, d’aïeux en enfants, de généraux en soldats. Un brin d’adrénaline excitait ses doigts impatients, triturant la sucrerie rosée pour mieux la faire rouler entre ses dermoglypes mais elle s’efforçait de garder un visage impassible ; cela n’aurait rien changé à la légitimité de sa présence aux yeux des autre tant l’euphorie semblait être à son comble mais Rhys, peut-être trop officielle, ne voulait rien laisser au hasard. Si son apparence hybride la faisait passer incognito, il suffisait d’une erreur stupide, d’un relâchement pour que la fébrilité trahisse ses écailles résorbées. Lentement, elle prit une grande inspiration, l’étouffant sur la peau de la grenade qu’elle se remit à goûter, presque désintéressée. Il y avait tant de monde.. cela avait presque été facile. Un appel de masse, un appel à la gloire, à la conquête, à la victoire ! Quelle victoire ? songea amèrement Rhys en esquissant un pas sur le côté pour éviter de se faire bousculer. Elle voulait simplement fuir ; si elle ignorait encore les tenants et aboutissants du plan d’Azraël au moins avait-elle l’esprit pour savoir qu’elle ne partageait pas ses principes, quoique encore loin de s’imaginer la réalité qui s’apprêtait à se déchaîner sur Terra.
« - Matricule ? l’interpella une voix à sa droite, l’obligeant à sursauter alors qu’elle rivait sur lui un regard déconcerté, presque étonné de se faire héler au milieu de cette foule ; malgré son attention, elle n’avait pas remarqué ces pions en uniforme parcourant la foule pour mieux réglementer l’entrée au portail.
- Je.. pardon ? répliqua-t-elle en haussant un sourcil hautain ; dans le doute, toujours faire en sorte de se montrer arrogant – les démons vous prenaient toujours plus au sérieux lorsque vous les considériez de haut.
- Votre matricule. articula le démon d’une voix traînarde et ennuyée. »
Okay. Peut-être que tout cela n’allait pas être aussi facile que prévu, pensa-t-elle, laissant les mots défiler dans son esprit comme tant de solutions improbables. Lui hurler dessus, gueuler au scandale ? Non, meilleur moyen d’attirer l’attention. Prétendre avoir oublié ? Adieu terre promise, au revoir futur rayonnant. Alors, donner un numéro bidon ? Combien de chiffres devaient composer son laissé-passé ? Son cœur tambourina sur sa poitrine, remarquant du coin de l’œil que les autres sbires vérifiaient des papiers, cochaient des missives, hochaient la tête avec gravité. Rhys en avait presque oublié, dans sa certitude d’être un martyr, que les mangkr n’étaient probablement pas les seules races exploitées sur Zelphos et que seule l’élite, tout du moins une certaine, était appelée à quitter les lieux dans un premier temps. Elle retint sa respiration, calma ses palpitations nerveuses, relâcha son diaphragme en un soupir profondément agacé.
« - Neuf. Neuf. elle s’arrêta, une seconde, observant sa réaction, remarqua qu’il attendait une suite ; très bien, trois chiffres. Neuf. rajouta-t-elle finalement et le démon de baisser les yeux vers sa liste tandis qu’elle se maudissait presque de son originalité boiteuse. »
Heureusement pour elle, elle ne semblait pas être tombée sur le plus zélé ; celui-ci gribouilla quelque chose sans lui demander quelconque justification, la remercia, lui indiqua le chemin à suivre, s’éloigna. Rhys était abasourdie : alors, c’était tout ? L’adrénaline peinait à se calmer et ses tempes tambourinaient au rythme de son organe vital tandis qu’elle rivait son regard sur la faille un peu plus loin. Puis elle cessa de réfléchir, saisit l’opportunité comme pour mieux respirer, s’efforça de ne pas courir. Zelphos serait bientôt un lointain souvenir et elle ne comptait pas attendre là, comme une idiote, que ces abrutis remarquent leurs erreurs lorsqu’ils tomberaient sur le véritable numéro 999. Le port altier, le visage fermé, Rhys calma l’effervescence de satisfaction qui la submergeait pour mieux se joindre aux troupes alors déjà rangées au-delà de la ligne des ‘élus.’