Prototype guest. [ PV Messaline ] | |
| Mar 4 Mar - 13:23 | | | | Il ne connaissait du Monde que son désert le plus aride ; il ne possédait de culture que ce que Sahawi voulait bien lui apprendre. Couvé par les siens, drapé du chèche bicolore représentant son statut d’héritier au sein de la tribu, Jihad s’ennuyait, prisonnier d’un quotidien redondant où le soleil était la seule chose susceptible de le blesser ; au-delà de la lassitude, même, et malgré son jeune âge, le nomade avait compris qu’il y avait quelque chose de malsain dans le fait que la plus grande menace d’une vie se trouvait être l’élément indispensable à sa pérennité. Enfermé dans une prison sableuse avec pour seule réelle compagnie Lenore, il n’aspirait qu’à l’inconnu, découvrir les bienfaits qu’on prêtait à l’air des Montagnes, accommoder ses pieds à la poudreuse des Glaces, rencontrer ces créatures de Drayame qu’on disait plus éclectiques que celles, déjà cosmopolites, de Feu. Lassé des sphinx, coutumier des autochtones basanés, Jihad savait depuis toujours que sa versatilité, son besoin d’indépendance, le conduirait plus loin que Ras-el Khatt, ce simili-village que les plus sédentarisés de sa tribu avait su développer sur un territoire qui était devenu leur et où il avait séjourné entre deux convois dans le désert. Lorsque, pour la première fois en treize ans, sa mère daigna l’autoriser du bout des lèvres à accompagner les siens jusqu’au port d’Aeb, joyau maritime de Sahawi et cœur du commerce de Feu, le garçon n’y réfléchit pas très longtemps : retirant son chèche comme un geste symbolique de rébellion, il se tint prêt à partir sur-le-champ quand bien même l’expédition se tiendrait bien plus tard dans la matinée. Sa sœur pleura longtemps, d’habitude si habituée à être l’exception, celle qu’on laissait vagabonder à sa guise pour mieux étouffer son jumeau ; plus égoïste que lui, Jihad lui refusa pour la première fois ses innombrables caprices : il irait, quand bien même des obligations retenaient sa moitié à Ras-el Khatt.
« - Je vais mourir ‘jeune’, pas ‘n’importe quand’. murmura-t-il entre deux sanglots de Lenore, comme si cela servait à justifier son opiniâtreté, alors persuadé dans sa tendre naïveté que sa jumelle s’inquiétait pour sa vie – comme ils le faisaient tous ; l’idée qu’elle puisse lui refuser de vivre sans elle ne l’effleurerait pas avant des années encore, peu avant que, coup du sort, elle serait la première à l’abandonner, s’éteignant d’une vieillesse ironique. »
Ils étaient cinq ; quatre hommes qui se chargeraient de marchander les biens qu’ils venaient rechercher et une femme, Tahera, qui s’apparentait à ce qu’on pourrait attendre d’une nourrice et qui avait été auprès de sa génitrice une seconde soupape, gardienne de sa liberté lorsque le garçon réussissait par chance à échapper à l’attention de la première. Jihad était docile, néanmoins ; calme et silencieux, si ses rares écarts en avaient agacé plus d’un, on lui prêtait une sagesse malgré son jeune âge, la conscience que ce qu’on attendait de lui était bien plus précieux encore que toutes ses lubies éventuelles d’ailleurs. Mais le môme ne nourrissait qu’une force de caractère acariâtre et s’il ne disait rien, il n’en pensait pas moins : alors que le convoi quittait ses terres d’enfance Jihad s’imaginait déjà se perdre au détour d’une cale, laissant le bateau fautif l’emmener loin d’ici, peu soucieux des dangers qui pouvaient l’attendre à l’autre bout du Monde. Un port était encore le meilleur endroit pour s’égarer, gentille excuse pour semer des poursuivants un peu trop obstinés ; seule la pensée de Lenore, laissée derrière lui, mitigeait ses lubies échaudées et à défaut de mettre ce plan à exécution il se jura de découvrir par lui-même quelques artères d’Aeb. La main de Tahera fermement posée sur son épaule ne le découragea pas le moins du monde tandis qu’ils s’approchaient de la côte ; l’excitation titilla ses entrailles alors qu’il restait parfaitement stoïque, le pas léger et les yeux grands ouverts, dévorant l’horizon de sa curiosité acérée, explorant les aspérités du paysage pour mieux laisser ses iris si particulières les détailler dans leurs moindres détails.
« - Reste près de moi. s’entendit-il glisser à l’oreille, courbant la nuque pour mieux échapper à ce souffle inquisiteur, l’intérêt volatile déjà à la recherche de la première occasion pour s’évaporer des griffes de l’adulte. - Hm, hm. acquiesça-t-il néanmoins, vague mais soucieux de conserver une bonne image ; s’il ruinait sa propre couverture d’innocence Jihad savait qu’il n’irait pas bien loin, aussi emboîta-t-il le pas aux quatre nomades sans attendre, donnant le change aux yeux de Tahera qu’il surprit sourire du coin de l’œil. »
La foule l’enivra un temps, assez pour briser l’illusion alors que, les pupilles brillantes d’admiration, Jihad ne savait plus où donner la tête ; tant d’odeurs à apprendre, tant d’images à enregistrer, tant de sons à disséquer ! Cette aventure avait un goût de paradis égaré, vestige d’une mémoire cristallisée, celle qu’il s’était forgé au fil de son imagination et de ses rêves juvéniles. Il y avait des nuances, cependant : le mauvais ne cohabitait que difficilement avec ses phantasmes et si Jihad était un réaliste, il se découvrait pour la première fois une affection étrange à l’égard du laid. Pour chaque femme souriante, il y avait un estropié ; pour chaque étal de poisson il y avait un vendeur à sauvette. Une sorte d’équilibre étrange qui n’était pas sans lui déplaire et, grisé par l’adrénaline, le pré-adolescent leva le menton vers Tahera. Cette dernière échangeait quelques mots avec un de leurs accompagnateurs et Jihad y vit là une opportunité : tournant les talons sans demander son reste, il s’engouffra dans la foule, glissant parmi les inconnus pour se faufiler vers ce qu’il avait toujours ardemment désiré. Dire qu’il n’appréhendait pas serait un fieffé mensonge, mais bien loin de le stopper cette sensation semblait lui donner des ailes. Slalomant les obstacles, trébuchant sur quelques pieds sans prendre le temps de s’excuser, Jihad s’égara bien plus vite qu’il ne l’avait songé : reprenant son souffle il analysa la situation pour mieux s’arracher un discret sourire satisfait. Si Tahera avait scandé son nom il ne l’entendait plus, désormais. Tournant sur lui-même le nomade décida de s’éloigner les quais pour mieux explorer la cité portuaire, replaçant une mèche de ses cheveux avec suffisance. Fier comme un coq, Jihad regretta une seconde la présence de sa jumelle avant d’avancer sans se retourner.
La découverte fut de courte durée : le gamin s’était échappé depuis à peine une demi-heure, s’arrêtant à chaque curiosité pour mieux la savourer, que déjà la voix coutumière de sa garde-fou résonna un peu plus haut dans la rue. Ses prunelles précises la repérèrent très vite et Jihad retint son souffle, partagé entre sa témérité ou le manque de volonté de la faire s’inquiéter davantage. Il semblerait que la première possibilité gagna haut la main et, rapidement, le garçon prit une décision un peu folle : à droite ronronnait le feu de cheminée d’une auberge dont la porte ouverte laissait entrapercevoir un confort relatif ; s’y engouffrant sans l’ombre d’un remord, il comptait patienter là, dissimulé derrière le panneau, que les siens repartent comme ils étaient venus. C’était sans compter la tenancière grassouillette qui l’interpella d’une voix rendue rauque par il ne savait quelle substance et qui risquait de le faire repérer en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire. Exploitant sa chance insolente l’éphémère bondit vers les escaliers qu’il grimpa quatre à quatre, réfléchissant en quatrième vitesse : rester dans le couloir était hors de question, on lui mettrait la main dessus avant même qu’il n’ait le temps de ciller. Courant quelques pas dans le couloir Jihad ouvrit une porte à la volée, la refermant derrière lui pour mieux reprendre son souffle. La chambre était petite, peu meublée, mais cela suffirait : il lui suffisait de se glisser dans le lit et prétendre n’être qu’un client endormi, on ne le dérangerait probablement pas pour un gamin qu’ils s’imagineraient dissimulé dans un placard. S’avançant vers le lit, Jihad saisit la couverture pour mieux la tirer vers lui, révélant alors le contenu reposant sur le matelas et auquel il ne s’attendait visiblement pas. Le souffle coupé, les yeux écarquillés et le rouge aux jours, il ne put s’empêcher de parcourir – brièvement – le corps dénudé de la rouquine qui y était alors allongée, incapable, pour une fois, de trouver une parade à cet événement inattendu.
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| | Jihad el-Houari
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| | Mar 4 Mar - 14:40 | | | | Le jour était haut sur Aeb, et le soleil brillait de tous ses feux sur le port à peine rafraîchi par les vents marins. La lumière écrasante, jaune et poudreuse dans la poussière de la ville, se faufilait par les volets disjoints de la fenêtre et faisait des taches d’or aveuglant sur le parquet sale de la chambre encore obscure. Le vacarme de la rue résonnait à cet étage, à peine atténué par la distance et les murs bancals qui laissaient filtrer le fracas des charrettes et le murmure des conversations. Rien de tout cela ne semblait de taille à réveiller Messaline, affalée sur le ventre dans la même position où elle s’y était laissée tomber à l’aube après une longue nuit de libations et de travail acharné. L’alcool et la drogue l’avaient emportée dans un sommeil profond dont peu de choses semblaient pouvoir la tirer, pas même la chaleur étouffante de la pièce encore emplie des effluves de la fumée et de son parfum, et elle comptait bien dormir de la sorte quelques heures de plus avant de daigner rejoindre le monde des vivants. Sentant que quelqu’un tirait la couverture, elle émit un léger grognement contrarié et marmonna quelques protestations indistinctes. Quelque chose s’agita dans les tréfonds de son esprit embrumé, et elle étendit le bras à côté d’elle pour chercher la personne qui aurait dû s’y trouver, mais ne rencontra que du vide. Allons bon. Kahj avait dû filer depuis un moment, le connaissant.
La tête encore enfouie dans l’oreiller, elle ouvrit lentement les yeux, pour les fermer aussitôt, pestant contre la lumière du soleil qui lui poignardait la rétine et le crâne. Si son dernier compagnon de chambrée en date avait décampé comme à son habitude, qui s’amusait à se tirer avec la literie ? Cette pensée lui fit l’effet d’une douche froide et elle se redressa d’un mouvement un peu trop rapide qui lui donna l’impression que des pics à glace s’enfonçaient dans ses tempes. La jeune femme laissa son champ de vision s’éclaircir avant de se tourner vers l’origine du problème, qui s’avéra être un très jeune homme qui tenait encore entre ses mains le drap qu’il avait soulevé et avait encore aux joues le rouge d’un émoi un peu effaré. Sans doute ne s’était-il pas attendu à trouver le lit occupé, quoi qu’il fût venu faire ici.
Messaline lui arracha la couverture et s’en couvrit d’un air grognon avant de s’asseoir sur le bord du lit. Elle avait mal à la tête, abominablement soif, et ses mouvements trop brusques lui donnaient le tournis, tandis qu’une vague nausée lui rampait au fond des entrailles. Ses cheveux emmêlés retombaient comme une masse désordonnée sur ses épaules nues, dissimulant sous leurs torsades de soie rousse les jolies formes enveloppées sous la toile grossière. Elle avait le teint gris et les cernes profonds typiques des lendemains pénibles, et ressemblait un peu à un chat contrarié au pelage hérissé.
— Va te trouver une autre piaule, garçon, marmonna-t-elle en le fixant d’un regard furibond. Et si t’es venu là pour chaparder des trucs, je te préviens, je suis pas d’humeur.
Au moment où elle prononçait ces derniers mots, elle vit qu’on avait laissé, à son attention, quelques pièces disposées sur le tabouret près du lit. Au moins, Kahj avait eu la délicatesse de lui donner ce qu’il lui devait avant de s’enfuir comme un voleur... Elle s’en empara aussitôt pour les cacher sous son oreiller, avant de fouiller le tas de vêtements au pied du lit pour en sortir une longue pipe à opium et un briquet. Tassant les herbes du bout des doigts, elle posa un regard amusé sur le gamin.
— T’as pas l’air assez dégourdi pour être un voleur, reprit-elle avec un peu moins d’animosité.
Elle tira quelques bouffées odorantes, et lâcha un nuage de fumée alors qu’un sourire vaguement moqueur se peignait sur ses lèvres. Le gosse avait l’air plus perdu qu’autre chose, mais il avait une petite mine fière qui l’intriguait. Il n’avait rien des mômes crasseux qui courent les rues du port en dérobant tout ce qui était à leur portée, et il avait même l’air d’être en assez bonne santé et assez bien habillé pour n’avoir pas besoin de s’adonner à ce genre d’activités pour gagner sa vie.
— Qu’est-ce que tu viens faire ici ? Lança-t-elle d’un ton un peu plus aimable alors que les premiers élancements de sa migraine s’apaisaient sous l’effet de la drogue.
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| | Messaline
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| | Mer 12 Mar - 18:09 | | | | La jeune fille lui arracha la couverture des mains et Jihad esquissa un mouvement de recul, s’efforçant de reprendre une certaine contenance sans pouvoir retirer la teinte rubicond de ses joues. Bien qu’il ne soit pas inconnu du corps de Lenore celle-ci restait une pré-adolescente qui commençait à peine à dessiner ses formes et, outre cette exception, la pudeur était chose récurrente par chez lui ; de ce fait, tomber nez à nez avec une femme (au demeurant agréable à regarder) nue avait le don de le bouleverser plus que nécessaire, lui qui était si apte à rester impassible devant les hasards de la vie. Un pied en arrière et un éclat toujours un peu paniqué dans le regard, Jihad songea à prendre la fuite avant de se rappeler soudainement la raison de sa présence dans la pièce : on devait déjà le chercher dans les couloirs et les chambres vides, sortir maintenant était encore le moyen le plus court de se jeter dans la gueule du loup. Bien sûr rien ne lui indiquait que la rouquine n’allait pas le jeter dehors, mais autant gagner du temps autant que possible. Celle-ci d’ailleurs le prit de court en le méprenant pour un voleur et le nomade se redressa, droit comme un pic, presque vexé de la comparaison tant son éducation stricte lui avait appris le déshonneur qu’était de piller autrui de biens qui ne lui appartenaient pas.
« - Non, je.. il n’eut pas le temps d’aller plus loin que son regard suivit le mouvement rapide de la demoiselle, s’emparant d’un petit tas de pièces reposant sur la table basse pour mieux le dissimuler sous son oreiller. »
Il ne fit pas le lien ; pas immédiatement, tout du moins, mais il n’y réfléchit pas davantage. Cela venait de l’innocenter aux yeux de la belle à Aeb dormant et cela lui suffisait amplement : trouvant inutile de chercher à se justifier davantage, il cherchait néanmoins une parade pour qu’elle le laisse partager le lieu un peu plus longtemps, juste assez pour ne pas retomber entre les griffes de ses détracteurs. La fumée lui fit plisser les yeux, légèrement, mais l’opium était une denrée plus courante de sa Sahawi natale et il en parut moins surpris que la nudité de la rouquine. Peut-être pouvait-il profiter de sa condition de jeune un peu paumé pour prétexter s’être trompé de chambre ? Non, son teint, son accent et ses odeurs épicées du désert trahiraient son mensonge, sans compter qu’elle le renverrait dans sa chambre aussitôt. Ses idées, mauvaises au demeurant, furent couper court par la résidente des lieux et Jihad sauta sur l’occasion pour mieux grignoter du temps.
« - Je pensais la chambre vide et je cherchais un endroit pour échapper à quelqu’un. la réponse fut sans hésitation, presque trop honnête pour paraître fausse ; Jihad était de toute façon mauvais menteur mais il surprit presque lui-même à se confier autant à une inconnue. » Bah, tant pis, songea-t-il en esquissant une révérence discrète, une main sur le cœur et une jambe légèrement plus pliée que l’autre, salut respectueux caractéristique aux nomades du désert lorsque ceux-ci se devaient de présenter des honneurs à des citadins qu’on disait plus éduqué qu’eux-mêmes. « - Je ne voulais pas faire intrusion dans votre intimité, je vous présente mes plus plates excuses. rajouta-t-il en se redressant, prenant le temps de jeter un coup d’œil aux alentours depuis son entrée dans la chambre : elle n’avait pas l’air d’être installée depuis longtemps. Jihad. Et je ne voudrais pas abuser de votre amabilité, mais si vous pouviez m’autoriser à rester quelques minutes de plus.. Je peux vous dédommager pour mon affront, si vous le désirez. Jihad n’était pas de nature particulièrement généreuse, ni même assez affable pour réellement regretter ses faits et gestes les plus innocents, mais au moins tenait-il aux bonnes manières qu’on lui avait inculqué. »
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| | Jihad el-Houari
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| | Ven 14 Mar - 15:32 | | | | Une fois le moment de surprise passé, Messaline ne put s’empêcher de rire, sans méchanceté, devant la mine que tirait le gamin devant elle. Il avait l’air plus que gêné, et il y avait gros à parier que c’était la première fois de sa vie qu’il se trouvait nez à nez avec un spectacle pareil. Il fallait bien commencer quelque part et que jeunesse se fasse, comme on dit. Ça ne la bouleversait pas outre mesure, et la pudeur ne faisait pas vraiment partie de ses qualités. Elle était belle, elle le savait, et après des années passées à traîner une carcasse maladive perclue de maux terribles, elle avait bien l’intention de profiter de ce qu’elle avait à présent, tant qu’elle le pouvait encore. Cela passerait bien assez vite pour qu’elle ne puisse se permettre d’en être fière.
Laissant le jeune homme poursuivre, Messaline haussa un sourcil. Ça devenait évident tout à coup ; avec sa petite mine fière de gamin sûr de lui, ses vêtements sablés de poussière jaune et sa tenue tout à fait typique des gens du désert, cela ne faisait plus aucun doute. Le petit était sans doute un fils de noble en vadrouille dans le port, et il y avait gros à parier sur le fait qu’il cherchât avant tout à se débarrasser d’une duègne envahissante ou de quelque gardien collé à ses basques. Elle eut un léger rire et répondit à son salut élégant par celui d’ordinaire en usage à Faestelia. Il saurait reconnaître, sans doute ; les gestes, les vêtements, les us et les mots étaient autant de signes d’appartenance à l’une ou l’autre des nations de Feu, voire à une famille, à un clan, et tout était limpide pour qui savait lire cela.
— Je m’appelle Messaline, répondit-elle.
La jeune femme fit un vague de signe de la main qui dissipa un peu les vapeurs odorantes de la fumée qui l’environnaient comme un halo.
— ça va, dit-elle sans se départir de son sourire amusé. Pas la peine de t’excuser. Tout ce qui m’importe c’est que tu ne sois pas un voleur venu fouiner dans mes affaires, le reste, c’est sans importance.
Et puis, ça n’était pas comme si elle n’avait pas l’habitude de retrouver des inconnus dans sa chambre au petit matin... Maintenant qu’il était établi qu’il ne représentait pas de danger particulier pour elle, Messaline n’avait pas vraiment de raison particulière pour le mettre dehors, surtout s’il avait quelqu’un à ses trousses. Le gamin lui était sympathique, sans doute parce qu’il avait encore cette allure un peu maladroite d’adolescent pas encore sorti de sa chrysalide, même s’il gardait l’attitude un peu raide et fière des jeunes gens bien conscients de leur rang. Cela la faisait toujours rire de voir ces petits nobliaux, encore un pied dans l’enfance, prendre des manières d’adultes.
— Pour ce qui est du dédommagement, si tu y tiens vraiment, tu n’auras qu’à m’offrir de quoi manger, une fois que tu auras échappé à tes poursuivants.
Une pause, et elle l’observa d’un regard curieux, assorti d’un léger sourire qui faisait briller ses yeux sombres d’une lueur espiègle.
— En parlant de ça, laisse-moi deviner... Tu as échappé à la vigilance de tes gardiens, pas vrai ? Personne de sain d’esprit ne laisserait un jeune homme de bonne famille comme toi courir les rues sans surveillance, m’est d’avis. Rien que pour ça, je veux bien te donner un coup de main.
Elle conclut ses paroles par un petit clin d’œil. Contrarier l’autorité, d’où qu’elle vienne, était un de ses petits plaisirs, tout immature et vain que cela puisse être. Elle avait trop souffert de ses années d’enfermement pour laisser passer ce genre de choses, et puis, ça n’était pas en gardant ses enfants dans une cage dorée qu’on peut leur apprendre comment tourne le monde, ici-bas. Il y avait trop à découvrir pour rater sa chance d’en profiter pendant qu’on le peut encore. Rajustant le drap qui glissait un peu trop sur sa poitrine, elle s’assit en tailleur sur le lit et l’invita à s’asseoir près d’elle.
— Avec un peu de chance, ils te trouveront pas ici.
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| | Messaline
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| | Ven 21 Mar - 17:15 | | | | Messaline.. c’était un joli prénom, songea Jihad alors qu’il la dévisageait du coin de l’œil, reprenant contenance tandis que la couverture dissimulait alors le fruit de sa gêne. Il s’accordait bien à ses traits délicieusement charmants. Maintenant qu’il avait su se calmer, le jeune nomade réalisait toute l’incongruité de cette rencontre : le salut que la jeune femme venait de lui rendre trahissait ses racines pyriques et Jihad n’avait encore jamais croisé un tel spécimen sur ses terres natales. Oh, bien sûr, il aurait pu également s’agir d’une étrangère, mais quelque chose dans son port altier, dans la fierté qui brillait de ses yeux sombres, réfutait cette théorie, sans compter que la belle ne semblait pas être de celle qui s’encombrait de fioritures plus que nécessaire ; s’approprier les coutumes d’un pays, même pour faire bonne figure, était d’une malpolitesse extrême aux yeux des insulaires. Cette peau pâle, néanmoins, et surtout ses cheveux roux.. Jihad n’avait jamais vu de tel au gré du désert de Sahawi et, au milieu de sa placidité habituelle, perça un intérêt tout nouveau pour sa vis-à-vis. Certes, il venait de débouler dans son intimité comme un môme mal élevé sans considération et même si son discours précédent tendait à l’excuser il trouvait désormais une toute nouvelle raison de rester à ses côtés, outre son désir de se dissimuler aux siens le temps d’une journée un peu folle. Messaline semblait être d’une compagnie raisonnable pour ce but peu louable et, hochant la tête en signe de négation lorsqu’elle s’assura une dernière fois qu’il n’était pas un voleur sans foi ni loi, il ne réfléchit pas deux fois à sa proposition suivante.
« - D’accord. acquiesça-t-il simplement dans la retenue qui le caractérisait, non sans accompagner son accord d’un petit geste de la tête. »
Si, en théorie, il ne portait jamais d’argent que ce soit sur lui, cette escapade étant une sortie exceptionnelle qui se révélerait probablement être la dernière, ses parents lui avaient accordés juste de quoi s’acheter ce qu’il désirait à Aeb après qu’il ait insisté, non sans mal. C’était une bonne chose qu’il n’ait pas laissé Tahera s’occuper de porter ses biens : là, au fond de sa poche, gisaient sa richesse éphémère, dont il ignorait encore la valeur exacte dans l’esprit citadin mais qu’il ne doutait pas suffisant pour son dédommagement. Jihad ne regrettait pas une seconde de ne pas avoir l’occasion de dépenser cet argent autrement : peu importe le souvenir concret qu’il aurait acheté, il n’aurait sûrement jamais valu le poids du souvenir qu’il allait garder de cette interlude particulière. S’il ne le réalisait pas encore, il ne se posa néanmoins pas la question et accepta l’invitation de Messaline en s’avançant vers le lit pour s’asseoir à ses côtés, droit comme un piquet et sûrement encore un peu nerveux, mais assez à l’aise pour accepter de s’approcher de l’inconnue comme s’ils étaient coutumiers. Sans doute le naturel de la rouquine y était pour quelque chose, ou bien cette aide inespérée qu’elle daignait lui accorder alors qu’ils n’étaient qu’un môme perturbant sa grasse matinée. Le fait qu’elle puisse trouver une description si juste de sa situation, en outre, l’impressionnait d’une certaine façon et il voulait en savoir plus, lui qui était si peu apte à lire dans ses pairs et en s’efforçant de leur en montrer le moins possible en retour.
« - Elle s’appelle Tahera, c’est un peu ma.. nourrice. admit-il, marquant un temps pour réfléchir à un mot juste dans le langage mysticien qu’il avait toujours du mal à manipuler quand il s’agissait de traduire le vocabulaire nomade qu’il utilisait au jour le jour. C’est la première fois que je viens à Aeb, j’ai grandi dans le désert. précisa-t-il, la langue étrangement déliée par l’aise qu’avait su instaurer Messaline ; son regard adolescent glissa sur la pipe qu’elle tenait entre ses doigts adroits mais il reprit comme si de rien n’était. Je voulais simplement.. visiter sans avoir à répondre de qui que ce soit. Elle est étouffante. »
Un peu mélancolique, peut-être, Jihad étouffa un soupir sur ses lèvres closes pour mieux diriger ses yeux vers la porte devant laquelle passait déjà pour la seconde fois une ombre précipitée. Peut-être était-ce pour lui, peut-être pas, mais l’éphémère n’était plus nerveux à ce sujet. C’était une bonne chose qu’il ait jeté son dévolu sur une chambre occupée : on ne dérangeait jamais un client si l’on tenait à recevoir le prix convenu au début du séjour. Le marchandage était chose courante, en Feu, et tout le monde savait le manier avec plus ou moins d’expertise. Seuls les touristes avaient à s’en plaindre, mais c’était un charme incontestable et un atout considérable pour tous les habitués de la chaleur hurlante et du sable brûlant du coin. S’ils ne le trouvaient pas, Jihad ne considérerait pas ça comme de la chance : il ne devait son salut qu’à Messaline et lui vouait sa reconnaissance éternelle ; l’honneur des nomades était inaltérable et il n’était pas de ceux qui oublient aisément leurs dettes.
« - Vous êtes de Feu. ce n’était pas une question, mais la curiosité était maniée avec délicatesse ; pour ne pas se montrer indiscret, pour ne pas froisser son hôte, Jihad s’efforça de la regarder gentiment, comme pour lui faire savoir qu’elle ne lui devait rien, à son opposé, et qu’il accepterait le silence. Que faites-vous dans cette auberge ? Comptiez-vous partir – à moins que vous ne reveniez, au contraire ? »
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| | Jihad el-Houari
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| | Sam 22 Mar - 2:02 | | | | Messaline eut un petit sourire victorieux quand Jihad lâcha le nom de sa duègne, comme un aveu. Elle n’avait pas eu beaucoup de contacts avec les tribus du désert, hormis ceux qui venaient de temps à autre à Aeb et les autres ports de la côte, à peine assez pour commencer à cerner ces gens dont elle ne savait jusque là que ce qu’on disait d’eux dans les livres. C’est quelque chose de lire les récits de voyageurs et autres ouvrages savants, c’en était une autre de rencontrer ces mêmes êtres et de converser avec eux, mais elle s’était très vite aperçue qu’on avait raison lorsqu’on parlait de la fierté légendaire de ces tribus. Ils avaient leur arrogance tranquille gravée en eux, dans leurs longues faces brunies et leurs yeux de faucons, leurs manières très dignes de grands seigneurs sablés de poussière ; ce garçon était un digne fils des gens du désert, c’était certain.
La jeune femme eut un léger rire amusé, dépourvu de moquerie, quand il avoua n’être jamais sorti de chez lui.
— Je vois, dit-elle gaiement. Ça peut se comprendre. J’ai connu ça aussi, autrefois, pendant des années on ne m’a pas laissée sortir de chez moi. Je suppose que ta famille a ses raisons de ne pas te laisser aller à ta guise, mais j'aurais cru les gens du désert moins protecteurs avec leurs enfants.
Elle assortit ses paroles d’un petit sourire malicieux qui laissait entendre que ces temps étaient bel et bien révolus. Suivant le regard du garçon, elle vit quelqu’un passer devant la porte sans s’y arrêter. Avec un peu de chance, on les laisserait tranquilles, et la drogue aidant, Messaline se sentait d’attaque à chasser tout autre intrus de sa chambre. Un seul invité à la fois, c’était amplement suffisant pour un réveil difficile.
— Avec un peu de chance, tu lui échapperas suffisamment longtemps pour avoir le temps de profiter un peu du paysage, reprit-elle doucement.
Un nuage de fumée s’échappa de sa bouche entrouverte tandis qu’elle l’observait de ses yeux sombres, et les volutes lourdes s’élevèrent mollement en s’accrochant à ses boucles rousses encore en bataille. Le soleil filtrait par les volets disjoints de la fenêtre, et la clarté dans la pièce était bien suffisante, une fois que l’on était accoutumé à l’obscurité, pour distinguer les détails. Quelques éclats, des reflets fugaces éclosaient dans l’ombre, et les rais de lumière poudreuse se glissaient dans les cheveux de la jeune femme pour y semer des lueurs d’or fauve, traversant le brouillard d’opium qui l’entourait pour la révéler en de brefs contours incertains. Encore à son aurore, point encore atteinte par les ravages de son mal. C’était sans doute ainsi qu’elle aurait voulu que l’on se souvienne d’elle, mais les sombres pensées qui l’occuperaient bien plus tard n’étaient alors que de vagues nuées dans le ciel bleu de ses vingt ans.
Dans la pénombre, elle voyait distinctement les yeux de Jihad se poser sur elle tandis qu’il parlait. Encore tant d’innocence... Elle ne pouvait s’empêcher de sourire, devant l’expression de ce regard plein de sérieux et de dignité qui faisait un étrange contraste avec ses traits encore marqué par la tendreté de l’enfance. Il avait des yeux étranges, si noirs que même avec le peu de lumière qu’il y avait dans la pièce, elle pouvait encore les distinguer, car plus profonds encore que l’ombre jetée sur son visage. Deux puits d’encre transperçaient ses iris que l’on aurait dit façonnés de quelque pierre précieuse qui captait la clarté ambiante pour mieux la faire ressurgir, vague, incertaine et changeante comme la lueur lointaine de vieux astres perdus.
Elle baissa les paupières un instant, arrachant son esprit divagant à la contemplation de ces prunelles d’ombres profondes pour revenir à la conversation.
— De Feu, oui.
Ça n’était pas une question, elle l’avait senti et ne s’en formalisait guère.
— De Faestelia. Je suis simplement de passage.
Un petit sourire lui vint, disant cela. C’était une agréable sensation, de se dire simplement « de passage ». D’où, vers où ? Qui sait ? Ces simples paroles lui rappelaient qu’elle n’était plus enfermée, nulle part, qu’elle pouvait partir le jour même si le cœur lui en disait.
— Mais à choisir entre partir et revenir... Disons que je pars. Loin, reprit-elle. J’en ai assez du désert, je vais continuer vers le sud, peut-être en longeant la côte, je suis sûre qu’il y a plein de choses intéressantes à découvrir, là bas.
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| | Messaline
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| | Mer 26 Mar - 22:59 | | | | C’était une supposition somme toute compliquée à appréhender. Si Jihad s’était montré intrigué d’un bref haussement de sourcil lorsque Messaline avait avoué connaître l’enfermement infantile, l’étouffement parentale, la restriction morale, son regard brillait désormais d’une certaine hargne, comme s’il était persuadé d’avoir trouvé quelqu’un ‘comme eux’ ; peut-être s’y connaissait-elle-même davantage que ce qu’on avait bien voulu lui avouer ! C’était un bien maigre espoir tout autant qu’une chance insolente, mais dans sa naïveté juvénile l’éphémère ne réalisait pas à quel point il se trompait. Il ignorait encore que l’injustice dont il se sentait victime pouvait être bien plus insidieuse encore, que le hasard de la naissance accordait souvent bien moins que ce qu’il pensait déjà pire. Sa vie avait beau être courte, il existait des vies aussi fragiles que la sienne mais qui s’accompagnait, au contraire de lui qui saurait s’éteindre au meilleur de sa forme, d’une dégénérescence insupportable, qu’il n’aurait lui-même jamais supporté. Messaline souffrait bien plus que lui mais, encore ignorant, la compassion flottait cruellement au fond ses yeux sombres. Il ne voulait aucun mal, à qui que ce soit ; il était encore si jeune.
« - Pourquoi ? s’enquit-il, de manière plus indiscrète cette fois, mais toujours armé de cette volonté de ne pas se montrer intrusif, de cette pudeur qui semblait tendrement justifier sa bravade. Ils ne le sont pas. Pas habituellement. C’est compliqué.. enchaîna-t-il, détournant brièvement le regard pour mieux revenir se heurter au regard mélancolique de la jeune fille ; c’était comme si elle l’invitait à se confier, comme si elle était alors la seule réelle échappatoire qu’il ait jamais connu durant sa courte vie, sur tous les plans possibles. Je suis un éphémère. un murmure, dans un souffle ; voilà, c’était dit. »
Peut-être comprendrait-elle ; peut-être saurait-elle même aller dans le sens de ses suppositions hasardeuses. Un sourire maladroit passa sur ses lèvres, telle une ombre hésitante qui ignorait encore ce qu’elle faisait là, mais l’intention était sincère. Jihad ne souriait pas souvent, encore assez pour ne pas se sentir adulte, trop peu pour réellement savourer la chaleur d’un échange silencieux. La solitude était encore sa meilleure amie mais à l’heure actuelle, là, au fond de son estomac torturé, le nomade désirait plus que quoi que ce soit ne pas quitter cette chambre, ne pas quitter Messaline et l’observer longtemps encore sous les rayons timides du soleil impétueux qui filtraient les volets clos. Bien des années encore, si Jihad avait dû s’imaginer la beauté, alors penserait-il à cet instant précis, cet interlude hors du temps dans une chambre quelque part en Aeb. Ces cheveux roux désordonnés par une nuit agitée hanteraient ses rêves en toute innocence et sûrement, s’il avait pu, l’aurait-il considéré comme la femme de sa vie si Lenore n’avait pas été si importante, si ses préférences le lui avaient accordé.
« - Je vous imagine bien en Glaces. chuchota-t-il sur le ton de la confidence, l’embrassure des lèvres encore assez courbée pour démontrer la sensation de bien-être qu’il pouvait ressentir à cette possibilité ; s’imaginer une rousse parmi les rousses, sur les terres d’un pays qu’il n’avait jamais vu qu’en dessin au gré de livres qu’il n’aimait pas tellement lire.. oui, c’était une jolie image qui lui semblait alors bien plus agréable que la lueur de mélancolie absconse brillant dans leurs regards à tous les deux. Tout a l’air si.. étrange, là-bas. Il y fait si froid que le sable gèlerait probablement si on l’y emmenait. divagua-t-il en hochant la tête, presque dépité de ne pas pouvoir être témoin d’une telle facétie, encore persuadé d’être prisonnier de cette prison dorée longtemps, très longtemps encore, assez pour ne rien connaître de plus. J’espère que vous y trouverez ce que vous cherchez. rajouta-t-il, un peu plus avenant, témoin compréhensif du besoin de liberté qui semblait émaner de la jeune femme et qu’il pouvait sentir darder sa peau de part et d’autres. Tout semble meilleur lorsqu’on l’imagine loin d’ici, n’est-ce pas ? »
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| | Jihad el-Houari
Partie IRLCrédit avatar : Gunnmgally & Evaëlynn.Double compte : Assurément.Vitesse de réponse : Lente.
| | Jeu 10 Avr - 17:49 | | | | Messaline ne cessa pas de sourire lorsque l’aveu tomba. Son expression s’effaça juste un peu, comme adouci, élimé, érodé par ce qui pointait au fond de ses yeux flous. De la peine ? Oh, non ; pas de pitié, rien de tout ça, c’eut été un affront, une insulte à ceux qui naissent avec des fers aux pieds, mais qui savent se montrer bien plus forts que quiconque. Elle baissa les yeux un très bref instant, comme pensive, et puis souleva ses paupières lourdes pour l’observer avec cette expression de madone sereine et sans espoir qui lui venait parfois, auréolée de la gloire rousse de sa chevelure et des vapeurs de l’opium. Elle eut un hochement de tête, très doux.
— Je comprends, dit-elle simplement.
Elle n’ajouta rien de plus sur ce sujet-là, pas d’expression d’une désolation factice, rien de tous ces enrobements dans lesquels les gens emballaient leur incompréhension et leur impuissance, parce qu’elle savait très bien que c’était totalement inutile. Elle hésita toutefois à répondre à sa question ; elle n’en avait jamais parlé à personne, parce qu’elle estimait que c’était un mal qui n’appartenait qu’à elle, sa souffrance personnelle, intime, perpétuelle, dont personne ne devait se mêler. Et puis, personne ne pouvait rien pour elle, à quoi cela pouvait-il servir, sinon attiser une pitié dont elle ne voulait pas ?
Un bref élan d’une pudeur discrète lui fit baisser les yeux de nouveau quand elle répondit enfin, à voix basse.
— La maladie. Je ne pouvais tout simplement pas me lever, ou sortir, rien de tout cela.
Quelques mots restèrent coincés dans le fond de sa gorge, et elle garda obstinément les yeux baissés. Il comprendrait, lui. Elle avait quelques choses, çà et là, sur les éphémères, et leur nature même l’avait particulièrement fascinée parce qu’elle s’en était sentie proche au point de se demander si elle n’était pas de ce sang-là. Comme elle, condamnés à s’éteindre avant l’hiver.
— Disons que... nous avons une chose en commun, reprit-elle avec un sourire d’une gaieté funèbre.
Elle releva la tête, mais n’en dit pas davantage. Peut-être qu’il comprendrait tout seul, peut-être. Elle ne se sentait pas vraiment la force d’en dire davantage, mais elle sentit que cela pourrait être suffisant. Il avait l’air fin d’esprit, et surtout il y avait, dans sa manière d’être, de parler, de la regarder, quelque chose qu’elle appréciait, et où elle trouvait quelque chose de familier, comme une connivence d’esprit qui s’imposait comme une évidence. Ses sourires semblaient surprenants, glissant sur son visage aux traits graves comme pour rappeler qu’il était encore à demi un enfant, si jeune malgré tout ce qu’il laissait croire. Cela le rendait touchant, et elle sourit en retour, bien plus joyeusement qu’auparavant.
— Les Glaces ? Dieux, non ! répliqua Messaline en riant. Trop froid. Pourtant, j’aimerais bien voir de la neige, une fois dans ma vie.
Une pause, puis elle eut un petit regard malicieux, noyé dans une volute de fumée vagabonde.
— C’est mon petit secret, dit-elle sur le ton de la confidence. Je ne cherche ni n’espère rien, ainsi je ne suis pas déçue, et toujours surprise. Je ne sais pas où je vais, je n’ai aucune idée de ce que j’y ferais une fois là-bas, et cela me convient tout à fait.
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| | Messaline
Partie IRLCrédit avatar : http://sidwill-cg.deviantart.com/gallery/Double compte : Phalène - Ivor le Silencieux -Sigrid NilfdottirVitesse de réponse : Lente
| | Sam 31 Mai - 20:20 | | | | Si Jihad fut déçu qu’elle ne partage pas sa condition, il n’en montra rien. Ce n’était pas réellement de la méchanceté, tout au plus la cruauté infantile qui ne l’avait pas épargné, ni lui ni personne, quand bien même son tirage à la loterie de la vie lui avait accordé plus de pudeur et moins de fantaisie – non, il ne souhaitait sa particularité raciale à personne, pas même à son pire ennemie, et Messaline plus que n’importe qui à l’heure actuelle était un alliée de choix. Néanmoins, et malgré l’espoir stupide quoique fugace de croiser la route hasardeuse d’un autre éphémère qui aurait pu, peut-être, le comprendre bien plus que n’importe qui, Jihad réalisa bien vite que les nuances n’en étaient que plus subtiles : elle l’avoue du bout des lèvres, à son tour, et le nomade comprit en hochant simplement la tête, silencieusement, comme plongé dans un recueillement empathique qu’il était à-même de préconiser. Pas de pitié, pas de peine ; juste une vague de compréhension immense, presque douloureuse tant ils partageaient, il le savait maintenant, le même sort funeste, injuste et irréel. Mais là où, sur l’échelle des étapes du deuil, le garçon en était encore à la colère, Messaline avait dépassé le stade de la résignation, quoique sans réellement pouvoir, visiblement, passer à celle de l’acceptation. Jihad était encore trop jeune pour se douter que cela pouvait même être possible, et le temps lui donnerait d’ailleurs raison : il n’y avait pas un seul homme pour se satisfaire de son sort.
« - Je crois que c’est un très bon projet. releva-t-il d’un fin sourire rieur, contrastant avec l’ambiance plus lourde de sous-entendus qui les avait bercé quelques secondes à peine auparavant ; à quoi bon, et il le savait, s’attarder sur une fatalité sur laquelle ils ne pouvaient rien, ni l’un ni l’autre ? Et je m’efforcerai de vous accompagner en pensées, à défaut de pouvoir faire mieux. On dit que la bénédiction des nôtres apporte bonne fortune ; si c’est vrai, alors pensez à moi lorsque vous marcherez dans la neige. rajouta-t-il, l’honnêteté infantile striant son regard sombre comme si, plus jamais, il souhaitait croire en ces rumeurs maladroites, tout juste bonnes à attirer les vacanciers dans les bras des voyantes et autre diseuses de bonne aventure dont les devantures colorées savaient, à elles seules, repoussaient les insulaires qui n’y voyaient que trop bien dans leur jeu. »
De nouveau, des pas retentirent dans le couloir, dessinant une ombre que la lumière de l’extérieur leur fit parvenir en filtrant sous la porte et, cette fois, Jihad entendit clairement une voix appeler son nom ; Tahera. Elle avait probablement demandé à la tenancière si elle avait vu un gamin hâlé passer et, dans sa furibonderie, l’interpellée de lui répondre qu’un corniaud d’Aeb s’était introduit chez elle. Tahera se serait probablement outrée de l’appellation, aurait remercié son hôte d’une voix acide ; la scène aurait pu faire sourire Jihad s’il n’était déjà pas trop occupé à baisser la voix pour mieux continuer son interlude avec Messaline. Déjà, néanmoins, tout le bonheur que le nomade s’était promis de cette première sortie s’était évaporé et la présence de sa garde-fou dans la bulle éphémère qu’ils s’étaient créée, Messaline et lui, empoisonnait l’ambiance intimiste qui avait su le dérider. L’inconnu, la nouveauté, certes ; quoique le charme de la rousse n’y était pas pour rien, mais inclure une dose ne serait-ce qu’infime de son quotidien et déjà Jihad boudait son aise pour mieux retenir un soupir à fendre l’âme.
« - Oh, mais j’y pense, je vous dois toujours un déjeuner. rappela-t-il avec sérieux, lui qui avait donné sa parole d’honneur et qui comptait bien la tenir coûte que coûte, quitte à jouer des pieds et des mains pour échapper aux griffes de Tahera – si, par malchance, elle arrivait à lui poser le doigt dessus, ce qui n’était encore qu’hypothétique. Dés qu’elle partira, je vous rapporterais ce qui vous ferait plaisir. un temps, presque hésitant, tandis que le doute traversait son visage où les bribes de nervosité que cette voix lointaine avait su faire naître en lui en l’appelant trahissait son appréhension, quoiqu’il investissait son temps et son cœur à faire comme si de rien n’était. À moins que vous ne souhaitiez sortir également.. ? »
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| | Jihad el-Houari
Partie IRLCrédit avatar : Gunnmgally & Evaëlynn.Double compte : Assurément.Vitesse de réponse : Lente.
| | Mer 4 Juin - 22:43 | | | | Pendant le long moment de silence qui succéda aux paroles de Messaline, elle crut voir passer sur le visage du jeune homme quelque chose qu’elle ne comprit ni ne sut nommer, et conçut un certain malaise de cette réaction dont elle ne savait que penser. Mais d’une certaine manière, ne rien en dire était sans doute la meilleure chose qu’il puisse faire ; que dire d’autre, de toute manière ? Rien de ce que l’on pouvait prononcer en de telles circonstances ne pouvait avoir la moindre valeur. Mais il comprenait, lui ; de par sa nature même, parce qu’il était condamné comme elle. Elle eut un élan de sympathie pour lui et un sourire lui vint, très doux, presque tendre, qui fila subtilement le long de ses lèvres.
Elle se détourna un instant, et puis plus rien n’y parut et le fil de la conversation reprit naturellement comme si rien de cela n’avait été dit. Elle fit voleter en l’air quelques ronds de fumée adroitement soufflés et lui glissa un regard où brillait une lueur d’amusement.
— Je n’y manquerai pas. Je crois même que j’aurais enfin une bonne raison d’aller prendre froid là-bas. Et avec ta bénédiction, je ne doute pas d’y parvenir sans encombre. Ce serait idiot de gâcher ces belles paroles, qui plus est.
Messaline lui adressa un petit clin d’œil espiègle qui tourna à la grimace quand elle entendit des pas dans le couloir. Une ombre se faufila sous la porte et elle saisit distinctement le nom du garçon que criait une voix forte. Allons bon, la duègne n’aurait pas mis guère de temps à retrouver sa trace... Cela sembla évidemment chagriner son hôte impromptu, mais c’eut été mal connaître la jeune femme de croire que ce serait suffisant pour la faire renoncer à ses projets d’escapade.
— C’est tout à ton honneur, garçon, chuchota-t-elle avec le même sérieux solennel qui ne dura que quelques secondes. Mais ne crois pas que je compte rester dans cette chambre toute la journée, tu ne t’es pas échappé pour moisir dans une taverne douteuse, quand même.
Elle souffla une dernière bouffée d’opium et vida les cendres de sa pipe dans un petit pot près du lit avant de se lever, l’air décidé. Non sans dévoiler brièvement l’affolante vision de son dos nu à peine voilé par ses cheveux en désordre, elle arrangea la couverture autour d’elle et fit signe à Jihad de se cacher un moment, posant un doigt sur ses lèvres avec un sourire complice. Alors que l’ombre affairée repassait de nouveau devant la porte, Messaline l’entrouvrit à peine, laissant entrevoir une fraction de sa mine chiffonnée par le réveil, feignant de cligner des yeux dans la lumière vive qui se faufilait par l’entrebâillement.
— Dites, lança-t-elle d’un ton renfrogné, vous voulez pas aller mener votre tapage ailleurs ? Y’a des honnêtes gens qui dorment encore à cette heure-là figurez-vous, et estimez-vous heureuse que mon compagnon de chambrée ne vous ait pas encore entendue parce qu’il aurait sans doute formulé les choses beaucoup moins gentiment, si vous voyez ce que je veux dire.
Ce disant, elle affecta une petite moue qui laissait dire que ledit compagnon n’était pas du genre à apprécier les réveils tardifs en fanfare et qu’il était plutôt du genre ronchon, voire violent. Que la nourrice se rapproche encore, et elle serait à portée de Messaline qui ne se priverait pas d’utiliser à bon escient son don quoiqu’elle doutât légèrement de son efficacité compte tenu de son état. Mais ça n’était pas en restant les bras croisés à attendre que la dame se lasse que les choses allaient avancer...
Les choses étant dites, elle referma la porte le plus silencieusement possible, exactement comme on le ferait pour éviter de déranger un fauve endormi. Elle resta un instant debout là, la main posée sur la poignée, et esquissa un sourire victorieux quand elle entendit la femme s’éloigner.
— L’orage est passé, dit-elle à voix basse en revenant près du lit. Et si on allait déjeuner ?
L’ombre d’un rire planait dans ses yeux cernés lorsqu’elle entreprit de fouiller le tas de vêtements froissés qui se trouvait à ses pieds. Pour tout dire, malgré le fait qu’elle eut encore à endurer les contrecoups sévères de ses excès de la veille, elle s’amusait follement. Cette journée débutait finalement sous de bien meilleurs auspices qu’elle ne l’aurait cru de prime abord en lui laissant le loisir d’agir à sa guise, au gré de ses caprices. Et pour le moment, ce qu’ils lui dictaient était de faire de la fugue du jeune homme un moment qu’il n’oublierait pas de sitôt. Elle connaissait beaucoup trop la valeur de ces instants volés pour permettre qu’ils fussent gâchés d’une manière ou d’une autre, et puis il ne vivrait pas assez vieux pour se permettre d’avoir des regrets, tout comme elle. C’était maintenant qu’il fallait vivre, pas demain, pas dans des années qu’il ne verrait peut-être pas. Il était sans doute plus fragile qu’elle, aussi la prudence restait de mise, mais il y avait tant à faire et à voir sans risquer sa vie, dans les rues d’Aeb ! Ce serait un crime de rater cela.
Dépliant sa robe malmenée, elle la secoua brièvement pour en ôter la poussière, et se fendit à peine d’un avertissement avant de laisser tomber la couverture. De toute manière, il en avait déjà vu bien assez, un peu plus, un peu moins...
— Je connais quelques endroits qui devraient te plaire, dit-elle tout en s’habillant. Tu as de la chance, c’est jour de marché, il y aura des choses à voir en ville. Et puis le port, aussi ; je m’arrangerai pour te faire monter sur un bateau, il faut que tu voies ça.
Une fois à peu près convenablement vêtue, elle rassembla ses divers effets éparpillés dans la chambre tout en démêlant hâtivement ses cheveux en bataille. Un petit rire lui vint lorsqu’elle eut une idée, et elle lança à Jihad un regard plein d’une impatience joyeuse.
— Oh, fit-elle ; je sais où nous allons le prendre, ce déjeuner ! Disons que... C’est une surprise.
Et pour tout dire, elle savourait d’avance ce moment. La perspective d’offrir une journée de liberté à quelqu’un qui, comme elle, vivait enfermé par les entraves de son propre corps suffisait à lui faire oublier sa fatigue matinale. Elle se souvenait encore de ce qu’elle avait ressenti en de tels instants, et pouvoir offrir cela à quelqu’un d’autre qui connaissait les mêmes souffrances qu’elle était un ravissement nouveau et sans pareil.
— On va sortir par-derrière, c’est peut-être plus prudent si ta nourrice rôde encore, reprit-elle en ouvrant les hauts volets de bois disjoints qui fermaient l’espèce de porte-fenêtre donnant sur un balcon étroit. Ce sera peut-être un peu sportif, mais rien d’impossible, ne t’en fais pas.
L’avant-corps qui longeait la façade de l’auberge donnait sur l’une de ces cours obscures qui se nichent entre les maisons du port, et l’on pouvait de là rejoindre sans trop de peine le toit-terrasse d’une annexe que l’on avait construite entre les édifices tout en empiétant sur l’espace du patio. Avec un naturel qui trahissait une certaine habitude, Messaline enjamba la balustrade et se laissa tomber sur le haut de la maisonnette, un mètre plus bas. Elle fit signe à Jihad de la suivre, restant prête à le recevoir en cas de mauvaise chute.
— Allez garçon, du nerf !
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| | Messaline
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