Je ne sais pas à quel point exact ma conscience est revenue... J'ai senti la pointe entrer dans ma chair, mais avec une précision experte. Pas de douleur, surement à cause de mon état. J'ai probablement perdu conscience à nouveau pour quelques minutes... En fait, je me suis surtout reposée.

J'ouvre les yeux sur le plafond sale de la chambre. Je devine le lieu, sans trop de difficulté, ainsi que le prix de la chambre au vu de la qualité. Donc, Connavar aura fait le reste du travail. Le connaissant un peu il a du faire un massacre digne du précédent. J'ai des doutes sur la survie des pochtrons qui m'ont tabassée. J'aime la chaleur des flammes qui parcours mon flanc seul, et la lumière qui dessine une lueur étrange sur le plafond. Je tente un mouvement mais sans succès. Une seconde tentative révèle une douleur étrangement faible dans mes membres. Il m'aurai suturé? L'aiguille, oui bien sûr... Je me redresse le long du montant en bois du lit. Mon muscle se bande et ma force revient plus vite que je ne l'imaginais. Mes affaires sont là, et je m'en saisit. Rien n'est vraiment abimé, il faudra juste laver les tissus et astiquer les armures légères... Je suis propre. j'en déduis donc qu'il m'a lavée. Comique, je ne le savais pas capable de ce genre d'attentions. D'autant plus que certaines traces de sang sur mon corps m'indiquent qu'il n'a pas lavé toutes les parties de mon corps. Un sourire se dessine sur mon visage amusé, et je regarde Connavar qui me tourne le dos.

Dans le silence de la nuit, avec pour seule ambiance le crépitement des flammes, je termine de me vêtir, et je me lève. Je dors depuis combien d'heures? Je ne sais pas, mais il me faudrait encore quatre heures de sommeil. Ceci dit, j'ai déjà bien vu que le confort des lits n'était pas vraiment mon genre. Coté feu, pour capter la chaleur, je vais lentement me poser à coté de Connavar qui veille sur la porte. Me mettant face à la fenêtre, dans une position identique, à quelques centimètres de lui, je goute au silence et au bois du sol, brut et humide.

Je ne dis rien. J'ai l'habitude de dormir dans cette position, et je ne suis pas sure de vouloir parler. Je pense que mon remerciement est compris depuis la taverne, et les grandes tirades larmoyantes en témoignage de gratitude ne sont pas mon truc. Entre gens sobres et sombres, je pense que nous sommes plus ou moins capables de capter les subtilités de nos attitudes respectives.

Bêtement, alors que je pensais rester silencieuse et laisser trainer cette ambiance quasi-cérémoniale, un rire m'échappe en repensant à la manière dont ces chiens ont du se faire démolir par Connavar. C'est donc d'une manière soufflée, et au milieu de rire que je lâche, sans vraiment m'en rendre compte :

Les pauvres...

      Connavar montait la garde depuis déjà de nombreuses heures quand un bruissement de tissu avertie l'elfe qu'Héna se levait. Le combat contre le démon et la fureur lui aillant drainé toute force, l'elfe n'avait plus la motivation pour se retourner pour versifier si l'humaine allait bien.
      Du mouvement, sûrement s'habille-elle. Cette fois-ci l'elfe fut davantage tenté de se retourner mais n'en fit finalement rien. L'elfe ferma les yeux d'espace d'une seconde et voilà l'humaine derrière lui. Tu n'es qu'un idiot, et la fatigue ne pardonne rien, si les gardes étaient arrivés alors que tu dormais tu ne serais plus que visiteur dans le royaume des morts. Enfin bon, tu t'en es pas si mal sortie pour de l'impro, ce serait stupide de tout gâcher au dernier moment.

      - Les pauvres...

      Quoi ? Les pauvres ? Serait-ce du second degré ou plaint-elle vraiment ces chiens ? Si c'est le premier cas c'est qu'elle va bien, dans le deuxième je soupçonne un coups à la tête. Bon dans tous les cas je ne peux mentir.
L'elfe laissa passer les secondes, profitant de cette douce nuit. En vie. Les flammes projetaient leurs silhouettes contre les mures, aussi l'elfe devina que sa compagne devait être dans la même position que lui.

      - Ils ont payé et c'est tout ce qui compte, ainsi va la justice, ma justice.

      Alors que Connavar parlait des morceaux de sang séché tombaient de ce visage figé la nuit durant. Ne sachant que dire l'elfe enchaîna par la première phrase qui lui vient à l’esprit :

      - Comment vas-tu? Pas trop secoué?

      Après coups la phrase lui sembla à la fois bonne et mauvaise, car même si la réponse aiderait l'elfe à comprendre Héna elle pourrait également lui faire revivre cette soirée traumatisante.
      De nouveau immobile l'elfe profita du crépitement de la cheminée.

La justice? Un mot tant controversé, tant malmené ces temps ci. Les failles, défauts et qualités de Connavar m'apparaissent assez évidentes. Pour quelqu'un qui lit dans les autres, il faut avouer qu'il est assez aisé de lire en lui. Sa personnalité reste compréhensible, et son esprit semble aspiré à autre chose que son petit destin. Nous sommes tous ce genre de personne j'imagine, au fond des choses.

Enfin, s'emmêler la tête autour de fausses certitudes ne m'aidera pas. Je ressens le poids de mes cheveux humides qui épousent les formes de l'avant de mon corps en une pluie d'acier noir et tranchant. Cet accès à la terre, aux forces lourdes et épaisses d'un état de repos parfait, me ramène à qui je suis. Mes propres démons. J'ai du passer ma journée à explorer tout ça sous tous les angles.

Connavar s'enquiert alors de mon état de santé. J'y vois tout d'abord une inquiétude quant à mon état physique, mais bien sûr, je ne peux pas éviter de me souvenir de tout le reste. Je prend donc une bonne minute pour organiser ma réponse, dans l'ambiance présente, cela se présente comme une continuité.

Tu sais coudre, et je suis dure à cuire, donc oui, ça va bien. Je suis dure à "secouer".

Bien sûr, je ne devrai pas en parler plus que ça, mais ce serait incorrect.

Pour le reste... N'en parlons plus. Je ne te dois rien pour ce que tu as fais, et je n'avais rien demandé...

Et j'ajoute sèchement, mais néanmoins avec sincérité : Mais... Merci

Je laisse un silence là dessus, sans théâtralité, mais les situation soulève d'elle même le caractère exceptionnel de cet acte de ma part. Pour une solitaire, la gratitude est la négation de l'individualisme, et par la même occasion, la destruction d'un grosse part de fierté. Ceci dit, j'aspire à devenir moins "bornée" et "brute de décoffrage".

En tout cas, j'ai été un peu brute avec toi, dans la rue, je le reconnais. Alors je reformule ma demande.

Sans tourner la tête, ni expression, ni voie qui flanche, juste neutre et digne.

Me feras-tu le plaisir de m'accompagner encore un bout de chemin, partenaire?

Surement aurai-je aimé lui demander s'il viendrai avec moi aux confins de l'enfer affronter les pires créatures et risquer la mort, et mourir sans se retourner, sans douter, sans peur et avec la conviction profonde du devoir et de la justice menée. Avec la douleur et la haine qu'engendre la mal, la corruption qui guette les esprits et corrompt les âmes. Avec la sueur et le sang que nos corps verseront sans doute, et tout ceux qui seront sacrifiés à la cause. Avec les difficultés qu'engendre la vie et le partenariat avec un être si différent en tous domaines, avec l'acceptation entière de l'autre, ainsi qu'avec le cran de le combattre dans l'erreur, de le tuer dans la déroute. Tout ça, j'aurais aimé le demander, tout comme j'aurais aimé que Connavar soit celui dont j'aurai besoin, le partenaire de quête et de combat qui me permettrait d'aller jusqu'au bout, et que je pourrais porter autant qu'il me porterai, mais ce n'est pas le cas. Et je vois évidemment que ma vision du "partenaire" est erronée. Je vois milles merveilles émanant de "l'autre" car j'ai été trop toute seul, et mes réactions sont presque adolescentes. J'exagère, mes envies et projets sont démesurés. Mais arrive t-on, dans ce monde ci, à quelque chose, si la mesure nous empêche de progresser?

Connavar n'est pas l'idéal dont j'ai besoin, mais il à le potentiel de le devenir. Je ne sais pas grand chose de ses ambitions et il semblerai qu'il n'en ait pas. Mais s'il cache mieux son jeu qu'il ne semble le faire, alors peut-être est-il, dans ses ténèbres, des objectifs auxquels je pourrait moi même participer. Nous allons tous les deux changer au contact de l'autre, et si nous restons ensemble suffisamment longtemps, d'autre compagnons nous rejoindront peut-être. J'ai besoin de gens différents, et de personnes capables de porter un projet, une ambitions, et une guerre, aux confins mêmes du royaume de la mort. Rendre l'être vivant "libre", et parfaitement "libre". Si j'espère pouvoir réunir de nombreuses personnalités, je n'oublierai jamais ce que Connavar a fait, et qu'il a été le premier à m'accompagner, et à vivre ma transformation.

      L'elfe laisse passer un moment, profitant du calme et de la sérénité des lieux. Bientôt, la ville s'animera, et de nouveau Sent'sura sera le lieu le plus bruyant de tout Terra, mais pour le moment rien. Seul un pochtron au loin semble vouloir perturber l'harmonie du moment avec une chanson grivoises mais l'instant est si pure que le silence étouffe ce chant discordant pour en faire une triste mélodie.
      Après cette période de silence Connavar reprend la parole, serin pour la première fois depuis le combat avec le démon:

      - Tu n'as pas à me remercier, tu en aurais fait autant. De plus je serais des plus heureux de t'accompagner dans les montagnes.

      Suite à ces mots l'elfe prend conscience de son état, couvert de sang sécher des pieds à la tête. Décidant qu'Héna pouvait de nouveau se débrouiller seul, l'elfe se leva et reparti en bas demander au patron où se laver convenablement dans son établissement, non sans oublier de prendre son arme.
      En arrivant au rez de chaussé du bâtiment l'elfe aperçue personne et ce n'est qu'après une bonne minute d’attente qu'une femme à la natte rousse et tenant un plateau de serveuse déboucha dans la salle. En voyant l'elfe aux allures de démon elle fit d'abord un pas en arrière puis se ravisa, un client reste un client.
      L'elfe demanda où était le bain de l'établissement et la jeune femme l'amena à l'étage, au détour d'un couloir. Ils débouchèrent alors dans une petite pièce avec, au centre, une grande bassine d'eau et sur le mur du fond une étagère couverte de serviette, le tout éclairé par un petit feu réchauffant la pièce. En arrivant elle prévint que l'eau était encore froide mais que s'il voulait l'elfe pouvait avoir de l'eau plus chaude en attendant. La proposition fut rejetée poliment.
      Une fois propre et sec l'elfe mis une serviette autour de sa taille et jeta ses vêtements plus que sale au feu. Il retourna alors dans la chambre, hache sur l'épaule et sa serviette en guise de seul vêtement. A peine eut il fermé la porte qu'il posa la hache contre le mur et laissa tomber la serviette sans se soucier de la présence d'Héna.
      Il parcourra la chambre pour récupérer une tenu neuve dans son baluchon et se vêtit tout en admirant le jour pointer le bout de son nez à travers l'une des fenêtres de la chambre. L'elfe sortie ensuite une pomme qu'il croqua tout en savourant le levé du jour.