Assise en bonne compagnie, Nash jouait aux cartes avec trois hommes, trois bourgeois. Etonnée et outrée de voir une femme se livrer aux loisirs des hommes et qui plus est sans porter une robe, une bourgeoise s'avança parmi les tables du cabaret et c'est avec un air hautin qu'elle s'exclama :
- Vous n'avez pas honte ? Une femme digne de ce nom n'a pas sa place à table avec des hommes, en train de jouer aux cartes ! Si vous êtes vous-même une souillon, n'abimez pas l'image des dames qui savent comment se comporter, elles !
Nash, concentrée sur le jeu qu'elle avait en main, ne daigna pas accorder le moindre regard à cette femme suffisante et s'exclama d'un air chantonnant :
- Ma foi ! C'est que je suis un homme !
Elle jeta à ses compagnons un regard malicieux et sourit en coin. Ces derniers posèrent le regard sur la poitrine de la joueuse, bien qu'elle ne portât pas de décolleté, et c'est avec un rire appréciateur typiquement masculin qu'ils firent comprendre à l'insolente qu'elle n'était décidément pas un homme. Le regard perçant de Nash, caché derrière l'élégant masque blanc, sembla transpercer la bourgeoise :
- Eh bien ma petite dame, vous devenez bien pâle soudain, s'exclama-t-elle d'un rire mauvais, ses comparses se joignant à elle.
- Vous..., vous n'êtes qu'une insolente, une putain, une m...
- Oh ! Mais attendez ! Que vois-je sous cette coiffure sophistiquée ?
Nash regardait au-dessus de l'oreille gauche de la femme et tendit délicatement la main droite, prête à saisir ce qui était invisible aux yeux des autres.
- Que voulez-vous dire ? Qu'est-ce que j'ai ?, s'affola la bourgeoise, les yeux écarquillés.
Nash frôla ses cheveux et retira soudain sa main en montrant une carte.
- C'est une carte !, s'écria-t-elle, les yeux pétillant de malice. Mais vous êtes un homme aussi !
Nash se rassit gracieusement et rejeta la tête en arrière, dans un grand éclat de rire. L'infortunée quant à elle en resta bouche bée d'outrance et repartit d'un pas pressant sans un regard en arrière. Mais Nash n'en avait pas fini avec elle :
- Faites attention où vous trainez, ma bonne dame ! Il me semble vous avoir vu une boucle d'oreille manquante, ricana-t-elle doucement. Mais ce n'est pas moi qui l'ait, après tout, les hommes ne s'intéressent pas à ces objets de caprice matérialiste.
Puis, croisant une jambe par-dessus l'autre, ses cartes face cachée formant un parfait demi-cercle et les mains posées sur la table, clairement visibles :
- Bien, messieurs, je propose qu'après cette malencontreuse interruption, nous reprenions la partie. Et les étoiles sont avec vous ce soir : j'ai un très bon jeu. En conséquence, je me dois de jouer loyalement. Une pause, elle reprit son jeu et dans une fluide gestuelle inversa l'ordre dans lequel elle les avait d'abord rangées et annonça :
- Atout trèfle !