Dans le ciel, le combat faisait rage, mais il semblait à sens unique. Le dragon continuait son œuvre de mort et de destruction en répandant la terreur sur le pont de l’Arcavat dont la voilure et les mâts enflammés luisaient sur l’onde noire recouverte par la nuit. Çà et là, différents projectiles s’envolaient et fusaient dans le ciel vers la monstrueuse créature et, de temps à autre, l’on pouvait apercevoir des étincelles explosives et rougeoyantes qui contrastaient dans l’obscurité lorsqu’elles rencontraient le dragon. L’atmosphère était surréelle et dangereuse avec cette vague vertigineuse qui bordait le navire de sa démesure, prête à l’écraser sous des trombes d’eau à chaque instant.
Pourtant, au milieu de tout cela se tenait une petite réunion de personnes qui tentaient bien tant que mal de conserver leur calme ou, tout du moins, ne de point faire étalage de cette peur qui suintait des matelots.
Erwan tenait toujours la main d’Arthur, lequel la lui serrait de sa force de bambin comme si, après la mort de son grand-père, le jeune homme n’était plus que le dernier point d’ancrage auquel se raccrocher. Après les maigres conseils qu’il avait pu donner au gamin et la demande qu’il avait faite autour de lui, en quête de quelque magicien ou sorcier que ce fût, un autre homme les avait rejoint. Celui-là même qu’Erwan avait vu quelques minutes plus tôt en prise avec une magie qui, comme d’ordinaire, le dépassait de loin et qui l’avait encore moins inspiré que les autres.

Eu égard au discours que le nouveau-venu tint, celui-ci semblait connaître les arcanes occultes de la magie et son fonctionnement, partant dans des explications sibyllines, et il n’en ressortit aux yeux d’Erwan que la manipulation Aethyrique vous privait de bien des plaisirs de la vie. Régime drastique tout en évitant de boire et de manger du sucre et de l’alcool, voilà bien la seule chose qu’il put comprendre de tout ce brouillamini ésotérique, et il ne douta pas un instant qu’Arthur fît de même. Encore que, vu la jeunesse de ce dernier, les concepts de jeûne devaient assurément lui être étrangers.

L’Arcavat coulait non loin d’eux, rongé par les flammes ardents de ce brasier qui sortait de la gueule d’un dragon que l’on ne voyait plus, léché par les lames de la mer qui venait récupérer son bien, s’engouffrant dans ses cales tout en l’attirant vers le fond. Enorme joie d’avoir triomphé de son ennemi, de l’avoir défait là où il était apparu comme invaincu et invincible par les plus grands de ce monde, énorme peine et sensation d’injustice lorsque l’on considérait ce mur d’eau qui ne laissait pas filtrer la pâleur de la lune et qui ne manquerait pas de s’abattre sur eux, les envoyant rejoindre l’épave de ce navire qu’ils avaient tous vaincu. Et leur sort, à chacun d’entre eux, résidait entre les mains de ce gamin que l’on venait rassurer, à qui l’on promettait gloire et célébrité lorsque son jeune âge ne lui permettait peut-être pas de saisir de telles notions. Mais pourquoi pas ; tout était bon à tenter dans cette situation précaire, instable, là où l’espoir était infime mais encore accessible.

Et à la masse d’eau de tomber. Lourdement, elle se brisa en son sommet, et des cascades et des tonnes d’eau commencèrent à basculer sur le pont. Un véritable raz-de-marée sur le point de les emporter tous mais, pourtant, alors que tous s’en remettait à ce qu’ils avaient de plus cher en leur cœur après cette victoire au goût amère, le miracle se produisit.
Erwan sentit la main du petit homme se raffermir autour de son bras, et après des cascades de larmes qui s’écoulèrent de ses yeux, lesquelles paraissaient bien risibles face à celles qui pourfendraient le navire, un bouclier s’érigea. Si le jeune homme, alors relié à Arthur, ne sentit rien, il put voir le monde vaciller tout autour de lui, être témoin d’un souffle titanesque dont l’épicentre n’était pas autre que le gamin qui ravagea le pont et balaya les hommes qui se trouvaient à proximité. Le bouclier magique se déploya bien au-delà du jeune homme et de l’enfant, englobant le navire et ses environs au moment même où les premières lames menaçaient d’écraser l’embarcation qui n’avait déjà que trop souffert. Le bruit fut tout bonnement atroce, véritables déflagrations dignes des plus hautes et puissantes chutes d’eau de Tera Mystica et de ce que la nature avait à offrir, représentation la plus parfaite du plus puissant des éléments. Mais pas assez, toutefois, pour faire flancher la volonté d’Arthur qui, tout naturellement, comme s’il s’agissait d’un exercice des plus simplistes, ne broncha pas et tint bon. Les cathédrales d’eau ruisselèrent le long des parois de ce pavois occulte, et cette eau dressée magiquement termina enfin de rejoindre l’onde bien plus douce qui dormait quiètement dans la nuit après la dernière tempête.

Tout du long, en dépit des longs appels de confiance qui avaient pu être émis par les uns comme par les autres, tout le monde avait retenu son souffle, appréciant tout en le craignant un spectacle que peu d’êtres vivants pouvaient se targuer d’en avoir été le témoin.
Le bouclier se détériora naturellement, et les sanglots du gamin revinrent à la charge. Non, ce dernier ne s’était aucunement tenu tranquille tout au long de l’édification de cette protection ; il s’en était une énième fois remis à ses propres pleurs, abandonné à cette tristesse ou à ce manque de courage flagrant qui pouvait parfois le surprendre, et la force de ses sentiments avaient fini par reprendre le dessus, développant un sixième sens qui lui avait permis, probablement, de faire usage de ce pouvoir qui dormait en son sein. Erwan considéra le petit fils de celui qui l’avait employé, s’apercevant de tout cela lorsqu’il n’avait eu d’yeux que pour les lames d’eau s’abattant sur le bouclier et dont l’ouïe avait été entièrement monopolisée par le bruit que cela avait produit, ignorant tout des sanglots.

A présent en-dehors de cette bulle qui les avait protégés, le temps reprenait doucement son cour, et l’air froidureux de la mer vint caresser ses cheveux et la peau de son visage. Il sembla redécouvrir les perceptions de ses sens, serrant doucement la main de ce petit garçon qui les avait sauvés, captant çà et là quelques exclamations de joie de certains marins que trop heureux de se découvrir surtout en vie, mais surtout, le silence assourdissant qui régnait subitement sur les environs. Un dernier silence, dernière accalmie, si ce n’étaient lesdites manifestations euphoriques, puis rugit la voix du capitaine comme l’enfant tombait dans les pommes. Prestement, Erwan le prit dans ses bras avant qu’il ne tombât au sol et se fît mal avant de regarder tout autour de lui.

Emergeant doucement après ces quelques secondes d’hébétement général, les marins s’agitèrent et obéirent aux ordres de leur capitaine. Tout comme on l’avait fait suite à l’attaque des loups éthérés, l’on s’occupa dans un premier lieu des blessés, leur administrant les premiers soins pour ceux qui avaient encore quelques chances de s’en sortir. Bandages, scies à os et autres onguents et baumes furent apportés, et les premiers gémissements ou cris de douleur retentirent. Une corde fut également lancée dans l’eau, partant à la pêche de ce dragon qui, Erwan l’apprit bien plus tard, avait en vérité reprit forme humaine et faisait partie de l’équipage depuis son départ au port. L’on déblaya également les débris qui maculaient le pont et entravaient et gênaient le passage et la circulation, l’on s’occupa des gréements, de la mâture et de la voilure que l’on pouvait encore rafistoler et l’on fabriqua des rames de fortune. Il fallait à tout prix retrouver la côte et une crique dans laquelle pouvoir établir un bilan plus certain des dégâts qui avaient été causé au navire et, si cela était possible, recharpenter le navire et lui donner un nouveau souffle. Chacun des membres de l’équipage était d’accord ; il eût été des plus bêtes que de sombrer lamentablement après avoir mené le combat de sa vie face à l’Arcavat, et tout le monde voulait pouvoir carnier fièrement à terre en disant « j’y étais ».

Le capitaine vint également rendre diligemment visites aux différents mercenaires encore en vie qu’il avait enrôlé pour cette mission à hauts risques, les félicitant et les remerciant franchement et d’homme à homme pour ce qu’ils avaient fait. Il leur promit également la livraison prochaine de leur récompense, laquelle n’était pas autre qu’une belle somme rondelette en espèce sonnante et trébuchante. Ils eurent également le loisir de choisir dans les cales ce qui leur ferait plaisir, dernier cadeau qui manifestait de la gratitude de leur employeur. Erwan en fit rapidement le tour et, voyant qu’il n’y avait pas la grand-chose de probant, hélas, reporta son choix sur une cargaison d’un alcool qui lui sembla être de bonne qualité. Il put également s’apercevoir des goûts pour le moins foireux de certains autres mercenaires, lesquels furent étonnamment attirés par des babioles sans valeur et sans saveur. Mais il s’agissait de leur choix, aucunement du sien, et ne fit guère plus de commentaire que celui déjà pensé.

Le jeune homme demanda également des nouvelles d’Arthur, une dernière fois avant de quitter définitivement le navire. Non pas qu’il s’était soudainement pris d’affection pour le môme, mais celui-ci leur avait à tous sauvé la vie, et il se sentait redevable envers sa jeune personne. Le gamin en avait déjà bien vu au cours de sa petite vie, trop, probablement, pour un enfant de son âge, et la force mentale qu’il avait dû déployer pour leur assurer la vie sauve avait été colossale ; il s’en était même évanoui. Mais le capitaine le rassura sur ce point-là ; le jeune garçon allait bien, et l’homme avait en accointance certains membres lointains de sa famille à qui il ne manquerait pas de confier le bonhomme sitôt qu’il irait mieux, et Erwan pouvait si fait avoir l’esprit tranquille.
Et ce fut ainsi, effectivement, après avoir salué la totalité de l’équipage, qu’il posa pied à terre, l’escarcelle alourdie et partant à la découverte d’un avenir encore inconnu.