Le repas est quelque chose d’essentiel pour survivre. On peut à priori en manquer un, deux, trois, un nombre indéfini pas vraiment élevé mais au bout d’un moment, les forces nous quittent et la vie nous abandonne. Chaque espèce semble procéder son propre mode d’alimentation. Un carnassier ou carnivore est un être vivant dont le régime alimentaire est basé sur la consommation de chairs ou de tissus d'animaux vivants ou morts. Quant aux herbivores, ils sont en constante relation avec les végétaux étant donné qu’ils en dépendent pour leur survie. D’autres créatures quelque peu plus fantastiques comme les vampires se nourrissent de sang pour maintenir leur pseudo état de mort parmi les vivants. Cependant, le repas n'est pas uniquement pensé comme un moyen de se rassasier, mais aussi comme une manière ritualisée de produire et entretenir du lien social. Pour une certaine personne, il suffirait d’allumer un feu, se procurer de la viande séchée, un peu d’eau, quelques herbes aromatiques pour se concocter une soupe pouvant répondre aux besoins nutritionnels journaliers. Pourquoi manger seule dans un endroit aussi dangereux ? Probablement parce qu’elle était partie seule en mission pour plusieurs jours. Entre autre, une raison valable de remplir son estomac alors qu’à tout moment, sa vie pouvait basculer vers la mort pour une simple faute d’inattention. Vraiment, pourquoi venir dans les marais en ayant connaissance de sa réputation à glacer le sang si ce n’était pour accomplir une mission ? Pour d’autres personnes, c’était tout simplement une habitude. L’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse s’aventurait régulièrement dans les marais afin d’accomplir certaines choses dictées par la pudeur. Ce dernier était un démon du chaos et cette condition induisait une façon de s’alimenter différente de la quasi-totalité des races existantes, voire peut-être découvertes en prenant en considération qu’il restait encore bien des mystères à percer. Pour l’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse, les marais sont probablement l’endroit idéal pour réaliser ce qu’il avait à accomplir à chaque fois qu’il venait par ici. En fait, les individus qui vivaient dans les parages formaient la plupart du temps des petits groupes de gens sans grande histoire, la plupart du temps des hors-la-loi. Pas des rebelles ou encore des partisans d’Aile Ténébreuse mais plutôt de simples indépendants ou des personnes appartenant à une neutralité stricte.

Aujourd’hui, Asmodan était particulièrement chanceux. Alors qu’il s’était engagé sur un sentier isolé peu fréquenté, il avait fait la rencontre d’un jeune garçon d’une vingtaine d’années. Cheveux blonds ondulés, le mètre quatre-vingt pour son pesant en muscles, les yeux d’un bleu azur similaire à la mer autour d’Abyssaï et une barbe finement taillée prenant l’allure d’un élégant collier. Avec son armure et son épée, il donnait l’impression d’être un jeune chevalier, un jeune chevalier égaré car il était peu probable qu’un gentilhomme s’égare ainsi sans raison valable. Une mission, peut-être ? C’était monnaie courante après tous ces derniers temps. En tout cas, il s’agissait de l’impression ressentie par l’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse et en toute honnêteté, il n’aurait pour rien au monde voulu le vérifier. En fait, le blondinet passait par là au mauvais moment. L’air de rien, Asmodan s’était approché de lui comme étant lui aussi un voyageur égaré et lorsque le jeune homme tenta de lui adresser la parole, l’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse tira sèchement son cimeterre pour le figer dans son estomac d’une estocade sèche et précise, un coup impardonnable. Pas d’honneur, pas de regret. Pour ce qui allait suivre, il ne pouvait pas se permettre de lui adresser la moindre considération. Pourquoi ? Parce que c’était plus facile. En général, Asmodan préférait s’en prendre aux voyous, aux malfrats aux valeurs putrides et indignes et il lui paraissait être évident que ce gosse n’en était pas un. En toute franchise, il n’aurait probablement pas eu le courage de poursuivre en apprenant qu’il venait de prendre la vie d’un probable citoyen de Miraï. Le bénéfice du doute était préférable, au moins pour sa conscience. Lentement mais sûrement, un halo violâtre commença à entourer la lame noire du cimeterre. Le retour en arrière était inutile car ce phénomène était la preuve même que dans tous les cas, le blondinet imprudent avait été blessé mortellement. Il n’était alors plus question de gâcher une occasion en or de s’abreuver facilement. Mais s’abreuver de quoi ? Cette scène inquiétant prenait l’allure d’un rituel. En pratique, Asmodan l’avait déjà fait des dizaines de fois depuis son retour parmi les vivants. Intuitivement la première fois, de quoi le déconcerter profondément. Par manque d’expérience et de connaissance, sa première victime fut une petite fille de douze ans, citoyenne d’Abyssaï.

A l’époque, il n’était pas encore devenu l’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse et désormais, il s’agissait d’un cas non envisageable pour lui. En effet, il représentait désormais la plus haute autorité d’Aile Ténébreuse dans le domaine de l’Eau et il considérait comme une priorité absolue de protéger le peuple Abysséen loyal au Roi Démon. Voilà pourquoi Asmodan prenait la peine de venir chasser les âmes dans un endroit aussi dangereux. Si sa flotte commençait peu à peu à comprendre ce qu’il était, il préférait garder sous silence qu’il était ni plus ni moins un mangeur d’âmes. Ce dernier percevait la chose comme une véritable malédiction. Quelque part, celui qui était amnésique était totalement indifférent à l’évocation du nom de Zelphos comme s’il n’avait jamais eu le moindre rapport direct avec les démons. Il ressentait l’intime conviction d’avoir toujours appartenu à ce monde en vivant avec l’étrange sensation d’être plus proche des humains qu’il ne voulait bien le croire. Mais devant Aile Ténébreuse et ses plus hauts serviteurs, le doute n’était pas permis. Voilà une seconde raison pour laquelle Asmodan se donnait le temps de venir dans les marécages. Tout simplement réfléchir sur son passé et le sens de sa vie. Cela ne le pesait pas vraiment mais quelque part en lui, l’envie de comprendre ses origines le titillait et il se demandait aussi s’il ne regretterait pas un jour. On dit parfois qu’il existe des vérités qu’il ne vaut mieux pas connaître. En définitive, Asmodan retira son cimeterre du corps de sa proie. La vie avait totalement abandonné le jeune garçon et il était parvenu à absorber son âme. Sa faim allait pouvoir être rassasiée pour quelques jours. Sans lui adresser le moindre regard, de peur de se mettre à chercher sur lui des éléments pour mieux le connaître, Asmodan se remit en chemin. Tout comme la jeune demoiselle auparavant, Asmodan était parvenu jusqu’à la lisière d’une forêt inspirant quelque peu crainte et terreur. Un trouillard aurait sans nul doute rebroussé chemin à la seule vue de l’endroit. S’engager à l’intérieur de ce bois revenait à s’enfoncer dans un tunnel sans la certitude d’arriver au bout.

Après de longues minutes de marche, il repéra au loin, à une centaine de mètres, une légère lueur très vive surplombée par une fumée noire. Quelqu’un faisait un feu ? Il se demandait quel malheureux pouvait bien s’être aventuré jusqu’ici. Durant le trajet, Asmodan manque de tomber plusieurs fois à cause de ronces lui entravant le chemin. D’un pas calme mais quelque peu incertain, il prit la décision d’aller en direction de la source de lumière. Et s’il s’agissait d’une bande ? L’angle de perception de la lumière lui laissait supposer que le ou les individus étaient sur un plateau inférieur. Ce simple fait lui donnerait l’occasion de s’enfuir en cas de mauvaise surprise, à priori. Lorsqu’il arriva enfin au niveau du talus, il posa avec délicatesse et discrétion un genou à terre pour se pencher en avant. Il aperçut alors une marmite sur un feu de camp dans un premier temps puis la présence d’une seule personne. La présence d’une femme. Lâchant un soupir de soulagement, il tenta de se redresser mais portant son armure des grandes sorties, il fut un peu déséquilibré et sa jambe heurta une petite branche d’un arbre et évidemment, le bruit du craquement s’ensuivit. Dans la précipitation de l’évènement, il s’allongea à plat ventre en espérant qu’elle ne l’avait pas entendu ni repéré. Après tout, en terre hostile, quelle est la probabilité de tomber sur une amie ?


[HRP : Désolé pour l'attente, fin de semaine chargée. :3]

Yaëlle était accroupie devant sa marmite, j'ai apparemment perdue dans ses pensées. Pourtant il n'en était rien. Il faudrait être fou pour se laisser aller à la moindre baisse d'attention dans un endroits aussi sauvage, surtout à la tombée de la nuit. Paradoxalement, l'heure du repas qui devait être celle de la détente était également la plus dangereuse. Alors même si le regard de la jeune femme était complètement absorbé par les remous lents de son dîner, son esprit restait alerte malgré sa fatigue. Dès qu'elle perçu le craquement, elle se redressa et dans un gracieux tour sur elle-même, fit face au surplomb de terre, ses deux faucilles tirées et la garde montée. Être en contre-bas n'était jamais avantageux pour se battre mais elle préférait ça que d'être à découvert et risquer de se faire encercler sans possibilité de replis. Le bruit de chute qui avait suivit trahissait le déroulement des événements. Au moins, si l'intrus était par terre, il ne risquait pas de lui sauter dessus.

« Tu crois peut-être que je suis sourde mais ce n'est pas le cas. Sors de ta cachette et avance lentement dans la lumière. »

C'était peut-être de la paranoïa mais mieux valait s'adresser au vide que négliger un ennemi. D'autant que les histoires de fantômes buveurs d'âme lui revenaient de plus en plus en tête. Datar l'avait mise en garde contre ces esprits qui n'avaient rien de bien naturels. Il lui avait également donné de quoi se défendre contre de telles créatures mais le mieux étaient encore de ne pas en rencontrer !
Certains disaient que c'était quand tout le monde avait plongé dans le sommeil que les créatures sortaient de la brume pour attaquer. Les voyageurs ne se rendaient compte de rien et on retrouvait leur cadavre blafard et desséché le lendemain matin. Yaëlle ne comptait pas finir ses jours dans un fossé du marais avec une apparence de momie ! Elle avait encore trop de choses à faire ! A commencer par son mariage. Cette idée lui trottait également dans la tête depuis son départ. Comme elle n'avait rien d'autre à faire que marcher, elle profitait de tout ce temps libre pour réfléchir et s'organiser, le point le plus important de cette problématique maritale étant de contacter ses parents pour les mettre au courant. Et étrangement, à chaque fois qu'elle se trouvait en situation de danger depuis qu'elle était entrée dans le marais, elle en revenait invariablement à cette pensée " hors de question de mourir ! Je dois encore prévenir mes parents que je vais me marier !". Futile ? Peut-être, mais chacun trouve sa motivation où il veut. Et sans cette pensée, la yogaï aurait pu se laisser aller à la mélancolie qui lui était maintenant familière. Et elle aurait alors laisser cet individu peu discret s'approcher sans faire le moindre geste pour l'arrêter.

[HRP : Les dialogues entourés par des étoiles se passent dans la tête d’Asmodan. :p]

Asmodan n’avait plus la moindre vue sur Yaelle. Ses yeux étaient fermés et en toute hâte, il tentait de se remémorer ce qu’il avait aperçu d’elle. Un semblant de femme pour le moins svelte mais au teint de peau bien trop laiteux pour être « naturel. » Sa chevelure d’un blanc très pur contrastait totalement avec la pénombre présente depuis désormais plusieurs heures. Soudain, les yeux d’Asmodan se ré ouvrirent pour s’écarquiller. Le danger immédiat ne l’intéressait plus, le problème venait d’ailleurs.

*« Pourquoi m’avoir tué, assassin ? »*

La phrase résonna dans la tête d’Asmodan comme la fin du monde. Vraiment, ce n’était pas le moment d’être déconcentré.

« Tu pourrais avoir la courtoisie d’attendre quelques minutes ? » lâcha-t-il à voix basse, à moins de détenir une ouïe très développée, il n’y avait pas de raison apparente pour que Yaelle puisse entendre la voix d’Asmodan de là-haut. »

Un étrange rire s’en suivit dans la tête d’Asmodan. Vous souvenez-vous de la scène de tantôt, le jeune blondinet assassiné par l’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse ? Déjà qu’Asmodan appréciait peu sa nouvelle façon de se nourrir, il fallait qu’il vienne lui casser les pieds maintenant. En effet, après le repas et pendant un court temps, un être dévoré par le Démon du Chaos avait la possibilité s’il le choisissait de communiquer avec Asmodan. En fait, il s’agissait pour le plus souvent d’une conversation qu’Asmodan redoutait. En plus, ce n’était vraiment pas le moment. A cet instant précis, Yaelle n’avait toujours pas prononcé le moindre mot.

*« Tu m’as tué. »*

L’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse soupira profondément. Il ne détenait pas les clés pour mettre un terme à cela et en fait, il était tout simplement impuissant face à cette situation. De plus, il venait d’entendre quelques bruits en bas comme celui de deux lames qui se heurtent. L’inconnue était sur le qui vive.

*« Et à cause de toi, ma grand-mère va mourir. »*

« Ce n’est pas mon problème, tu vois ? »

Enfin, ce fut au tour de la voix de la Yogaï de parvenir aux oreilles d’Asmodan. Elle était plus douce, plus rationnelle. Un lot de compensation par rapport à ce qui la précédait. De plus, bien que sa voix était remplie de méfiance et c’était tout à fait normal vu les circonstances, elle avait décidé de lui laisser une chance de se montrer. Après tout, elle devait se poser bien des questions, peut-être les mêmes que lui avant elle. Seul, voire seule ? Ou plusieurs personnes ? Et bien entendu, la nature de l’individu ?

« Je vais me lever. Je ne vous veux aucun mal. » prononça-t-il à haute voix avec un accent diplomatique.

Dans la foulée, il exécuta ses propres mots et se redressa sur ses deux jambes. Il en profita alors pour observer à nouveau Yaelle. En effet, il n’avait encore jamais vu une femme lui ressemblant auparavant. La curiosité le piquait désormais tant c’était troublant.

*« Est-ce que tu vas aussi la tuer de sang froid ? »*

Bonne question.

La jeune femme se détendit imperceptiblement. Elle n'avait pas à faire à une bête mais à une créature douée de raison et de parole. Prête à coopérer en plus. Peut-être qu'elle avait de la chance finalement ?
Les ombres se firent mouvantes au-dessus de son abris et une silhouette se découpa avec un peu plus de netteté. Yaëlle resserra sa garde et fit un pas en arrière pour conserver une distance de sécurité. Même si son invité impromptu semblait enclin à se montrer, elle ne devait pas être trop négligente.

Quand la lumière éclaira enfin le visage de l'inconnu, elle fut presque de surprise. Elle ne s'attendait pas vraiment à rencontrer un jeune homme au milieu de la nuit dans un endroit comme celui-là. Il portait une armure qui semblait de bonne qualité et une longue épée battait sa hanche. A surveiller. D'autant qu'il était bien plus grand qu'elle, ce qui la mettait mal à l'aise. Mais ce qui la frappa avant tout ce fut les balafres qui barraient verticalement chacun de ses yeux. Pourtant ces derniers ne semblaient avoir subit aucun dommage. Ce phénomène était à la fois intriguant et inquiétant. Mais il en fallait plus pour effrayer la jeune femme qui en avait vu bien d'autres. Rien ne pouvait être aussi terrifiant que de voir les lèvres de l'être aimé prononcé le mot qui vous réduira en esclavage.

« Pourquoi m'espionnais-tu ? Qu'est-ce que tu fais dans ces marais, caparaçonné dans une armure de guerre ? »

Dans la marmite, le dîner poursuivait sa cuisson sans se soucier de ce qui se jouait autour du feu. Et dire qu'elle avait espérer pouvoir manger avant que les ennuis de commencent...Un nœud dans son estomac se chargea de lui rappeler qu'elle avait faim et que la journée avait été longue et fatigante. Elle ne pouvait pas se permettre d'engager un long combat ou même une fuite dans ces conditions.

« Tu tombes vraiment mal...Pour une fois que je prenais la peine de faire à manger. »

Si la yogaï était une formidable combattante, elle était en revanche complètement novice dans tout ce qui touchait aux tâches ménagères. La seule fois où elle avait tenté de faire la cuisine en espérant faire plaisir, elle avait presque mit le feu au manoir. Quand à la couture, mieux valait ne pas y penser. Alors pour une fois qu'elle prenait le temps de bien faire les choses, c'était quand même pas de chance de se faire déranger.

« Pose ton épée par terre. »

Jambes fléchies, Yaëlle se déplaça latéralement pour mettre le feu et la marmite entre elle et l'étranger.

« Et pas de mouvement brusque, sinon j'ajoute une de tes mains à mon repas. »

La voix de la demoiselle n'était pas brutale, ni même menaçante. Elle restait d'un calme exemplaire. Mais comme un petit bout de femme dans une forêt sombre peut sembler bien démunie, elle préférait jouer carte sur table et prévenir de ce qu'il risquait s'il tentait quoi que ce soit.

*« Elle te plaît ? C’est pour ça qu’elle n’est pas encore morte ? »*

La remarque du jeune homme précédemment mort était sans fondement. A priori, Yaelle ne risquait pas grand-chose. Il n’avait pas conscience qu’il était décédé car il s’était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Triste à dire mais ce n’était vraiment pas plus compliqué que cela à comprendre. D’une certaine manière, c’était ce qu’Asmodan se retenait de lui lâcher à la figure ou plutôt à ce qu’il lui restait d’âme. Il murmura à l’intention de sa victime et désormais, si Yaelle ne pouvait toujours pas entendre ses messes basses, il était certain qu’elle serait encore plus sur ses gardes en voyant les lèvres de l’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse se mouvoir. Quelqu’un de prudent pouvait y voir une tentative d’incantation, d’invocation ou peut-être même pire encore ? Elle constaterait bien assez tôt qu’il ne se passerait rien de toute manière. Finalement, il devait passer pour quelqu’un de plus louche qu’il ne l’était déjà aux yeux de la Yogaï.

« Je t’espionnais, moi ? Peut-être bien. Fondamentalement, il ne s’agissait pas de toi en particulier mais de ce qui se trouvait là en bas. » dit-il, la désignant.

Asmodan détenait un certain talent pour faire d’une question simple ou réponse compliquée, détournée, ou trois quart des mots employés étaient pour la plupart du temps peu utiles. On appelait ça l’art de noyer son interlocuteur sous les mots pour troubler son esprit. Aussi étrange que cela pouvait paraître, ce procédé fonctionnait dans certains cas. Essayez donc le jour où vous serez coincés derrière les barreaux. Vous réussirez peut-être alors à retourner le cerveau de votre geôlier pour en faire votre nouvel ami.

« Tu sais, de là-haut, on sait pas si on va rencontrer une demoiselle seule ou si on va tomber sur un campement de gens dotés de mauvaises intentions. Mon approche est ratée et comme tu le dis si bien, c’est parce que je suis dans cette armure. Je la porte parce qu’elle me va bien. »

Qu’elle soit d’accord avec son argument au sujet de son armure, il s’en fichait. Il était trop tôt pour dire à une inconnue qu’il était un proche d’Aile Ténébreuse, bien plus proche qu’elle ne l’aurait jamais imaginée. Par prudence, il valait mieux d’abord la suspecter d’être de la rébellion bien que seule, que pouvait-elle faire contre lui ? Il ne savait pas lui-même et rien que pour cela, la méfiance s’imposait.

*« Ma grand-mère va mourir si je ne lui ramène pas ce que je suis venu chercher jusqu’ici au péril de ma vie ! Elle est à Miraï. »*

Sans raison apparente, l’amiral se massa la nuque, l’air plus que gêné. Ce moment-là, il l’avait redouté depuis qu’il avait décidé de faire de ce jeune blondinet son prochain repas. Un citoyen de Miraï, quel manque de chance. Le peu de conscience qu’il possédait était en train de le rattraper. Par principe, le rôle de la flotte d’Aile Ténébreuse est également de protéger la population sous la coupe du Roi Démon et il venait d’en assassiner un ? Il maudissait plus que jamais cette possibilité que détenaient ses victimes.

« Poser mon épée à terre ? Désolé, je ne peux pas. Je ne te connais pas et sans en abuser, cette épée est plus précieuse que ma vie. Je te l’ai pourtant dit, je ne te veux aucun mal. Maintenant, je peux repartir comme si de rien n’était ou tu peux m’inviter à te rejoindre pour discuter. Je te laisse ce choix en gage de ma bonne volonté. »

Alors qu’elle lui avait lancé une menace qui aurait pu faire sortir un démon de ses gonds, l’Amiral demeurait calme et sensé. Il ne mentait pas lorsqu’il disait ne lui vouloir aucun mal.

Pour l’instant.

La jeune femme fronça les sourcils, agacée d'être prise pour une idiote. Parce que c'était toujours comme ça qu'elle se sentait quand on lui servait de la langue de bois. Mis à part une vague insulte, elle ne trouvait aucun sens à cette première déclaration et ne comptait chercher trop longtemps pour en trouver un. La deuxième réplique failli lui faire perdre patience. Il se moquait ouvertement d'elle ou c'était vraiment sa seule excuse ? Quoi qu'il en soit, il était plutôt effronté pour un imbécile qui s'est fait repérer. Quelle idée d'aller espionner quelqu'un quand on se promène avec un attirail de casseroles sur sois. Bien sur, il refusa de déposer son arme. Ils étaient peu nombreux ceux qui acceptaient mais on pouvait toujours demander, ça ne coutait rien d'essayer.

« Si tu étais si plein de bonne volonté, tu poserais ton épée à terre. Mais soit. Assied-toi quelque part, je préfère encore t'avoir à portée de vue pendant mes quelques instants de détente que de te savoir en train de vadrouiller dans le noir autour de moi. »

D'un geste agacé, Yaëlle remit ses lames dans leur fourreau avant de retourner s'installer devant sa marmite. A tout moment elle se tenait prête à trouver hors de portée d'un coup d'épée. Elle ne savait toujours pas ce qu'était le jeune homme ni ce qu'il lui voulait. Il était trop propre sur lui pour être un vagabond ou même un renégat. Et il ne portait rien sur lui qui puisse faire penser qu'il était à la recherche de quelque chose, comme elle. Alors d'où est-ce qu'il pouvait bien sortir ?
La jeune femme remua d'un air absent son repas improvisé avant de s'en servir une écuelle, estimant que c'était suffisant pour la cuisson. Elle n'avait pas grand chose à dire ni beaucoup de questions à poser. Si il avait tant esquiver les premières, il n'avait pas de raisons de répondre aux secondes. Et puis qu'est-ce qu'elle en avait à faire après tout ? Qu'il aille se faire frire un oeuf, tout ce qui importait c'était qu'elle puisse passer la nuit et repartir le lendemain. Peut-être que c'était cette expression imperturbable qui la dérangeait ou alors le fait de voir une belle personne dans un endroit si angoissant. Ou alors c'était ces deux grandes cicatrices qui la dérangeait. Elle ne savait pas très bien ce qui la mettait mal à l'aise avec cet invité surprise mais elle ne se sentait pas détendue du tout. En plus il avait l'air un peu dérangé, elle était certaine de l'avoir vu marmonner quelque chose.

« Sert-toi si tu as faim. » dit-elle sans le regarder.

Il n'était pas désagréable à regarder, loin de là même, mais elle n'était pas certaine de vouloir affronter ce regard étrange pour le moment. Elle n'en restait pas moins attentive et le scrutait du coin de l’œil quand même. Des fois qu'il se mette à faire des moulinets avec son épée.

Son interlocutrice était au bord de l’agacement. Précédemment, Asmodan avait refusé cordialement de poser son épée à terre comme elle le lui avait ordonné. La bonne volonté n’était qu’une question de point de vue. Yaelle ne pouvait pas se douter ce que représentait cette épée aux yeux d’Asmodan. Elle était l’un des centres de sa seconde vie en plus d’être en même temps sa plus fidèle alliée et son cauchemar. Définitivement, la déposer par terre était inconcevable pour Asmodan. Kaos n’avait nulle autre place que dans les mains de son porteur. Dans la vie et dans la mort, les deux étaient liés et quelque part, Asmodan excusait quelque part Yaelle de ne pas pouvoir le savoir. Ce simple fait avait pour conséquence qu’il n’irait pas plus loin dans son argumentation, qu’il n’irait pas non plus tenter de la provoquer un peu plus sur ce sujet. En effet l’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse était peut-être un éternel arrogant et provocateur, son jeu ne dépassait cependant jamais rarement le stade de la bêtise et de l’idiotie. De plus, le fait que Yaelle rengaine ses deux lames semblait enterrer la hache de guerre, pour le moment.

« Me surveiller ? Compréhensible. Dans ce cas, je vais descendre ce talus qui nous sépare et m’installer en face de toi, ta marmite et ton feu feront un peu de distance. Puis ce n’est pas que j’ai peur du noir mais troquer un peu de ta luminosité contre ma docilité, ça me paraît être un bon marché. »

Il sourit brièvement à Yaelle. A priori, ce qu’il venait de dire l’amusait quelque peu. Si bien qu’il lui lança la fin de sa réplique sur le ton de la sympathie. Elle ne sembla pas ronchonner quant à son annonce, il exécuta alors ses derniers mots et avec prudence, il commença à descendre d’un pas lent mais assuré le petit talus. Il ne s’agissait pas de glisser et de se vautrer lamentablement devant une inconnue. Elle pouvait l’avoir déjà devinée, la discrétion n’était pas le maître mot d’Asmodan. Ce dernier se servit du poids de son armure pour avoir une bonne prise avec la pente pour en atteindre son bas sans la moindre péripétie ridicule.

*« Elle te propose un repas alors que t’es un assassin que tu l’espionnais ? Qu’est-ce qu’ils ont tous les gens dans ce foutu marais ?! Et tu vas arrêter de m’ignorer ! »*

Oui, l’esprit enquiquinait toujours profondément Asmodan. Compréhensible lorsque l’on avait l’occasion de discuter avec l’inconnu qui venait de nous ôter la vie ? L’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse toussota légèrement. Une idée lui traversa soudainement l’esprit. On pouvait voir, d’une façon quelque peu tordue, accordons-le, la scène suivante : Asmodan se trouvait physiquement face à une inconnue et un inconnu se trouvait également quelque part dans son esprit. Avec quelques mots, il était alors en posture de demander des renseignements sur les deux en même temps, sans même éveiller les soupçons de Yaelle quant à ses murmures de tout à l’heure.

« Merci pour la proposition mais je n’ai pas très faim. C’est votre repas, il s’avère que je dérange déjà votre seul moment de repos d’après vos dires. »

Calmement, Asmodan s’assied comme convenu en face d’elle. La marmite et le feu de camp séparaient les deux individus. La lueur émise par les flammes permettait à chacun d’entre eux d’observer avec une grande précision le visage de l’autre. De ce point de vue-là, les cicatrices d’Asmodan parfaitement horizontales sans avoir l’air d’avoir endommagées ses yeux devaient paraître encore plus lugubres et effrayantes pour Yaelle.

« Je suis Asmodan. Et vous, quel est votre prénom ? »

*« Ah, tu t’intéresses à elle mais pas à moi ?! Moi c’est Peter. Si tu m’avais laissé une chance de me battre contre toi, je t’aurais fait mordre la poussière, sale meurtrier ! »*

Alors que Yaelle s’apprêtait probablement à donner une réponse à la question d’Asmodan, ce dernier fit le brillant constat que son idée fonctionnait. Quelque part au fond de lui, la venue d’un homme aussi jeune que Peter intéressait le Démon du Chaos.

Bref, c’était tout un art de converser discrètement avec deux personnes en même temps alors que la protagoniste ignorait la présence de trois âmes dans les parages.

Yaëlle haussa les épaules et continua son repas. Qu'il fasse comme il voulait, elle prévenait simplement pour être polie. Le feu crépitait sans se soucier de ce qui se passait autour de lui. Les pieds de champignon avaient un goût très fin et bien relevé par les quelques herbes aromatiques. leurs vertus énergisantes n'étaient pas un mensonge et la jeune femme se sentait déjà mieux. Avoir quelque chose de chaud dans le ventre devait participer à cette sensation de bien être aussi.

« Je suis Asmodan. Et vous, quel est votre prénom ? »

La jeune femme leva ses yeux verrons vers son invité. Le droit était vert, le gauche était bleu. Depuis qu'elle avait les cheveux blancs, on les remarquait plus et elle était presque contente de son changement de couleur, même si elle était passée par une phase plutôt douloureuse pour les avoir. Mais ce qui lui plaisait le plus était le malaise que ce regard asymétrique créait parfois chez les gens. Ils ne savaient pas lequel regarder et ne voulait pas croiser son regard trop souvent. Elle ne se sentait pas trop désavantagée face aux yeux couleur améthyste d'Asmodan et à ses impressionnantes cicatrices.

« Appelle moi Blanche. Enchantée Asmodan. »

Une chose que Datar lui avait demandé était de cacher sa véritable identité. S'afficher aux côtés du conseiller de la reine avaient des inconvénients, en particulier celui d'être prise pour le point faible de l'elfe. Elle avait déjà été victime de deux tentatives d'enlèvement ou de meurtre. Les ennemis de son compagnon étaient nombreux et elle représentait la meilleure faille à exploiter. Au détail près qu'elle était plus redoutable que ce que sa jolie silhouette laissait penser. Alors pour éviter les complications inutiles, ils avaient décidé d'un commun accord qu'elle voyagerait sous un nom d'emprunt.

« A mon tour de te poser une question : qu'est-ce que tu fais dans ce marais ? Ça m'étonnerait que tu y vive, tu n'as pas l'allure d'un renégat. Tu as une bonne épée, une bonne armure et des manières... Tu n'as pas grand chose d'un barbare sauvage ou d'un monstre de vase. »

Personne ne connaissait les monstres de vase mais Yaëlle était persuadée qu'ils existaient ! Parfois la boue faisait de brosses bulles et semblait agitée de remous, elle refusait de croire que ça puisse être une créature vivant dedans. Pour elle c'était forcement un monstre de vase. Elle évitait d'ailleurs de plonger les pieds dedans autant que possible.

Les yeux vairons de Yaelle étaient troublants, en effet. Ils incitaient à regarder une fois à droite, une fois à gauche. Ses oreilles en pointe, sans trop l'être pour autant lui faisaient penser qu'elle pouvait être issue d'un croisement entre un humain et une elfe. Cela n'expliquait pourtant pas la nature de sa peau et de ses cheveux blancs. C'était comme si on avait absorbé chacun des pigments de couleur pour laisser une belle et magnifique toile blanche. En fin de compte, le teint laiteux de Yaelle était peut-être plus perturbant que ses yeux vairons. De plus, elle était trop svelte, pour ne pas dire bien foutue pour une créature croisée avec une humaine. Pas de formes supplémentaires, un portrait idéal. Quelque part, Asmodan était terriblement intrigué par tout cela, de nature curieuse, il n'avait jamais vu auparavant une créature comparable à Yaelle. Ainsi, toute une nuit n'aurait peut-être pas suffit à Yaelle pour répondre à toutes ses questions.

« Blanche. »

L’ironie de la situation était plutôt forte. Asmodan retint absolument tout sourire, il ne la connaissait pas suffisamment pour savoir s’il pouvait se permettre ou non ce genre de choses. Ce nom était plutôt rare, il intensifiait encore plus la curiosité qu’il avait déjà envers elle. Un pseudonyme ? Il n’avait pas de quoi en douter un seul instant. D’après son physique, avoir donné ce nom à Yaelle à la naissance était tout à fait cohérent. Ainsi, le mensonge de Yaelle passait comme une missive d’un soldat à son supérieur. Qui était Yaelle, d’ailleurs ? Correction. Blanche continuait de manger tranquillement son repas cuisiné dans la demi-heure plus tôt.

« Enchanté, Blanche. Il s’agit d’un prénom bien choisi, dira-t-on. »

Asmodan laissa fendre un léger sourire sur ses lèvres. Finalement, il ne retint pas la petite plaisanterie avec au fond la certitude qu’il n’était pas le premier à le faire. En fait, la situation était d’autant plus ironique qu’Asmodan n’était pas son véritable prénom. Enfin, lui ne le cachait pas volontairement, il l’avait choisi pour pouvoir faire reconnaître son identité. Dans son cas, il ne se rappelait tout simplement pas de ses origines. Joshuah Armadrédo était bien derrière lui désormais. Il n’avait encore rencontré personne connaissant l’ancien célèbre Capitaine de Piraterie qu’il avait été autrefois. Le comble était aussi que de nos jours, Asmodan traquait sans relâche les pirates qui reniaient la suprématie d’Aile Ténébreuse.

Ensuite, Blanche s’intéressa bien évidemment aux raisons qui poussaient Asmodan à se retrouver dans les Marais de la désolation. Il fallait être franc, cet endroit n’était pas le lieu idéal pour une promenade. Quand on était une créature douée de raison et de parole, il fallait une solide raison pour venir dans les parages. Blanche était en mission et Asmodan en train de se nourrir. Deux raisons bien différentes mais qui avaient faites se rencontrer ces deux personnes très différentes mais à un destin semblable : Il faudrait peut-être envisager de passer la nuit ici pour espérer repartir le lendemain. La conversation avait tendance à faire baisser la garde d’Asmodan en tout cas à lui en faire oublier qu’à n’importe quel instant, ils pourraient se retrouver dans les beaux draps.

« Mhm. Ma présence ici est liée à mon épée. » commença-t-il, l’air un peu hésitant. « Tu as raison de dire que c’est une bonne épée. Je dois la charger régulièrement et pour cela, je m’aventure parfois dans les marais à la traque de quelques monstres. Sans entrer dans les détails, ça me permet de la recharger. »

Le mensonge était réel mais la sincérité dans les propos d’Asmodan l’était tout autant. Il ne la prenait pas pour une idiote, le mensonge semblait être fondé et à priori, Blanche n’était pas en position de déceler la supercherie. En fait, il ne mentait qu’à moitié. L’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse s’aventurait bel et bien dans les marais afin de traquer ce qu’il pouvait considérer comme des monstres en se servant de son épée. Seulement, Blanche n’avait pas besoin de savoir que c’était plus pour lui et que les monstres étaient plus souvent civilisés qu’affreux. De son côté, Peter semblait garder le « silence. » Il avalait très certainement amèrement le mensonge d’Asmodan.

Silencieux, pas pour longtemps.

La jeune femme esquissa un sourire amusé à sa remarque. Oui, le prénom était bien choisi. Elle n'avait d'ailleurs pas vraiment fait exprès puisqu'il s'agissait du prénom de sa sœur aînée. Aucun risque qu'on la confonde avec elle cependant.

« Oui, on va dire que mes parents ont maqué d'inspiration à ma naissance. »

L'explication semblait un peu étrange, elle n'avait jamais entendu parler d'une épée qui ai besoin d'être rechargée. Mais elle n'ignorait pas qu'il existait de nombreux artefacts magiques alors pourquoi pas une épée qui ai besoin d'être rechargée ? Elle n'allait pas s'étendre sur le sujet, elle le croyait quand il disait être là pour ça. Et puis tuer des monstres c'était presque d'utilité publique !

« Tu tues des monstres ? Ça serait presque une atout de t'avoir avec moi alors ! Comme ça si une bestiole nous attaque, tu pourras la découper en rondelle. »

Après tout, pourquoi ne pas entrer dans le rôle de la victime ? Plus elle paraitrait inoffensive, mieux c'était. Elle l'avait menacé avec des armes mais c'était si peu conventionnel de se promener avec des faucilles que ça pouvait tout aussi bien passer pour des outils de cueillette.

« Moi je cueille des champignons. Je suis très exactement à la recherche d'un type de champignon qui s'appelle le Hurle-Vie. Il est hautement toxique sauf dans certaines préparations apparemment. »

Yaëlle en savait assez peu à ce sujet. Datar lui avait donné quelques explications mais pas plus. Tout ce qu'elle savait c'était qu'il les utiliserait pour pratiquer une magie plutôt noire et défendue dont il ne voulait pas parler. Et pour avoir lu un ouvrage là-dessus, la jeune Yogaï ne voulait pas savoir non plus de quoi il retournait.

« Certains prétendent qu'il y a des spectres par-ici. Des créatures qui sortent de l'ombre pour aspirer nos âmes. Elles n'ont pas de corps à proprement parler, ce sont comme des fantômes. Des légendes racontent que ce sont des morts qui auraient réussi à échapper aux limbes mais sans passer par Nayris. Ils ont réussit à passer la frontière mais n'ont pas retrouvé leur corps et ils se nourrissent des âmes des vivants pour pouvoir rester sur terra. Ceux-là aussi tu peux les tuer ? »

Yaëlle lui demanda avec un sourire amusé aux lèvres. Ces histoires étaient plus faites pour se faire peur qu'autre chose d'après elle. Les monstres de chaire et d'os, elle y croyait. Les fantômes, c'était une autre histoire. Elle était loin d'imaginer qu'elle avait un dévoreur d'âmes sous les yeux. Et il n'avait rien à voir avec un spectre.

L’attitude de Blanche à l’égard d’Asmodan venait soudainement de changer comme si le jour venait de se lever. Comme il l’avait fait auparavant pour elle, cette dernière gobait son premier tissu de mensonges. L’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse remettait en cause une certaine inaptitude de Blanche de réagir correctement et se défendre face au danger. Après tout, il n’y avait pas si longtemps, la Yogaï l’avait menacé avec ses deux faucilles. Il était d’ailleurs rare de voir quelqu’un se battre avec ce genre d’armes. Enfin, Asmodan ne remettait pas en doute les capacités de Blanche à se défendre contre les monstres et les humanoïdes.

« Je ne suis pas mauvais bretteur et les monstres ne me font pas peur. Je te protègerais pour cette nuit, va. »

Asmodan détourna légèrement son regard. Il n’était pas vraiment gêné par ce qu’il venait de dire car comme Blanche, lui aussi était en train de mettre son propre jeu en place. En fait, il trouvait étrange de raccorder ses talents d’épéiste à la chasse aux monstres. Il savait très bien que pour ce qui n’avait pas vraiment de conscience et de parole, sa magie chaotique était nettement plus efficace et pratique. Enfin, il espérait tout de même que cette situation n’arriverait pas pour la nuit et qu’ils allaient pouvoir continuer de discuter sereinement pour se quitter en bons termes le lendemain matin. Ce ne devait pas être tous les jours que Yaelle voyait un inconnu utiliser une antique magie peu reconnue.

« Le Hurle-Vie… Je ne m’y connais pas très bien en champignons et autres produits d’herboristes. »

Asmodan ne savait pas si Blanche l’avait fait volontairement mais le dernier mot de sa phrase laissait pleinement penser qu’elle était venue les récolter pour une tierce personne. « Apparemment », cela relevait fortement de l’incertitude et quelque part, Asmodan trouvait incohérent que l’on vienne ici pour cueillir des champignons dont on ne sait pas avec certitude défendre les vertus. En tout cas, il ne croyait pas en un mensonge de la part de Blanche sur les intentions quant à sa venue. Elle lui mentait sur son prénom, il lui mentait sur les raisons de sa propre venue dans les Marais de la désolation.

« Je me demande quel genre de personnes peut envoyer une femme par ici pour ramasser des champignons toxiques. » lâcha-t-il, l’air songeur.

Il ne parlait pas d’envoyer une femme comme étant une faiblesse particulière. Enfant, homme ou femme, le Démon du Chaos ne faisait pas trop de différences. Il ne prônait pas une supériorité de la gente masculine ou une égalité entre les deux sexes. Pour Asmodan, la vie se résumait souvent à une multitude de choix avec ses conséquences. Sa question, sans en être vraiment une, était plutôt lancée à Blanche pour espérer découvrir s’il avait vu juste. En effet, Asmodan se demandait si Yaelle travaillait ou non pour une autre personne.

« Je n’en ai jamais rencontré. Peut-être que je n’ai pas conscience d’en avoir vu un. Fondamentalement, pourrait-on voir un « fantôme » s’il se trouvait devant nous ? Si on leur a donné le nom de spectre, c’est sûrement le cas. Pour répondre à ta question, je devrais pouvoir gérer quelques spectres sans trop de difficultés. Une horde de spectres serait plus problématique en revanche, tu ne crois pas ? »

Asmodan rendit son sourire amusé à Blanche. Vantait-il ses talents contre les spectres pour jouer le jeu de Blanche et la rassurer ? Le dévoreur d’âmes ne craignait pas grand-chose d’un ou deux spectres égarés. Ils représentaient par ailleurs un repas facile pour Kaos. Quoi que, Asmodan se demanda si cette dernière serait capable de les absorber. Il n’avait jamais eu l’occasion auparavant d’en rencontrer un pour faire cet essai. Soudainement, il espéra même en rencontrer quelques-uns dans la nuit qui s’était désormais totalement installée.

« Sur les mers, on conte souvent la légende d’un équipage fantôme. On dit qu’il n’apparaît que lorsque l’environnement est propice à une tempête et que la pénombre s’est installée. Personne ne sait à qui ce navire appartient. On raconte qu’il est tellement endommagé que s’il était réel, il ne pourrait pas flotter sur l’eau. Ce qui effraie réellement les marines, c’est le fait qu’on dise qu’il est accompagné par les « esprits » des autres navires qui ont coulé au même endroit que lui après ce fameux équipage fantôme. Personnellement, je craindrais plus les immenses créatures sous-marines dont on fait les descriptions dans certains vieux livres de Miraï. »

En comptant une simple légende de marins, Asmodan venait de donner à Blanche un certain nombres de détails à son sujet.

Yaëlle l'écouta avec un réel intérêt. Il ne semblait pas agressif ou alors il était très bon acteur, et il participait activement à la discussion ce qui était très agréable après plus d'une semaine à parler aux arbres et au vent. Elle termina son plat sans y prêter trop attention et s'assit plus confortablement mais toujours de façon à pouvoir sauter sur ses pieds en un éclair. Les vieilles habitudes ont la vie dure. Elle hocha la tête à ce qu'il disait, comprenant et acceptant son point de vue bien qu'elle ne le partage pas vraiment. Pour elle, un spectre était quelque chose de visible, même si difficilement définissable on devait au moins pouvoir affirmer avoir perçu quelque chose : un flou coloré, une ombre, un mouvement...
Quand Asmodan évoqua les monstres marins, la jeune femme écouta avec plus d'attention. Elle ne connaissait pas grand chose de la mer mais espérait pouvoir y aller un jour et même visiter les îles des pirates. Pour le moment, Ombrage n'était pas encore assez endurant pour faire un tel voyage mais elle lui avait demandé de travailler ce petit défaut et en échange, elle se chargeait de trouver une carte détaillée pour pouvoir faire escale sur les nombreuses petites îles qu'ils pouvaient croiser. Elle nota également qu'Asmodan parlait en connaisseur et en déduisit sans peine qu'il devait être marin ou au moins vivre près de la mer.

« Je n'ai jamais eu la chance d'aller en mer. Mais je sais que si on descend au sud du Marais, on arrive à l'Océan noir. Et qu'il y a un endroit appelé le Cimetière des Epaves. Peut-être que les fantômes des mers viennent de là ? Tu as déjà été dans cet endroit ? »

La jeune femme était loin d'avoir tout visité sur Terra et la vie incroyablement longue lui donnerait l'occasion de voir bien des paysages mais pour l'instant, c'était surtout la mer qui l'attirait et ce, depuis qu'elle avait lu des histoires de pirate et de créatures marines dans les livres de Datar. Elle ne connaissait rien à la navigation ne même à la situation actuelle du territoire de l'Eau mais elle était curieuse.

« J'ai peut-être trop lu d'histoires sur les monstres et les pirates mais si je devais accomplir un long voyage, ce serait vers les Iles de la Muerta. Le sable fin, la jungle tropicale et même les villages de pirates...beaucoup de légendes font rêver à ce sujet, je serai curieuse d'aller voir par moi-même. Et ensuite de découvrir l'Océan noir et le Cimetière des Epaves ! Mais je ne sais même pas si j'ai le pied marin. Ca doit être un enfer de naviguer avec le mal de mer. Je suis certaine que certains démons doivent être malheureux en mer ! »

Cette pensée l'avait toujours fait rire. Quand elle voyait ces gros monstres si puissants et si terrifiants, elle ne pouvait s'empêcher de les imaginer cramponnés à un bastingage, le regard vague et l'estomac retourné.

« On dit que la flotte de Grand Démon est extrêmement puissante et s'est lancée depuis un moment dans la recherche active des pirates. J'espère qu'ils n'ont à bord que des créatures adaptées à la vie en mer sinon les commérages vont aller bon train. On en entends déjà des belles à ce sujet. »

Si la jeune femme s'aventurait avec autant de désinvolture sur le sujet, ce n'était pas que pour faire la conversation. Elle était curieuse de savoir à qui elle avait à faire. Elle même n'était pas vraiment pour ou contre le régime actuelle, elle penchait même plutôt en leur faveur à cause de son compagnon mais elle aimait savoir à qui elle avait à faire.

La voix de Peter s’était finalement éteinte. La discussion entre Blanche et Asmodan était très certainement à l’origine de ce fait. Pour cause, ce dernier ne se serait plus intéressé à ses plaintes car la personne réelle en face de lui l’intéressait bien trop pour l’occasion. En effet, l’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse appréciait que sa compagne de fortune soit autant cultivée et elle s’intéressait aussi grandement à l’Eau en général. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour gagner l’intérêt et le respect d’Asmodan. On en aurait presque oublié qu’il y a peu, les deux protagonistes étaient prêts à croiser le fer.

« Le Cimetière des Epaves… Les rumeurs sont nombreuses. Son nom est intéressant, il permet de théoriser autour de son existence. »

L’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse connaissait bien évidemment le Cimetière des Epaves de réputation. En revanche, il ne connaissait aucun être vivant capable de faire une description détaillée de l’endroit. Il y avait fort à parier que personne ne s’y étant rendu était déjà revenu de là-bas. Néanmoins, Asmodan avait peut-être une idée quant à ses origines. Il existe un endroit, quelque part à la jonction entre l’Océan Noir et Abyssaï où on trouve le sable voleur. Tout ce qui tombe au fond, et qui par là même, touche le sable, est englouti par celui-ci, et il ne le rend pas. Les habitants de l'eau, peu nombreux dans cette zone, se contentent de nager au-dessus en se demandant quels trésors y sont enfermés. Des navires entiers sans doute, et autres trésors inestimables.

« Tu sais ce qu’est le sable voleur ? C’est comme des sables mouvants, sous l’eau, à quelques mètres de profondeurs. On raconte qu’il ne rend pas ce qu’il absorbe. J’ai trois théories en tête. »

En effet, Asmodan avait déjà longuement réfléchit sur cette question. Lorsqu’il avait quelques moments à lui, comme cette soirée par exemple, loin des devoirs habituels, il se donnait le loisir de devenir un penseur ou faisait simplement des recherches sur l’Eau. Ne dit-on pas que la connaissance est une clé vers le pouvoir ?

« Premièrement, le sable voleur pourrait être un accès direct vers le cimetière des épaves. Les rumeurs disent que des navires auraient pu être engloutis par le passé. Dans ce cas, situer un endroit sur Terra Mystica que l’on appellerait le Cimetière des Epaves coïnciderait. A vrai dire, nous n’avons pas découvert dans le passé un pan de l’histoire parlant d’une bataille navale de grande envergure. Tu comprendras que c’est ma théorie préférée. »

Il sourit très légèrement, il faisait preuve d’un sérieux et d’une lucidité sans faille lorsqu’il s’adressait à Blanche. Désormais, il n’hésitait plus à la regarder dans les yeux. La disparité dans la couleur de ces derniers ne représentait plus une gêne mais plutôt un intérêt. Vraiment, être en face d’une personne cultivée et à l’écoute était vraiment plus qu’appréciable. De quoi oublier pendant un moment les affres de la guerre, les obligations du revers de la médaille.

« Secondement, j’ai entendu parler il y a peu de l’île aux merveilles. Cette île a été cherchée pendant des siècles et des siècles par des centaines de générations de pirates, de corsaires, ou d'honnête marins. La plus folle rumeur à son sujet parle d’un grimoire écrit par Yehadiel en personne. D’autres imaginent un portail vers un autre monde. Tout est possible, hein ? Enfin, la croyance en ce lieu concerne plus les pirates même si quelque part, j’ai l’impression de connaître cet endroit depuis longtemps… »

Effectivement, sans s’en rende compte, Asmodan évoquait une partie du passé qu’il avait oublié. Du temps où il fut Joshuah Armadrédo, Capitaine du Dédain et par ailleurs, il s’agissait même d’un rêve d’enfance, l’ultime objectif de sa vie d’homme était de faire la découverte de cette île pour obtenir la gloire éternelle. Ce n’était pas la classe de pouvoir découvrir un endroit mythique, voire même légendaire ? En parler rendait un peu mal à l’aise Asmodan. Parfois, quand il bavardait autour d’éléments concernant sa vie passée, il avait comme la sensation d’avoir déjà vécu cela sans que cela ne soit explicable. Ainsi, au plus profond de lui-même, il préservait l’infime conviction que son avenir était lié à cette légende de pirates. Ironique pour le démon qui était chargé de les enfoncer aux dernières nouvelles, n’est-ce pas ?

« Enfin… Et c’est la plus intéressante de toutes les versions mais aussi la plus courte. Tu es prête ? Tu es bien assise ? » demanda-t-il, un fin sourire au coin des lèvres. « Un voyage sans retour chez Nayris ! »

Il rit légèrement. Il espérait que la plaisanterie plairait à Blanche et qu’elle partagerait son rire, auquel cas il ferait un bide monumental. Au fond, cette dernière théorie n’était pas si idiote. Pourquoi forcément survivre alors que l’on est absorbé par des sables mouvants ? Blanche se lança ensuite vers un sujet plus pointilleux. L’Archipel de la Muer’ta, l’intérêt majeur de cette nouvelle année pour beaucoup de personnes dont Asmodan en personne. L’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse ne s’y était pas rendu depuis son amnésie. Ce simple fait fermait la porte à beaucoup de discutions avec Blanche. En effet, Joshuah aurait sans nul doute pu lui parler pendant des heures de l’archipel sur laquelle il avait vu le jour.

« Comme je te le disais, il me paraît peu convenable de visiter le Cimetière des Epaves. En revanche, il m’arrive de naviguer dans l’Océan Noir. Aile Ténébreuse ne s’y intéresse pas beaucoup parce qu’il y a peu d’habitants. Je peux te dire qu’on y trouve une famille de vampire très connue, les Sombresang. Pour ma part, je crois en le fait qu’il y a bien plus que cela. Les conquêtes ne doivent pas seulement être militaires, en tirer des enseignements culturels est bien plus gratifiant. »

En l’espace d’un instant, Asmodan venait de dévoiler sa couleur. Celle d’Aile Ténébreuse. Blanche devait se poser davantage de questions désormais. Etait-elle en face d’un démon ? Ensuite, elle s’aventura sur un terrain quelque peu plus délicat. Blanche parlait désormais de la flotte que dirigeait Asmodan. Son sourire s’élargit, la discussion prenait une envergure encore plus intéressante.

« L’ancienne flotte d’Aile Ténébreuse était menée par un vampire, Roxo Sombresang. Je ne sais pas quels faits d’armes on peut lui attribuer. Sa trahison fait beaucoup plus parler de lui. Enfin, trahison, cela me fait songer qu’il faudra que j’aille le rencontrer. A cause de lui, les vampires ont perdu beaucoup de crédibilité parmi les partisans d’Aile Ténébreuse. Enfin, je sais que je méfierais deux fois plus d’un vampire désormais. »

Asmodan jouait volontairement le jeu de Blanche. Au fond, la discussion était déjà bien avancée et il avait peu de choses à lui cacher. Il ignorait s’il se trouvait face à une rebelle ou une personne indépendante. Une pro-AT l’aurait plus surpris. Quelle meilleure façon de surprendre quelqu’un que de lui dire ouvertement ce qu’il veut entendre ? Au moins, Asmodan était à peu près certain d’obtenir la réaction la plus naturelle possible de Blanche. Enfin, il aurait de meilleures chances de se faire une idée précise sur son alignement. Une rebelle qui ne maîtrise pas bien ses pulsions pourrait se jeter sur lui et il ne s’agissait que d’un exemple de la réaction espérée.

« Je peux savoir ce qu’on dit sur ma flotte, Blanche ? Tu serais forte aimable de me dire comment on perçoit mon travail en dehors de mes navires. »

L’appât était lancé. Il en faudrait désormais peu pour que Blanche réalise qu’elle se trouvait face à un démon et pas n’importe lequel, l’amiral en personne de la flotte du Roi des Démons.

« Les sables voleur ? »

La jeune femme fit non de la tête et écouta les explications. Elle n'avait aucune connaissance de tout ce qui pouvait se trouver dans l'océan et il semblait s'y connaitre. Les idées étaient intéressantes et s'il n'y avait pas le danger de mort, peut-être que certains s'y seraient déjà risqué.
Elle fut étonnée qu'il donne des indices aussi flagrant sur son affiliation. Elle n'avait rien contre les démons, ils faisaient autant de mort que n'importe quelle autre créature et AT n'était pas meilleur ni pire que le roi d'avant, du moins d'après la jeune femme. Elle était même plutôt avantagée par la situation politique actuelle. Mais comme on ne sait jamais sur qui on tombe au détour d'une motte de terre boueuse, la plupart des habitants de Terra avaient prit l'habitude de garder secrète leur affinité politique. C'était intéressant d'entendre quelqu'un parler de son métier mais ça l'était encore plus quand on mêlait un peu de décisions à l'échelle mondiale dedans. Alors comme ça AT ne s'intéressait pas à l'Océan Noir ? Au moins cette fameuse famille de vampire serait tranquille.

« Je n'ai jamais rencontré de vampire mais rien que les légendes à leur sujet me font froid dans le dos. Je crois que je n'aurai pas confiance non plus, mais pour d'autres raisons que les tiennes. »

Yaëlle lui rendit son sourire, comme si de rien était. Mais elle prit rapidement un air étonné en l'entendant lui poser la question concernant les rumeurs. Il avait parlé de "sa" flotte. Il en était donc le commandant ? Pour une surprise...La yogaï ne s'attendait pas à avoir face à elle l'Amiral démoniaque en personne. Quelqu'un d'aussi important pour la conquête de l'Eau ne devrait pas se promener seul en plein marais au risque de se faire égorger par n'importe quel truand. Bon, peut-être pas n'importe lequel, s'il était amiral c'est qu'il devait être en mesure de se défendre seul mais tout de même. L'endroit restait dangereux.

« Je n'imaginais pas avoir à faire à quelqu'un d'aussi important. »

Elle esquissa un sourire innocent.

« Mais je ne suis pas pour autant désolée de t'avoir menacé avec mes outils. Tu veux savoir ce qu'on dit de la flotte ? Et bien...»

Yaëlle fit mine de chercher au fond de sa mémoire. A vrai dire, elle se souvenait très bien de ce qu'on lui avait dit. Ce n'était pas grand chose mais ce n'était pas flatteur non plus.

« Je n'ai eu des échos que de la population de Drayame mais il semble que vous soyez perçu presque comme des pirates. Des pirates mieux habillés et mieux nourris que ceux des îles mais sans beaucoup plus de scrupules. »

Et elle lui racontait ça comme si elle lui donnait son avis sur la météo actuelle dans les Plaines mystiques. Elle ne craignait pas vraiment qu'il se mette en colère, il avait l'air d'être intelligent et assez calme pour prendre cette petite provocation comme une blague.

« Mais ne t'en fais pas, je suis certaine qu'on trouve des gens qui sont très contant de vous vous chasser la vermine marine, même si vous faites quelques ravages au passage, semblerait-il. Je suis assez mal placée pour donner mon avis puisque je n'ai jamais côtoyé de pirate ou même de marin. »

Elle se resservit une assiette et jeta un coup d’œil à Asmodan.

« Tu es sur que tu n'en veux vraiment pas ? »

Soit elle passait pour une personne assez puissante pour tenir tête à l'Amiral en personne, soit elle passait pour une inconsciente. Peut-être préférait-elle la 2eme option.
A cet instant, un courant d'air glacé fit vaciller les flammes du feu de camp. Yaëlle suspendit son mouvement, certaine d'avoir entendu une plainte étouffée. Soudain inquiète, elle reposa son plat sans l'avoir remplit et scuta les ténèbres embrumées qui les entourait. Depuis quand le brouillard s'était-il fait si épais ?

Blanche avait bien raison de se méfier d’une manière innée des vampires. Du moins, c’est ce que pensait Asmodan et malgré tout, il se demandait quelles étaient ces véritables raisons de le faire. La légende de Caïn, pas tant une légende que cela, faisait froid dans le dos. Nayris fut bien cruelle d’infliger un tel châtiment à un être humain. Ils buvaient du sang et lui mangeait des âmes. En général, on disait d’eux qu’ils prenaient un malin plaisir à mordre leurs victimes pour les vider de leur sang. D’autre part, Blanche avait bel et bien reçu l’information la plus importante de son discours précédent et lorsqu’elle lui fit part qu’elle n’imaginait pas se trouver devant quelqu’un d’aussi important, Asmodan refusa de lâcher l’idée qu’elle était bien plus intéressante que la moyenne. En tout cas, il espérait que le comportement de Blanche à son égard ne changerait pas.

Là maintenant, on s’en fiche un peu de mon grade. Ma flotte est loin d’ici. Tu pourrais être une paysanne, mes mots n’auraient pas plus d’importance que les tiens. Enfin, tu es trop intéressante et intelligente pour être une paysanne. En fait, tu pourrais être une personne importante dans la rébellion, je souhaiterais continuer de faire ta connaissance plutôt que de me battre contre toi pour honorer mes loyaux services envers l’Empire et Aile Ténébreuse.

Il sourit très légèrement, l’air un peu provocateur. Elle devait bien s’en douter, Blanche avait déjà gagné son estime depuis tout à l’heure pour qu’il lui dévoile qu’il n’était autre que l’amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse en personne. La fin de ses paroles pouvait avoir plusieurs sens. Comment Blanche prendrait-elle cela ? Pour de l’hérésie ? Une liberté sans pareil ? Un mensonge ? Peut-être cherchait-il seulement à lui faire avouer qu’elle était de la rébellion pour se charger de son cas ensuite. Asmodan connaissait la vérité, sa vérité d’ailleurs. Blanche embraya ensuite sur l’opinion que l’on se faisait de sa flotte à l’étranger. Souriant car elle utilisait le même jeu que lui, glisser quelques détails de sa vie privée dans ses explications pour se dévoiler un peu plus à lui, il ne manqua pas de noter l’information la plus intéressante de son discours. Blanche était native ou vivait en ce moment même à Drayame. Cela expliquait sa petite ressemblance avec les Elfes sans en être clairement une pour autant. Pour le coup, Asmodan repensa à la conversation de tout à l’heure. Il s’était demandé qui pouvait bien l’avoir envoyée ici pour récolter des champignons toxiques. Un Elfe ? C’était peu probable mais pourtant véridique. Il ne soupçonnait pas l’existence d’un être aux intentions malsaines comme Datar.

Pour être honnête, les pirates et ma flotte sont ressemblants. A cause de cela, nous sommes en guerre. Nous voulons chacun un contrôle et une certaine liberté dans tout Abyssaï et au-delà. De plus, les rebelles sont un ennemi commun. Enfin tu sais, si les rebelles abandonnaient la guerre et si Aile Ténébreuse se contentait de ses possessions actuelles, ça m’arrangerait bien. L’Eau est mon principal intérêt. Je juge simplement qu’Aile Ténébreuse est le plus apte à me donner les outils pour faire ce dont j’ai envie là-bas. La fin de la guerre, je n’attends que cela pour m’adonner à ce que j’aime faire.

Finalement, leur relation ne changeait pas et continuait de se construire sur le fil d’un mensonge. Blanche mentait sur son identité et lui sur les raisons de sa venue par ici. Alors qu’il hésita à accepter l’invitation de cette dernière à partager son repas, un tout être évènement surgit. En effet, depuis quand le brouillard était-il devenu si omniprésent ? Ils ne pouvaient plus rien voir au-delà d’un périmètre de cinq mètres autour d’eux. Tout comme Blanche, la plainte étouffée parvient jusqu’aux oreilles d’Asmodan. Pire encore, il sentait leur présence…

Tu avais raison, Blanche. Les spectres existent bel et bien. Nous sommes encerclés. Il y en a cinq, pas plus, pas moins pour le moment. Ne me demande pas comment je sais cela, ce serait trop long à t’expliquer.

Asmodan entendit Blanche dégainer ses deux faucilles. De toute évidence, ils allaient devoir travailler en équipe désormais. C’était bien ironique quand on repensait au fait qu’ils auraient pu s’entretuer l’heure d’avant. Enfin, il sentait aussi une pointe d’inquiétude dans la façon de réagir de sa partenaire de fortune. Après tout, que pouvait-elle bien faire avec des armes physiques contre des spectres ? Il ne ressentait pas la moindre source de magie émanant des faucilles. Il était maudit, il allait devoir faire ce qu’il détestait le plus, se « mouiller » devant une belle inconnue.

Je devrais pouvoir m’occuper d’eux. J’aimerais ne pas avoir à le faire mais si je ne fais rien, c’est mauvais pour toi et moi. Quand ce sera terminé, je ne veux pas de question sur ce que tu auras vu.

Le regard d’Asmodan s’était légèrement teinté d’une lueur pourpre luminescente. Ses cicatrices finement creusées se remplissaient d’un léger flux chaotique, sa magie du chaos était en train de flotter doucement dans l’air. Imperturbable et surtout l’air impardonnable, Asmodan saisit son cimeterre à la lame noire pour en retirer précieusement le petit cristal qui y était implanté.

Kaos… L’âme qui pourra t’échapper n’est pas encore née…

Le cristal était de petite taille, il tenait dans le creux de la paume de la main du démon du Chaos. Kaos était le nom qu’Asmodan lui avait donné. Il était l’origine même de son pouvoir, de la façon qu’il avait de se nourrir. Sans lui, impossible de se nourrir et dans ce cas, impossible d’utiliser ses pouvoirs. Quels pouvoirs ? Le brouillard englobait maintenant l’endroit dans lequel étaient plongés Blanche et Asmodan. Elle devait avoir l’impression de rêver mais le bras gauche d’Asmodan semblait s’allonger d’un bon mètre pour se séparer en cinq à l’extrémité. Machinalement, le Démon du Chaos implanta Kaos en plein milieu de sa griffe cristallisée de couleur noirâtre, détail qu’il était difficile d’analyser au vu des conditions météorologiques du coin.

Les rares hommes de ma flotte à connaître ce secret m’appellent le Dévoreur. Reste près de moi, je vais te protéger, Blanche.

Yaëlle s'était levée et avait tiré ses armes. Quand Asmodan lui annonça qu'il y avait cinq spectres dans les parages, elle lui lança un regard à la fois étonné et inquiet : comment pouvait-il savoir cela, on entendait pas un bruit mis à part la plainte étouffée qui paraissait venir de partout et le brouillard ne permettait pas de voir à plus de quelques mètres devant soi. La jeune femme serra plus fort ses armes. Elle se renfrogna quand il lui demanda de ne poser aucune question. Mais qu'est-ce qu'ils avaient tous à la fin avec leurs secrets ? Elle se retrouvait témoin de choses incompréhensibles mais elle devait se taire et accepter ? C'était ridicule. Mais elle ne contesta pas, ce n'était pas vraiment le moment de faire des manières.
Elle le regarda faire avec méfiance son petit manège et retirer ce qui ressemblait à une gemme de la garde de son épée. La pierre était assez petite au fond mais paraissait briller étrangement. Puis elle réalisa que les yeux d'Asmodan brillaient également, d'une lueur plutôt inquiétante. Ne sachant pas si elle devait craindre les spectres ou cet étranger de plus en plus mystérieux, elle préféra se reculer, s'éloignant de l'Amiral. Il avait un air sinistre à présent et ça lui faisait froid dans le dos. Mais le pire était à venir. Le bras gauche du capitaine prit des proportions effrayantes, sa main prenant des allures de griffes démesurées. Cette fois, elle ne pouvait pas rester sans rien dire, c'était trop inhabituel. Elle qui l'avait prit pour un humain...

« Les rares hommes de ma flotte à connaître ce secret m’appellent le Dévoreur. Reste près de moi, je vais te protéger, Blanche. »

La yogaï voulait le croire, être certaine qu'il allait la protéger et non pas lui planter ces immenses griffes noires dans le ventre. Mais c'était un inconnu pour elle, l'Amiral de la flotte du Démon et un combattant impitoyable pour être parvenu à ce poste. Son instinct de survie lui criait de ne surtout pas l'approcher mais elle revoyait cet air mutin qu'il avait prit au long de leur discussion : c'était quelqu'un d'intelligent et de fin, loin des habituelles brutes en armure qu'elle avait pu croiser par le passer. Il était entré dans son jeu et elle voulait croire en sa sincérité. Cependant, l'allure menaçante qu'il avait à présent rejetait à des années lumière l'image récente qu'elle avait de lui et la poussait à garder ses distances. Malgré qu'elle ai plus ou moins accepté de garder le silence, elle ne put s'empêcher de demander:

« Mais...Qu'est-ce que c'est que ce...cette...chose au bout de ton bras ? C'est une arme ? Et pourquoi...»

Elle n'eut pas le loisir de continuer. Un mouvement rapide dans le brouillard lui fit tourner la tête. Elle eut tout juste le temps d'apercevoir une silhouette décharnée aux yeux fous et laissant une traînée de brume grise derrière lui avant que la créature ne la traverse de part en part.
Immédiatement la jeune femme se sentie glacée jusqu'aux os et en proie au plus profond désespoir. Comme si une main glacée s'était refermée autour de son cou, sa respiration se fit difficile et sifflante alors que son esprit s'embrumait sans qu'elle sache pourquoi. La pression sur sa gorge se fit plus forte et elle distingua alors une langue de brouillard qui se détachait de la masse et qui prenait vaguement la forme d'un humain. C'était ce qui lui servait de main qui tentait de l'étouffer. Ils attaquaient ensemble ? Pas bête, pour des morts. Dans un effort de volonté qui lui sembla démesuré, elle leva le bras et trancha la brume d'un coup de faucille. Du moins elle tenta. La lame passa au travers du fantôme qui se retira néanmoins, lui permettant de respirer. Yaëlle fut secouée d'une quinte de toux et recula de trois pas jusqu'à sentir la terre du surplomb dans son dos. La tête lui tournait et ses mains s'étaient mises à trembler de façon incontrôlable, comme si elle était dans le froid depuis des heures.

« Dégage, rebus des limbes ! » réussit-elle à articuler d'une voix rauque.

Déterminée à se défendre seule, elle reprit sa garde tant bien que mal, se souciant beaucoup plus des spectres que d'Asmodan qui semblait désormais aussi accueillant qu'un ours en peluche géant.

Devant eux, le brouillard s'agitait à présent, tourbillonnant en de lourdes volutes et cherchant à les encercler. On voyait parfois une forme se dessiner, comme si quelqu'un passait par là avant de s'évanouir dans le noir.

« Je déteste les fantômes. »

Évidemment, Blanche avait fait le contraire de ce que lui avait ordonné Asmodan. Comment pouvait-elle faire confiance à la silhouette d’un monstre caché dans la brume ? Devait-elle craindre les fantômes ou ce secret qu’il venait de lui montrer ? En effet, Asmodan était du genre pudique quant à ses capacités. L’usage de son pouvoir n’étant déjà pas illimité, il y avait une autre raison à cela. Les chances de rencontrer une autre personne s’adonnant au culte du Chaos étaient très minces. Sa pratique provenait de la faille de Zelphos en personne et quelques années après avoir envahis Terra Mystica, ceux qui suivirent Aile Ténébreuse mirent au point un rituel permettant à quiconque de devenir comme eux. Devenir un Démon du Chaos. Asmodan en connaissait tellement peu sur les membres de sa race, il savait seulement qu’il avait tué pour devenir le nouvel Amiral en chef un autre Démon du Chaos du nom d’Oghan. Ce dernier s’était présenté autrefois à lui en tant que potentiel allié et obtient avec ses prouesses en mer la confiance et la fascination de Joshuah. En général, les pirates sont très peu intéressés par la sorcellerie. Pire encore, ils la traquent. Joshua avait perdu son humanité pour la simple et bonne raison qu’il s’était laisser tenter par le fait d’obtenir des pouvoirs pour écraser ses concurrents. Enfin, Oghan lui avait seulement révélé lors de leur affrontement d’être la cause principale de son amnésie. Asmodan ignorait d’être passé par la case des limbes ou encore d’avoir été à la tête d’un brillant équipage. Son ancien capitaine devait bien rire de lui désormais dans les limbes, ce dernier qui avait été assassiné par Joshuah en personne car il le jugeait trop fébrile pour continuer leur rêve commun. Bref, Blanche tenta de questionner Asmodan sur l’origine de sa griffe qui apparue comme par magie mais presque heureusement, un spectre l’empêcha de continuer. L’Amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse détenait la capacité de les repérer malgré la brume, il sentait leurs déplacements. Pour lui, ils n’étaient rien d’autres que cinq sources d’énergies mobiles qui traversaient le bas d’un talus. Soudainement, une main spectrale se posa sur son épaule gauche. Asmodan ne fut ni surpris, ni effrayé par la situation. En fait, il les plaignait. Errer dans les Marais de la désolation comme des fantômes sans but, comme des êtres qui ne pouvaient plus respirer, plus ressentir le véritable contact, tout simplement les bienfaits que peuvent procurer une vie bien remplie lui paraissait triste.

« Un passage vers les Limbes, par pitié… Où sont les Limbes… ? »

Le spectre qui lui tenait l’épaule gauche venait de s’adresser à lui avec une voix pleine de désarroi. S’agissait-il d’un appel à l’aide ou d’un appel au secours ? Quelle ironique situation. Un esprit était en train de supplier le Dévoreur de mettre un terme à ses souffrances. Tandis que Blanche était en train de se débattre vainement avec son assaillant, Asmodan oublia presque sa présence l’espace d’un instant. Machinalement, le Démon du Chaos se retourna et planta ses griffes dans l’abdomen du spectre. Enfin, ce qui fut son abdomen de son vivant.

« Désolé, je ne te propose pas un passage vers les limbes. Je t’accorde l’honneur de faire partie de moi. Ta liberté te sera rendue dans peu de temps. »

Kaos s’illumina soudainement et dissipa même le brouillard quelques mètres aux alentours du Démon du Chaos. La griffe était littéralement en train d’aspirer l’essence même du spectre, élément fondamental qui lui permettait de préserver une existence dans le monde de Terra Mystica. Blanche pouvait bien évidemment admirer avec horreur ou curiosité l’étrangeté du spectacle qui lui était proposé. Là où elle ne pouvait rien faire de plus que de retarder l’échéance avec deux faucilles, Asmodan venait de se débarrasser de l’un des deux spectres d’un coup de griffe. Une griffe magique, certes, Blanche avait maintenant le loisir de le remarquer. Le phénomène attira également l’attention des quatre autres spectres restants. La compagne de fortune d’Asmodan ne semblait même plus les intéresser.

« Corps ! Un corps ! »
« Délivrance ! »
« Libération ! »
« Dévoreur, met fin à notre malédiction ! »

Le regard d’Asmodan continuait de briller dans la nuit toujours de cette même lueur pourpre. Cette scène lui paraissait inconcevable. Depuis son retour sur Terra Mystica, il n’avait cessé de tuer discrètement des individus par besoin et aujourd’hui, voilà que quatre âmes venaient à lui en le considérant comme un libérateur ? Blanche était témoin d’un spectacle rarissime, unique en son genre. Elle pourrait suite à cela se demander si Asmodan la laisserait repartir en un seul morceau.

Un instant Yaëlle crut qu'elle allait devoir se débattre toute seule. Mais au lieu de ça, elle eut le loisir d'observer son invité à l’œuvre avec leurs encombrants visiteurs. Le spectre le plus proche d'Asmodan fut littéralement...aspiré entre les griffes de ce dernier. Quelque chose l'absorbait. Difficile d'y croire mais il ne semblait pas souffrir de cette fusion soudaine. Les trois autres fantômes qui s'étaient matérialisés furent très intéressé par le sort de leur congénère ainsi que celui qui avait lâché la jeune femme. Apparement, l'amiral démoniaque était bien plus intéressant et pas pour les raisons évidentes qui venaient à l'esprit de la demoiselle. C'est donc bouche bée qu'elle le regarda transpercer les spectres les uns après les autres et les aspirer de la même façon qu'avec le premier. Comment parvenait-il à faire ça ?
Le regard de Yaëlle n'arrivait pas à se décrocher de cette main surnaturelle qui était sortie de nul part. La brume retomba doucement, y compris celle qui lui brouillait les idées. Mais elle continuait d'avoir froid et de trembler. Elle rangea une de ses lames, préférant garder une main libre au cas où elle perdrait l'équilibre. Ce n'est pas tous les jours que l'âme d'un mort vous traverse le corps.

Ce qu'elle n'arrivait pas à comprendre c'était comment Asmodan pouvait encore tenir debout après en avoir prit cinq pour lui. Ce n'était pas exactement son corps qui était habité, plutôt sa main d'après ce qu'elle avait put voir. Les deux points brillants qui faisaient ses pupilles étaient plus inquiétants que ces griffes sombres qui aspiraient les fantômes. C'était incompréhensible, effrayant et une grande première pour la jeune yogaï qui ne trouva rien de mieux pour dissiper le malaise que d'ironiser:

« C'est ça, joue-la héros invincible. Moi aussi avec une main comme ça j'aurai pu le faire. »

Elle se laissa tomber assise sur la racine qui lui servait de siège et se recroquevilla pour se réchauffer. Même les flammes n'arrivaient pas à l'atteindre. Elle se sentait fatiguée, lessivée. Entre sa journée et sa soirée, elle n'aspirait plus qu'à se rouler dans sa couverture et dormir. Et tant pis si un monstre venait lui manger les doigts de pied dans la nuit.

« Tu n'en sens pas d'autres ? Je crois que je voudrai me reposer maintenant. »

Yaëlle avait sous estimer les contre-coups de l'attaque spectrale. Et elle n'était pas assez effrayée par Asmodan pour rester éveillée. Tout devenait flou, elle se sentait engourdie et n'aspirait à rien d'autre qu'au sommeil. Peut-être était-ce un effet de son état mais elle ne trouvait plus si étrange l'apparence de l'amiral. Une fois la première émotion passée, c'était moins horrible que ce qu'il y paraissait.
Sans le vouloir, elle ferma les yeux un instant et se sentit perdre l'équilibre. Elle bascula doucement sur le côté, attendit l'impact au sol mais ne sentit rien. Elle était trop fatiguée.

« Ces fantômes sont pour moi ce que la soupe représente pour toi. »

Il mangeait des fantômes ? Blanche devrait probablement trouver cette nouvelle bien étrange. Enfin, plus étrange que l’étrange griffe qui trônait encore à l’extrémité de sa main gauche ? Probablement pas. Il concevait qu’elle était en train de se poser plus de questions à son sujet dont il aurait pu soupçonner l’existence. Qu’est-ce que tu es ? Comment tu as fait ça ? Pourquoi ? Où sont-ils passés ? Que vont-ils devenir ? Cela ne la regardait pas vraiment plus que ça. Il était déjà bien « aimable » de lui signifier que les fantômes représentaient en quelque sorte son mode d’alimentation principal. Demain matin, il la laisserait s’en aller avec ce petit secret. Cela ne lui permettrait pas d’en découvrir plus à son sujet. Ce qu’il était vraiment ne figurait pas dans les livres d’histoire car l’apparition de son espèce sur Terra Mystica était trop récente et surtout, on devait compter les individus de son espèce sur les doigts d’une main à peu de choses près.

« Je l’ai fait parce que c’était nécessaire. Un merci ne serait pas de trop, non ? »

Il ne sourit pas. Lentement mais sûrement, la griffe magique semblait se désagréger pour finir par totalement disparaître. Kaos était désormais incrusté dans le dos de la main du Démon du Chaos et le cristal luisait faiblement, transférant sans nul doute les âmes fraichement acquises à son propriétaire. Quant à son visage, il avait retrouvé son allure d’antan. Les deux cicatrices qui ornaient ses yeux étaient redevenues le principal détail quelque peu effrayant chez Asmodan. Mais il ne souriait pas, semblant plus que sérieux lorsqu’il exigeait des remerciements. Il venait en effet de « se mettre à nu » pour protéger efficacement une inconnue. Malheureusement, une inconnue pour laquelle il possédait déjà une certaine attirance. Peut-être que Blanche était effectivement très fatiguée mais quelque part, cette situation ne l’avait pas effrayée. Ni les spectres, ni l’état second de l’Amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse. Pourquoi alors ne pas être attiré par quelqu’un que l’on n’effraie pas, qui vous offre une certaine considération ? Blanche venait de passer le stade de personne intéressante. En fait, « attirante » devenait le maître mot des ressentiments d’Asmodan à son égard.

« Il n’y en a pas d’autres. Dans le cas contraire, tu sais ce que j’en fais. »

Cette fois-ci, il sourit pleinement. Ce sourire était digne de celui d’un protecteur tout désigné pour Blanche. « N’aie pas peur ma belle, je suis là pour toi, tu ne crains plus rien, je prends les choses en main. » Il réalisa lorsqu’elle se laissa tomber que l’attaque du spectre l’avait beaucoup affaiblie tandis que lui venait d’obtenir de nouvelles forces considérables. Il s’avança en direction de Blanche, son cimeterre à la lame noire rengainé, il ne représentait donc vraiment pas de menaces pour la mystérieuse aventurière. Le regard impassible et perçant à la fois, il plongea ses yeux violâtres dans ceux de Blanche pour lui faire comprendre qu’il restait mitigé sur la situation actuelle. Il était quelque peu mécontent d’avoir dû en faire tant ce soir devant elle mais se satisfaisait d’avoir protégé tout de même une personne qu’il commençait à tenir en très haute estime. Il se laissa tomber sur ses deux genoux à ses côtés et sans autorisation, sans la moindre gêne, il posa sa main sur sa tête afin de vérifier l’état de sa température.

« Tu es juste fatiguée. Tu peux t’endormir, l’Amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse en personne veille sur toi cette nuit. Je vais surveiller le périmètre qui nous entoure, ne t’inquiète pas. »

Il lui rappela son grade par amusement. Ce n’était en aucun cas pour lui dire qu’il était supérieur à elle ou quoi que ce soit d’autre. Asmodan trouvait cela original de veiller sur le sommeil d’une belle inconnue qu’il venait de protéger de fantômes quelques minutes plus tôt. D’un geste presque paternel ou fraternel, l’Amiral de la flotte d’Aile Ténébreuse saisit la couverture de Blanche afin de la border en lui accordant une étrange attention. La pauvre était fatiguée et très affaiblie par sa journée et sa soirée, cette marque d’attention était alors toute naturelle.

« Je suis peut-être un monstre maintenant pour toi qui mange des âmes mais… Ton âme est sous ma protection pour cette nuit au moins. Je me réserve le droit de te la prendre si j’en ai envie et je ne peux donc pas tolérer que quelqu’un d’autre essaie de prendre ta vie. Cela te rassure-t-il ? » demanda-t-il, un sourire ironique sur les lèvres.

Ce soir, Blanche ne risquait absolument plus rien venant de la part de l’inconnu dont elle avait fait l’étrange rencontre.

La jeune femme se sentie rassurée qu'il n'y ai plus rien de menaçant dans les parages. Au moins elle ne se ferait pas manger par un fantôme. C'était effrayant comme idée, un cauchemar d'enfant qui prenait pied dans la réalité. Mais elle se sentait rassurée par les paroles d'Asmodan. Elle se laissa docilement border, la tête comme pleine de coton. Elle fermait déjà les yeux mais elle sourit à la dernière remarque de l'Amiral. Elle inspira comme pour se donner plus de courage et lui répondit avec un sourire:

« Au moins maintenant, je saurais qui hanter si demain je me réveille chez Nayris. Bonne nuit, démon gardien. »

Elle n'allait quand même pas le traiter d'ange gardien, il était loin, très loin d'être un ange, que ce soit par sa nature, son physique ou son attitude. Mais il avait promis de la protéger et elle se sentait prête à lui faire confiance. Totalement illogique me direz-vous ? Pas tant que ça. C'est vrai que voir quelqu'un se faire pousser un bras monstrueux, c'est effrayant. Le voir absorber des âmes, c'est flippant également. Mais il n'avait pas tenté de lui faire le moindre mal, il avait tenu parole et s'était occupé des spectres et l'avait protégé, comme il l'avait dit. Pourquoi mentir cette fois ?
Quand au fait qu'il se nourrisse d'âmes, elle n'avait pas le droit de juger. Les vampires survivaient en buvant du sang, certaines créatures en dévorant les rêves et son propre compagnon rêvait de faire revenir les morts à la vie alors elle était loin d'avoir face à elle une des pire atrocité de la nature. C'est donc sans grande difficulté qu'elle parvint à s'endormir.

La nuit fut paisible et quand Yaëlle ouvrit les yeux, il faisait déjà jour. Le marais n'avait plus la même allure sous le soleil du matin. Elle leva le nez pour voir si Asmodan était toujours à, ce qui était le cas. Il semblait dormir aussi ne fit-elle pas de bruit en se levant. Un oiseau laça une trille quelque part entre les arbres. La jeune femme s'étira souplement avec un sourire serein : elle avait dormi profondément et rien de mal ne lui était arrivé pendant son sommeil, comme l'Amiral le lui avait promis. C'était un homme de parole. Sans chercher à le réveiller, elle sortir de son sac un morceau de pain qu'elle grignota en guise de petit déjeuner, le regard perdu dans le vague. Elle devait rapporter rapidement les champignons avant qu'ils ne soient plus bons et surtout, elle voulait sortir du marais avant la nuit. Si elle maintenait un bon rythme, elle pouvait le faire.

Démon gardien ? Etait-il vraiment le démon gardien qui veillerait sur le sommeil de Blanche pour une seule et unique nuit ? Cette idée sonnait à priori tellement fausse. Il ne l'avait pas promis mais les mots suffisaient : si Blanche devait mourir cette nuit, ce serait de sa main. Elle lui laissait totalement sa vie entre les mains. Il se rappela que leur conversation précédente avait été coupée par l'arrivée des spectres. Blanche ne s'était pas encore défendue sur le fait d'appartenir ou non aux rebelles et dans chacun des deux cas, elle laissait sa vie dépendre de la décision d'Asmodan. Une nuit pour la tuer, la faire souffrir, se délecter de son désespoir. La trahir... Blanche faisait confiance à un démon, une prise de décision irrationnelle. Enfin, on parlait de Yaelle, une femme à la compréhension et à la tolérance sans limites ou presque.

« Personne ne te fera aucun mal. Maintenant, repose-toi, veux-tu ? »

Il fallait l'avouer, Asmodan était bien particulier lui aussi. Pourquoi s'embêter et passer du temps avec une inconnue, possiblement une rebelle et donc, une ennemie potentielle ? Il fallait dans un premier temps rappeler que la loyauté d'Asmodan envers Aile Ténébreuse tenait sur un fil. Le fil de la puissance, de la domination, de ce que représente Aile Ténébreuse plus simplement. Ironiquement, seule la défaite d'Aile Ténébreuse pourrait l'éloigner de l'Empire. Seule ? Facile à dire. Dans l'immédiat, rien n'induisait qu'Aile Ténébreuse était sur le point de tomber d'une quelconque manière. Un temps plus tôt, il avait également précisé à Blanche qu'ici-même, son rôle d'Amiral de la flotte d'Aile Ténébreuse n'avait guère d'importance. En effet, sa flotte n'était définitivement pas derrière lui et les Marais de la désolation faisaient partis de la Terre. Ainsi, Blanche pouvait bien être une rebelle, ce qui se passait sur Terre ne le regardait pas directement. S'il avait rencontré Blanche quelque part comme dans Miraï, les chances pour elle de finir prisonnière ce soir auraient été existantes.

La Yogaï s'était profondément endormie et Asmodan passa un certain temps à observer son visage. Son teint laiteux, sa beauté en général, sa grâce... L'attirance n'était pas inexistante. Il fut plusieurs fois tenté de poser sa main sur sa joue pour profiter de la douceur et de la chaleur de Blanche. Cependant, il se ravisa pendant chaque tentative. Définitivement, la femme qui avait accepté de mettre sa vie entre ses mains le temps d'une nuit l'intriguait au plus haut point. Pour tenir sa parole, il n'avait pas le droit de s'endormir. A plusieurs reprises, Asmodan se lança dans des rondes autour du campement des deux protagonistes pour s'assurer que personne ne menaçait le sommeil de sa compagne de fortune. Au fond de lui, Asmodan aurait souhaité que le soleil ne se lève plus jamais. Sa venue était synonyme de séparation. A l'aube, Asmodan se doutait que Blanche repartirait pour Drayame comme si de rien n'était. Il ne la reverrait peut-être plus jamais.

Finalement, deux heures avant l'heure fatidique, Asmodan vint s'agenouiller à côté de Blanche à la hauteur de sa poitrine pour l'admirer à nouveau. Lorsque son envie fut rassasiée, il ferma les yeux sans pour autant s'endormir. Le soleil pointait le bout de son nez et le Démon du Chaos se plaça de sorte que les rayons du soleil ne pouvaient atteindre le visage de Blanche pour la réveiller. La pâleur de la ravissante Yogaï devait rester éternelle le plus longtemps possible et il souhaitait que son sommeil se prolonge. Malheureusement, il ne gagna peut-être que trente minutes.

Lorsqu'il entendit Blanche bouger et se réveiller, il n'osa pas ouvrir les yeux pour croiser ses magnifiques yeux vairons. Une seule question lui brulait les lèvres. Une seule question. "Blanche, veux-tu me suivre sur mon navire ? Veux-tu partager mes idéaux ? Je t'en prie, viens avec moi." Mais lorsque Blanche s'éloigna pour effectuer ses étirements matinaux, Asmodan se redressa en silence. Avait-il appris à devenir discret en une nuit ? Non, il avait simplement pris son temps pendant que l'attention de Blanche était portée ailleurs. Dans l'immédiat, une question lui échappa.

« Tu vas rejoindre celui pour qui tu es venu cueillir au péril de ta vie ces champignons, n'est-ce pas ? »

La fameuse question fut tout autre et Blanche serait probablement surprise autant par sa nature que par le fait qu'Asmodan avait évité son regard au réveil, probablement. Sa voix ne trahissait pas la pointe de jalousie qui hantait son esprit. Quelque peu avare sur les bords, Blanche n'était ni plus ni moins pour l'instant la chose qu'il n'aurait plus voulu partager. Comment ne pas estimer la personne qui vous confie sa vie quand vous vous considérez vous-même comme une sorte de monstre amnésique ? "Ne me répond pas et va-t-en tout de suite." aurait-il souhaité lui ordonner. Asmodan semblait au fond de lui connaître la réponse de Blanche et pour être honnête, il n'avait rien autant redouté depuis fort longtemps.

La jeune femme se retourna en sursaut quand Asmodan lui posa sa question. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il soit si vite réveillé mais sa frayeur ne fut que passagère. Elle revint vers lui avec le sourire. C'était étrange mais après avoir passé toute une nuit sous sa surveillance, totalement vulnérable, elle lui faisait totalement confiance. Il aurait pu la tuer de milles façons différentes ou l'abandonner aux spectres mais il était resté et rien de mal ne lui était arrivé. Plus étonnant encore, elle avait dormi profondément et sereinement alors qu'elle se trouvait dans un endroit dangereux et avec un inconnu à tendances dangereuses. Elle qui se tenait toujours sur ses gardes, aujourd'hui elle l'avait baissé. C'était reposant car même dans le manoir de Datar, depuis qu'il était revenu des Glaces, elle ne se sentait pas totalement à l'aise.

« Oui. Je dois faire vite avant que ça ne soit plus bon. C'est un voyage assez long mais je connais le chemin. J'ai juste hâte de pouvoir sortir d'ici. »

Elle serra les bras autour d'elle comme si elle avait froid. Depuis le début elle trouvait l'endroit lugubre. Mais la présence de l'Amiral rendait ce lieu et cette matinée plus lumineuse.

« Je vais me dépêcher de rentrer. Mais je ne pense pas rester longtemps à Drayame. Maintenant que j'ai repris mes voyages, je pense que je vais continuer sur cette lancée. Et puis je t'ai dis que j'avais envie de voir le territoire des Eaux non ? »

Elle lui adressa un sourire rayonnant. Yaëlle espérait vraiment aller faire un tour sur les iles de la Muerta un jour.
Rapidement elle se remit debout et s'activa dans le petit campement. Elle rangeait, organisait son paquetage, éparpillait les cendre, effaçait les traces de son passage. Il ne resta bientôt plus rien qui puisse faire penser que quelqu'un avait allumé un feu ici et dormi. Satisfaite, elle hocha la tête. Plus rien ne l'empêchait de mettre son sac sur l'épaule, adresser un dernier au revoir à Asmodan et partir. Pourtant, maintenant qu'elle n'avait plus rien a ranger, elle n'avait plus d'excuse pour traîner. C'était stupide mais elle aurait voulu rester avec le démon, en apprendre plus car il avait éveillé sa curiosité. Et elle voulait en savoir plus sur ce qu'elle avait vu, même s'il lui avait fait comprendre qu'elle devait se taire. Derrière l'ombre de ses cheveux se cachait les prunelles violettes qu'elle n'avait pas eut le temps d'apprécier autant qu'elle l'aurait voulu. Mais c'était comme ça. Pourtant elle n'aimait pas beaucoup. Le sac était toujours à terre et elle, devant, les bras croisés et en train de jouer avec une mèche de cheveux.

« Pour euh...Pour hier soir...Je vais faire comme tu m'as demandé, je ne te poserai pas de questions. Et je ne parlerai de ça à personne, ça restera...notre secret, hum ? »

C'était plus difficile de dire au revoir que ce qu'elle aurait pensé. Elle se sentait bête, plantée là, comme ça. On aurait dit deux enfants en train de se tourner autour sans savoir comment se parler. Alors autant rester dans le registre enfantin. Elle fit deux pas vers Asmodan et se hissa sur la pointe des pieds pour déposer un baiser léger sur sa joue et lui murmurer un dernier remerciement à l'oreille.
Puis elle repartit vers son sac, le jeta sur son épaule et leva la main pour le saluer une dernière fois.

« Si je te cherche, je sais où te trouver maintenant ! »

Elle lui jeta un dernier regard et un sourire par-dessus son épaule avant de se mettre en route.

Dire au revoir à quelqu'un que l'on appréciait beaucoup était toujours difficile. A ce moment-là de la conversation, Asmodan n'avait aucune certitude quant au fait de la revoir de si tôt. Elle n'était pas entrée dans les détails mais elle n'avait pas non plus nié qu'un homme l'attendait. Il ne devait pas s'attacher à ce genre de sentiments, à ce genre d'envies. Blanche avait vu des choses que plus du millier de sa flotte n'avait encore jamais vu. En quelque sorte, elle était entrée dans son cercle de confiance. La possibilité qu'il aurait pu s'emparer de son âme ou l'abandonner la nuit dernière n'existait plus. Rien était arrivé à cette femme, il avait tenu parole.

« Je ne connais pas très bien Terra Mystica en dehors des cartes qu'on peut lire un peu partout. Il m'arrive de me rendre à Sent'sura à cause de mes fonctions mais je ne crois pas avoir déjà mis les pieds un jour à Drayame. »

Qu'il soit Asmodan ou Joshuah, cela n'importait plus vraiment dans ce qu'il venait de dire. Par le passé, Joshuah s'était toujours cantonné à l'Archipel de la Muerta et à ses alentours. Il lui était arrivé de passer du temps sur les côtes de la Terre mais cela, Asmodan ne s'en souvenait pas.

« Oui, il est vrai. Tu vas te remettre à voyager rapidement alors, bien... »

Asmodan sourit très légèrement. Blanche venait de le rassurer et si elle s'en doutait, il était peu probable qu'elle imagine à quel point elle y était parvenue. Enfin, le territoire des Eaux était vaste et Drayame très lointaine. Il savait qu'elle avait l'intention de visiter l'Archipel de la Muerta à cause des plages luxuriantes que l'on découvrir par là-bas. C'était une pensée digne de ceux qui ne connaissaient pas grand chose du territoire des Eaux. Une femme de la Terre qui espérait partir en voyage sur l'Archipel de la Muerta ? Les chances d'être réduite en esclavage étaient élevées.

« Tu ne devrais pas te rendre comme ça sur l'Archipel de la Muerta. Si tu reviens bientôt dans l'Eau, cherche-moi d'abord. »

Le regard d'Asmodan était devenu un peu plus dur. Il avait prononcé sa dernière phrase sur le ton d'un avertissement. Lui dévoiler qu'il était actuellement en pleine phase de diplomatie avec des marchands d'esclaves ? Il ne pouvait pas lui dire ça et encore moins ici. Malheureusement, il ne détenait toujours pas la certitude qu'elle n'était pas une rebelle. En tout cas, il voulait croire le contraire.

Il observait tranquillement le manège de Blanche. Effacer les traces, lever le camp... Asmodan constatait qu'elle détenait une certaine expérience dans le genre je suis passée par ici mais tu ne le sauras pas, je suis trop prudente. Il lui sourit avec beaucoup de franchise lorsqu'elle évoqua qu'elle garderait rien que pour elle ce qu'elle avait vu de lui dans la nuit. Elle marquait une sorte de point en plus.

Finalement, elle vint lui offrir un léger baiser sur la joue en chuchotant quelques mots agréables à l'oreille. Ses remerciements déferlèrent à l'intérieur de sa tête comme une lueur d'espoir. Au pire des cas, elle ne l'oublierait pas. Leur rencontre était resterait gravée profondément dans la mémoire de chacun d'entre eux. Il lui sourit un peu bêtement en détournant le regard, l'air un peu gêné. Il tenait peut-être une occasion entre les mains de la retenir, d'aller plus loin. Cependant, il ne fit rien de plus. Blanche devait absolument accomplir sa mission et rapporter ses champignons à Drayame. C'était peut-être tout simplement plus important qu'il n'aurait pu l'imaginer.

« Trouve-moi vite... » murmura-t-il alors qu'elle était déjà loin.

La silhouette de Blanche finit par disparaître dans le Marais de la désolation qui lui paraissait beaucoup moins lugubre désormais. Il pouvait maintenant lui aussi reprendre sa route. Une nouvelle aventure en pleine mer l'attendait probablement dès demain matin.

A très bientôt, Blanche.