La réception était définitivement terminée. L'entretien entre Victo, Esenheim et Asmodan se termina peu de temps après qu'il ait congédié Gwandyr de la salle principale. Le contenu de cette réunion privée était déjà au fin fond de l'esprit de l'Amiral et il y aurait par conséquent pas une seule ligne à écrire à son sujet ici si ce n'était que la machine bleue ne tarderait plus à se lancer. Pour aujourd'hui, il ne restait plus qu'un détail à régler. Étrangement, c'était un détail avec lequel sa soirée avait commencé. Gwandyr avait refusé d'être sa Dame de la réception en n'acceptant pas d'être perçue par tous le monde à son bras et maintenant, elle tenait à tout prix à s'entretenir avec lui en privé. Il ne se faisait pas vraiment d'illusions sur la nature de l'entretien car en effet, ce n'était pas du tout la réputation de la guerrière. Et avec un tel lien... Brrrrrrr.

L'Amiral arriva jusqu'aux portes de sa suite privée et luxueuse, précisons-le tout de même et porta un regard très curieux sur ses deux gardes. Il imaginait tout à fait la suite de la situation. Soit Gwandyr était en train de l'attendre dans sa demeure provisoire ou alors elle était déjà repartie car les gardes auraient pu ne pas la laisser passer.

A-A-Am-Amiral As-modan ! balbutia-t-il.

A ce moment-là, Asmodan connaissait la réponse à son imminente question. Avez-vous vu une rouquine passer par là ? Il se demanda en vérité comment les deux gardes le percevait. Fâcher l'Amiral d'Aile Ténébreuse en personne méritait-il de recevoir son courroux vengeur ? Pas cette fois. A vrai dire, il avait conscience de s'être déjà fait remarquer en contraignant la Perle de Nacre à entreprendre plusieurs mois de réparations. Objectivement, Esenheim était allé peut-être un peu loin. Subjectivement, ce n'était pas son problème car il n'effectuerait aucun travaux si ce n'était qu'il paierait pour les dommages. C'était déjà bien assez suffisant, n'est-ce pas ?

J'ose espérer que vous n'avez pas contrarié ma belle invitée de ce soir, messieurs ?

Asmodan croisa les bras et feint de prendre un air un peu renfrogné. De l'extérieur, il paraissait capable de se mettre en colère d'un instant à l'autre en fonction de la réponse du garde. Ce dernier commença d'ailleurs à transpirer. Il n'était qu'un garde de la race humaine face à l'Amiral démoniaque. Que pouvait-il faire d'autre à part espérer un peu de bon sens venant de la part d'un démon ? Courageux, peut-être un peu téméraire voire tout simplement... fou ? Le garde s'avança jusqu'à se retrouver devant Asmodan avec un sourire poli, quelque peu anxieux tout de même.

Ami-ral... Votre invitée va très bien ! Nous l'avons laissée entrer dès lors qu'elle s'est annoncée comme étant votre charmante invitée ! dit-il, en s'inclinant respectueusement devant l'hôte de la suite.

Asmodan décroisa les bras et posa sa main sur son épaule. Etait-il sur le point de l'arracher pour l'avoir laissée entrer dans sa demeure ? Non, ce n'était pas logique. Bien que le sujet fut discutable, il avait invité Gwandyr à y entrer. Il n'aurait pas donc de mauvaise surprise. Il adressa un sourire satisfait sur ses lèvres et dépassa la hauteur de son interlocuteur. Le second garde, silencieux au possible, ouvrit la porte. Un détail quelque peu crucial que Gwandyr n'entendit pas car elle était toujours dans la salle de bain à ce moment-là.

Qu'on ne nous dérange sous aucun prétexte. Est-ce entendu ?

L'Amiral verrouilla de l'intérieur. Il balaya du regard le grand espace dans lequel il se trouvait et s'arrêtant sur la porte menant à la salle de bain, il remarqua une lumière jaillir du bas de la porte. C'était un éclairement plutôt faible mais plutôt significatif concernant l'emplacement de Gwandyr. Son invitée prenait ses aises et c'était bien ainsi. L'odeur de fruits de mers n'était pas forcément très agréable pour une rencontre un peu... nuptiale.

Je suis là, Gwandyr. dit-il, en haussant le ton. Prenez tout votre temps, je ne suis pas pressé !

Asmodan se dirigea vers son lit et plus précisément vers une armoire. Il commença premièrement par retirer chacune des pièces de son armure et une à une, il les disposa sur un mannequin prévu pour la recevoir. Le luxe impliquait bien ce genre d'astuces, c'était la moindre des choses. Si Gwandyr était sortie à ce moment-là, elle aurait alors vu un homme totalement nu, de dos. Ce n'était pas du tout une chose qu'il espérait. Prenant son temps, il enfila un pantalon en tissu noir et alla s'assoir sur son lit. Ainsi, il était vraiment vulnérable. Plus que d'habitude en tout cas. Il jeta un œil à son poignet et à cet étrange bracelet. Comme chaque soir, il essaya de le retirer mais l'objet lui collait à la peau. A quoi pouvait-il donc bien servir ? Il ne s'en rappelait malheureusement pas. Par ailleurs, il était loin de se douter que Gwandyr venait vers lui à cause de cela.

Asmodan ne patienta seul qu'une dizaine de minutes. Son regard n'avait toujours pas quitté l'étrange bracelet. En fait, ces dix minutes parurent comme une éternité. Ses oreilles guettaient le son de l'ouverture de la porte, signe de la prochaine transition de la soirée. Il repensa aux explications d'Esenheim et au rôle qu'il aurait à jouer. L'acquisition de la flotte pirate servirait peut-être bien plus tôt que prévu. Cela plairait-il à Abran Kaï ? Sûrement pas mais le traité était ainsi. Il réfléchissait à une façon de présenter la situation à son nouvel allié. Une pierre deux coups. Une petite idée germait déjà au fond de son esprit calculateur et minutieux. Asmodan ne devait pas oublier qu'il devait faire d'Abran Kaï un certain Roi des Pirates. Il s'était porté garant auprès d'Aile Ténébreuse de bonnes relations avec le Chef de la Tribu des Sables Brûlants. Cette mission faisait tout simplement parti de son rôle d'Amiral et à vrai dire, ce n'était pas ce qu'il affectionnait le plus. De toute évidence, les mois à venir ne seraient pas de tout repos.

C'est moi qui vous remercie pour être venue ici. J'ai vu assez de monde pour aujourd'hui. L'animation a été à la hauteur, qui plus est.

Il sourit légèrement à Gwandyr. Elle semblait incapable de sortir de son rôle de soldat impartial. Contrairement à Asmodan qui avait quitté sa tenue et son rôle d'Amiral pour la soirée au moins, ce dernier avait l'impression d'être devant un soldat venu lui faire un rapport.

Repos, Gwandyr. Asseyez-vous. dit-il, en tapotant une place près de lui sur le lit. Mon instinct me dit que nous ne sommes pas ici pour parler des affaires de l'Empire d'Aile Ténébreuse, n'est-ce pas ?

Il se redressa que Gwandyr ait accepté son invitation ou non. Il se dirigea en direction d'une autre armoire de laquelle il s'empara de deux verres. Contrairement à ce que le protocole aurait voulu, il ne lui demanda même pas ce qu'elle voulait boire. Il prit la liberté de servir de l'eau pour lui et pour elle. Asmodan revint vers son invitée et lui tendit son verre et lorsqu'elle l'accepta peut-être enfin, il vint s'assoir à côté d'elle.

Je vous écoute, Gwandyr.

Asmodan écarquilla les yeux. Était-ce simplement de la surprise ou une once de peur envahit-elle son esprit ? Cette situation paraissait presque surnaturelle. Il était porteur d'un bracelet étrange qu'il ne pouvait retirer et en plus de cela, il venait de faire la rencontre d'une femme qui possédait le même ? Une explication existait forcément mais il lui était impossible de la trouver. Il était plutôt aisé d'avoir peur devant quelque chose qu'on ne pouvait expliquer. Le front d'Asmodan commençait à dégouliner de sueur. Il s'agissait-là pour lui d'une véritable torture. Il s'attachait comme une bête à un souvenir qu'il était incapable de lire. Pourtant, pour la première fois depuis qu'il avait ouvert les yeux à Miraï depuis son retour à la vie, il avait l'impression d'être face à une situation qu'il connaissait. Soudainement, sans la moindre logique, sans la moindre transition, ses lèvres laissèrent échapper un nom commun à Gwandyr et lui-même.

... Martha...

Asmodan se tint soudain la tête. Elle lui faisait horriblement mal et à l'expression de son visage, Gwandyr ne pouvait qu'en déduire qu'il était en train de souffrir. Le vert foncé du bracelet d'Asmodan était en train de s'illuminer. L'Amiral tomba en arrière et plongea dans l'inconscience.


Il était très tôt sur l'Archipel de la Muerta ce matin-là. Le soleil venait à peine de se lever, chassant les derniers reflets de lune pour plusieurs heures au moins. Une jeune femme avançait sur la plage avec un berceau dans les bras. Cette dernière était accompagné par un jeune garçon de quelques années à peine. Il suivait tant bien que mal la personne adulte malgré sa faible expérience en terme de marche.

Maman, pourquoi est-ce que tu fais ça ?

Maman lança un regard triste à son désigné fils. Elle plongea ensuite sa main droite dans le berceau en bois, le bébé qui s'y trouvait se mis soudainement à pleurer.

Joshuah... Maman ne peut juste pas la garder... Elle vivra mieux avec son papa. Un jour, tu comprendras.

Joshuah trouva la force nécessaire pour devancer sa mère et écarta les bras comme un véritable petit gaillard en lui lançant un message comme Tu devras me passer sur le corps !

Mais c'est ma petite sœur ! T'as pas le droit !

Le regard déterminé de Joshuah toucha très profondément sa mère. Des larmes coulaient sur ses joues, elles étaient emplies de tristesse. Évidemment, abandonner Gwandyr dès sa naissance représentait un choix cornélien.


Trente ans plus tard, Asmodan était toujours inconscient. Le bracelet s'illuminait encore et vraisemblablement, Gwandyr serait impuissance devant ce phénomène.

... Mère... Laisse-moi Gwandyr... C'est ma... Sss...

La sueur dégoulinait sur son front. Asmodan semblait fiévreux mais ne l'était pas réellement. Il ne parvint évidemment pas à exprimer le dernier mot, le mot-clé pourrait-on dire de cette situation.

Je deviendrai le pirate le plus fort de toute la Muerta ! Elle sera le frère du plus grand pirate de tous les temps !

Martha se laissa tomber sur ses deux genoux, totalement déboussolée par le discours de son jeune fils. Le garnement grandissait déjà trop vite, l'absence d'un père au quotidien y était probablement pour quelque chose. Elle serra le berceau dans ses bras en lançant des regards à sa fille qui venait de se réveiller à cause du différent entre la mère et son fils. Le bébé qui n'était autre que Gwandyr pleura tel le nourrisson qui réclamait son premier repas du jour. Soupirant profondément, Martha fouilla dans sa besace pour se munir de trois bracelets.

Vert clair, vert foncé et brun. Chacun d'entre eux détient une couleur qui ressort plus que les autres. Notre famille se sépare aujourd'hui mais nous garderons toujours un œil les uns sur les autres grâce à cela. Si l'un d'entre nous devait périr un jour, la couleur représentative disparaitra.

Sans demander leur avis, Asmodan reçut de Martha le bracelet dont la couleur vert foncée ressortait le plus. Elle adopta quant à elle le brun et Gwandyr obtint le dernier. Par magie, le bracelet s'adaptait au poignet du porteur. Il n'était rien d'autre qu'un gadget finalement.

Gwandyr !

Joshuah, en pleure, tendit sa main en direction du berceau. Il ne pouvait pas le savoir à cette époque là mais leur séparation allait durer une trentaine d'années.


Gwandyr n'aurait visiblement nul besoin d'aller plus loin que de lancer quelques appels un peu désespérés. Asmodan ouvrit brusquement les yeux, toujours transcendé par les souvenirs qui venaient de ressurgir dans son esprit. Les pupilles de ses yeux étaient tremblantes, il plaqua sa propre main dans sa figure comme pour vérifier s'il n'était pas en train de rêver à nouveau. En sueur, il se rappela que Gwandyr était encore à côté de lui. Comment devait-il réagir ? Il ne le savait pas. Trop de questions se bousculaient dans sa tête. Et si tout cela n'était qu'une supercherie de ce maudit bracelet ? Le petit Joshuah était un être humain, absolument rien ne prouvait qu'il était devenu par la suite Asmodan. Enfin, on ne devait pas un Démon à tous les coins de rue. C'était totalement irrationnel.

Je vais bien...

Il se redressa, toujours assis aux côtés de sa supposée sœur. Asmo... Non, Joshuah Armadrédo garda sa main poser contre son front et il ferma les yeux. Il chercha à se remémorer la scène qu'il venait de revivre. Soudain, il se rendit compte que ce n'était pas si incohérent que cela. Même amnésique, il avait toujours eu la sensation d'appartenir à ce monde depuis toujours. L'évocation de la dimension de Zelphos ne lui disait absolument rien en tout cas. Il fouilla un peu plus loin dans ses souvenirs et peu avant son réveil, Martha avait énoncé une dernière chose. Avec cet unique détail, il pourrait vérifier la véracité de cette vision du passé.

Es-tu la fille d'Albar Tlassin ? Répond-moi très sincèrement !

La vérité ne lui faisait pas vraiment peur. Un autre détail le subjuguait plus ou moins pour le moment. En effet, il se souvint des mots de Martha au sujet des bracelets. La couleur brune était toujours présente sur les bracelets de Joshuah et de Gwandyr. Cela voulait dire que leur mère était encore en vie, quelque part et pour l'heure, il ne pouvait pas cacher se demander ce qu'elle était devenue.

Asmodan soupira très profondément. En effet, il aurait pu connaître l'ancienne affiliation à la famille Tlassin de Gwandyr avec sa haute position dans la hiérarchie de l'Empire d'Aile Ténébreuse. Cependant, il connaissait uniquement la renommée de l'Ourse des Tavernes. Il ne s'était jamais intéressé à l'enfance de celle qui était encore une inconnue physique jusqu'au déroulement de la réception à la Perle de Nacre. Ainsi, il était contraint d'admettre un soupçon de réalité dans les visions qu'il venait d'avoir. Sa main retomba molasse-ment sur le lit. L'Amiral de la flotte d'Aile Ténébreuse se souvint qu'il avait été inconscient durant plusieurs minutes. Gwandyr attendait des explications. Que pouvait-il lui dire ?

Je vois...

Ironiquement peut-être, Gwandyr et Asmodan n'étaient pas du tout sur la même longueur d'onde. La rouquine semblait penser qu'il cherchait à déceler en elle une onde de traitrise à cause de son ancienne appartenance à une famille dans la rébellion. Même si cela avait été le cas, il n'en aurait probablement rien fait ce soir. Comment pourrait-il la juger sur une erreur d'enfance alors qu'il avait lui-même proclamé quand il était haut comme trois pommes qu'il deviendrait un jour le plus fort de tous les pirates ? Son destin fut tout autre visiblement car à l'heure actuelle, il était peut-être leur principal antagoniste.

Nos bracelets communiquent, cela semble évident. Regarde bien, Gwandyr. Le vert foncé chez moi s'illumine alors que le vert clair ressort plus chez toi. Il y a une dernière couleur. Ce n'est qu'une supposition mais il semble exister une troisième personne. Une personne étant le lien entre toi et moi. En tout cas, une personne qui pourrait savoir pourquoi nous avons cela.

Asmodan venait de pratiquer un exercice qu'il appréciait énormément. Il mentait gentiment à Gwandyr car il en savait bien plus qu'il ne voulait bien lui dire. Il avait encore du mal à croire qu'il venait de retrouver sa sœur mais en réfléchissant plus, cette histoire pouvait être cohérente. Il était amnésique et à moins de mentir, Gwandyr ne voyait en lui que l'Amiral de la flotte d'Aile Ténébreuse qu'elle venait de rencontrer pour la première fois aujourd'hui même. En admettant l'existence de ce lien, la vision prenait tout son sens car ils auraient été séparés peu après la naissance de la rouquine. Son discours cachait la vérité qu'il détenait mais livrait tout de même des informations peu précises mais pourtant véridiques à Gwandyr.

A vrai dire, Asmodan n'imaginait pas à cet instant précis de leur rencontre lui dévoiler brutalement le lien qui les unissait très probablement. Il avait beau chercher au plus profond de son cœur de démon, Gwandyr demeurait pour Asmodan une pâle inconnue...

Asmodan se remettait de ses émotions, calmement allongé sur le dos. Il n'écoutait Gwandyr que d'une seule oreille car il repensait ardemment à la vision qu'il venait à peine d'apercevoir durant son malaise. La vérité était-elle si simple que cela ? Ce miracle s'était-il produit parce que les bracelets d'Asmodan et de Gwandyr étaient à nouveau réunis ? Sa tête roula lentement contre le matelas, l'Amiral observait la guerrière attentivement. Joshuah regardait sa sœur pour la première fois depuis plusieurs décennies. Au fond, être Joshuah pouvait être un début d'explication. Globalement, il ne lui restait plus qu'alors à découvrir comment il était devenu Asmodan et visiblement, Gwandyr n'avait aucune réponse à apporter. Il regarda à nouveau son bracelet puis celui de Gwandyr avant de s'approcher vers elle en se lançant dans un élan pour se redresser. Instinctivement, Joshuah passa son bras autour de la taille de Gwandyr afin de la serrer contre lui. Il n'avait pas agit ainsi pour la gêner ou la déstabiliser. Au contraire, il pensa que ce geste lui donnerait ce petit truc lui permettant de donner un ultime jugement à cette situation. Peu importe ce que les deux protagonistes purent en penser, Asmodan se sentit étrangement bien en pressant Gwandyr contre lui. Il ne s'agissait pas d'idées coquines lui traversant l'esprit, il avait plutôt envie de croire qu'il était ce fameux Joshuah et qu'il venait de retrouver une partie importante de son passé.

Nous sommes liés parce que je suis ton frère et que tu es ma sœur, Gwandyr. Tu es la fille de Martha, une pirate et d'Albar Tlassin, le Maréchal des Glaces. Tu es née d'une histoire d'une nuit entre notre mère et d'un noble.

Il n'y avait guère besoin d'en dire plus. Comment allait-elle réagir ? Étrangement, Joshuah semblait plutôt bien vivre cette situation car cela lui permettait de retrouver une identité certaine. Mais comment Gwandyr considérerait ce pan en commun de leur histoire commune et pourtant tellement inconnue ?

Asmodan cligna des yeux. Il se rendait compte qu'en tant qu'Amiral, il venait de se laisser aller dans un élan qu'il n'aurait pas du se permettre. Et de personne à personne, c'était plutôt osé. Gwandyr avait raison ? Comment pouvait-il affirmer une telle chose ? C'était assez simple à se l'expliquer pour lui même mais la concernant... C'était beaucoup plus compliqué. En admettant que sa vision soit la réalité d'un passé lointain, Gwandyr représentait à elle seule un premier pas vers les retrouvailles avec sa mémoire. Peut-être lui suffisait-il de lui raconter les deux dernières années de sa vie pour lui permettre de mieux le comprendre ?

Il y a deux ans, je me suis réveillé sur un quai du port de Miraï. Je ne savais plus qui j'étais. J'ai choisi de m'appeler Asmodan pour obtenir une identité et j'ai intégré la flotte d'Aile Ténébreuse pour mener ma propre enquête. Les circonstances ont fait que je suis devenu l'Amiral en finalité. En somme, je suis un amnésique qui cherche des traces de son passé.

Il s'avança à nouveau vers Gwandyr mais cette fois-ci, il n'avait pas l'intention de tenter de la reprendre dans ses bras. Il tendit son poignet vers elle afin de comparer à nouveau leurs bracelets.

Tu peux prendre ce que je te dis pour un mensonge si tu le souhaite ou des fantaisies mais cela ! Ces deux bracelets ! Ils sont identiques et authentiques ! Tu ne peux pas les nier !

Il ne lui criait pas dessus mais l'intonation de sa voix montrait clairement qu'il s'accrochait à cette possibilité. Il baissa les yeux un instant, montrant un air quelque peu désolé. Il ne s'excuserait pas, son regard le ferait pour lui.

Joshuah serait mon véritable nom selon nos bracelets.

Ne voulait-elle pas le croire ? Avait-elle peur ? Songeait-elle qu'il n'était qu'un fou présomptueux et hardi ? La relation d'un supérieur avec son soldat venait d'être brisée. Il était certain que Gwandyr ne le verrait plus comme tel à l'avenir. Les choses commençaient très mal. L'adversité savait que les mots d'Asmodan étaient les bons et pourtant... L'un doutait et l'autre refusait d'y croire. Elle parlait maintenant d'hallucinations ? Quelque chose de mauvais se serait glissé dans les repas ou dans les boissons ? Piste plausible, mais...

Crois-tu que j'ai eu le temps de boire ou de manger, Gwandyr ? J'ai eu bien plus important à faire aujourd'hui. L'annonce du ralliement des Pirates d'Abran Kaï à la cause d'Aile Ténébreuse, rencontrer divers dignitaires venant de tous les coins de l'Empire... Je n'ai ni bu, ni manger !

Une légère once de colère était en train de s'emparer de lui. Elle le traitait presque ouvertement de menteur. Cela ne le rendrait pas furieux et il ne lui bondirait pas dessus pour régler des comptes mais dans cette direction, Gwandyr allait vers des limites qu'il ne l'autoriserait pas à dépasser impunément.

Oh et puis... Va-t-en si tu me pense fou à lier ! Je n'en ai cure !

Vexé, il était vraisemblablement poussé dans ses retranchements. Il venait peut-être de faire l'une des plus grandes erreurs de toute sa carrière. Et si Gwandyr avait raison ? Etait-il sujet à un maléfice quelconque ? La rouquine avait désormais des informations sensibles le concernant et se quitter ainsi en mauvais termes le gênerait.

Pardon... Je ne voulais pas m'emporter, Gwandyr...

Machinalement, Asmodan posa sa main sur celle de Gwandyr pour la retenir, elle qui devait probablement être sur le point de bondir comme une furie pour lui montrer sa façon de penser. Oh ça, oui, il aurait probablement passé un sale quart d'heure verbal mais les choses se passeraient autrement. En effet, lorsqu'il parvint à poser sa main sur la sienne, les deux bracelets se heurtèrent et la lumière fut, comme on dit.

Que...?!

Un halo de lumière mi vert foncé / mi vert clair s'empara des corps de Gwandyr et d'Asmodan. A sa plus grande insu, Gwandyr était sur le point de revivre la vision de l'Amiral quelques minutes plus tôt.