Sky se sentait encore une fois un peu roulé. Leyna était définitivement très douée. Une semaine plus tôt, le Messager avait reçu un message de la part des hautes sphères de la Confrérie, lui demandant – lui ordonnant plutôt, malgré une formulation très amicale comme seuls les patrons sont capables de les faire – de se rendre au QG de Voëlkara, une guilde de mercenaires qui prenait de l’ampleur, dans le but d’établir un début de lien amical entre les deux forces. S’il trouvait lui-même l’idée intéressante, il ne se sentait par contre pas du tout motivé pour le faire de lui-même. Ce n’était pas son rôle, il devait transmettre des messages, lui. Et peu importe les arguments que Dyan ou Luz pouvaient avancer, le Nephilim les rejetait d’un revers de la main. C’est là que les deux femmes eurent l’idée d’envoyer Leyna pour le persuader.

La façon dont la Kitsune parvint à le convaincre de prendre le rôle « d’ambassadeur » lui rappela fortement la façon dont elle l’avait déjà poussé à se joindre aux rangs de la Confrérie des Brumes. Suite à un long débat assez tendu, s’étalant sur plusieurs jours, durant lequel chacun défendait avec force son point de vue tout en démontrant, d’une manière souvent tirée par les cheveux, que son adversaire avait tort, elle était parvenue à tourner l’ordre sous forme de défi. Défi qu’il se devait forcément de relever pour ne pas perdre la face auprès de sa rivale. Dans l’heure suivant cette discussion, Sky avait été prendre les renseignements sur ce qu’il allait devoir faire, avait préparé ses affaires et s’était mis en route. Le tout sans même se demander pourquoi il avait été envoyé lui et pas un autre.

C’est donc ainsi qu’il s’est retrouvé dans la fameuse taverne nommée le Chien qui Dort. Et, au vu de l’ambiance, l’animal devait avoir le sommeil bien profond pour rester dans cet état. Peut-être était-ce dû à l’heure ? Les gens criaient, pas pour faire la fête, mais les uns contre les autres. Diverses disputes éclataient ici et là, et Sky devait déplacer assez violemment plusieurs corps imbibés d’alcools se déplaçant sur sa route pour rejoindre le bar. Il s’arrangeait cependant pour que personne ne remarque ses yeux, qui trahiraient sa race, histoire de ne pas trop retarder son arrivée en créant un conflit haineux général. Oh, se débarrasser des différents tas de vins et de bière n’aurait pas été un problème, mais autant limiter les degâts.

Au final, sa recherche du gérant n’aura pas été d’une grande difficulté. Il se contenta de repérer la personne qui répondit d’un violent « Si elle te convient pas, j’peux aussi t’virer à coups de pieds dans le bas du dos ! » à la non moins violente réplique « Tarkas, ta bière me rappelle le goût dégueulasse de la pisse de mon chien ! » que lui avait lancé un client, visiblement expert dans le domaine de la boisson d’origine animale. S’approchant donc rapidement du propriétaire, avant qu’il ne mette ses menaces à exécution, le Messager se contenta de lui tendre la lettre qu’avait préparé Luz à son attention, expliquant que le porteur de ce message désirait postuler dans la guilde qui semblait s’être accaparée son établissement, qu’il fallait le laisser passer et tout cela… Ce qu’il fit avec une expression faciale mêlant les deux sentiments qu’il ressentait actuellement : la fatigue d’entendre parler de la guilde, et le dégoût de voir un Nephilim.

Descendant lentement dans la pénombre, Sky ne put se retenir d’avoir un petit sourire suite à une pensée des plus stupides, parfaitement sans intérêt, par rapport au message. Passons. Il arriva au lieu principal lui-même. Une certaine odeur de renfermé commençant d’abord à lui attaquer les voies nasales pendant que ses yeux s’adaptaient à la luminosité, ou plutôt au manque de cette dernière, environnante. Il jeta un rapide coup d’œil histoire de voir l’occupation des lieux. A première vue, il y avait deux jeunes femmes en train de discuter, l’une tenant un petit couteau non loin de son poignet, et un homme en train… De s’astiquer le katana, visiblement.

S’avançant au centre de la crypte, sachant pertinemment bien qu’il avait été remarqué malgré le manque flagrant de réaction, il se rendit compte qu’ils attendaient qu’il prenne lui la parole. Parfait. Il annonça donc, d’une voix claire et sans hésitation :

« Sky Revan. Je viens au nom de la Confrérie des Brumes, comme il m’a été demandé de le faire. On m’a prévenu qu’au moins une partie d’entre vous serait au courant de cela, donc je m’épargne les longues présentations et explications visant à justifier mon arrivée pour rapprocher nos deux guildes, et vous signale par le fait même que je suis d’ores et déjà prêt à répondre à la moindre de vos questions et à participer à tout type de test que vous souhaiteriez me faire passer. »

Tout cela ressemblait plus à des formalités un peu inutiles aux yeux du Nephilim, d’où le ton agacé de sa voix. Bien que la partie test l’intéressait fortement, à vrai dire. Pour peu que rien de trop simple ne lui soit demandé, forcément, sinon il n’y avait aucun plaisir. Bref. Cette apparente exaspération dont il avait parfaitement conscience risquait de ne pas forcément jouer en sa faveur. Qu’importe. Sky se devait de faire ses preuves, et il les ferait. N’était-il pas juste que la guilde montre-t-elle aussi sa capacité à présenter un réel intérêt ?

Question pertinente. Il avait été mis au courant de l’aspect très familial de Voëlkara, et se rendit compte que ce qu’il avait dit pouvait porter au doute. Mieux valait donc s’expliquer sur ce point rapidement, histoire de ne pas tout planter avant même d’avoir commencé. Sans même s'inquiéter l'ombre d'un instant du fait que l'homme qui avait pris la parole n'était pas dans la pièce quelques instants plus tôt, il s'expliqua. Un sourire en coin se profila sur le visage du Messager quand il répondit, haussant légèrement les épaules :

« Je comprends parfaitement votre inquiétude, si l’on peut appeler cela ainsi. Je pense pouvoir vous rassurer en vous affirmant que vous vous méprenez sur votre jugement quand à mes désirs personnels. Mes raisons profondes, bien que je ne voies aucun inconvénient à vous les dire, ne risqueront pas de vous convaincre entièrement, je m’en rends bien compte. Je vais donc tenter de faire plus court : Je ne suis pas là à la suite d’un ordre, mais bien d’une demande qu’il m’était possible de refuser. Ce que je fis au départ d’ailleurs, à plusieurs reprises. Jusqu’à une certaine discussion avec une… Amie, dirons-nous, qui m’a convaincu de l’intérêt de vous rejoindre pour moi, personnellement, et pas seulement pour la Confrérie. »

Avouer que, quelque part au fond de lui, Sky appréciait l’idée de famille que prêchait l’homme qui avait pris la parole lui semblait inconcevable. Non seulement parce qu’il n’était pas du genre à se montrer intéressé par un tel concept, mais en plus parce que cela donnerait raison à toutes les personnes qui avançaient qu’il avait besoin d’être en groupe pour se sentir bien. Et le Nephilim n’aimait pas avoir à donner raison aux gens.

Ashae discutait avec Kira, faisant le point sur leur mission à Abyssaï qui s'était avérée plus compliquée que prévu, quand un inconnu rentra dans la crypte. La métamorphe se tourna vers lui. Tarkas ne laissait pas rentrer n'importe qui, seulement les gens souhaitant être recrutés par la guilde. Et justement, elle savait que quelqu'un de la Confrérie des Brumes devait venir pour postuler. La jeune femme l'écouta parler en silence, et avant qu'elle n'ait pu parler son frère sortit de l'ombre derrière le nouvel arrivant. Il posa la question qui trottait dans la tête d'Ashae, et celle-ci écouta la réponse avec un petit sourire, avant de se lever et de s'approcher de l'homme.

- Juste une question, parce que je trouve ce n'est pas clair: quel est donc cet intérêt que tu as à nous rejoindre? Tu fais déjà partie d'une guilde très influente, et tu as plutôt l'air du genre solitaire. Que pourrais-tu bien faire d'une famille comme la notre?

Elle était maintenant debout face à Sky Revan, immobile, souriante.

Sky se rendit bien compte qu’il n’avait été qu’à moitié convaincant, et qu’il aurait probablement dû commencer tout de suite par répondre à la question qu’avait posé la jeune femme, plutôt que de la laisser en suspens. Il se laissa aller à un nouveau sourire en coin, plus franc que le premier.

« Mon intérêt ? Soit. Je ne pense pas que vous pourriez le comprendre, sans vouloir vous vexer, cependant. Cette fameuse… Amie, dont je vous parlais, m’a lancé un défi. Et je me dois de le relever, sans quoi… Elle aura gagné, tout simplement. Je sais, je sais. Cela paraît parfaitement stupide. Mais je suis ainsi, je n’ai aucune honte à le cacher. »

Il prit quelques secondes d’arrêt, le temps de jeter un rapide coup d’œil sur les personnes présentes, pour voir leur réaction. Rien de bien notable pour l’instant. Ils devaient être habitués, ayant appris à garder une expression visiblement neutre. Restait à savoir si elle l’était vraiment ou s’ils cachaient leur jeu.

« Si cela peut vous rassurer, tout de même, il s’agit de la même raison – Et de la même personne, soit-dit en passant – qui m’a fait rentrer dans la Confrérie. Et, si le cœur vous en dit vous pourrez toujours vous renseigner auprès de mes patrons, personne n’a jamais eu à se plaindre de moi. La Confrérie est ma famille. Je ne vois pas ce qui m’empêcherait d’agrandir ce cercle en vous incorporant dedans. »

Ca, sa guilde n’avait plus à se plaindre de lui. Les débuts avaient été plus difficiles, cependant. Plus d’une fois il avait causé des problèmes qui avaient failli résulter en son départ forcé durant le premier mois. Le temps qu’il s’habitue à sa nouvelle situation, à vrai dire.