Tuer pouvait parfois être d'une facilité déconcertante, surtout quand on choisissait bien sa proie. Sayanelle l'avait comprit depuis longtemps. Elle aimait parfois observer les passants et se demander lesquels seraient les plus difficiles à atteindre. C'était un passe-temps quelque peu glauque que d'ainsi lire sur le visage de ces inconnus jusqu'à quel point ils tenaient à la vie et comment ils étaient prêts à la défendre, surtout ceux qui visiblement n'avaient pas d’armes. Elle aimait se sentir supérieure à eux, d'une façon à la fois malsaine et pourtant naturelle, telle une certitude dont elle ne pourrait jamais se débarrasser et qui faisait se dresser les poils de sa nuque.

Elle se redressa soudain. L'homme ne l'avait pas quitté des yeux pendant qu'elle examinait sa requête, et pourtant elle ne pensait pas avoir laissé transparaître toutes les émotions qui l'avaient traversée. Qu'il était étrange de ressentir à nouveau autre chose que la faim et la satiété : l'excitation. Pas l'excitation à l'idée de tuer pour se nourrir, mais cette fois l'excitation d'avoir une cible, qui peut-être ne serait pas aussi facile à atteindre, mais dont elle ne pourrait à aucun moment décider de se détourner machinalement. Elle n'aurait qu'une chance, et devrait la saisir, ou sa carrière dans ce domaine serait mort-née.

Rendant son regard au vieil homme, elle tendit la main et il déposa la bourse au creux de sa paume. Elle pouvait sentir le léger tremblement de ses doigts et un sourire amusé étira ses lèvres. Elle aurait voulut lui dire qu'il ne courait aucun risque, que sa mère tenait trop à lui pour qu'elle lui fasse le moindre mal, mais elle n'était même pas sûre que ce soit vrai. Sa mémoire commençait déjà à lui faire défaut, et avec elle toute trace de pitié.

Il était étrangement enivrant de ressentir le poids de toutes ces pièces d'or. Elle referma les doigts sur le tissu, ferma à moitié les yeux et écouta le bruit du métal s'entrechoquant. L'homme parut vouloir dire quelque chose mais se ravisa. Agacée par ses hésitations et son expression contrite, elle haussa un sourcil interrogateur.
« Si vous échouez... ,commença-t-il, mais le ton glacial de Sayanelle l'interrompit :
- Je n'échouerai pas. »
L'odeur de peur qui émanait de l'homme commençait à incommoder le vampire, et elle lui fit signe de partir d'un geste négligeant. L'avoir accepté sous son toit était déjà faire preuve d'une grande tolérance, bien qu'elle se doute qu'il ferait à présent tout pour l'éviter, quitte à ne jamais récupérer son argent si elle n'accomplissait pas le contrat ou ratait sa cible. Un sourire torve aux lèvres, Sayanelle s'étira en savourant cette idée qu'elle le dominait même en lui devant quelque chose.

Mais elle comptait bien accomplir sa part du marché. Pas spécialement parce qu'elle appréciait le vieux, ni même par honnêteté. Jute pour découvrir le plaisir de s'introduire chez quelqu'un, et de l'assassiner au nom de quelqu'un d'autre. De remplacer le hasard par la détermination, jusqu’à l’acte final et à la satisfaction totale. Jusqu’au prochain meurtre, bien entendu.