Donovan débarqua enfin. Après quelques jours de voyage en mer, retrouver le sol lui fit du bien. Et après son périple sur l'île Sen'rin, il était content de retrouver les Glaces. Il était certes encore loin de chez lui, mais il espérait arriver bientôt. Car le seul bateau qui avait accepté un soldat sans argent avait pour destination un petit village isolé. Le capitaine était un de ces villageois, parti faire un peu de commerce à Terre afin de compenser un manque de nourriture. Donovan l'avait rencontré à Sen'rin et, sous réserve qu'il aide les marins, on lui avait accordé le voyage. Il avait craint une nouvelle tempête, mais tout s'était bien passé, et il était arrivé sans encombre à destination.

Le village en question était niché au bord d'une crique enneigée. Lorsqu'ils débarquèrent, les villageois accueillirent les marins avec reconnaissance, heureux de revoir des frères, des pères, des époux, qui leur ramenaient de quoi subsister encore quelques temps. Donovan les aida à décharger et fut présenté à quelques personnes. Il avait eu le temps, durant le trajet, de se lier d'amitié avec les marins, et ceux-ci souhaitaient le présenter à leurs familles. Aussi, bien qu'il aurait voulu repartir le plus vite possible, il passa le reste de la soirée dans leur salle commune, appréciant leur bonne humeur et leurs musiques traditionnelles. Le lendemain, il partait, sans un mot, prenant avec lui armes et peau d'ours, s'enfonçant dans la neige comme une âme perdue.

Donovan marcha ainsi deux jours durant. Le froid et le vent glacial du pays cisaillaient son corps tandis qu'il luttait pour ne pas s'empêtrer dans la neige. Le pire, c'était qu'il ne savait même pas où il allait. Il avait cru prendre la bonne direction lorsqu'il avait quitté le village. Il en était moins sûr maintenant. Dans ce désert blanc, il était facile de perdre tout repère. Natif de Selian, il avait toujours craint la Toundra. Quelle idée stupide avait-il eu de s'y aventurer tout seul ! Pourquoi avait-il crû pouvoir s'en sortir ? Se maudissant de son imbécillité, il resserra la fourrure d'ours autour de son corps. Il avait pu, avant de repartir de Sen'rin, se procurer un plastron de cuir, et cette mince armure était déjà un petit rempart contre le froid. C'était dans ces moments là qu'il était content d'avoir quitté l'infanterie pour un corps d'archers. Une armure de métal l'aurait tué à coup sûr, dans ces conditions.

Le vent se fit de plus en plus fort, soulevant des tourbillons de glace. La neige se mit à tomber, et en quelques minutes Donovan n'y voyait plus rien. Il ne lui manquait plus que ça. Une tempête de neige. Le vent le fit vaciller, et le mit plusieurs fois à terre, comme s'il voulait l'enfoncer dans la neige. Rassemblant ses forces, l'archer ne se laissa pas faire, se relevait. Tombait encore, tremblait, et, une main devant les yeux, se trainait péniblement à travers la tempête. L'ironie du sort l'aurait fait sourire s'il n'avait pas été aussi épuisé; après la tempête en mer, la tempête de neige. Il n'osait même pas penser à la suivante.

Avançant à tâtons, il parvint au pied d'une paroi rocheuse. Avec un peu de chance, il trouverait un abri. Une main sur la pierre, il continua à marcher, reprenant quelques espoirs. Il sentit soudain la paroi s'incliner vers l'intérieure. Plissant les yeux, il distingua l'entrée d'une grotte. Celle-ci serait peut-être suffisamment profonde pour que la neige n'y entre pas. Lorsqu'il pénétra dans la cage en pierre, il s'aperçut que celle-ci était assez grande. Même si le vent et la neige y entraient, il pouvait trouver un abri derrière un rocher ou dans une faille quelconque. Et s'il y avait du bois, il pourrait même faire un feu.

Il était en train de se défaire de ses armes lorsqu'il senti une présence derrière lui.

- On ne bouge plus !

Une voix de femme. Le sang de Donovan ne fit qu'un tour. Il avait senti un léger souffle derrière lui et... une lame sous sa gorge. Il n'avait rien vu venir. Soit les années d'exil avec Ysle l'avaient rouillé, auquel cas il ferait mieux de se reprendre en main, soit il devenait vieux, et dans ce cas là il n'avait plus qu'à attendre la mort. Se voyant déjà avec la gorge tranchée, il tenta de commencer une négociation, mais la femme retira sa lame et s'éloigna de lui. Il se retourna, l'air perplexe.

- Je te prie de m'excuser. Les seules âmes que l'on croise par ici ne sont pas très amicales, et tu es entré précisément dans la grotte qui abritait mes affaires...

Elle avait levé les mains, lui montrant qu'elle ne lui voulait pas de mal. Une chance. Il passa une main sur sa gorge.

- On n'est jamais trop prudent.

Il dévisagea rapidement la femme. Elle était encore jeune, habillée de cuir et de peaux. Des cheveux de la couleur du feu, des yeux vairons. Pas une grande beauté mais... quelque chose de sauvage chez cette femme, quelque chose qui le fascinait. D'un autre côté, qu'elle ait pu le surprendre, lui, un guerrier aguerri, l'inquiétait. Donovan ne savait vraiment pas quoi penser de tout ça.

- Je peux récupérer mes affaires sans risquer de me prendre un coup d'épée ou... ?

Elle n'attendit même pas sa réponse et se retourna. Il remarqua alors les deux lapins accrochés à son épaule. Cuits ? Comment avait-elle fait, par ce temps là ? Son estomacs gargouilla à la vue de la nourriture. Elle lui avait d'ailleurs décroché un charmant sourire, et il ne savait pas si elle cherchait à le manipuler ou si c'était une réelle sympathie. Il eut sa réponse lorsqu'elle s'assit sur le sol et lui proposa de partager son repas. Il lui rendit alors son sourire.

- Ce sera très volontiers.

Il s'assit alors sur le sol. Son regard le déstabilisait un peu. En fait, cette femme le déstabilisait tout court. Mais si elle lui offrait une partie de son repas, autant être courtois. De plus les lapins cuits le perturbaient. Si elle pouvait faire aussi du feu, il ne serait pas contre un peu de chaleur.

- Je me nomme Donovan Esylandre. Je suis archer pour l'armée de Selian. Pardonne moi mon indiscrétion, mais... comment et où a tu fait cuire ces lapins ?

Donovan prit le morceau que lui tendit Luz- un joli nom- et dû se retenir pour ne pas le dévorer d'un coup. Etrangement, il ne voulait pas avoir l'air d'un rustre devant elle. Pas humaine ? Non, ça ne lui posait pas de problème, bien que cela attisa sa curiosité. Il mangea en la regardant farfouiller son sac et en sortir des brindilles qu'elle disposa d'une façon assez singulière. Elle claqua des doigts, et le bois s'embrasa soudainement. Dès que le feu prit, Donovan s'empressa d'enlever sa fourrure, afin que le cuir n'empêche pas la chaleur de l'atteindre.

- Et donc, noble Donovan, que viens-tu faire par ici loin des protections de ta cité ?

L'archer eut un petit rire et lui fit un sourire franc, afin qu'elle ne se vexe pas. Noble ? On l'avait bien traité de tous les nom, mais c'était bien la première fois qu'on lui attribuait l'adjectif « noble ». Quoiqu'elle n'ait probablement pas dit cela de façon sérieuse.

- He bien cette chère cité, dans son immense protection, a jugé bon de m'envoyer sur un bateau avec le rebut de l'armée de Selian. On nous a envoyé à Terre, mais notre navire a fait naufrage avant d'arriver. Le seul moyen que j'ai trouvé pour rentrer a été de débarquer dans un petit village de pêcheurs à deux jours d'ici. Et après la tempête de mer, la tempête de glace.

Donovan frissonna.

- J'ai bêtement crû pouvoir traverser seul la toundra pour rejoindre Selian, ajouta t-il, contemplant le feu d'un air triste.

Ce même air qui le hantait si souvent quand il se sentait seul. Machinalement, il passa une main sur l'oiseau d'argent accroché à sa tunique. Par tous les dieux, ce que la vie pouvait être injuste, parfois. Enfin... peut être l'avait-il mérité. Ysle était bien morte à cause de lui, après tout. Il décida qu'il valait mieux chasser ces mauvais souvenirs. Pour l'instant, il était content d'avoir un peu de compagnie. Il fit un sourire à Luz, essayant de la mettre plus à l'aise.

- Quoiqu'il en soit, je te remercie, Luz, pour le feu et le repas. Et pour ne pas m'avoir tranché la gorge, ajouta t-il avec un air de malice dans les yeux.

Il frictionna ses mains un instant avant de continuer à manger.

- A ton tour. Dis moi ce qu'une jeune femme comme toi fais toute seule dans la Toundra ?

Donovan éclata de rire. Un dragon, rien que ça !

- Je suis désolé, je ne me moquais pas de toi, fit-il de peur qu'elle se vexe. C'est juste qu'il est rare d'avoir une personne franche et d'agréable compagnie, ces temps-ci.

Il passa une main dans ses cheveux, écartant quelques mèches qui pendaient sur son visage. La chaleur du feu l'atteignait bien, à présent, et il n'avait plus froid. Pour la première fois depuis longtemps, Donovan se sentait bien; et il le devait à Luz. Même s'il venait de la rencontrer, la jeune fille- non, cette femme- avait quelque chose de vraiment particulier qui lui plaisait. Derrière ses plaisanterie, il pouvait deviner qu'elle était une femme forte, aussi bien physiquement que mentalement.

- 512 ans... je dois n'être guère plus qu'un enfant à tes yeux. Et non, je crains de rien avoir pour te surprendre, dit-il avec un sourire. Je ne suis qu'un simple humain.

Il jeta un coup d'oeil à l'arc de Luz. Une bonne arme, à ce qu'il pouvait en juger. Et vu la manière dont elle avait réussit à le surprendre, il était probable qu'elle sache bien s'en servir. Il redressa la tête en arborant un air franc.

- Je suis heureux de t'avoir rencontré, Luz. Ce n'est pas tous les jours que l'on croise un dragon. En fait tu es la première de ton espèce que je croise. S'ils sont tous comme toi, ton peuple doit être merveilleux.

Les années passées à combattre des humains l'avaient coupés de toutes ces créatures. Il n'avait pratiquement connu que les hommes et leur brutalité, et se retrouver dans un endroit clos avec un être aussi majestueux qu'un dragon était à la fois insensé et incroyable. Combien d'histoires sa mère lui avait-elle raconté sur les dragons lorsqu'il était enfant ? Il fixa ses yeux dans ceux de Luz un instant, puis détourna la tête, un peu gêné, après qu'un frisson l'eut parcourus. Laissant pour une fois sa tragédie personnelle de côté, il pencha la tête et arrière et ferma les yeux, appréciant la chaleur du feu. Quelques secondes plus tard, il étouffa un bâillement. Il reporta son attention sur la dragonne, l'air pensif.

- Tu dois parfois nous trouver bien stupides, à nous acharner à nos vaines occupations. Nous, qui gâchons le bonheur qu'on a en croyant pouvoir le trouver ailleurs.

Il prit soudain véritablement conscience de l'âge de Luz et éprouva un soupçon de peine pour elle. Combien d'amis avait-elle vu mourir alors qu'elle-même ne prenait pas une ride ? Il n'aurait voulu cela pour rien au monde. Encore qu'il n'avait jamais véritablement eut d'amis, quelques compagnons d'arme et Ysle mis à part.

- Quoiqu'il en soit, je serais honoré de faire un brin de voyage avec toi. Maintenant, excuse moi mais je dois faire un brin d'exercice. J'ai passé tellement de temps à utiliser mon arc que j'ai presque oublié comment me servir de mon épée.

Il se leva péniblement et se saisit de sa lame. Il la maintint droit devant lui, la portant à bout de bras et fermant les yeux. Les souvenirs de son ancien entraînement revenaient peu à peu, et il s'était mit un point d'honneur à s'exercer chaque soir. Donovan ne se souvenait que trop bien des coups reçus par les brutes qui poursuivaient la femme blonde et sa fille. Doucement, il se mit en mouvement, oubliant presque tout ce qui l'entourait- excepté la présence lumineuse du dragon dans la caverne.

Le coeur de Donovan se serra si soudainement... Son épée lui échappa des mains, percuta le sol rocailleux dans un bruit métallique. Tout lui revint d'un coup, Ysle, avec son sourire, sa douceur, son innocence... il serra tellement fort l'oiseau d'argent que ses jointure blanchirent.

- C'est... c'est ma femme qui me l'a offert... souffla t-il doucement.

Il ramassa l'épée et la remit au fourreau, puis alla s'assoir devant le feu, le visage sombre, des larmes dans les yeux. Quelle détresse s'était installée en lui !

- Elle s'appelait Ysle. Elle était tout pour moi. Je n'ai jamais été proche des autres humains; mon arrogance me poussait à les juger, à les fuir, à les mépriser, alors qu'au final, je suis pire qu'eux. Je suis entré dans l'armée en voulant protéger les gens, et je n'y ait trouvé que des brutes ou des naïfs. Je l'ai rencontrée durant ma formation... Elle m'a accepté tel quel, m'a aimé pour ce que j'étais. Je n'avais rien à lui offrir, sinon la pauvreté, et elle l'a accepté sans rechigner.

L'archer décrocha la broche et la tendit à Luz. Il n'avait jamais parlé de tout ça à quiconque, mais, étrangement, la chaleur réconfortante qui émanait de la dragonne le poussait à la confession – ça, et le fait qu'il s'adresse justement à un dragon de 512 ans.

- Elle me l'a offert lorsque je suis parti combattre pour la première fois. C'était un moyen pour elle de rester à mes côtés. Elle ne craignait même pas que son homme meurt au combat; elle avait peur que la guerre ne change l'homme qu'elle aimait. C'était la personne la plus douce et innocente au monde.

Il émit un petit rire mélancolique.

- Elle n'a même jamais pût tordre le cou d'un poulet. Après quelques années de batailles j'ai quitté l'armé. J'étais las de ces tueries, je haïssais tout ça. J'ai voulut partir, et qu'on refasse notre vie ailleurs, loin de tout ça. On aurait pût aller à Sen'tsura, elle y avait des amis. Mais je l'ai coupée de ça. Je voulais trouver un endroit loin de la folie des hommes. Je l'ai traînée aux quatre coins du monde, lui ait fait enduré les pires conditions de vie, et elle ne s'est jamais plainte. Pas une seule fois.

Il passa une main dans ses cheveux.

- Comprend tu pourquoi je disais vaines les préoccupations des hommes ? Mon égoïsme lui a infligé tellement de souffrance, pendant que je recherchais le bonheur. Au final, nous avons trouvé une bâtisse loin de tout. Je suis parti chasser un jour, et lorsque je suis revenu...

La voix de Donovan se brisa.

- Elle était morte. Tuée par les sbires d'Aile Ténébreuse. Après tout ce qu'elle a enduré, finir comme cela... La culpabilité ronge mon coeur chaque minute de chaque jour depuis. Elle est tapie au fond de moi, ne me quitte jamais, envahit mon esprit. Et ce n'est qu'à ce moment là, quand je l'ai perdue, que j'ai compris que quelque soit l'endroit où j'étais, mon vrai bonheur était là où Ysle était.

L'archer appuya sa tête sur sa main, se cachant la moitié du visage, prêt à craquer.

- J'ai... j'ai tué ma femme.

Les paroles de Luz traversèrent son cœur et son corps, atteignant son âme à travers le mur de glace qu’il s’était construit. Alors qu’il était sur le point de céder, son esprit rongé par le remords et à deux doigts de se perdre dans des brumes obscures, la chaleur de la dragonne l’avait empêché de sombrer. Il aurait dû être haï, méprisé pour ce qu’il avait fait à Ysle, mais elle lui avait parlé d’amour et de bonheur. Continuer à vivre, avec tout le sang qu’il avait sur les mains ? Luz recula un peu et, instinctivement, il la retint par la main et pressa ses doigts entre les siens.

- Ceci est un contact humain, tel qu'il y en a partout sur la terre. Et la chaleur que l'on ressent alors n'en est que plus sublimée si l'on accepte d'aimer et de ne jamais oublier ceux qui nous ont été chers, nous apprenant ces précieux contacts…

Bien qu’il ne venait que de la rencontrer, cette femme rallumait en lui une étincelle qu’il avait crut éteinte à jamais. Il n’avait retenu pour tout souvenir de son épouse que celui dans lequel il la voyait gisant sur le sol, le corps ensanglanté, le visage meurtri par les coups. Il n’avait retenu que sa maison en cendre, et les démons assassins. Mais la chaleur naturelle de Luz avait chassé les sombres reflets de son passé, pour lui laisser entrevoir la vie heureuse qu’il avait vécut avec Ysle. Certes, la culpabilité ne partait pas- mais il comprenait les paroles de la dragonne. Et il avait honte de n’avoir su honorer la mémoire de sa défunte épouse. Il passa délicatement une main sur le visage de la jeune femme. Pour dire de telles choses, elle avait probablement déjà aimé d’un amour sincère.

- Merci, dit-il doucement.

Il lui fallait se reprendre. Il était retourné dans l’armée afin d’y mourir, mais il n’était plus certain de vouloir continuer sur cette voix là. Ysle lui passerait un savon dès qu’il mettrait un pied dans l’autre monde. Et puis maintenant il y avait Luz ; car elle était la seule personne qui se soit souciée de sa détresse, à l’avoir compris, et il ne voulait pas décevoir cette personne là.

- Continuer à vivre, n’est-ce pas ? Ca bouleverse tous mes plans.

Il fit un sourire à la dragonne. Au dehors la tempête de neige s’était arrêtée, et il ne restait qu’un doux paysage blanc qui s’étendait jusqu’à l’horizon.

- Mais je veux bien tenter le coup.

Oui, il le ferait. Pour honorer les êtres qu’il avait perdus, et pour ceux qu’il rencontrait maintenant, il ne pouvait pas juste mourir stupidement. Et si la rancœur et l’amertume étaient toujours là, si la soif de vengeance n’était toujours pas étanchée, il essayerait de vivre à nouveau, cherchant un espoir nouveau en ces temps. Et pour cela, il savait qu’il aurait besoin de personnes telles que la dragonne qui se tenait près de lui. Il passa une main sur ses yeux pour en chasser les dernières larmes et tenta d’engager la conversation sur un chemin plus joyeux. D’autant qu’il ne voulait pas déjà se retrouver tout seul.

- On dirait que la tempête s’est calmée. Que dirais-tu de faire un bout de chemin avec moi ?

- Je vous suis monsieur l'archer, que feraient donc les civils perdus dans la Toundra sans vous ?

Donovan émit un petit rire. Il regarda Luz récupérer ses affaires et éteindre le feu, faisant en sorte de masquer leurs traces. La dragonne éveillait en lui des sentiments qu'il avait crû perdu à jamais, et il savait qu'il ne pourrait pas y résister. Secouant la tête, il entreprit de rassembler ses propres armes. Il sangla l'épée dans son dos et rajouta ensuite son carquois par dessus. Il passa une main sur la corde de son arc, vérifiant la solidité et la souplesse de la corde. Lorsqu'il releva la tête, Luz était en train de se dévêtir.

Et ce qu'il vit lui coupa le souffle. Car très vite, à la place de la jolie jeune femme aux yeux vairons et aux cheveux semblables au feu se trouva un dragon d'un rouge éclatant, rayonnant d'une beauté sauvage telle que Donovan n'avait jamais rencontré. C'était la première fois qu'il voyait un dragon dans sa forme originelle, et cette vision formait dans son esprit un étrange mélange d'émerveillement enfantin et de crainte respectueuse. Luz s'ébroua, et émit un grognement que Donovan sentit résonner à travers son corps – il se sentait tellement frêle tout d'un coup... La dragonne lui montra ses crocs, et il lui sourit en retour. Qu'elle se dévoile sous sa vraie forme ne changeait rien à ce qu'il éprouvait pour cette femme, bien au contraire. Luz finit par prendre son envol, majestueuse lueur rouge dans ce désert blanc, tandis qu'il se contentait de l'admirer depuis l'entrée de la grotte. Il la suivit du regard quelques secondes, puis alla ramasser les fourrures qu'elle avait laissé derrière elle. Elle redescendit peu après, reprenant rapidement sa forme humaine.

- De l'autre côté de cette étendue blanche il y a un rassemblement humain, cependant impossible de dire s'il s'agit d'une fortification ou d'un camp... Mais il est sur le chemin de Selian et nous pourrions demander de quoi manger pour la route qu'en penses-tu ?

Tandis qu'elle lui demandait cela, il lui passa ses fourrures autour des épaules, appréciant sa proximité alors qu'il réfléchissait. S'il devait y avoir un fort ici, étant soldat, il aurait dû être au courant. D'autant qu'il n'avait jamais eu le contact facile avec ses pairs, et craignait d'être une fois de plus une source de problèmes. D'un autre côté, il ne se voyait pas partir en aveugle dans la Toundra en entraînant Luz dans son sillage. Il en avait déjà assez fait comme ça, et bien que la dragonne semblait avoir confiance en lui, il n'était pas sûr d'être aussi fort qu'elle semblait le croire. Face à un lion des glaces, il lui restait encore quelques chose de se faire avoir à l'usure. Et bien qu'il soit un archer natif des Glaces, il était mauvaise chasseur, et complètement perdu. Et puis, il s'était toujours montré méfiant envers les hommes, donc il se faisait probablement du souci pour rien.

- On devrait aller voir, finit-il par dire. Ca pourra toujours nous être utile, et on a besoin de repères dans cet endroit là.

Il fronça légèrement les sourcils en regardant la direction qu'avait indiqué Luz et sortit de la grotte, faisant crisser la neige sous ses bottes. Il se retourna alors vers la dragonne et lui tendit la main, l'invitant à le suivre, un léger sourire sur les lèvres.

- Et puis, si ça tournait mal, à nous deux, on devrait s'en sortir !

- Il y a un risque que cela tourne mal ? … Je veux dire, tu avais l'air tracassé à l'instant par quelque chose, les camps ne sont pas communs sur le territoire des Glaces ? Voyons, qui pourrait résister aux grands et formidables archers que nous sommes ? Et puis s'il le faut, j'userai de mes talents de médecin... 

Des risques ? Dès qu'il était avec ses semblables, Donovan semblait attirer les ennuis.

- Disons que j'ai été sergent, dans mes jeunes années à l'armée. Je le saurais s'il y avait un fort ici, et d'après ce dont je me souviens, il ne devrait rien y avoir. Un camp dans la Toundra n'est pas fréquent; en fait, c'est du suicide. Tout est gelé, donc on accède difficilement à l'eau, et on peut passer plusieurs jours sans rien trouver à boire ou manger. La plupart des gens se trouvent donc des lieux vivables, en épuisent les ressources puis bougent. Je pencherais donc plutôt pour un déplacement de soldats, ce qui, en soit est pire.

L'archer serra un peu plus fort la main de la jolie jeune femme.

- Tu sais, le métier de soldat brise les meilleurs des hommes. On demande aux héros, aux nobles chevaliers, de défendre la veuve et l'orphelin et de son montrer clément envers ses ennemis. Et on demande aux soldats de tuer un maximum d'ennemis avant d'être tué à son tour. On se retrouve à patauger dans une mare de sang, et on nous donne le nom de bouchers en retour. Du coup, les soldats ont tendance à s'oublier dans l'excès d'alcool, de femmes et de violence. C'est une vie détestable de rêves brisés, et la seule chose qui maintient un corps d'armée soudé est la force des officiers, la crainte et la fraternité. C'est un endroit où il faut être fort, sinon on risque un coup de couteau dans le dos ou pire, d'être seul dans la bataille. J'avoue avoir moi même brisé quelques mâchoires. Non pas que cela ai réellement été nécessaire, mais c'était pour des démonstrations de force. Et plus les conditions de vie son dures, plus les hommes se laissent aller à leurs bas instincts.

Donovan balaya le paysage d'un geste de la main.

- Tout déplacement implique de trouver de la nourriture, un coin chaud ou dormir, l'entretien des armes et j'en passe... Tu sais, j'ai été envoyé à Terre avec un corps d'armée pour y mourir, ou au pire des cas d'être éloignée du reste des troupes. Nous étions le rebut de l'armée, et je ne dois ma survie qu'à la chance- et à une enfant qui m'a repêché d'un naufrage. Là où je veux en venir, c'est que l'armée à probablement dû faire la même chose en envoyant des hommes ici, et ils risquent d'être à cran. Le manque de chaleur, de nourriture, d'alcool... Quoiqu'on trouve là bas, il faudra rester sur nos gardes.

Les toiles des tentes commençaient à apparaître au loin. L'archer préféra garder pour lui la crainte qu'une jolie femme traversant un camp isolé de soldats pousseraient probablement ceux-ci à se montrer... entreprenants. Mais peut-être se faisait-il des idées, et qu'il ne s'agissait que d'un campement de marchands qui, contredisant leurs habitudes, avaient décidé de ne pas passer par la mer. Il jeta un regard à Luz et lui décrocha un sourire chaleureux, puis déposé un léger baiser sur son front.

- Et puis, avec toi, je ne crains rien !

Ils approchèrent encore, quand un détail frappa soudainement Donovan. Son corps entier se crispa.

- Je ne vois pas la tente de l'officier... chuchota t-il à l'oreille de la dragonne.

Déserteurs ! De foutus déserteurs ! L'idée traversa Donovan de part en part tandis que l'homme en face d'eux, surgit de nulle part, jetait un regard lubrique sur Luz. La jolie jeune femme ne répondit pas aux propos vulgaires de l'homme, et Donovan resta également silencieux, tous ses sens en alerte. Ils ne pouvaient pas tomber sur pire rencontre; une bande de brutes en rut, et ne reconnaissant aucune autorité. Pourquoi fallait-il que ses voyages se passent toujours aussi mal ?

- Mais... Je te connais toi... ! Tu étais... Dans l'armée avec nous !

Instinctivement, il tira Luz par le bras et se plaça devant elle. Non pas qu'il doute de sa capacité à se défendre - ce n'était qu'un réflexe acquit après ses périples avec Ysle. L'atmosphère était menaçante. Parce qu'il était lui-même soldat, et parce qu'il était habitué à vivre parmi ces hommes, Donovan senti un changement d'humeur du groupe de soldats. Le désir animal éprouvé envers une jolie femme s'était changée en haine à son encontre. Ces hommes le détestaient. Et la présence de Luz n'arrangeait pas les choses.

- Nous ne sommes pas venus pour chercher les ennuis. Laissez nous passer. Je ne dirais rien au quartier général.

Une tentative désespérée de sa part. Il craignait de montrer son côté violent à Luz. Il ne voulait pas qu'elle le voit tuer; car il pouvait toujours essayer de se convaincre du contraire, mais il faisait partie des bouchers dans les champs de bataille. Le fait qu'il soit toujours vivant en était la preuve - tuer ou être tué. Il n'avait pas survécut aux guerres par chance ou par bonté, et il savait combien le manque d'ardeur à la tâche pouvait s'avérer mortel. Son esprit devait tout entier être consacré à l'appel du sang. C'était, en général, dans ces moments là qu'il se détestait le plus. Il ne voulait pas perdre Luz maintenant, alors qu'il venait de la trouver. Un rictus déforma le visage du soldat en face de lui.

- Et tu pense vraiment qu'on va te croire ? Toi qui nous bassine avec ta morale à la con ? On m'a parlé de toi. On m'a dit que tu crachais sur tes frères d'arme. Il y en a pas mal, ici, qui voudraient te faire ravaler ton air supérieur.

Donovan lâcha la main de Luz et serra les poings. Que faire ? Ils étaient trop près - il n'aurait jamais le temps de se servir de son arc. Ils ne pouvaient pas les affronter de face. En prenant un peu de distance, ils pourraient peut-être les abattre un par un avec leurs flèches. Et encore, il leur serait difficile de passer à travers boucliers et armures. L'atmosphère se fit de plus en plus menaçante. Les hommes chuchotaient entre eux. Et l'archer était plus ou moins sûr que ce n'était pas de bonne choses qui étaient dites. Pas pour eux, en tous cas. Devant lui, le soldat fit un pas en avant.

- Non, on ne laissera pas passer l'occasion. Et puis que fait un chien dans ton genre avec une aussi jolie femme ? Tu veux la garder pour toi tout seul ? Tu devrais partager, un peu. On prendra soin d'elle, une fois qu'on se sera occupé de toi...

C'en était trop. Tant pis si Luz devait le rejeter - il préférait encore cela que de la voir morte. Son sang bouillonnait en lui, et toute la bonté dont il pouvait faire preuve s'était momentanément évaporée pour laisser place à un sentiment de colère sourde. La lame de l'épée norse siffla dans l'air froid lorsqu'il la dégaina du fourreau.

- Un pas de plus et je te l'enfonce dans la gorge, lâcha t-il d'un ton froid, la pointe de l'arme dirigée vers la soldat, ses yeux bleus fermement plantés dans son regard.

Reculer, baisser les yeux, ou quelconque autre signe de faiblesse serait considéré comme un signe de reddition. Ces types là ne leur feraient pas de cadeaux. En réponse à ses paroles, l'homme ricana dans sa barbe. Donovan profita de ce trop court répit pour murmurer quelques mots à l'oreille de Luz.

- Trop risqué de nous battre ici, faut prendre de la distance. Tiens toi prête.

- Espèce de bâtard, siffla le soldat en face d'eux, tirant sa lame au clair à l'instar de ses compagnons. Pour qui te prend tu ? Tu crois que...

Donovan ne le laissa pas finir sa phrase. Il bougea d'un geste vif, exécutant une botte rapide, dirigée vers le bas-ventre de son adversaire. La lame n'atteignit pas sa cible. Il avait espéré tuer celui qui semblait être le meneur et profiter de la surprise des autres pour s'éloigner du groupe. L'homme n'eut aucune difficulté à parer le coup, l'engageant dans un rapport de force, le forçant à lutter pour se dégager. Donovan jura à voix haute. Et avant même qu'il n'ait pu réagir, il aperçu du coup de l'oeil une masse voler vers sa tête.

[HRP : Merci pour ta réponse d'encouragements à mon poste d'absence ^^ C'est la galère, entre le taff et le hotspot qui plante...]



Donovan se maudit en son for intérieur. Il avait espéré se débarrasser de celui qui semblait diriger les autres. Au lieu de cela, il s'était bêtement mis dans une position désavantageuse, laissant Luz à découvert. Ca lui apprendrait à sous-estimer ses adversaires. Une masse vola vers sa tête avant qu'il ne puisse réagir, et il voyait déjà sa tête voler en éclat lorsque quelque chose passa avec souplesse sous la garde du déserteur. Alors qu'il réalisait tout juste qu'il s'agissait de Luz, la jeune femme envoya un coup de pied dans le ventre du déserteur, l'envoyant quelques pas plus loin au milieu de ses compagnons. Elle se pencha ensuite vers lui, si près qu'il pût sentir son souffle chaud sur son visage. S'il n'avait pas été dans cette situation, il en aurait été très content.

- Je me charge de la distance... Ne me laisse pas mourir !

- Que...

Avant qu'il n'ai pu terminé sa phrase, la jolie jeune femme se relevait et bondit vers les soldats, traversant les airs dans la grâce sauvage qui lui était propre. Restait que cela n'était pas sans inquiéter Donovan. Se charger de la distance ? Comment comptait-elle s'y prendre au juste ? Les choses prirent alors une tournure qui laissa l'archer sans voix. Il vit Luz atterrir dans la neige, poser ses mains sur la congère de glace et... de l'électricité ?

Donovan n'eut pas le temps de s'émerveiller sur les capacités de la dragonne. Sous le coup de la décharge électrique, la congère céda, entraînant Luz et les cinq hommes quelques mètres plus bas. Durant un infime instant, le coeur de Donovan fut étreint par la crainte. La crainte de la perdre, elle qui venait de lui redonner goût à la vie, crainte qu'une fois encore, quelqu'un meurt par sa faute. Puis, l'archer cessa de réfléchir. Les années passées sur les champs de bataille reprirent dessus, son expérience des combat reprit le contrôle de son corps. Par automatisme, il laissa tomber son épée et se saisit de son arc. En un geste rapide, il mit un genoux à terre, cherchant des appuis stables, cherchant à minimiser la cible qu'il représentait. Sa main gauche vola vers les flèches dont Luz s'était débarrassée.

Et il ne vit plus que ce qu'il devait voir afin de couvrir la dragonne. Les hommes en armure étaient difficiles à abattre pour les archers, surtout lorsqu'ils étaient équipés de boucliers. En revanche, deux endroits restaient suffisamment exposés. L'aine et la gorge. Et le moyen le plus rapide de tuer un homme restait de lui enfoncer l'acier et le bois en travers la gorge. Dans ces moments là, alors qu'il avait besoin de tout son sang froid, Donovan ne voyait plus que des gorges. Il oublia momentanément le froid environnant qui traversait son corps de part en part. Il oublia Aile Ténébreuse et Ysle. Il oublia, ou du moins essaya de le faire, Luz, qui était en bas avec ces hommes, et surtout il oublia que s'il n'était pas assez rapide, cela risquait de mal se finir.

Un premier homme tenta de se relever. Donovan ajusta son arc, coupa sa respiration. La flèche siffla à travers l'air froid, trait mortel dans ce désert blanc si pur, pour éclairer ce paysage d'une gerbe de sang. L'homme s'écroula, la gorge déchiquetée par le tir de l'archer, qui relâcha son souffle en reprenant une nouvelle flèche. Les autres soldats s'étaient déjà relevés, se dépêtrant tant bien que mal dans la neige avec tout leur attirail de fer et de cuir. Donovan aurait voulut se débarrasser au plus tôt de leur leader, mais un autre homme se jetait déjà sur Luz, épée en main. L'homme portait son bouclier trop haut pour que l'archer ait une vue dégagée sur sa cible habituelle. La seconde flèche de Donovan atteignit la jambe de l'homme, qui trébucha. La troisième mit fin à ses jours.

La situation se corsa alors un peu plus. L'effet de surprise passé, les déserteurs savaient que Donovan n'attendait que de décocher ses flèches. La partie de chasse au lapin semblait terminée. La quatrième flèche de l'archer fila à travers les airs pour aller se briser sur le fer d'un bouclier.

Lorsque l'acier mordit le visage de Luz, Donovan tressaillit, perdit sa contenance tandis que la rage montait en lui. Comment osaient-ils ? La dragonne s'était mit entre lui et les assaillants, il ne pouvait plus tirer sans risquer de la toucher. Il se savait bon, mais pas à ce point là. Mais très vite l'étau qui enserrait son corps se défit. Certes, Luz saignait. En revanche, elle fit passer un mauvais quart d'heures aux soldats qui l'attaquaient. L'archer vit la jeune femme se mouvoir avec la grâce sauvage qui lui était propre, abattant ses poings sur ses adversaires de manière implacable. Décidément, la dragonne était pleine de ressources, et ne se démontait pas devant la violence meurtrière des déserteurs.

Son regard fut attiré quelques mètres plus loin, et il vit le « chef » du groupe remonter la pente glacée, l'arme à la main, silhouette maladroite dans le désert blanc. En un geste, Donovan releva son arc, avant de se raviser. Son sang bouillonnait. Lui ! Oh, lui... une flèche ne serait pas assez. Lui, il allait souffrir. L'archer laissa tomber son arc et dégaina sa lame. En cet instant, il ne voulait plus que sentir l'acier mordre la chair de ce bâtard.

Il fit quelque chose de stupide. S'élançant sur la pente de glace, il se rua, lame en avant, sur le déserteur. Celui-ci le vit arriver, et arrêta net sa progression, tentant en vain de trouver son équilibre pour encaisser les coups de l'archer, qui peinait lui-même à ne pas se laisser entraîner par la neige traîtresse. Le choc fut pathétique; Donovan, arrivant à portée de lame, se baissa, et ce faisant glissa sur la neige. Il se reprit juste assez pour trouver un appuie sur le verglas et, poussant un grand coup avec ses pieds, il saisit l'homme à la taille et se jeta avec lui sur le sol. La réception fut rude; l'archer et le déserteurs tombèrent ensembles jusqu'en bas de la pente, s'entremêlant dans tout leur attirail de fer et de cuire. Donovan sentit sa lèvre éclater lorsqu'il rencontra la carapace gelée de son adversaire. Il tenta de se relever en chancelant, son épée miraculeusement toujours dans la main gauche, un air sadique sur le visage. L'autre se releva tout aussi vite, et les deux hommes se toisaient du regard.

- Oh oh... J'en rêvais, de t'embrocher, ordure, siffla l'homme.

- Danse avec moi, alors, répondit Donovan, un rictus déformant sa bouche.

Et ils dansèrent, entrechoquant leurs lames dans l'air froid, chacun vouant un haine viscérale pour l'autre. Donovan dut reculer devant les assauts répétés du déserteur. Celui-ci était indéniablement meilleur que lui. Plus fort, plus rapide. Plus habitué aux combats de corps à corps. Par deux fois, la lame adverse trouva un chemin à travers la garde de l'archer, arrachant son sang pour le répandre sur la douceur blanche de la neige. Un coup faillit emporter l'oeil gauche de Donovan, et son bras droit fut également touché. Mais il n'en démordait pas, et la danse écarlate continua, ballet mortel dans la glace. Donovan savait qu'il ne pourrait l'emporter par la force seule, aussi joua t-il de ruses pour tromper son adversaire, enchaînant des feintes à l'épée apprise en un autre temps, et qui ne lui revenaient en mémoire qu'en cet instant.

Un de ses coups finit par porter, un coup vicieux qui atteignit le déserteur au flanc. L'homme plia sous la lame et recula de quelques pas, laissant à Donovan le temps de reprendre son souffle. Du sang coulait sur le côté gauche de son visage, lui voilant la vue, et son bras droit s'engourdissait dangereusement. Il tenta de reprendre son souffle, mais l'air froid brulait sa gorge, de laquelle sortit un faible râle. En face de lui, le visage de l'homme était devenu livide, ce qui laissa penser à l'archer que son épée avait fait plus de dégâts qu'il ne l'aurait crû. Ce qui ne l'empêchait pas de continuer à lui lancer un regard furieux. Le déserteur chancelait, mais était toujours à moitié debout. Donovan profita de ce court répit pour jeter un regard amusé à Luz.

- He bien, je crois qu'il est plus coriace que je ne l'avais imaginé..., souffla t-il à la jolie dragonne.

- Je suis déjà impressionnée qu'il ait tenu jusqu'ici ! N'avais-je pas dit que tu vraincrais même un lion des glaces ? On devrait toujours écouter les vieux !

Donovan lança un petit sourire à la jeune femme. Qui au fond, se rappela t-il, était plus vieille que lui. Il poussa un profond soupir en reportant toute son attention sur son adversaire. Il commençait à fatiguer. L'air froid déchirait sa gorge et ses poumons, ses jambes semblaient prête à le trahir, et son bras avait du mal à lever le fer froid de son épée. Encaisser les assauts brutaux du chef des déserteurs avait été une expérience désagréable; il avait du mettre toute sa force et sa concentration dans ce combat, et il n'avait tenu jusque là que grâce à sa colère. Mais maintenant que celle-ci retombait lentement, il lui fallait mettre un terme à l'affrontement le plus vite possible. A quelques mètres de lui, l'autre se relevait, du sang suintant à travers le fer de son armure.

- Mais le lion n'est pas encore mort, fit-il à Luz.

Le déserteur eut un petit rire méprisant.

- Le lion te bouffera les entrailles.

L'archer se remit en position, tandis que le guerrier se ruait sur lui. Il évita le premier coup, para le second. Recula, se baissa, riposta. Un genoux à terre, il essaya de prendre la jambe droite de son ennemi, mais ce dernier le vit venir et recula d'un bond. Alors Donovan attaqua vraiment, peut-être pour la première fois depuis le début du combat, oubliant sa prudence habituelle, négligeant sa défense, harcelant son adversaire de coups rapides et brutaux. Face à un homme plus fort que lui, il devait montrer plus de hargne. Ne pas le laisser respirer.

Par deux fois, la lame du déserteur trouva son chemin à travers les assauts répétés de l'archer, ouvrant une entaille à sa cuisse, une autre près de son cou. Ils n'étaient plus deux hommes, seulement deux bêtes sauvages, assoiffées du sang de l'autre, se déchirant mutuellement dans la beauté glaciale de la Toundra. Puis... puis Donovan dévia un coup circulaire. D'un mouvement rapide, son épée remonta vers le haut. La lame traversa la gorge du déserteur, ressorti au sommet de sa tête. L'archer dût saisir son épée à deux mains lorsqu'il senti le poids du cadavre l'entraîner, puis, au prix d'un dernier effort, il arracha l'épée norse de l'emprise de la mort. Privé de son support, le corps s'effondra dans la neige.

Donovan recula de quelques pas, ferma les yeux, releva la tête en tentant de reprendre sa respiration.

- Désolé que tu ais dû voir ça, souffla t-il à Luz.

Il voulut la remercier pour ne pas être intervenu, mais il vacilla et se servit de l'épée comme d'une canne pour ne pas s'écrouler. Il se débarrassa rapidement du sang qui emplissait sa bouche et jeta un coup d'oeil autour de lui. Luz avait réglé leur compte aux autre déserteurs... Et elle avait fait ça bien. Ces hommes ne se relèveraient plus. Il lui adressa un léger sourire.

- Un lion de glace, hein ? Je suis en tous cas content de ne pas avoir eu affaire à un dragon, dit-il sur le ton de la plaisanterie.

Il passa une main dans ses cheveux, écartant les mèches collées à son visage en sueur. Il faillit demander à la jeune femme si elle allait bien, mais se ravisa. Demander ce genre de choses à une femme de sa trempe lui paraissait... incongru. Il se redressa et remit sa lame au fourreau.

- Dis moi, que pense tu d'aller récupérer nos armes là haut et de déguerpir avant que le reste nous tombe dessus ?

Il observa la pente de glace, qui lui apparaissait soudainement bien trop raide pour sa jambe blessée.

- D'ailleurs, je crois que j'aurais besoin d'un coup de main...

Donovan s'appuya sur Luz et se laissa entraîner sans poser de questions, étant revigoré par la proximité et la chaleur de la dragonne. Sa jambes l'élançait, et une douleur sourde lui vrillait la tête; pourtant, il s'efforça au mieux de cacher son état. Luz s'était battue, elle aussi, et Donovan était impressionné par sa force de caractère. Là, tout de suite, elle lui semblait indestructible.

Luz l'emmena près d'une gangue de pierre, supportant stoïquement l'archer dans sa démarche hasardeuse. Une pression légère de ses doigts fit comprendre à Donovan qu'elle avait besoin d'une pause, à quelques mètres à peine de l'entrée de leur abri de fortune. Sans un mot, elle se sépara de lui et se mit à farfouiller dans sa sacoche. Elle en ressortit des herbes, qu'elle utilisa dans un rituel médical précis - une fabrication de remède, au fond.

- Le goût ne sera peut-être pas le plus extra, mais au moins tes blessures guériront vite et n'auront pas de complication... N'en mets pas beaucoup...

L'archer ouvrit la bouche pour lui dire qu'il pourrait le supporter, mais il n'eut que le temps d'entrouvrir les lèvres, car Luz lui passa l'étrange pommade sur sa lèvre blessée.

- Déshabille-toi.

Donovan afficha un regard surpris, surprise qui s'accentua encore plus lorsqu'il vit Luz s'effondrer dans la neige. Oublié, le froid, les blessures, la fatigue. L'archer se rua auprès d'elle, la rattrapant de justesse, quelques centimètres seulement avant que la tête de la dragonne ne heurte la neige. Il l'allongea sur le dos, et prit son visage entre ses mains, écartant les quelques mèches de ses cheveux qui couvraient son joli visage.

- Luz ? Luz !

Pour le coup, elle n'avait pas eu de chance : Donovan était incapable de s'occuper d'un blessé. S'était-elle évanouie à cause de ses blessures, ou était-ce la fatigue ? Jetant des regards inquiets autour de lui, Donovan réfléchit à toute allure tout en s'efforçant de se calmer. Une chose après l'autre. D'abord, l'abri. Dans son état, il ne se sentait pas capable de porter la jeune femme, aussi il saisit ses poignets et la traîna dans la neige jusqu'à la gangue de pierre, tout en priant qu'elle n'apprenne jamais ça. Pas sûr qu'elle apprécie le geste.

Ensuite, la partie délicate. Donovan n'avait absolument aucune connaissance en médecine- c'était un art qui requerrait trop de patience. Tout ce qu'il connaissait, c'était la médecine selon les soldats, qui devaient improviser en cas de blessures quand les médecins n'étaient pas là. Cela consistait en fait tout simplement à faire un garrot avec des morceaux de tissus pourris et plein de sang, puis, plus tard, soit à couper le membre rongé par la gangrène, soit à abréger les souffrances du blessé en lui enfonçant un couteau dans le coeur. Au mieux, et c'était rare, le blessé s'en sortait avec des séquelles qu'il gardait toute sa vie.

Et il était hors de question qu'il fasse subir ça à Luz. Surtout qu'elle saurait se soigner parfaitement une fois remise. Son regard finit alors par tomber sur sa main. Elle avait encore dessus des traces de la mixture qu'elle avait appliqué sur ses lèvres. N'avait-elle pas dit que cela avait des vertus médicinales ? Il ressortit de l'abri, retrouva le pot dans lequel elle avait préparé l'onguent puis revint auprès d'elle. Il entreprit de lui enlever son manteau avec le plus de délicatesse dont il pouvait faire preuve - c'est à dire qu'il n'aggrava pas les choses- puis se mit en quête d'étaler l'onguent sur les blessures de la jeune femme, priant les dieux pour qu'elle ne lui mette pas une gifle magistrale à son réveil. Une fois la tâche achevée, il étala le peu de pommade qu'il restait sur la blessure de son bras puis déchira un morceau de tissus du bas de sa tunique et s'en servit pour faire un léger garrot autour de sa jambe.
Rassemblant ses dernières forces, il entreprit d'amasser de la neige devant l'entrée de leur abri, de façon à en faire un mur de glace qui empêcherait le vent glacial qui se lever de les transformer en glaçons. Et puis, il savait ne plus avoir assez de forces pour monter la garde, et la paroi de neige devrait les camoufler un peu plus.

Ainsi, une quinzaine de minutes plus tard, Donovan sombrait dans le sommeil aux côtés de Luz, une main enlacée à celle de la jeune femme, de façon à être réveillé lorsqu'elle le serait aussi.