Ven 11 Mai - 1:35 | | | | - Citation :
- Raconte la mort de ton maitre d'arme
*** Ils entrèrent en même temps dans la cour intérieure, un sourire complice encore aux lèvres de chacun. La dizaine de jeunes gens qui suivaient les entraînements du Maître, Eloen Siltana, se tournèrent vers eux, curieux. Chacun savait, que ce soit par déduction ou via les rumeurs, ce qu'il en était. Mais aucun des hommes n'aurait la couardise de dire quoique ce soit devant l'un des deux. Quelques imbéciles avaient tenté, mal leur en avait pris. De plus, ils n'étaient pas là pour jouer aux commères comme leurs mères, bien que ça ai un petit côté plutôt jouissif, mais pour suivre, même subir, l'entraînement de cet homme de quarante-cinq ans et de son élève le plus prometteur, Théofried Galace. Ce dernier était un voyageur quinze ans auparavant, mais sa rencontre avec Eloen et la promesse de pouvoir manier l'épée l'avait fait se fixer dans les environs... Jusqu'à ce qu'il emménage chez son mentor cinq ans plus tard. Personne n'avait été dupe, mais tant qu'ils ne s'affichaient pas, leur relation était tolérée. Ou presque. Mais ni l'un ni l'autre n'en avait cure. Ils se foutaient du monde, vivaient dans leur bulle, malgré le tempérament mélancolique de Théofried, qui sombrait parfois dans de longues phases de dépression et d 'auto-flagellation, se fermant même à son amant, qui finalement ne lui en tenait pas vigueur... Surtout quand, comme ce jour-ci, tous les deux étaient heureux ensemble, en pleine forme, et prêt à en découdre :- Alors les garçons, vous êtes prêts ? A ce signal, tous prirent leurs épées. C'était de longues lames, soit bâtardes soit à deux mains, que le Maître avait décidé d'utiliser quand il fut bien sûr que tous maniaient le bâton et l'épée de bois à la perfection. Il était fier de ses élèves, malgré la jeunesse de certains d'entre eux : ils avaient tous entre dix-huit et quarante ans, la majorité se positionnant plus près des vingt que des quarante. Se plaçant derrière chacun pour expliquer des détails et corriger au cas par cas les positions, il se mis derrière Théofried, posa ses bras sur les siens, approchant son bassin de celui de son élève. Il gémit doucement, ce qui fit rire Eloen. Frappant dans ses mains, il annonça les duels. Tous sourires, c'était un moment intéressant. Faisant des duos, ils se séparèrent tous dans un coin de la cour, les six couples formés, d'un niveau à peu près égale. Eloen et Théofried étaient séparés, leurs duels servant seulement d'exemple aux autres. La cour résonna bientôt d'éclats de rire, de "Touché !", "Mouru !", et autres signes de victoire. Ce n'était pas la première fois que cet exercice avait lieu, ils savaient tous retenir leurs coups, et étaient vêtus de tenues de cuir. Il n'y avait jamais eu d'accidents, et tout le monde pensait que ce serait toujours le cas.... Personne ne faisait attention aux autres duos.... Surtout pas Théofried ! Son adversaire était coriace, quoique pas qu'autant que son amant. Loin d'être convenablement échauffé, le métamorphe peinait à gagner le combat. Inspirant fortement, il se coupa totalement du monde extérieur, et entra dans la danse. Leur combat fut épique : son adversaire para son premier coup rapidement, et riposta immédiatement. Théofried l’évita prestement. S'ensuivit une volée de coups venants de chacun d’entre les deux antagonistes. Attaque, parade, attaque, riposte. Des coups d'épées, tranchants heurtaient chacun d'entre eux tour à tour. Tout à coup, le métamorphe poussa un cri, autant de douleur que de rage : son armure de cuir avait des manches courtes, et avait laissé la peau de son avant-bras uniquement protégée par une mince tunique brunâtre. Ce qui devait arriver arriva, et l'épée lui entailla la peau. Heureusement, il avait vu venir le coup peu avant qu'il n'arrive, et évitait ainsi l'amputation. Ils cherchaient dès à présent vraiment à se faire mal, à blesser l'autre, pour se prouver leur valeur mutuelle, et Théofried pour laver l'affront de la blessure. Leurs épées s’entrechoquaient avec rage, dans un bruit de ferraille. Ils virevoltaient sans cesse, sous peine de quoi ils risquaient d’être décapités ou tranchés. Un moment, l'élève fut sur le point de perdre, l’instant d’après Théofried se trouvait à son tour en position de faiblesse. Grâce à une feinte, il se retrouvait derrière son adversaire, qu'il mit à genou d’un coup de pieds aux tibias. Il tomba avec un gémissement de douleur. Le métamorphe posa ensuite le tranchant de son épée sur la gorge à nouveau silencieuse de son adversaire, et sans hésitations, déclara d’une voix forte, dénuée d’expressions, monocorde et tranquille :L'assaut avait duré plus d’un quart d’heure, malgré les autres élèves qui semblaient dans un état de panique indescriptible. Se tournant vers le sujet de l'agitation, Théofried commença à se sentir mal dès lors qu'il aperçut une épée sanguinolente jetée comme de dégout par terre. En quelques enjambées, il rejoignit le lieu où le trouble était le plus fort.Autour de lui, les élèves élevaient la voix, essayant de comprendre. Celui contre qui Eloen s'était battu était un vieux briscard, presque aussi vieux que Théofried, qui venait pour se perfectionner. Pas le plus sympathique des élèves, mais doué. Il était dans un coin, l'air à la fois gêné et renfrogné, immobile, et Théofried ne parvenait pas à savoir ce à quoi il pensait. Et, à dire vrai, il s'en fichait. Il était tombé à genou, et avait hissé la tête livide de son Maître sur ses genoux. De grosses larmes naissaient sur son visage d'ordinaire ouvert, et des hoquets silencieux secouaient son corps sculpter par les armes. Eloen était là, étendu dans le sable de la cour, une blaie béante sur son ventre, les intestins à nu. Posant son front sur celui de son amant, Théofried sentit des mains rassurantes et chaudes se poser sur son épaule. Impossible. C'était impossible. Il se dégagea violemment, et regarda Eloen. Eloen, dont le visage rieur était inexpressif, dont les yeux brillants étaient ternes et vides. L'embrassant violemment sur la bouche, comme il ne se l'était jamais permit en public, il le secoua aux épaules, le suppliant de revenir. Une longue plainte s'éleva de ses lèvres à nouveau ouvertes :Juste ce nom, prononcé avec une émotion qui chamboula tous les hommes présents. Certains pleuraient, d'autres avaient le visage fermé. Théofried posa ses mains sur les paupières d'Eloen, les fermant pour la dernière fois. Embrassant à nouveau le corps sans vie de son amant, il se leva, ôtant la tête du mort avec délicatesse, et se dirigea vers l'assassin, un certain Rob Frazier. L'attrapant par le col, le plaquant contre un mur, il rugit.- Comment as-tu pu ? Comment as-tu osé ? Espèce de... De.... Rob se débattait, alors que Théofried retomba une nouvelle fois au sol, sous le coup d'une crise de larmes, mimant inlassablement les mêmes syllabes sur ses lèvres : pourquoi ? pourquoi ? pourquoi ? Il se releva en titubant, la colère et l'amertume remplaçant la tristesse et le dégout.- Va-t-en. Loin. Si jamais je te recroise, Rob Frazier, tu es un homme mort. Il fila sans demander son reste, laissant les élèves seuls avec un mort et Théofried. Celui-ci ne regarda plus en arrière. Avec une colère non dissimulée, il sortit de la cour intérieur, traversa la maison sans un regard vers ce qui appartenait à Eloen. Faisant un rapide bandage à son poignet, il s'assit sur son lit, ricanant de la futilité de la situation. Un accident. Un stupide accident d'entraînement. Et l'autre, trop insensible et habitué à la mort pour ressentir autre chose que de la peur pour sa propre vie. Soupirant en ravalant de nouveaux sanglots, Théofried sut quoi faire. Se déshabillant, laissant le sang couler le long de la plaie à son poignet, il prit la forme qu'avait choisi ses parents pour lui, à savoir le physique d'une demi-elfe plutôt jeune. Retrouvant ses affaires dans une malle, celle qui était à nouveau Aedis fit son sac, entra dans les écuries et prit son cheval, avec la ferme intention de ne jamais revenir. Trop de souvenirs la hanteraient, de beaux souvenirs... C'était bien pour ça qu'elle partait comme une voleuse, avant même l'Ultime Adieu à Eloen Siltana, son premier amour, à qui elle regrettait déjà d'avoir menti...
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