Cela faisait déjà trois jours que sa mère avait rejoint le lieu de sa dernière demeure. Allongée au coté de son époux sous une épaisse dalle de pierre taillée, elle ne pouvait désormais plus soulager ses peines. En repensant à ce sourire pour toujours éteint, Ashe ne put retenir ses larmes. Le dos appuyé contre le tombeau de ses parents, elle laissa libre cours à son chagrin et elle ne vit pas le temps passé.

Ce furent ses soeurs qui l'a trouvèrent là. Ces dernières lui annoncèrent que la lune s'était levée depuis longtemps et qu'il lui fallait aller se reposer. Ashe vidée de sa volontée, et épuisée par ses sanglots, les suivies sans rien dire. Arrivée dans sa chambre, elle s'assit sur son lit et se retourna vers ses soeurs pour les remercier. Elles tirèrent la porte derrière elles. Le son d'une porte que l'on verouille à l'aide d'un lourd madrier sorti Ashe de son accablement.

Il ne lui fallut pas longtemps pour se rappeler que, dans la tour solitaire où elle vivait, la seule porte qui existait était celle de sa chambre. Elle tourna la tête mais ne vit personne. Surprise elle se leva, s'avança vers la sortie jusqu'au moment où elle s’aperçut que les battants avaient été inversés. Elle était emprisonnée. Elle se jeta contre la porte qui ne bougea pas d'un pouce. Elle tapa du poing, cria. A l'extérieur, un soldat placé pour surveiller l'accès, lui dit de se calmer et que l'on faisait ceci pour la protéger d'un assassin éventuel aperçu dans le village.

Ashe trop fatiguée pour insister, vérifia l'intérieur de sa chambre. Tout était à sa place. Elle caressa l'arc long appuyé contre le mur, cadeau de ses parents, avec lequel elle avait découvert ses capacités extraordinaires. Jirld était perché sur le pied du lit; elle le caressa un moment, puis s'enfila sous ses couvertures. Elle ne tarda pas à s'envoler au pays des rêves. Tous les êtres chers qui l'avaient quittée lui apparurent. Sa mère lui assura qu'elle veillerait toujours sur sa fille. Son père lui rappela de ce montrer digne de son rang et des cadeaux qu'elle avait reçus. Enfin son fiancé après lui avoir renouvelé son amour éternel, lui conseilla de se méfier de l'eau qui dort et des nuits sans lune.

A ce moment elle fut réveillée par les cris de Jirld. Il ne tenait pas en place. Cette attitude surprenante, inquiéta Ashe. Dehors, la nuit était d'un noir total, ce qui n'était pas sans rappeler l'avertissement qu'elle venait de recevoir. Elle s'approcha de la fenêtre, mais un léger cliquetis la retint. Sans bruit elle se rapprocha du mur opposé cherchant à tâtons son arme. Quand ses doigts eurent touché le bois de son arc, elle se baissa, passa la sangle de son carquois par dessus son épaule. Elle saisi son arc et tira sa manche sur sa main avant de toucher la poignée.

Avait-elle fait trop de bruit ou son imagination lui avait-elle joué des tours? Pourtant Jirld continuait de s'agiter et les torches de la muraille en contre bas ne donnaient pas leur lumière. L'attente se prolongea. S'habituant peu à peu à l'obscurité elle distingua un crochet coincé sous le tablier de la fenêtre. Une corde s'en échappait pour plonger dans le vide. Enfin la corde se relâcha et le crochet rendit un petit son métallique. Une masse sombre se hissa par la fenêtre, ouverte comme à l'accoutumée. Ami ou ennemi?

Ashe retint sa respiration. Jirld s'était mis à voler dans tous les sens, se heurtant aux parois exiguë de la chambre. Le battement des ailes couvrit le bruit de la corde qui se tend. La silhouette se dirigea prudemment vers le lit, faisant apparaître dans sa main le reflet meurtrier de l'acier. Une flèche ajustée vint se nicher sous son bras, lui faisant lâcher son poignard qui tinta en touchant le sol. A cet instant l'ombre se figea ne sachant plus que faire, mais une lumière bleutée lui fit tourner la tête.

Ashe avait fait glisser sa manche, laissant sa main entrer en contact avec la poignée de l'arc. Celui ci s'illumina immédiatement, éclairant la chambre comme en plein jour. L'ombre se transforma en une silhouette humaine, couverte d'un large manteau à capuchon. Lorsqu'elle tourna la tête, Ashe n'eut aucune difficulté à reconnaître l'un des soupirants de sa soeur ainée. Stupéfaite, elle resta un instant en suspend, une flèche au bout de son bras pendant. L'homme en profita pour tenter de s'échapper, il se précipita vers la fenêtre mais il heurta l'oiseau apeuré, qui l'attaqua et lui lacéra le visage. Aveuglé par son sang, l'assassin attrapa la corde, mais une seconde flèche bien ajustée lui brisa le genoux et il tomba à terre.

Il n'eut d'autre choix que de répondre aux questions que lui posa Ashe. Cependant elle ne put rien obtenir des balbutiements qui s'échappaient de la bouche du blessé. L'homme cherchant toujours à rebrousser chemin, elle attendit qu'il enjamba la fenêtre, puis lacha la corde de son arc pour la troisième fois. L'assassin tomba dans le vide sans un cri, la poitrine traversée de part en part par une pointe d'acier.

En même temps la lumière se fit dans l'esprit de Ashe. On ne l'avait pas enfermée pour la protéger. Ce n'était pas par compassion que ses soeurs étaient venues la chercher. Un simple coup d'oeil par la serrure de la porte, lui confirma que ces gardiens n'étaient pas membre de la garde royale mais de celle personnelle de sa soeur cadette. Alors Ashe sentit la douleur cuisante de la trahison. Son chagrin se renouvela mais devint plus amer et en même temps plus intérieur et silencieux.

Elle replia la corde qui pendait à sa fenêtre, pensant qu'elle pourrait bien en avoir besoin bientôt. Elle pensa un instant à profiter de ce moyen pour s'échapper tout de suite, mais la fourberie de ses soeurs lui rappela l'ingéniosité qu'a un chasseur pour attraper sa proie. Bien lui en pris, car lorsqu'elle s'assit dos à sa fenêtre pour calmer les battements de son coeur, elle entendit le chuchotement de plusieurs voix au bas des tours.

Elle resta prostrée dans cette position pendant un long moment et Jirld finit par se poser sur son épaule tout en continuant ses cris. L'esprit de Ashe bouillonnait. Elle comprit que le pouvoir pouvait porter des familles à s’entre-tuer. Elle se mit alors à le détester, mais comment laisser des meurtriers gouverner tout un peuple? Elle se rappela alors ce que sa mère lui disait : "La couronne demande de grands sacrifices". Que devait-elle faire? S'enfuir et sacrifier son peuple? Rester et se sacrifier elle-même? Et quelle attitude à adopter face à ses soeurs? Fallait-il faire semblant d'ignorer ce qui se tramait ou les punir? Mais au nom de quelle justice? Comment haïr des personnes qui partagaient le même sang?