On peut naître fils de paysan et prétendre à devenir Roi d’une contrée. C’est ce dont Léandre est persuadé, lui, né dans la plus modeste des chaumières. Le jeune homme n’a jamais eu à envier la douceur d’un lit douillet à celle d'un sol couvert de paille. Non non non, cela n’a jamais provoqué de traumatisme chez le jeune homme !

Peu soucieux des problèmes des autres, et toujours aussi imbu de lui même, il possède un charisme incomparable. Ses manières, son air hautain et sa prestance attirent généralement la clientèle peu fréquentable dont il est si friand. Il ne rechigne en rien à faire du travail délicat ou ingrat, mais n'accepte pas les mauvais payeurs qu'il n'oublie jamais de remettre sur le "droit" chemin lorsque ces derniers tentent de se jouer de lui.

Il aime la bonne compagnie et partager une pinte autours d'une danse et d'un repas festif. Cependant, il n'est en rien dépendant de la vie de groupe, et peu aisément vivre en ermite pendant plusieurs mois sans ressentir un quelconque manque... Léandre s'attache facilement à une personne, mais sais aussi s'en séparer lorsque le moment l'exige, sans regrets.

Dur de nature, il n'est que rarement perturbé par des sentiments tels que la peur ou le stress, qu'il a su "apprivoiser" au cours de ses péripéties en tout genre. C'est un aventurier dans l'âme, il n'hésite pas à foncer en première ligne, tête baissée, sans jamais croire un seul instant qu'une épreuve lui est insurmontable.

Fruit de l'union d'un misérable marchand de crevettes & d'une voleuse myope (ainsi que d'un destin fort railleur), l'existence du jeune Léandre se résuma rapidement à un trajet quotidien entre les docks d'un petit bourg isolé de tout - dont la seule fierté semblait être la taverne connue pour ses bagarres parfois meurtrières et ses combats de poros illégaux - et la chaumière de ses parents, luxueuse baraque en paille s'écroulant quotidiennement au premier coup de vent matinal...

Bien que vouée à une vie monotone, la famille ne cessa jamais ses activités et apporta à leur fils unique, lors de son 16eme anniversaire, tout ce dont un homme digne de ce nom se doit de posséder : une jonque, presque étanche, et des connaissances inégalables dans la pêche aux crustacés. Avec ces atouts dans la poche, Léandre fit de sa première escapade en mer une chasse légendaire ! Mais l'avidité le conduisit loin des côtes, et il se fit rapidement surprendre par un changement de temps brutal qui l'éloigna toujours plus de la Terre ferme. Pour ne rien arranger, le tumulte de l'océan ouvrit rapidement une brèche dans le bois pourri de sa chaloupe, et l'humain ne dut sa survie qu'au passage de pirates - forts amicaux, d'ailleurs - qui l'hébergèrent sur leur navire, sans demander une quelconque compensation, et partagèrent même l'alcool et la nourriture avec leur invité.

Bien entendu, la réalité s'ouvrit à ses yeux bien plus rapidement qu'il ne l'aurait pensé ! Cette charité peu commune aux brigands des mers cachait en vérité le désir de voir une pauvre victime - rassurée d'être tombée entre les mains d'hommes bons et serviables - déchanter lorsqu'elle se trouvait sur le célèbre instrument de torture communément appelé "planche des pirates". L'équipage, ayant jeté l'ancre à quelques centaines de mètres d'une île, espérait ainsi donner à Léandre le maigre espoir de pouvoir rejoindre la plage à la nage, indemne et surtout libre... Mais pour corser la chose, un des hommes de bord avait jugé indispensable de couper la chair du malheureux, afin que son sang se disperse une fois dans l'eau et que les requins, attirés par cette étrange activité, décident de faire du jeune garçon leur repas d'un soir !

« Je possède des richesses ! » avait cru bon de rajouter Léandre. Mais un coup d'œil à son accoutrement et à l'état de son navire suffirent alors à provoquer un fou rire généralisé parmi ses tortionnaires. Un décompte se fit entendre, qui fit écho dans le crâne de l'humain : « 3... 2... 1... Bon séjour parmi les poissons ! ».


« J'ai vraiment cru que j'allais y passer ! » avoua-t-il, enveloppé dans une couverture. « Pourquoi diable faites-vous ce genre de mauvaises blagues ? J'étais si paniqué qu'il m'était impossible de nager. »

Son sauveur versa le contenu d'une théière improvisée dans une tasse vieillie par le temps avant de la proposer à Léandre, qui accepta tout naturellement.

« J'suis l'premier rescapé d'cette bande de fripons. M'ont fait subir le supplice de la planche, mais j'ai survécu et j'ai atteints l'île sans problèmes. Ni requins ni poiscailles pour m'arrêter. Quand ils ont comprit qu'j'avais survécu, ils sont r'venus m'chercher pour m'finir. Mais j'me suis bien caché, et ils ont finit par abandonner la traque. D'puis ce jour, ils sont mit à attacher des pierres à leurs victimes pour pas qu'elles puissent surviv', alors j'ai eu l'idée de chasser des requins et d'revêtir leur peau pour leur donner d'nouvelles idées de tortures. »

Il fit une pause et dévisagea chacun de ses quatre compagnons, sagement assit à quelques mètres de la table autours de laquelle Léandre et le vieillard s'étaient installés. Brièvement, il les présenta :

« Boris, ma première "victime !". Quand j'ai vu l'navire arriver, direct j'ai empoigné ma peau d'loup des mers, et j'ai nagé aussi vite que mon corps me l'permet. Une bonne chance qu'ces marins d'eau douce sont cons comme leurs jambes de bois, ils ont pas fait la différence avec un vrai et ils l'ont jeté à l'eau. Se sont barrés ensuite, et on est rentrés ensemble. » Il désigna le second homme d'un geste de la tête. « Lui c'est Jean-Yves. Un bastonneur, un grand costaud ! On a galéré à lui faire comprendre qu'on lui voulait pas d'mal une fois qu'il avait pied à terre ! 120 Kilos - une sacrée bête... Et elle, à sa droite, c'est Mélanie. »

« Malia... » rattrapa-t-elle.

« Celle-là, j'comprends pourquoi les pirates s'en sont débarrassés. 'Temps normal ils gardent les femmes comme accessoire lorsque l'manque s'fait sentir. Mais elle a le Q.I d'un mulot cuit, et elle est pas vraiment attirante. Enfin j'te fais pas de dessin, tu l'as sous les yeux. »

« Ca n'a pas empêché le vieillard de me tripoter pendant le trajet jusqu'à la plage. »

« Hum... Et enfin, le p'tit dernier... » enchaîna l'homme requin.

« Taldios. » annonça une voix grave, tapi dans l'ombre.

« Lui nous a assommé un par un, puis nous a trainé jusqu'à l'île pour nous dépecer et s'servir de nous comme repas. L'a été surprit de voir qu'on était humains. Une chance qu'il nous ait épargné. »

L'homme s'avança de quelques pas : de toute la troupe, il semblait être le plus "normal", autant physiquement que mentalement. Il tendit une main en direction du nouveau rescapé, que celui-ci empoigna vivement. Cependant, Léandre fut surprit par la poigne de l'homme qui l'empêcha même de s'extirper... Il leva la tête et leurs regards se croisèrent.

« Peu importe d'ou tu viens ou qui tu es, tu nous dois la vie. C'est une sacrée dette, et pour l'effacer, la moindre des choses est de te rendre utile et de nous écouter... » commença-t-il. « On est certes pas nombreux, mais il y a fort à parier que les pirates reviennent jeter à l'eau de nouvelles victimes. Tu vas nous aider à les récupérer, comme nous l'avons fait pour toi, et quand l'heure viendra, nous prendrons sur eux une revanche amplement méritée. »

La femme reprit alors le flambeau. « J'ai vécu dans une ferme coupée du monde. J'ai apprit à manier l'arc avant de savoir marcher, et je chasse mieux que quiconque sur cette terre... Le costaud, là bas, il est incollable pour la baston, et Taldios, dont tu viens de faire la connaissance, est capable de battre son ombre une arme à la main. Quant au vieillard... »

« Je sais chanter ! » révéla-t-il, enjoué.

La femme haussa les sourcils et se délesta d'un soupir. « C'est un très bon architecte. »

« Attendez qu'ils déplient les voiles avant de sauter sur le pont... Ils seront bien trop occupés à manœuvrer leur navire pour remarquer qu'ils sont attaqués ! L'effet de surprise sera suffisant pour nous permettre de prendre l'avantage, et notre sous-nombre ne sera alors plus un soucis. »

Taldios était ce genre d'hommes capables de tout à l'aide de rien... Cela faisait maintenant 2 ans que Léandre le côtoyait, et pas un instant pendant ces 24 mois son admiration pour cet homme ne s'était estompée. Il y avait toujours ces moments ou la fierté rendait leur relation difficile, mais il restait un mentor et un compagnon exemplaire. Celui qui lui avait tout apprit ! Blottit contre la coque avec ses semblables, le jeune homme attendait l'ordre qui mettrait fin à des années d'isolement, loin de la civilisation.

« Dés que j'en donne l'ordre, vous escaladez les cales jusqu'au pont principal. Attendez le second ordre pour vous jeter sur la première personne que vous apercevez. Pas de pitié pour eux, car ils n'en auront pas pour nous ! Compagnons... »

La fréquence cardiaque de chacun augmenta en flèche à la simple appellation du mot "Compagnons", et certains profitèrent d'être semi-submergés pour faire en urgence des besoins oubliés.

« Vengeons-nous de ces maudits pirates... »

L'escalade silencieuse commença alors, chacun donnant le meilleur de lui même afin d'atteindre le plus rapidement possible - et sans bruits - les hauteurs du navire. Une fois en position, toutes les têtes se tournèrent à nouveau vers le leader de l'opération. Le décompte commença lorsqu'il présenta trois doigts à la compagnie. Puis deux, puis un seul, et enfin...

« Goûtez à ma Pipe ! » avait hurlé le vieillard, prenant quelques pas d'avance sur ses camarades malgré son âge avancé.

Dans un premier temps, la troupe se déversa sur ses adversaires sans que ces derniers ne puissent riposter. Après quelques secondes de combat, les carcasses de plusieurs "jambes de bois" jonchaient le sol, mais désormais avertis , ils se dressèrent face à la menace. Douze hommes firent face à une vingtaine, et la finalité de ce combat semblait déjà être décidée. C'était sans compter les prouesses de deux rivaux qui, à eux seuls, parvinrent à neutraliser six individus en un rien de temps ! Bien sur, à chaque regard porté autours d'eux, ils contemplaient impuissants la mort de leurs partenaires - qui ne représentaient pas une très grande menace face à des pirates expérimentés. Aussi, lorsque le corps de Malia fut transpercé par deux sabres, le duo du faire face à une crise : eux seuls subsistaient, contre une dizaine de pirates prêt à en démordre ! Empoignant fermement son arme, Léandre fut le premier à se jeter dans la mêlée, suivit de prêt par son mentor... Il esquiva, désarma, frappa à tout vent, si bien qu'il en oublia tout sentiment de douleur ou même de peur. La rage dans les yeux, il ne comptait plus à présent le nombre de fois où sa lame touchait la chair d'un homme, si bien qu'il ne constata qu'après avoir achevé sa dernière victime qu'il était le seul survivant de l'assaut.

« Et ben dis donc ! Si on m'avait dit qu'j'ferais un jour une bataille dans l'genre, j'l''aurais jamais cru ! »

Léandre se tourna vers le vieillard, comprenant que "dernier survivant" n'était plus le terme exact pour le qualifier.

« J'ai trébuché sur c'te sol mouillé vindieu, j'crois qu'mon dos n'a pas apprécié l'coup ! J'ai mis bien vingt minutes à m'relever si c'n'est plus. »

« L'vieux ? Aide moi à jeter les corps de ces pirates par dessus bord. Les autres méritent un enterrement digne de ce nom. »

Après s'être débarrassés des cadavres, le vieillard & Léandre alignèrent les corps de leurs compagnons avant d'éparpiller sur le pont le rhum dont était remplie la cale. Tout deux jetèrent un bref regard en direction du corps sans vie de Taldios, remerciant celui-ci d'un geste rapide de la tête avant de s'éloigner, éclairés par la lueur des flammes embrasant le navire...