(Marisa, Alice)

C'était en début de soirée, le soleil venait de se coucher dans les rues de Sen'Tsura. Les habitants rentraient pour la plupart chez eux, d'autres au contraires continuaient en espérant attirer les derniers clients potentiels pour leurs magasins respectifs. La luminosité était bien tombée, au contraire de la température restait parfaitement agréable.

C'est dans une grande place que se tenait Alice, affairé à ramasser les quelques pièces qu'elle avait obtenu lors de son spectacle de rue. Pendant ce temps, Marisa, assise sur un muret (car Alice lui avait ordonné de rester tranquille) regardait les environs en recherche d'autres pièces perdue par les passants. Même si Alice n'approuvait pas cette méthode, comment réfuter des arguments tel que : "Si ce n'est pas nous qui le faisons quelqu'un d'autre le fera, alors autant en profiter", de plus, elles étaient relativement dans le besoin.

La place se vidait au fur et à mesure que le temps passait. Lorsque les personnes qui restaient n'étaient plus qu'occupés à rentrer chez eux, Marisa, qui avait des fourmis dans les jambes, fis un petit tour afin de finir de récupérer tout ce qui était intéressant. Quelques minutes plus tard, elle se réunirent pour faire les comptes.

-Pendant combien de temps encore serons nous obligées de faire ça...
-Tant que je pourrais pas parler à quelqu'un pendant plus de deux minutes sans qu'il coupe court à la conversation avec un prétexte bidon, pendant encore un bon moment je pense.
-Mais ça nous retarde dans nos recherche ! Et j'ai pas envie de rester ainsi toute ma vie !
-Tu me l'as déjà dis au moins 8 fois aujourd'hui, alors sincèrement, aide moi au lieu de geindre en permanence... Bon je pense qu'on peut retourner à la bibliothèque.

Alice n'osait même plus dire chez elle puisque ses parents ne la reconnaissaient même plus. Surement un effet secondaire de l'action des démons. Toutefois comme la réserve était toujours autant surveillé, elles avaient un abri pour encore un bon moment. Elles se mirent donc en route vers leur refuge temporaire. La route était assez longue toutefois. Elles avançaient tranquillement au milieu des rues désertes éclairés par la lumière de la Lune.

C'était entre chien et loup, lorsque les ombres s'affaissent sous les silhouettes à l'allure pressée, au moment où les marchands ferment habituellement boutique, où les travailleurs suants retournent d'un pas assuré dans leur chaumière, dans l'unique but humain de donner la becquée à leur infâme progéniture. Mais d'aucun sait que le crépuscule n'amène rarement que le doux réconfort du foyer dans lequel l'on se barricade, c'est aussi l'instant maudit, celui où les âmes damnées s'insinuent dans les ruelles et les contreforts pour se nourrir, se venger, revivre en quelque sorte …

Et ce soir là précisément, dans les rues de Sent'sura, deux jeunes filles allaient faire une rencontre assez peu commune. Le premier rayon de lune éclairait alors, sans grande peine les sentiers et les diverses sinuosités de la ville. Il fallait avouer que la capitale avait été intelligemment façonnée, en effet, peu de recoins réellement sombres et dangereux subsistaient intra muros. Peu importait. Quand vous avez passé toute votre enfance, ainsi qu'une bonne partie de votre vie dans les ténèbres d'une demeure familiale, elle même entachée de vices et de souvenirs sanglants, la compagnie d'une douce luminosité nocturne ne peut vous être qu'agréable. C'était pour cette raison exacte que la Baronne de Marth avait récemment quitté son piège de glace, pour voyager au gré des vents. Elle se trouvait dans l'une des artères secondaires de la ville, ce n'était pas une ruelle, pas plus qu'un boulevard, mais entre les deux. Cependant, les environs demeuraient désertés par les habitants.

Melian se tenait là, assise sur une pile de sacs contenant des grains d'avoine. Son regard violine tristement posé sur ses jambes croisées. Elle était vêtue d'une robe grise mi-longue, relativement près du corps. Le tissus s'arrêtait au milieu de ses cuisses, déclinant en de fins lambeaux ornés de blanc, le tout ouvragé par une main experte. Par pudeur sûrement, elle portait sous la jupe de sa robe une sorte de demi-combinaison, une seconde peau de cuir noir s'arrêtant aux chevilles, ce tissus là ne brillait pas mais au contraire restait très mat, et elle allait pieds nus. Lorsqu'elle sentit la présence de passants, elle redressa légèrement le buste et s'immobilisa totalement, se rigidifia presque, en laissant retomber ses paupières sur de bien étranges prunelles. Ainsi positionnée, elle ressemblait à s'y méprendre aux statues de marbre gris, ornant parfois les fontaines et les allées de Sent'sura. Figée dans l'espace, elle entreprit d'abaisser la cadence de sa respiration et attendit la venue des baladeurs tardifs …

Cela faisait à peu près trois soirs qu'elle n'avait chassé pour se sustenter ni animal, ni humain, ni créature quelconque. Si l'odeur du sang frais éveillait son esprit à leur passage, elle n'était pas assurée de pouvoir se contrôler, bien que commettre un carnage dans cette ville surprotégée ne la tentait que peu. Les auberges fermant leur porte assez tôt, dérangeant le rythme des saisons, elle n'avait pas même pu se payer un repas de viande cuite. Étrangement, Melian n'avait pas faim, contrairement à son corbeau qui lui, était parti chasser à la nuit tombée. Seulement, elle perdait en vitalité, et son moral baissait en flèche au fil des jours … la solitude et le manque de liquide vermeil la rendaient complètement maussade, tout comme le fait d'errer sans réel objectif, sans véritable but. La vengeresse blanche y voyait une raison de plus de détester ces stupides humains, toujours en bande, toujours entrain de ripailler, jamais seuls, toujours affairés et égoïstes …

Alice marchait tranquillement, avec Marisa sur ses épaules, aux travers des différentes rues et ruelles de Sen'Tsura étonnamment déserte pour ce début de soiré. Les derniers passant couraient rentrer chez eux, dans une précipitation difficilement explicable. Assez étrangement, l’atmosphère devenait de plus en plus lourde... Du moins, l'ambiance générale de la ville venait de perdre quelques degrés d'un coup. Alice en eut un frisson, et lorsqu'elle essaya de se concentrer afin de percevoir les quelques changements, Marisa la coupa net.

-Une sorte de personne glacial et froide est arrivée en ville... Puis elle enchaina sans qu'Alice ne puisse dire quelque chose. Je ne sais pas encore ce que c'est, on est trop loin.

Tout en avançant, restait en alerte pour éviter de se faire attaquer par surprise, toutefois, la présence ne semblait pas bouger pour le moment. Elles reprirent leurs chemin à plus vive allure. Quelques minutes passèrent sans autre surprises. Une fois arrivé à la bibliothèque, Alice se rendis compte que Marisa n'était plus là. Elle devait avoir trouvé une quelconque pièce de monnaie... Exaspérée, elle retourna sur ses pas en espérant qu'elle ne s'était pas attiré des ennuis comme à son habitude...

Marisa quand à elle, était descendu de l'épaule d'Alice quelques ruelles plus tôt, et se tenait debout devant un tas de sacs, avec une statue à proximité. Bizarrement, la poupée dévisageait cette dernière, Elle la regardait sous tout les angles possibles, tournant autour d'elle.
-MARISA !! OU ES TU ??
Marisa se sentie un peu coupable et signala sa position mentalement à Alice, qui arriva sans tarder. Soulagée, Alice, elle, aussi, se tourna vers la statue. Elle échangea ses pensés mentalement avec Marisa.

*Tu crois qu'elle essaie de se cacher des autres?*
*En tout cas elle y parvient plutôt bien... C'est elle la présence qu'on avait ressenti tout à l'heure.*
*Elle fuit les autres parce que elle se sent différente ? Elle est peut être un peu comme nous...*

Alice ramassa Marisa, pris une profonde inspiration, et pris la parole.

-Vous devez vraiment fuir quelque chose pour avoir de si bonnes raisons pour vous cacher de quiconque qui passe... Peut être que si vous parlez un peu vous vous sentiriez un peu mieux non?

Silence …

Melian ouvrit les yeux. Ses prunelles froides et brillantes, d'un améthyste effrayant se posèrent sur les gamines qui se trouvaient là. Comment avaient-elles pu sentir la vie en elle, alors qu'elle était morte, immobile, statufiée ? Peu importait, elles l'avaient découverte, un peu trop aisément d'ailleurs. Cela méritait un châtiment, mais pas immédiatement, car les paroles de la blonde n'étaient pas totalement dénuées de sens. La voix de la vengeresse s'éleva, dure comme toujours, vide de toute émotion, mais un étrange sourire se glissa sur ses lèvres rosées, dévoilant ses canines acérées et blanches comme l'ivoire.

Qui vous dit que je fuis quelque chose ? Et qui vous dit que je me sens mal ?

Une fermeté sans égale illuminait son doux visage, elle était belle, même lorsque la colère faisait étinceler ses iris violacés. Melian lisait dans le visage de ces inconnues, à travers leur enveloppe charnelle. Elle sentait le cœur de l'une battre, mais dans l'autre … le néant. Quelque chose clochait, elle n'était pas humaine, et pire encore, elle n'était pas réellement ce que l'on qualifie « être vivant ». Une pointe de curiosité traversa son regard, puis elle reprit.

J'ai une meilleure question à vous poser à vrai dire …

Elle se redressa si vivement que même les ombres n'auraient pu égaler sa vitesse. Le visage à quelques centimètres de la plus grande des deux enfants, elle entrouvrit légèrement mais gracieusement la bouche, leur laissant tout le loisir d'admirer sa dentition, et plus au dessus, la brillance de son regard. Puis elle referma ses lèvres, et la regarda en face.

Pourquoi n'avez vous pas eu le réflexe humain de fuir en constatant que la statue bougeait … et qui plus est, maintenant que vous connaissez ma vraie nature ?

Melian se recula d'un pas, croisant les bras sur sa poitrine. N'avaient-elles jamais entendu parler du bain de sang de la Baronne de Marth ?

Alice fut un peu déboussolé par la réaction de la personne qui se cachait, elle était visiblement extrêmement vexée d'avoir ainsi été découverte. Par la même occasion, elle se rendit compte pourquoi cette dernière préférait se cacher des autres. Il est vrai qu'être une créature des ténèbres n'est pas forcement quelque chose qui permet facilement d'engager une conversation. Gênée et ne sachant pas trop quoi faire, elle pris le parti de répondre aux questions de la vampire sans laisser transparaitre le soupçon d'inquiétude, ou de supériorité.

-Personne ne nous a dit quoi que ce soit sur vous, simplement votre attitude et votre perfection pour vous camoufler suggère que vous ne souhaitiez pas rencontrer des personnes...
-En même temps c'est une vampire, à partir de là...

Alice l'empêcha de continuer sa phrase. Le manque évident de diplomatie de Marisa n'était pas recommandé pour la situation présente, quand la personne en face peut potentiellement être dangereuse et qu'elle est déjà énervée, même si, au vu de la réaction de la vampire, Alice avait fait mouche. Toutefois, prudence est mère sureté : déjà qu'elle était partiellement démone, autant éviter de devenir partiellement vampire également. Déjà que sa condition n'était pas enviable, autant éviter de l'empirer.
Reprenant une grande inspiration, elle poursuivit.

-En soit il est vrai que cela reste compréhensible, puisque comme vous, nous ne sommes pas des humaines à proprement parler. De ce fait, j'espère que vous comprenez pourquoi nous n'avons pas eut ce "réflexe humain" de fuite en vous voyant.
-De même, des humains normaux n'auraient surement jamais sentis votre présence ici.

La fin de leurs réplique avait un ton très amical afin de mettre en confiance la vampire. De toute évidence quelque chose pesait sur son esprit. La convaincre de s'exprimer restait encore le moyen le plus sur pour éviter une confrontation directe.

-Permettez nous de nous présenter : Je me nomme Alice, et voici Marisa. Pourriez vous présenter avant de continuer ?