Leah dormait à poing fermés quand les soldats pénétrèrent dans son territoire. Le soleil commençait à peine à faire frémir la cime des arbres et les créatures de la nuit n'étaient pas encore rentrées dans leurs nids. Ils foulaient les feuilles mortes et brindilles à peine plus délicatement qu'un animal domestique, chassant ainsi de leur passage les bêtes indésirables. Il avait plu peu avant, laissant des mares boueuses et clapotantes dans lesquelles leurs bottes plongeaient avec une régularité et une précision militaire.

Ce fût le bruit d'une de ces flaques qui tira Leah de son sommeil. Remuant un peu, elle s'étira paresseusement, secouant sa chevelure tressée pour la remettre en place. Somnolente, elle laissa lentement ses sens dériver vers la forêt environnante, à la recherche d'un lapin dodu pour son petit-déjeuné ou d'un oiseau blessé à dévorer. Soudainement, le craquement d'une branche résonna dans toute sa tanière, et son corps s’éveilla rapidement pour se tenir en état d'alerte. Se concentrant sur son ouïe, elle rechercha la provenance du bruit à travers le bois environnant et ne tarda pas à débusquer la patrouille à quelques mètres seulement de l'unique accès de sa tanière. Des images surgirent de son cerveau bouillonnant tandis qu'elle passait en revue les différentes solutions qui s'offraient à elle. Impossible de sortir maintenant, les soldats la repéreraient à coup sûr. Rester dans sa tanière ? Dangereux, mais aussi probablement la solution la plus sage, si elle ignorait ses instinct de bête qui lui hurlaient qu'ils étaient là pour elle. La surprise. Tel un jaguar bondissant sur sa proie. A pas de félins, elle rejoignit de l'entrée de sa tanière, vérifiant le positionnement de ses nombreux couteaux le long de son corps. Elle fit lentement tourner son poignet, testant ainsi le tranchant de la lame cachés le long de son avant bras et taillant dans sa chair une plaie ensanglantée. Le sang. Relevant un peu sa manche, elle appuya sur sa veine, laissant l’hémoglobine gicler au sol en de larges gouttes. La terre s'en empeigna jusqu’à prendre une couleur cramoisie et l'odeur métallique du fer. Puis, laissant une trainée de cruor derrière elle, elle retourna se tapir au fond de sa grotte.

Le chef de la patrouille ordonna la halte au seuil de la tanière. Ils avaient eu du mal à la débusquer, cachée par un buisson comme elle l'était. Ils ratissaient le secteur depuis la veille, tant la surface à couvrir était grande. Malgré toutes les rumeurs qui couraient sur la femme-bête qui vivait dans la forêt, pas une ne précisait où on pouvait la trouver. La forêt était vaste et humide, et les soldats fatigués. Ils la cherchaient depuis longtemps. C'était l'odeur du sang qui l'avait trahie. Et c'est devant celle-ci que la troupe se figea. Illuminée par un maigre rayon de soleil, la terre teintée de rouge les narguait. Pris d'un étrange sentiment, les rangs se resserraient et les esprits gagnaient en vivacité. L'entrée de la grotte n'était pas plus grande que le terrier d'un loup et les hommes durent ramper un à un dans la flaque cramoisie pour passer l'étroite artère. Heureusement pour eux, il ne s'agissait là que de quelques mètres avant de déboucher sur un espace légèrement plus spacieux. Là, allongée contre une paroi, ils découvrirent la femme-bête couverte de sang.

Après avoir sommairement pensé sa blessure, Leah dépeça soigneusement un loup tué la veille, s'enroula longuement dans sa fourrure poisseuse et se laissa tomber contre la paroi du fond. Puis elle attendit. Fermant les yeux, elle sonda les vibrations de l'air autour d'elle et partit en esprit à la recherche de la patrouille. Ils étaient une dizaine, soit légèrement trop pour ce qu'elle projetai de faire. Il faudrait qu'elle agisse vite, et au bon moment. Elle sentit les premiers soldats arriver et se força à détendre ses muscles pour paraître inerte. Se concentrant sur sa respiration elle parvint à ralentir les battements de son cœur, lui donnant presque l’apparence d'une mourante. Les soldats s’approchèrent peu à peu, jusqu’à ce que l'un d'eux se penche sur elle pour prendre son pouls. Bondissant vivement, elle lui trancha la gorge d'un geste sec et projeta le cadavre sur le reste de la troupe pour les déséquilibrer et les imbiber de sang. Sans hésiter un instant, elle en acheva deux autres dans la foulée avant qu'ils n'aient le temps de se réorganiser. Et plaça vivement une lame sur la gorge du quatrième et se mit en garde.

Son otage respirait avec difficulté, et elle pouvait sentir les battement irréguliers de son cœur. Les autres se figèrent. Elle avait l'avantage, mais pour peu de temps. Il fallait qu'elle soit précise et efficace. Leah ne savait même plus si elle savait encore parler. Elle avait de vagues souvenirs de sa langue natale, mais longtemps s'était écoulé sans qu'elle n'en entende le son. Elle tenta de former des mots dans son esprit. Elle chercha la syntaxe exacte sans parvenir à la retrouver.
Que voulez vous moi ?
Parvint elle à articuler, sans pouvoir empêcher sa langue de fourcher. Les soldats se regarderent. Cela ne dura qu'une faction de seconde. Puis l'otage avança d'un pas, se tranchant lui même la jugulaire avant de s'effondrer sur le sol. Elle recula surprise et contempla la troupe avec des yeux mornes. Rapidement ils fondirent sur elle. Elle sauta, esquiva, et fut forcée de se mettre sur la défensive. Puis un hurlement retentit.

Une onde de surprise teintée de peur fondit sur les survivants et leur hésitation d'un instant permit à Leah de se mettre à l’abri. Mais les assaut reprirent et elle se retrouva dos à la pierre. Vint un second hurlement. Plus près. Une nouvelle hésitation se produisit qui suffit à désarmer l'un d'eux. De nouveau, l'attaque repris, mais moins certaine, plus hésitante. Jusqu'à s’arrêter complètement lorsque que les soldats réalisèrent ce qui les attendait à l'entrée de la tanière. Six loups reniflaient les caillots formés sur la terre humide, avançant lentement vers le fond de la caverne, babines retroussées, grondant bassement. Leah trancha une dernière gorge sous l'effet de surprise et se hissa sur la paroi. Elle entendit nettement les loups passer à l'attaque. Ils sautèrent sur les soldats pris dans des vêtement sanglants, arrachant tout ce qui leur passait sous les dents. Se calant sur de petites aspérités, elle se retourna et fit face au carnage qui l'entourait. Les loups mordaient et taillaient, tandis que les soldats tentaient tant bien que mal de résister. Mais dans la petite grotte, ils n'avaient pas la liberté ni la souplesse que leurs adversaires possedaient. Ils se faisaient lentement mais surement déborder. Enfin le premier loup tomba, et un autre le suivi. Les guerriers soufflèrent un peu et repartirent à l'attaque. Le troisième et le quatrième tombèrent plus facilement, tandis que les deux restants parvinrent à égorger trois soldats. Les quatre soldats subsistant mirent toute leurs force dans une dernière attaque tandis que l'un d'eux se retournait violemment contre Leah. Elle le repoussa d'un grand coup de pied qui l'envoya rapidement et efficacement heurter le sol dans la gueule d'un des loups. Leah se hissa un peu plus, se mettant ainsi hors de portée et observa l'extermination des survivants.

Ce fut finalement le camp des soldats qui l'emporta avec seulement un survivant. L'homme jeta un long regard haineux et déformé par la rage à Leah et s'enfuit en trébuchant sur les cadavres de ses camarades. Elle sauta lestement au sol et contempla son futur repas, se faisant la réflexion qu'elle n'aurait pas à chasser durant plusieurs jours, mais qu'elle devrait changer de tanière après, l'odeur de la décomposition lui étant insupportable. Elle l'avait échappé belle cette fois ci, mais qu'en serait il de la prochaine ?