« Merci de nous avoir éclairé grand prêtre, vous venez de sauver la vie de notre enfant. »
Derrière ces mots emplis de reconnaissance, je tentais de cacher un flot intense d’émotions contradictoires. Ma voix sonnait faux, tout le monde autour de moi l’avait senti mais personne n’y prêta vraiment attention. Même Osef s’en moquait, son héritier allait survivre et le rendre fier. La vie dans notre monde était amère est cruelle. Le prêtre ne mentait pas, je l’aurais perçu. De toute manière, qui se serait hasardé à mentir à la sœur d’Anima ? Mais cela rendait l’annonce encore plus douloureuse, il ne restait plus de place à l’espoir. Au-delà du soulagement d’avoir trouvé une solution au mal de Vanitas, je ne pouvais m’empêcher de sentir une douleur froide dans ma poitrine. En contrepartie de sa survie, je finissais quand même par perdre mon enfant, mon premier né, ma fierté.
Même s’il est de coutume sur Zelphos de rendre la vie difficile à sa progéniture, je voulais qu’ils se sentent aimés. A mon premier essai, je rencontrais un échec. Malgré toute ma bonne volonté, j’étais en train de tuer mon fils. J’avais besoin de réfléchir, d’analyser la situation, c’est pourquoi une fois informée de la réalité, je laissai Vanitas à Osef avant de m’enfermer dans la chambre de notre domaine. Devais-je m’entretenir avec Anima ? Il serait si facile de laisser mon frère s’occuper de mon fils. J’étais sûre que le démon arriverait à éduquer mon enfant avec tout le mal dont il avait besoin pour grandir.
Je ne saisissais pas vraiment l’étendue de ce qu’il m’avait été annoncé. Je n’avais pas spécialement connaissance d’Exios, ce dieu qui avait fait de Vanitas un avatar des ténèbres. Pour Anima et Osef, c’était une fierté, pour moi, un déchirement. Je désirais vraiment que mon fils trouve sa place dans notre monde, qu’il ne soit pas raillé et maltraité pour sa faiblesse tout comme je l’avais été. J’avais envie qu’il devienne comme son père ou son oncle mais je restais avant tout une mère munie d’un fort instinct.
Je m’approchais d’une des fenêtres et observait l’aube rouge de Zelphos. Perdue dans mes pensées, je cherchais à calmer ma douleur, à ne pas la laisser m’emporter. Je repassais en revue les instants les plus marquants de ma vie pour me donner contenance. Soudain, je compris quel était réellement mon rôle de mère. Cela ne me plaisait pas mais je n’avais pas le choix. Je devais d’abord m’assurer de la survie de mon enfant avant de m’apitoyer sur mon sort.
Grandie par cette révélation, je me préparai à quitter la chambre conjugale pour aller prendre soin de mon fils comme il se devait. Osef, fier guerrier, m’attendait tranquillement. Il ne me comprenait pas, pour lui, on avait une solution et cette dernière lui plaisait. Il n’allait pas s’abaisser à jouer avec son fils, il n’avait qu’une hâte, lui enseigner ce qu’il savait des arts guerriers. Je ne lui accordai pas un regard. Sa compagnie était plaisante mais je n’étais pas d’humeur à entamer l’un de nos innombrables jeux coquins. Aujourd’hui j’étais la mère de Vanitas avant tout.
Je m’approchais de mon fils qui dormait tranquillement. Son visage d’ange fit monter en moi une bouffée d’amour inconditionnel. Je savais que je n’avais plus le droit d’être faible. Je caressai son visage une dernière fois avec tendresse et emprisonnai dans mon cœur tous les sentiments que je ressentais à sa vue. Je respirai avec difficulté, tentant de tout retenir en moi tandis que Vanitas commençait à s’agiter dans son sommeil. Je risquais de le rendre encore une fois malade et d’encore l’affaiblir si je ne parvenais pas à contrôler mes émotions.
J’imprimai l’image de Mungunt me violant dans mon esprit et la haine parcourut mon corps, telle une vague irrépressible. Je serrai les poings, mes muscles se contractèrent et je fis abstraction de Vanitas qui arrêta de gémir. Sa peau reprit progressivement des couleurs pendant que je sentais la rancune me consumer. Je savais ce qu’il me restait à faire à présent à chaque instant où je côtoierai mon fils. Une fois mon enfant calmé, je me tournai vers Osef et lui enjoignis de me suivre. A présent, j’avais besoin d’apaiser mes tensions, j’avais besoin de me sentir moi-même, n’étais-je pas Hécate, la plus enviée des Succubes de Zelphos ?